Pour cette trente-troisième contribution, écrite sur fond du ruissèlement de mes doigts sur le clavier, je me penche à vos côtés sur cet étrange usage des messages d’absence. La messagerie électronique, nous l’avons déjà dit, a changé bien des habitudes, reprenant certaines qui méritaient d’être oubliées (ah, l’assurance de la haute considération, l’expression des sentiments respectueux…) et en créant d’autres assez baroques. Parmi celles-ci, le message dit de réponse automatique. Je lirais bien vos avis sur la question, mais étant absent, en fait, je ne les lirai qu’à mon retour.
Il y a une vingtaine d’années, une de nos secrétaires répondit de sa douce voix tabagique à un interlocuteur désirant parler à une de nos collègues, dramatiquement décédée quelques semaines plus tôt : « Mme Martin est décédée, elle ne fait donc plus partie du service ! » et raccrocha. Voilà une réponse fraîche, finalement non dénuée de bon sens, qui apporta, malgré elle, un peu de baume au cœur dans ce drame…
De la même façon, l’étrange pratique des réponses automatiques des messageries électroniques et leurs dérives méritent qu’on s’y attarde un instant. Comme le téléphone a son répondeur, présentant l’interlocuteur et laissant un temps de message, le message automatique vise à avertir votre correspondant que vous êtes absent et ne pourrez, en toute logique, pas répondre. Jusque-là c’est assez simple.
Pourtant, la pratique se répand de s’excuser par avance de ne pouvoir répondre alors qu’on est en congés, voire même, de ne matériellement pas avoir accès à internet pour consulter ses messages pendant ses vacances.
C’est là que ça se complique : ce n’est pas que je ne veux pas, mais je suis si éloigné de toute civilisation que je ne pourrai raisonnablement, en dépit de tous les efforts possibles, pas avoir accès à mes mails ; répondre à une demande est, dès lors, totalement hors de portée…
Même au Népal, on trouve maintenant facilement une connexion et les difficultés de voyager en temps de crise sanitaire rendent l’excuse encore plus pitoyable. Et entre nous, les vacances ne sont pas clandestines, c’est un droit et une nécessité. Que voilà bien une hypocrisie consommée ! Que diriez-vous d’une approche plus franche, idéalement avec la voix de l’ami Jean-Pierre Bacri ?
« Bonjour,
Je suis absent pour les vacances. Voilà. Je serai de retour le 3/09. J’aurais, si je le voulais, un accès tout à fait facile à mes mails, mais je n’ai aucune intention de les consulter, surtout si c’est pour endosser des urgences qui n’en sont pas. D’ailleurs, toute demande parvenant à mon bureau, si elle n’est pas du domaine de la transplantation cardiaque, pour lequel je ne suis pas compétent, pourra largement attendre mon retour. Si vous voyez que je suis absent, pourquoi m’écrivez-vous ? Est-ce que je vous laisse un dossier sur votre bureau sans vous en parler quand vous n’y êtes pas ? Bon, ben c’est pareil !!!! ».
Certes, celui-ci peut attendre sa promotion lord du prochain entretien annuel… Mais que dire de ces volleyeurs de mails ?
« Bonjour,
Absent jusqu’au 31 février 2022, pour cause de projet professionnel en cours de maturation, je vous oriente vers mon collègue, Pierre Tourmailleux qui est actuellement absent pour cause de congé paternité, si tout se passe bien jusqu’au 3 mars 2022, mais en son absence, vous pouvez contacter sa collègue Adeline Peugeot, qui part bientôt à la retraite, mais dont, heureusement j’assure l’intérim ».
Ils signent d’un ambigu « Bien à vous » qui signifie littéralement, non pas « je vous souhaite du bonheur », ce qui serait disproportionné, grammaticalement assez osé et, dans l’esprit, assez asiatique, mais bien qu’ils s’offrent sur un plateau d’argent à leur correspondant …
Je décidai de sortir me prendre un café et étais résolu à cesser de bougonner. Las, je tombe sur une nouvelle affichette dans le couloir de notre 6e étage : « nous rappelons que l’usage de la trottinette est interdit au sein de l’établissement »…