Le Monde de L'Écriture

Coin écriture => Textes courts => Discussion démarrée par: Goémine le 02 novembre 2016 à 16:26:38

Titre: Petit jeu de piste littéraire
Posté par: Goémine le 02 novembre 2016 à 16:26:38
Bonjour le monde,

Alors cette fois je vous ai inventé un petit jeu...

Le texte que j'ai écrit ici  relate la vie d'un personnage connu. Bien entendu, j'ai privilégié l'harmonie de l'écriture au récit purement biographique, mais pour attiser votre curiosité j'ai semé des indices tout au long du récit de la vie de ce petit bonhomme.

Saurez-vous deviner avant le dernier paragraphe qui se cache entre ces lignes ? pour corser un peu l'affaire, je remercie les lecteurs qui auraient trouvé réponse à l’énigme de ne pas la dévoiler sur ce fil, mais de m'adresser un message privé, afin de garder le mystère pour les autres lecteurs. je vous remercie également de ne pas foncer faire des recherches sur internet... vous auriez la réponse en deux clics... Allez jouez le jeu et fiez-vous à votre âme d'enfant.

Bonne lecture sur les traces de l'illustre inconnu que vous connaissez tous...mais CHUTTTT....


TONIO EN HIVER



Tonio était assis sur les marches du château et observait son grand-père, le baron de la Môle. La Provence se réveillait doucement de l'hiver et la nature s'ébrouait au soleil de mars.

C'était l'époque de prédilection de Bon-papa : le baron semblait sortir lui aussi de l'inertie hivernale. Il interpellait son régisseur, embauchait quelques jardiniers et envoyait des journaliers tailler ses vignes le 19 mars, pas un jour avant, pas un après ! Il parcourait les allées du parc et se penchait avec inquiétude sur les bourgeons que les dernières gelées avaient failli tuer, prévoyait la taille des rosiers, imaginait un parterre fleuri et odorant qui attirerait tous les papillons jusqu'à son domaine.  Il perpétuait ainsi la tradition qui avait fait de cette famille de vieille noblesse provençale des naturalistes passionnés. La botanique et l'entomologie étaient chères à son cœur et il y consacrait ses loisirs : autant dire tout son temps.

D'essais de boutures en tentatives d'acclimatation, de commentaires  en relevés d'observation, il essayait à sa manière de faire avancer la science et de plier parfois la nature à ses caprices. Monsieur le baron n'avait-il pas réussi à faire croître sur ses terres des séquoias, des mandariniers et à fleurir la serre de la fontaine d'orchidées stupéfiantes qu'on venait voir de loin? Pourquoi pas un jour un baobab dans l'orangerie ? Il gardait précieusement dans de grands cartons à dessins ses planches de croquis, ciselés et précis comme des montres suisses, représentant toutes sortes de coléoptères rares et autres coccinelles à pois.

Le baron aperçut son petit-fils et sa tignasse flamboyante et lui sourit avec une tendresse apitoyée.

Puis son regard glissa sur sa fille, Marie, qui venait de surgir sur le perron de la forteresse familiale. Cette enfant était sa préférée, il l'avait su dès le jour de sa naissance en découvrant sa peau laiteuse de rose de mai et ses minuscules doigts faits pour le piano. Il était convaincu dès le premier regard que celle-là s'acquitterait de recueillir l'héritage artistique de la lignée et d'en porter haut les couleurs. Il l'avait tôt initiée à la musique, au chant, au dessin et à l'aquarelle, puis l'avait entraînée avec lui sur ses terres afin qu'elle apprenne à s'extasier devant une pousse d'olivier ou à crayonner à main levée la cigale nichée sur l'écorce d'un chêne liège, afin qu'elle connaisse les parfums de leur domaine et la richesse de leur patrimoine et qu'elle soit infiniment  reconnaissante à la nature d'être si belle.

Marie avait profité de l'attention de plusieurs professeurs de piano lui enseignant à lire les notes, à jouer en public sans trembler et à honorer ainsi la mémoire de son aïeul, illustre musicien et compositeur dont la famille était fort fière. La fillette prodigieuse avait grandi entre solfège et fusain, s’étonnant de tout et riant du reste.

C'était finalement une jeune femme accomplie qui avait fait un beau mariage : elle avait reçu de son époux le titre de comtesse. Le baron avait cru sa fille à l'abri du besoin et prête à affronter sa vie de femme du siècle nouveau : 1900 était venu carillonner à la naissance de Tonio, et cette belle époque augurait des lendemains prometteurs , couronnée par la naissance d'un fils, futur héritier du titre, après celles de deux petites filles en pleine santé. Marie avait ainsi une vie toute tracée dans la maternité et l'accomplissement de son devoir de femme du grand monde. Malheureusement, quelques années à peine s'écoulèrent avant que le comte son mari ne décide de quitter précipitamment cette terre, en mourant d'une attaque cérébrale très inconvenante en public.

Marie s'était trouvée veuve dans sa vingt-huitième année, en charge de cinq enfants dont le plus jeune baignait encore dans ses langes. Elle avait trouvé refuge sur chez ses parents et le baron veillait désormais sur sa fille retrouvée et sur sa nichée, avec bienveillance et préoccupation : qu'allait-elle devenir ?

Elle se consolait en peignant inlassablement dans l'atelier aménagé au plus clair du château, et continuait à chanter malgré le chagrin.  Dans le petit salon, certains soirs d'hiver, elle interprétait avec grâce quelques morceaux choisis et au printemps venu, elle organisait l'exposition de ses toiles à Lyon.

Elle s'était également prise de passion pour l'anatomie et étudiait le plus sérieusement du monde la médecine entre deux récitals de piano. Encore une fantaisie qui faisait sourire le monde et marquait bien chez cette femme le goût de n'en faire qu'à sa tête. Personne ne l'imaginait  porter un jour ses mains d'artiste dans la charpie sanguinolente des hôpitaux de charité, ni soulager les corps souffrants des miséreux. « Une lubie de cette pauvre veuve, à moins que cela ne soit qu'un stratagème pour la distraire de sa peine » murmurait-on dans les salons en reposant sur des plateaux d'argent ouvragé les tasses de porcelaine frappées des armoiries familiales.

Tonio avait hérité de la douceur et de la fantaisie de sa mère, mais également du titre de noblesse de son père. Bon-papa ne put s’empêcher de sourire en songeant à la drôlerie de la juxtaposition saugrenue « Comte Tonio…. »

Mais grâce à Dieu, ce sobriquet n'était qu'une invention de Marie !

Sans doute le vent d’Italie était-il venu chanter un peu trop fort au bord de la méditerranée et avait glissé dans l'oreille de sa fille ce drôle de surnom dont elle avait affublé son premier fils !

En réalité Tonio portait un état civil bien plus respectable et propice à être présenté au grand monde le jour venu : Antoine Jean Batiste Marie Roger, héritier des Boyers de Fonscolombe par la lignée maternelle. Quand on avait l'honneur de porter un tel nom, il ne s'agissait pas de s'en réjouir mais de l'assumer. En toutes circonstances.

Mais pour l'heure le petit comte avait cinq ans et besoin d'un bon bain : il avait suivi Bon-papa dans la garrigue et s'était à nouveau attardé auprès des bergers du domaine : cet enfant vouait une admiration sans limite aux moutons. ! Allez comprendre ! Il était mascaré comme un pâtre et sentait le suint à dix lieux.

Malgré cela Marie l'attrapa à pleins bras, l'embrassa dans les plis du cou sans être incommodée par l'odeur du troupeau et s'en fut vers la porte du château où déjà l'attendait sa femme de chambre, une accorte niçoise qui allait prendre soin de Tonio et le récurer comme il se doit. Le petit comte serait rutilant comme un louis d'or ce soir à la table du baron.

Les enfants et leur mère résidaient au château durant la froide saison. Marie n'avait pu se résoudre à vivre seule avec ses petits et trouvait refuge, assistance et bienveillance, dans cette demeure familiale. Sa mère était une femme discrète, vivant dans l'ombre du baron. Elle avait à cœur de prendre soin de son intérieur autant que son mari avait de passion pour les jardins.

Elle cultivait son château et ses innombrables pièces comme on soigne un parc : tout était ordonné et fleuri, le soleil en moins. Elle préférait y rester enclose et sortait peu. Un début de surdité venait gâcher son intérêt pour la musique, aussi préférait-elle se retirer dans sa chambre, où la lecture d'ouvrages pieux et de quelques romans de bonne facture la reposaient de l'agitation incessante à l'entour.   

Les hivers ainsi passaient sur l'enfant blond auréolé d'or, au regard profond d'orphelin surpris. Tonio gardait en mémoire les noëls de Provence, les treize desserts, les cantiques de sa mère à la veillée de la nativité et le goût inimitable des noisettes grillées, du nougat et des dattes confites. Il se souvenait de l'odeur des bougies fondantes sur le gâteau à la crème d'amande partagé exceptionnellement ce soir-là avec les domestiques. Il s'endormait le ventre gonflé de sucreries, le cœur rassasié d'amour et oubliait pour un temps qu'il n'avait pas de père.

Venaient les printemps de bronze et de lumière qui ravissaient le petit garçon. Il sortait de l'ombre, redécouvrait la vie, les grands espaces et suivait, autant que faire se peut, la longue foulée de Bon-papa à travers le domaine. Il trouvait naturel de voir ce noble vieillard, le crâne protégé d'un canotier de paille et armé d'un filet à papillon courir en plein midi, comme un dératé, au milieu des champs de lavandes à la poursuite de papillons multicolores, même si plus tard quand la chasse avait été fructueuse, Tonio trouvait un peu triste de voir l'élégant ailé épinglé sur une feuille de papier de soie tandis que le baron traçait d'une main ridée mais ferme, l'esquisse des belles ailes mortes qu'aucun humain ne saurait jamais saisir dans leur palpitant espoir d' envol.

Dés le matin, dans l'aube encore humide, le baron allait jusqu'à la roseraie et passait le temps qu'il fallait à choisir une rose. Une seule, mais la plus belle, la plus fraîche, la plus charnue, celle dont les joues fruitées ruisselait encore de rosée, celle qui était née en même temps que le soleil disait-il.

Chaque matin, comme dans un rituel païen, il sacrifiait à la coutume et d'un coup de sécateur ému tranchait la fleur. Puis, installé dans la véranda il débutait son portrait, taillant inlassablement son fusain dès que le trait devenait trop grossier, effleurant la rose comme si elle pouvait dire à sa peau parcheminée le secret de la beauté.

 Il crayonnait, esquissait, reprenait et quand Tonio se réveillait et venait sans bruit prendre son chocolat dans la véranda baignée de lumière, il ne manquait jamais de s’étonner de cette lubie… « Mais Bon-papa ! Pourquoi dessinez-vous encore une rose ! »

«  Parce que chaque rose est unique » répondait le vieil homme.

Dès que le temps le permettait, la famille entière s'engouffrait dans la diligence familiale et rejoignait la petite gare proche du château. Pour la première fois cette année-là, Tonio eu le privilège de grimper dans les entrailles du monstre d'acier et de pénétrer dans le secret de la locomotive. Les yeux écarquillés, les narines dilatées, il découvrit la puissance de l'acier et du feu, la force de l'énergie et l'odeur du charbon incandescent. Il sorti de la machine barbouillé de suie, et ne prêta qu'une attention distraite à ses grandes sœurs qui fronçaient le nez de dégoût. Il ne revint à lui qu'une fois parvenu au village de Ramatuelle où seul un sorbet au cassis parvint à éteindre le feu qui grondait encore dans son cœur.

Tonio profitait à présent des dernières journées d'avril avec Bon-papa. Ils avaient commencé par la visite traditionnelle aux bergers du domaine et une fois encore l'enfant avait été ému par la toison nuageuse des moutons et par leur museau pacifique. Il se penchait sur la profondeur de leurs regards insondables et ressentait parfois en secret l'envie de se coucher à leurs flancs.

Après avoir compté ses brebis pleines, donné ses ordres et payé leur semaine à ses bergers, le baron avait entrepris d'escalader la colline à la recherche des premiers grands scarabées : sa besogne était terminée, là débutait son bonheur.
Tonio  était autorisé  à trottiner sur ses talons à condition d'être attentif et discret à la fois. Ces géants d'ambre grenat, ces monstres vrombissants aux reflets de rubis éteint et aux antennes invraisemblables, produisaient au décollage un bruit de petit hélicoptère, mais, ça Tonio ne le savait pas encore. Il se contentait d'imiter son grand-père et de s'extasier sur le profilage exceptionnel des coléoptères rares, comme les lucanes cerf-volant, ou sur les couleurs somptueuses des cétoines dorés, moirés comme un éclat de vieil or qui danserait au soleil.

La patience du baron était impressionnante quand il s'agissait de reproduire dans toute leur complexité les nervures des ailes déployées, le tracé des élytres diaphanes, les antennes arquées comme les bois des grands cerfs. Elle l'était cependant moins quand il lui fallait s'interrompre incessamment afin de répondre aux questions de son petit-fils et l'aider à réparer ses gribouillis maladroits censés représenter le précieux insecte dans son petit carnet de croquis.

« Mais bon-papa ! Je n'y arrive pas ! C'est trop petit comme animal à mon avis ! »
Lassé le baron rétorquait «  Eh bien…. voyons… dessine-moi un mouton ! »
Ce à quoi Tonio s'employait avec tout le sérieux du monde.

Après le décès du comte, le père des cinq enfants de Marie, il avait été convenu entre les familles, que les Boyers de Fonscolombe prendraient soin des orphelins durant leur tendre enfance. Leur position de noblesse paysanne, confortablement assise sur ses terres, à l'abri de l'agitation du siècle naissant conviendrait fort bien aux petits. En outre la jeune veuve trouverait dans cette période douloureuse le réconfort auprès des siens, dans un environnement paisible. Le vieux baron était homme de confiance et on le savait tout prêt à honorer son devoir de patriarche.

Toutefois, quand les garçons gagneraient de l'âge et qu'il faudrait songer aux choses sérieuses comme l'éducation et les études, la famille paternelle - noblesse de vieille souche et réputée pour ses qualités industrieuses- interviendrait et placerait leurs petits-fils dans les meilleurs pensionnats de leur région. Ainsi en était-il décidé mais l'heure de la séparation semblait encore lointaine. Tonio avait encore de longues années devant ses petits pieds pour courir la garrigue et apprivoiser les roses avant que de rejoindre les grandes écoles.

Pour l'heure, les enfants restaient dans le giron familial maternel même si Pâques arrivait déjà et qu' il fallait songer à quitter le château de la Môle pour rejoindre le domaine de Saint Maurice.      Là -bas régnait la comtesse Gabrielle de Lestrange, grand-tante de Marie, dévouée parente, qui proposait de relayer les grands-parents et de loger la petite tribu chaque année de Pâques à Toussaint. En décembre on fêtait la naissance du Christ à La Môle et sa résurrection à Pâques quelques mois plus tard à Saint Maurice… cela semblait bien étrange à l'enfant pour lequel tout allait bien vite, Monsieur le curé de Cogolin lui-même ne sut lui donner une explication satisfaisante.

Depuis la mort de son père, chaque année la vie de Tonio était rythmée par ce voyage : du sud qu'il quittait aux premiers beaux jours pour rejoindre Saint Maurice de Remens, au nord. Il venait cette année-là de fêter ses six ans et s’apprêtait une fois encore à quitter son grand-père.
Tonio vivait des heures précieuses, entouré de son peuple à l'accent chantant, dorloté par sa mère et couvé par ses grandes sœurs. Il aimait l'odeur du vent chargé d'embruns méditerranéens, le froissement argenté des oliviers sous le soleil d'avril. il goûtait le miel de lavande comme une friandise des dieux. Il était sur son territoire et aimait ce grand-père étrange qui chassait les papillons et dessinait des fleurs.

Aujourd'hui le voyage débutait, il fallait dire aux revoir au vieux baron et entreprendre un long périple vers la froidure, il perdait sa part de soleil et une partie de son nom : sa grand-tante n'avait jamais pu s'accoutumer à son sobriquet.

À Saint Maurice il devenait Antoine pour l'été et il laissait Tonio en hiver.

Mais il savait qu'il reviendrait chez le baron aux premiers frimas, qu'il verrait la nature s'endormir et les vignes grelotter. Il savait que les premières gelées blanches givreraient le perron de pierre tandis que les orchidées s'assoupiraient au chaud de la serre près de la fontaine, il savait qu'il goûterait aux amandes et au nougat de Noël en attendant de revoir les premiers narcisses impatients crever la pelouse du parc, que les premières coccinelles affoleraient le baron et que les boutons de roses renaîtraient dans les premiers rayons. Il savait qu'il y aurait encore des agneaux nouveaux-nés et que les bergers l’appelleraient encore Tonio l'hiver prochain.

Le voyage, quoi qu'éreintant, mettait les enfants en joie. Il leur semblait partir pour une extraordinaire aventure, ce qui n'était pas tout à fait faux, si on considère en ce début de siècle la difficulté de voyager avec cinq enfants entre Toulon et Lyon, puis de rejoindre - grâce à la diligence personnelle de Mme Gabrielle de Lestrange comtesse de Tricaud - Saint Maurice de Remens, gros village paisible au nord de Lyon, légèrement penché vers la suisse, comme attiré par ses montagnes de neige qu'on pouvait parfois apercevoir au cours du trajet.

Bien entendu Marie ne voyageait pas seule avec ses enfants. Femmes de chambres, valets et gouvernante l'accompagnaient tout au long du parcours. Et il en fallait des mains pour tenir les anses des paniers d'osier remplis de victuailles, des bras pour soulever les malles emplies de vêtements, de jouets, et de cadeaux pour tante Gabrielle et tenir bien serrée contre soi la petite dernière qui ne marchait pas encore bien vite.

Pâques était encore frais dans cette région, et la famille avait chaque fois cette impression étrange de faire une marche arrière dans le temps et de revenir au sortir de l'hiver. On endossait à nouveau les manteaux de laine, Marie s'enveloppait dans une cape de fourrure et nouait autour de sa gorge fragile une étole de cachemire. Il faudrait attendre le mois de mai, pour retrouver la tiédeur du soleil. L'été serait ensuite plus frais ici qu'en Provence , les enfants pourraient profiter du grand air sans craindre l'insolation et Marie pourrait se reposer et peindre tout à son aise.
L'arrivée au château de Saint Maurice était un soulagement pour tous, signait la fin d'un épuisant voyage, et permettait à tante Gabrielle de retrouver sa petite nièce Marie qu'elle adorait. La comtesse était bien âgée, mais elle conservait cette main de fer qui avait caractérisé toute sa vie. Elle menait son petit monde avec fermeté et bienveillance, et ne permettait à personne de déroger à l'étiquette. Elle avait un rang à tenir et entendait qu'on le sache.

Jadis le malheur l'avait frappé deux fois de plein fouet la privant de sa fille unique , morte en bas âge, puis de son époux, parti rejoindre l'enfant au paradis il y avait déjà presque vingt ans. Aussi avait-elle une tendresse toute particulière pour sa petite nièce, et compatissait fort à son statut de veuve. Sans enfant, elle reportait ses bienfaits sur Marie et ses arrières-petits-neveux qu'elle hébergeait de grand cœur au château. Sa richesse personnelle la rendait généreuse et son âme privée d'affection réclamait la chaleur d'une famille réunie dans ses vieux murs.

Elle embrassa sur le front chaque enfant, félicitant les grandes filles sur leur tenue et leur politesse. Elle attrapa le menton pointu d’Antoine pour le regarder droit dans les yeux et déclara :
«  Bienvenu, Monsieur le comte, je vous appellerai encore Antoine pour cette année, vous êtes encore bien jeune mon garçon, mais ne vous méprenez pas ! Je vous garde à l’œil et ne saurais tolérer la moindre liberté avec la bienséance. Vous êtes désormais un homme de haut rang». Une fois cette mise au point de rigueur effectuée, tante Gabrielle pouvait s'adoucir et profiter de la ribambelle de ses descendants venus lui rendre visite.

Elle se dirigea d'un pas lourd vers le salon, le parquet grinçait sous le poids de sa majesté. Un feu avait été allumé et elle pria ses domestiques de servir le chocolat chaud pour elle et sa nièce.

Les enfants furent emmenés par la gouvernante dans la petite salle de réception qui deviendrait leur domaine durant leur séjour. Ils s'attablèrent lestement devant une assiette de soupe, une roue de fromage du Jura et une épaisse tranche de jambon cru, mais furent aussitôt priés d'aller se rafraîchir avant que de faire honneur au repas. Une tarte et un large bol de crème les attendaient, posé sur la desserte en argent, entouré de cinq coupes de cristal. Tout ici était beau et bon.

Pour Antoine les choses étaient fort simples : s'il se montrait, poli, respectueux, ponctuel et patient en présence de sa grand-tante, il savait pouvoir disposer de tout son temps pour s'amuser comme il le souhaitait. Le domaine était vaste, le parc somptueux promettait chaque année de fabuleuses parties de cache-cache et le grenier empli de trésors l'hébergerait les jours de pluie. Sa chère maman était là pour veiller sur lui et pour venir l'embrasser chaque soir dans sa chambre, ses grandes sœurs garderaient l’œil  sur ses incessantes bêtises et le protégeraient le cas échéant des fureurs de tante Gabrielle , que souhaiter de plus ?

Bien-sûr il ne fallait pas espérer voir l'antique comtesse chasser les papillons, mais il savait que c'était une femme droite et généreuse. Il suffisait de ne pas trop s'écarter « de la bienséance due à son rang » pensait-il en souriant. D’ailleurs, dès tout à l’heure, seul dans sa chambre, à l'abri des rideaux clos, il se ferait une joie d'imiter le ton incroyablement démodé de son arrière- grand-tante et de contrefaire sa démarche, lente et pleine de superbe, cadencée par le son de sa canne à pommeau d'argent heurtant le sol avec autorité. Puis, en cachette, il en ferait une saynète pour faire rire ses sœurs demain à l'heure du goûter.
Titre: Re : Petit jeu de piste littéraire
Posté par: Goémine le 02 novembre 2016 à 16:36:43
Tonio en hiver, la suite ...

L'été s'annonçait calme et joyeux, la famille se reposait à l'ombre des tilleuls centenaires. L'air était doux, la vie était lisse. Antoine craignait parfois de s'ennuyer, de s'affadir dans le languissement estival. Il songeait à Bon-papa, aux courses dans la garrigue et alors le parc du domaine de Saint Maurice lui semblait trop bien peigné, trop propre, trop rectiligne.

Le balancier irrémédiable du temps qui passe, entraînait avec lui à chaque va-et-vient, tantôt Antoine au nord, tantôt Tonio au sud et l'enfant se laissait bercer sans méfiance

Tonio avait sept ans quand son grand-père décida de quitter le monde sans prévenir personne. Sept ans, c'est l'âge de raison dit-on de source bien informée… Mais peut-on jamais être assez raisonnable pour comprendre la mort d'un être cher ?

Marie pleura longtemps son cher papa et Tonio fut tout surpris qu'encore une fois la mort vienne à passer si près de lui. Le château provençal prit le deuil et la baronne s'enferma dans sa chambre et dans sa surdité d'où elle ne sortirait plus que rarement désormais.

Tonio pleurait  son Bon-papa et s'indignait de son départ brutal, aussi sa mère lui racontait-elle une fort jolie histoire pour endormir son chagrin :
Le baron avait couru si longtemps et si haut dans les collines après les papillons qu'il avait fini, sans s'en rendre compte tout à fait, par les suivre dans les nuages. Dans un dernier élan, il avait lancé son filet sur un grand machaon et le papillon emprisonné dans les mailles avait lutté si fort que c'est lui qui avait entraîné la vieux baron au dessus de la prairie. Bon papa n'avait pas voulu lâcher le manche du filet et n'était jamais redescendu de son vol. c'est du moins comme ça que maman avait expliqué les choses à Tonio… Puis elle ajouté « Chaque fois que tu verras un papillon prendre son envol, dis-toi qu'il va rejoindre ton grand-père au ciel, alors prie le de l'embrasser bien fort pour nous».

Tonio réfléchissait et hochait la tête en silence. Il imaginait Bon-papa muni de son filet à papillon voleter de nuages en nuages, il semblait heureux ainsi, car à la vérité, pouvait-on se nommer Fonscolombe et n'avoir point rêvé d'ailes ?

Après la mort du baron, Marie et ses enfants passèrent de plus en plus de temps au domaine de Saint Maurice, et l'enfant devint Antoine pour de bon, laissant Tonio en hiver une fois de plus et cette fois-ci pour toujours.

Si tante Gabrielle accueillait sa nièce et les petits avec bonté, elle avait toutefois à cœur d'en faire des jeunes gens bien éduqués et sachant les bonnes manières. Aussi tenait-elle tout particulièrement à ce que les enfants assistent régulièrement aux réceptions et sachent se tenir dans le monde. Elle inspectait les mains, les ongles, le boutonnage des chemises et le cirage des chaussures des garçons, n'hésitant pas à renvoyer auprès de la gouvernante un enfant mal accoutré. Un ruban dans les cheveux placé de guingois valait punition pour les filles. Elle insistait pour qu'ils sachent saluer, faire la révérence, et Antoine devait s’exercer à baiser la main des dames ce qui le faisait bien rire ! Il s'y employait par moquerie à tout heure du jour et saisissait à brûle-pourpoint la main de ses sœurs, de sa mère et même celle de la gouvernante qui en sursautait d’effarouchement ! Décidément ! Ce petit comte était un sacré chenapan.


Dés qu'ils pouvaient échapper aux leçons de mondanités, les enfants s'enfuyaient dans le parc et passaient des heures à courir, à jouer à cache-tampon et à colin-maillard. Antoine commençait à apprécier la compagnie de son petit frère François, désormais assez grand pour le suivre dans ses jeux. Quand les filles assises à l'ombre des treilles énormes travaillaient à leurs broderies, Antoine et François jouaient à se battre dans l’herbe, à observer les fourmis ou à faire rouler leur  diligence miniature sur le gravier fraîchement ratissé des allées.

Parfois Antoine demeurait auprès de sa mère et l'écoutait chanter et jouer du piano. Elle répétait ses gammes avec une grâce exquise et vocalisait à en faire pleurer les domestiques. Antoine troublé par la beauté de la voix de Marie et empressé à l'idée de plaire d'avantage à sa petite maman eut bientôt en tête de lui écrire de nouvelles romances. Il dévoila ainsi ses premiers talents de poète et fut bientôt applaudi pour la joliesse de ses textes et la belle tournure de ses poèmes. Même tante Gabrielle prenait plaisir à l’entendre réciter ses compliments délicieux et le priait quelquefois le soir de venir lui en faire la lecture au coin du feu. Chacun ici se souvenait de leur aïeul compositeur et se plaisait à songer que son sang d'artiste coulait dans les veines du jeune comte.

Quand il n'était pas dans les salons, Antoine cherchait l'aventure. Il avait de plus en plus de goût pour les escapades et les grands espaces. Certes le jeune comte appréciait la tendresse de sa mère, la douceur de ses grandes sœurs et la bienveillance de sa tante Gabrielle. Il aimait se faire border le soir par par sa gouvernante et cajoler par la cuisinière qui lui glissait toujours en catimini une sucrerie dans les poches. Mais avec elles toutes, ses douces et ses sucrées, il craignait un jour de ne plus savoir se conduire en homme, n'avaient-elles pas failli se trouver mal quand elles l'avaient aperçu tout en haut d'un grand frêne ? Elles s'étaient affolées, pâmées, l'avait supplié de descendre, ce qu'il avait fait sans encombre mais ne l'avait pas empêché d’être grondé et puni fort rudement.

Antoine avait besoin d’exercice, de défi. Il avait besoin de  fatiguer son jeune corps bien nourri. Il avait besoin de courir et  de s’essouffler. Son grand-père et leurs longues courses dans les collines lui manquaient.

Ici pas de bergerie, ni de gardien de troupeau, pas d'agneau nouveau-né. Le château de Saint Maurice en revanche s’enorgueillissait d'une écurie de belle taille. Le bruit des sabots, les odeurs sauvages, le contact des pelages et la chaleur des animaux ravivaient les souvenirs du jeune garçon, aussi se faufilait-il souvent vers la grande cour pavée et pénétrait dans les stalles avec bonheur, en prenant une grande bouffée de cet air chargé de senteurs anciennes comme le monde.

C'est là, près des écuries, qu'il fit la connaissance de Pierre. « Pierre c'est l'homme à tout faire » disait la gouvernante. Il savait manier la faux et le crin, il savait soigner les animaux et conduire la voiture de madame la comtesse, il savait réparer toutes sortes d'outils et d'objets endommagés, il savait se servir d'un fusil et d'un couteau, prendre soin avec une égale patience des fleurs et des animaux du château. Il possédait en outre un avantage indéniable aux yeux d’Antoine : Pierre était un homme.
S'il était trop jeune pour se souvenir de son père, il avait encore à l'esprit la carrure de son grand-père et le respect qu'il inspirait. Antoine savait  que l'on naissait noble, mais qu'on devenait homme avec l’expérience et le courage. Qui lui enseignerait cela ?
 Marcher loin et longtemps, soulever une charge, arpenter ses terres, donner des ordres à d'autres hommes plus vieux que lui sans baisser le regard, réclamer sa part de vin et de blé et discuter le prix du bétail. Et qui lui apprendrait à cracher loin et à pisser debout contre un arbre comme faisaient les bergers de son enfance ?

La première fois qu'il vit Pierre égorger un poulet pour le repas du dimanche, Antoine failli défaillir de dégoût, mais cela lui fut salutaire car il décida tout à coup qu'il était temps de grandir et de s'endurcir, puisqu'il était le fils aîné et l'héritier du titre, il allait falloir se montrer de bonne trempe. Le temps était venu de s'émanciper des salons.

Pierre était un jeune gars tout droit descendu des montagnes du Jura. Il en avait le parler, le bon sens  et le savoir. C'est donc auprès de lui que le jeune Antoine passa des heures décisives, c'est Pierre qui lui montra comment aiguiser un couteau, comment dresser un chien et comment entretenir une machine. C'est lui qui lui enseigna à prendre soin de son tout nouveau vélo,  comment réparer une chambre à air et comment remettre la chaîne déraillée dans les pignons. extasié de bonheur, l'enfant considérait ses nobles mains noircies de graisse avec orgueil.

Antoine s'était pris de passion pour la chose mécanique et accompagner Pierre à la remise relevait du bonheur complet. Les engrenages, les poulies, le graissage et l’affûtage autant de sources d'enthousiasme pour le jeune comte. Il faut dire que le grand siècle prenait allégrement le virage de la technologie.

N'avait-on pas vu des véhicules automobiles traverser les paysages bucoliques et effaroucher les troupeaux ? Si la comtesse et les siens se rendaient encore à hippodrome en calèche, on commençait à voir les véhicules à moteur emmener à grande vitesse les plus téméraires dans la poussière des grands chemins. Le marquis Jules Albert de Dion  faisait parler de lui dans les salons : ses voitures automobiles roulaient bel et bien ! Et que dire des premières Ford qui avaient traversé l'atlantique pour venir abîmer nos chemins de France. Tout cela passionnait le jeune comte intrépide. Il avait déniché dans la bibliothèque du château les œuvres de Léonard de Vinci et contemplait bouche ouverte et cœur battant les croquis de fabuleuses machines volantes, d'esquisses de moteur, de vis sans fin et de pistons. Tout ce qui semblait invraisemblable le passionnait.

Et que dire de ces hommes volants s’élançant dans les airs sur leur machine à ailes ? Antoine en avait le souffle coupé ! Il se le jurait ! Un jour il possédait une automobile et roulerait jusqu'à Paris, il emmènerait sa mère à l'opéra ! Et dans ses rêves échevelés il s'imaginait aux commandes d'un avion à parcourir la terre , à survoler les océans et les déserts du monde entier.

En attendant de vivre ce fabuleux destin Antoine grandissait. Entre salon, musique et poésie, écuries, vélo et mécanique. Le ciel semblait avoir déposé sur son front tous les talents : le sens des mots, l'oreille aiguisée, le goût du geste, la curiosité savante, et le courage de grandir. Le monde s'ouvrait à lui.

Il rêvait souvent d'exploits, de patrie à sauver, de batailles flamboyantes, d’honneur à sauvegarder, mais le soir venu, fourbu, il s'effondrait dans son lit de plumes, il récitait un poème de sa composition dans la pénombre ou griffonnait sur un calepin un croquis de moteur puis il laissait la nuit gagner sa chambre.
Il ne pouvait réellement s'endormir sans avoir entendu les pas de Pierre retentir.  Accompagné de son chien, son fusil en bandoulière, c'est lui qui faisait le tour du domaine à la nuit tombée, s'assurait que tout était en ordre, et l'entendre marcher dans l'entrée du château et bientôt sur les graviers du perron permettait à chacun de s'assoupir en confiance. Antoine le guettait, au travers de sa fenêtre, chaque soir quand il allumait les réverbères, éloignant les ombres imaginaires. Bonsoir. Puis chaque matin quand il venait les éteindre, annonçant le début d'une nouvelle journée. Bonjour. Le clignement des réverbères, inlassablement allumés et éteints, estompait pour le jeune orphelin les inquiétude nées du cœur de la nuit et lui disait que la vie continuerait à clignoter, qu'ailleurs les hommes œuvraient quelque part dans le noir.

Marie, bien qu'affligée par le décès de son père, continuait à prendre soin de ses petits et d'elle-même. Elle pensait que de s'attribuer de temps à autre une part de bonheur la rendrait plus forte pour les autres. Ses talents pour la peinture s'affirmaient et il n'était pas rare qu'on l'invite à exposer ses toiles dans la capitale. Elle partait quelques semaines à Paris, chaperonnée par une amie, les joues rosies par l'aventure. Ces périodes semblaient interminables à Antoine. Sa mère lui manquait, et la bienveillance de ses grandes sœurs ne remplaçait pas la main infiniment douce de Marie sur son front à l'heure du coucher.

Le courrier était rare et les services de la poste incroyablement lents. Il guettait chaque jour l'arrivée d'une missive de sa chère maman. Lassé d'attendre, Il avait  demandé à Pierre s'il était possible de faire porter les messages par les pigeons voyageurs, plus rapides à n'en point douter que les facteurs de campagne sur leurs antiques vélos. Pierre avait souri avant de répondre qu'il était impossible à un pigeon de la campagne de se retrouver dans le dédale des boulevards parisiens, Il se perdrait sans aucun doute le pauvre oiseau.
Alors, le cœur enflammé par la rage d'être si loin de sa mère, Antoine rêvait aux avions qui volaient si vite et si loin et pensait qu'un jour il piloterait lui-même une de ces machines pour aller porter à tous les enfants des nouvelles de leurs parents partis au loin. Il serait le facteur du ciel et survolerait les  nuages pour consoler les orphelins. Il visiterait le monde et relierait les hommes entre eux.

En attendant, il n'avait qu'onze ans et devait patienter en faisant le tour du domaine à vélo.

L'automne dorait les arbres et incendiait les valons. C'était l'époque de la soupe de courge et des marrons dans la cheminée. La période de la chasse aussi. Antoine avait cette pratique en horreur ! Il s'indignait de voir les hommes partir avec leurs chiens et leurs fusils traquer le gibier et les oiseaux. Quand les coups de feu retentissaient trop près du château il se bouchait les oreilles et refusait de manger de la viande au souper.

Un matin, Pierre arriva avec un drôle de sourire… il avait un secret à faire partager à Antoine…
il l'emmena en catimini dans les bois, à la limite du domaine et ouvrit la porte d'un ancien relais de chasse tombé en ruine. Il recommanda au jeune comte de ne pas faire de bruit. Sur le sol en terre battue, une vielle cage à poule remplie de paille était posée. Un froissement fit sursauter l'enfant qui s'approcha prudemment. Derrière le grillage de la caisse il entrevit un éclair roux. Il s'agenouilla et resta immobile, retenant son souffle et tachant d'assourdir les battements de son cœur. Au bout de quelques minutes, le froissement se répéta et devant les yeux écarquillés de l'enfant un petit museau frémissant émergea. Deux yeux noirs immenses clignèrent. Sauvages et curieux à la fois. Antoine  tendit la main vers le renardeau.
Pierre arrêta net son geste « Ne le touche pas ! … les chasseurs ont tué sa mère, il est trop petit pour survivre tout seul, alors on va le garder ici quelque temps, le nourrir, puis on le relâchera dans les bois. Si tu veux qu'il vive il doit rester sauvage. Tu ne peux pas l'apprivoiser Antoine… S'il s'habitue à toi, que deviendra-il quand tu partiras ? Il sera malheureux, te cherchera et s'approchera du château, il se mettra en danger par amour pour toi. Laisse-le, tu ne peux pas en être responsable, il doit repartir dans la forêt dès que possible, contente-toi de le sauver, pas de l'attacher, mais tu sauras que quelque part il y a un petit renard qui a échappé à la mort grâce à toi »

Chaque jour Antoine chipa à la cuisine des morceaux de viande et des os. Chaque jour il fit le trajet à travers bois pour passer délicatement entre les mailles de la cage de quoi nourrir le petit renard, et chaque jour sa main tremblait tant il avait envie de passer ses doigts sur le museau pointu qui se tendait vers lui. Le renardeau n'avait plus peur de l'enfant et semblait demander un peu de chaleur. Mais  chaque jour Antoine tint bon malgré le désir fou de toucher l'animal. Quand il reçu l'autorisation de Pierre d'ouvrir enfin la cage, il fut tenté une dernière fois de blottir le renard dans ses bras avant de lui laisser sa liberté… et qui sait ? Peut-être que le petit rouquin en avait envie lui aussi ? Mais Antoine résista, ouvrit la porte et tapa dans ses mains de toutes ses forces, il cria et fit claquer une longue branche sur le sol pour effrayer l'animal. Celui-ci suspendit un instant son pas, regarda l'enfant, surpris par tant de violence, il bondit vers la lumière sans plus se retourner. Quand l'éclair roux se fondit dans les hautes herbes en cavalant, apeuré devant la brutalité soudaine du garçon, Antoine s'assit sur le sol et laissa enfin couler ses larmes.

Quand sa mère revint de Paris, les mains élégamment protégées par un manchon de renard argenté, Antoine refusa de l'embrasser.

Douze ans ! La famille réunie fêta comme il se doit les années accumulées sur la tête du jeune comte. Il reçu moult cadeaux, mais il avait en tête une ultime requête à poser devant sa mère : le droit de sortir du domaine de Saint Maurice sur son vélo, afin d'aller librement explorer les alentours. Marie rechigna pour la forme, fit promettre à Antoine prudence et mesure et finalement céda ce que de toutes façons elle n'eut pas été en mesure de contrôler… Ainsi va mon enfant ! Échappe-toi, grandit et devient en ailleurs…

la destination d’Antoine était à la fois toute proche ( quelques kilomètres au plus ) et magnifique d’exhalation. Tout à côté du domaine de Saint Maurice s'étalaient les pistes d'aviation d'un petit aérodrome. L'orée du paradis

A Ambérieu des industriels lyonnais avaient aménagé un champ d'aviation pour expérimenter des modèles d’avions et les écoles de pilotage fleurissaient. Baptême de l'air, licence de pilotage, brevet de pilote, ces nouveautés se profilaient pour affronter le nouveau siècle avec des ailes gigantesques. Monsieur Berthaud, industriel à Villeurbanne finançait l’aménagement d’un atelier pour construire des modèles d’avions sur les plans des frères Pierre et Gabriel Wroblewski-Salvez.

Petit à petit Antoine se fit inévitable dans les hangars, les pilotes et les ingénieurs se prenaient les pieds dans les jambes du jeune garçon allongé jusque sous les fuselages tentant de découvrir les secrets de ces incroyables machines. Il rôdait, traquait, s'engouffrait dans tous les interstices de son rêve… Voler.

Il devenait presque indispensable :  apportant un café à un mécanicien épuisé, remplissant une citerne d'eau au bout de la piste d'atterrissage, accourant vers un pilote avec un paquet de cigarettes, portant les messages de l'un à l'autre. Il devint, sans l'avoir espéré, une sorte de mascotte du terrain d'aviation. Aussi quand Gabriel Wroblewki lui proposa d'effectuer son baptême de l'air, Antoine ne trouva pas la force de résister. Il lui fallu cependant mentir prétendant en avoir averti sa mère et avoir recueilli son approbation. « Pardonne-moi ma chère petite maman, un de Fonscolombe naît avec des ailes tu le sais bien… Je te fais la promesse de revenir vivant » Son mensonge et sa culpabilité ne furent pas assez lourds pour le retenir au sol. Il prit son envol avec Gabriel.

Ce mois de juillet étincelant ouvrit grand son ciel au jeune comte. Antoine s'engouffra dans les nuages et décida ce jour-là de n'en jamais plus descendre. Ou pas pour longtemps. Il planait dans les nuées effilochées de brumes matinales et découvrait le domaine de Saint Maurice à la taille d'un jeu de construction. Gabriel et lui survolèrent le domaine, prirent en chasse pour rire quelques oiseaux effarouchés, virèrent sur l'aile gauche pour admirer les monts du Jura et finalement se posèrent…

Apparemment ils se posèrent. Mais ce que ne vit pas le pilote, c'est que quelque part là-haut, était resté accroché dans les nuages le cœur du jeune garçon. Antoine serait  destiné dès lors à retourner dans les airs, cherchant son cœur, son destin, son honneur et le filet à papillons de son grand-père, en s'efforçant d'apporter des courriers aux enfants perdus sur la terre des hommes.

Les jambes encore flageolantes, Antoine suivit Gabriel  Wroblewski  dans le petit bureau en bout de piste. Il y fut accueilli dans la grande fraternité des hommes du ciel ! Pierre était là lui aussi. Il venait de Saint Maurice et quand les mécaniciens lui avaient désigné le petit avion dans le ciel, l'informant que le jeune comte s'y trouvait, il avait failli tourner de l’œil. Il se remettait de ses émotions en sirotant un cordial dans le bureau de pilotage entouré des ingénieurs, des pilotes. L'arrivée d’Antoine et de Gabriel fut salué de hourras tonitruants.

      « Alors ! C'était un bien grand jour mon garçon ! Il faut à présent que je vous délivre votre certificat de baptême de l'air ! Allez ! Passez-moi un formulaire et le tampon officiel que j'immortalise cet instant ! Au fait jeune homme ! Ayez l'obligeance de me donner votre nom exact  que je l'inscrive sur votre attestation de vol »   


      «  Merci Gabriel, c'est chic de votre part !  inscrivez donc mon état civil au grand complet pour l'occasion : Antoine Jean Batiste Marie Roger, Comte de Saint-Exupéry »
Titre: Re : Petit jeu de piste littéraire
Posté par: Fried le 02 novembre 2016 à 18:07:27
Bonjour Géomine,
J'ai tout lu et me suis pris au jeu avec plaisir, tu m'as bien eu car je ne lis pas toujours des textes aussi longs  :P
mais là je suis à l'hotel, av un bon wifi le nez devant mon ordi, ma paperasse, mes devis attendront  :D
je me demandais si il y avait un piège quand tu as évoqué les montons puis la rose...
J'ai tout lu avec plaisir, c'est bien écrit comme à ton habitude. Je me suis demandé si tu connaissais la famille ou comment tu t'es documenté pour connaître tous ces détails. J'imagine un gros travail de documentation. encore une fois bravo
quand tu parles du renard, je crois que cet animal peut tout de même s'apprivoiser sans perdre sa capacité à vivre à l'état sauvage.(un peu comme les chats).
J'aimerais connaître la part romancée et la réalité...mais cela casserai peut-être la part du rêve.
Merci pour cette belle histoire.
Titre: Re : Petit jeu de piste littéraire
Posté par: Goémine le 02 novembre 2016 à 18:54:36
Merci de ton commentaire Fried !

Pour faire vite ( je dois préparer mon cartable pour demain ! ) tout est vrai, tiré d'éléments biographiques ( lieux, noms, chronologie, famille (s)) le seul personnage fictif est Pierre, mais j'avais besoin d'un gars dans l'histoire...
Titre: Re : Petit jeu de piste littéraire
Posté par: Manu le 03 novembre 2016 à 11:53:27
.
Titre: Re : Petit jeu de piste littéraire
Posté par: Goémine le 03 novembre 2016 à 17:17:50
Merci Manu d'avoir pris le temps de lire ce long texte, et de tes commentaires rassurants... j'avais un peu d’appréhension à poster cet écrit qui me semblait "peu naturel"
à bientôt de te lire
bises Goémine
Titre: Re : Petit jeu de piste littéraire
Posté par: Goémine le 03 novembre 2016 à 17:19:24
Transfert du message de Pyjsa reçu en MP

Bonjour Goémine,


Merci de nous partager de nouveaux textes.

Je n'ai pas trouvé le personnage mystère avant la dernière ligne.

Peut-on te demander comment est motivé ton intérêt pour cette famille ?


Bonne après-midi,
Titre: Re : Petit jeu de piste littéraire
Posté par: Goémine le 03 novembre 2016 à 17:36:19
Merci Pyjsa d'avoir eu la patience de lire ce long texte et d'avoir joué le jeu jusqu'au bout !

Pour répondre à ta question : je n'éprouvais aucun intérêt pour la famille de l'inconnu...

L'exercice que je me "suis imposé" était plutôt d'imaginer comment ce que l'on vit dans l'enfance peut influencer le goût de l'écriture et la sensibilité d'un auteur.
Au départ, j'imaginais un texte assez court regroupant à lui seul toutes les clefs, les mythes, les obsessions ( peut-être) d'un écrivain.
Puis au fur et à mesure, je me suis rendue compte que je ne pouvais pas saucissonner la vie aussi négligemment.  J'ai voulu connaitre les racines, l'enfance, les douleurs, les espoirs, enfin tout ce qui forge une âme sensible et portée au partage.
ça a été comme un jeu de piste, recherches longues sur internet, relecture de son œuvre principale, afin d'en extraire ce qui m'a semblé peut-être à l'origine de ses écrits.

Il faut dire qu'avec lui c'est facile ! tout est poème et fraternité... il a su préserver la plus belle part de son cœur d'enfant et nous l’exposer sans pudeur mais non sans délicatesse.

Ne restait plus pour moi qu'à broder un peu tout autour... fil de soi, dentelles d'affection, ourlet de simplicité.
Cela dit, je me suis aussi mise à la place de ses descendants ( si par hasard ils venaient se promener sur le forum) et j'ai tenu à être très respectueuse. j'ai été impressionnée à l'idée de trahir, de ternir... c'est un exercice délicat que celui d'écrire publiquement sur un personnage réel .

voilà j’espère avoir répondu à tes interrogations !
bonne soirée
Goémine