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22 Avril 2025 à 04:38:30
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Le Monde de L'Écriture » Coin écriture » Textes courts (Modérateur: Claudius) » Gens de passage.

Auteur Sujet: Gens de passage.  (Lu 300 fois)

Hors ligne Mic Ester

  • Troubadour
  • Messages: 349
Gens de passage.
« le: 12 Avril 2025 à 17:46:55 »
Gens de passage.

        Dès qu’il se montre, elle fait une pause. Pas longtemps, tout au plus une minute, de savoir qu’il est là, que la nuit se termine, ça suffit à son bonheur.
Lui, c’est le soleil. Il se lève doucement, jamais à la même heure. Quand vient le printemps, dès cinq heures une lumière apparait, elle ne l’aperçoit pas encore, mais au loin entre deux tours elle voit la couleur changer.
L’automne, l’hiver, elle aime moins, son temps de travail se passe à la lumière artificielle et quand il arrive enfin bien souvent elle quitte les lieux.
Au loin, dans d’autres immeubles, des fenêtres sont éclairées, d’autres pas, puis cela change, toutes les quinze minutes environ, c’est le temps moyen pour le nettoyage d’un bureau.

        Des petits bonheurs comme ça il y en a d’autres. Dans certains bureaux de cadres, tout en haut dans les étages, des femmes s’entourent de plantes vertes.
Imany prend souvent un peu de temps pour les disposer dans la lumière, elle arrange un peu les fleurs fanées, dépoussière les grandes feuilles.
Parfois elle trouve un petit mot de remerciement pour avoir arrosé, pour en prendre soin, ou seulement pour les avoir vues. Ces petits pas-grand-chose pourtant vite oubliés aèrent un peu son quotidien.

Imany est agent d’entretien, femme de ménage, technicienne de surface.  Les noms changent au gré des caprices du langage sociétal, le travail lui reste le même, pousser le chariot de bureau en bureau,
vider les poubelles, gérer les toilettes, tout cela en restant invisible.

        Le service de transport-entreprise passe à quatre heures trente. Au bas de son immeuble, Imany est prête. Elle a disposé bien en vue le petit déjeuner de sa fille dans la cuisine.
Après une demi-heure de transfert urbain dans Paris qui dort, elle arrive à La Défense. La place est déserte, parfois la lune brille encore.
Dans ce noir mortel, rien ne bouge, le métro est fermé, le ramassage des ordures ménagères s’effectue au rythme des coups de frein et d’accélérateurs.
Des ombres en gilets orange vont et viennent à l’arrière, tout cela incognito dans la nuit qui s’en va.

         Chloé GILARD - Direction financière. Imany l’aime bien ce bureau-là. Sa situation au trentième étage est une merveille. L’espace vitré est impressionnant et donne une luminosité unique, une des meilleures de la tour.
 Elle pense souvent à cette personne qu’elle n’a jamais vue.  Dans son bureau immense, elle dispose d’une garde-robe de travail, plusieurs tailleurs de circonstance, des chaussures plates, des talons hauts, un petit nécessaire de maquillage.
Ces beaux vêtements sont attirants, cette Chloé Gilard doit être une femme de pouvoir.

        Imany époussette avec douceur les portraits des deux enfants posés sur le bureau. Leurs sourires illuminent cet espace de travail froid, au mobilier triste et fonctionnel.
Elle les aime bien ces deux-là. Comme le lever du soleil, c’est un petit plaisir du matin, un semblant de vie dans ce décor sans âme réservé aux chiffres, à l’argent virtuel, au travail dématérialisé.
De voir ces portraits d’enfants, elle pense à sa fille qui doit être levée maintenant. Elle a un contrôle aujourd’hui avant le bac blanc. Imany ne pense qu’à ça. Les études, voilà le secret,
tous ces gens dans ces bureaux ont une belle vie, se dit-elle. Pour sa fille elle voudrait le meilleur, pas cette existence de labeur ordinaire, sans lendemain, passée à se cacher des autres qui pourtant ne vous voient pas.

        Dans son taxi, sans voir Paris qui s’éveille, Chloé Gilard déroule son agenda numérique. Son premier rendez-vous est à dix heures,
elle dispose de vingt minutes pour voir ses collaborateurs, prendre un café, jeter un œil rapide sur les news financières de la nuit. La réception de la veille a laissé des traces.
 Elle s’est octroyé une heure de sommeil en plus, ce ne sera pas suffisant pour tenir cette journée démentielle.
Dans son sac, elle vérifie qu’elle a bien en réserve quelques produits miracle pour booster sa journée.

        Au pied de la tour AXA, un groupe de femmes en blouse bleue frappée du logo ParisClean se dirige vers le RER.
Chloé quitte son taxi déjà dans sa journée de travail. Dans l’entrée de son immeuble-bureau, elle croise sans la voir une femme aussi en blouse bleue.
C’est Imany qui en a terminé avec sa matinée et qui non plus ne la voit pas, trop occupée à surveiller son mobile dans l’attente d’un texto de sa fille.
La fatigue est déjà là, encore une demi-heure de métro pour un deuxième job d’arrière-cuisine dans un restaurant vers Montparnasse.
Un matin dans la ville, un matin comme les autres avec des gens pressés qui se croisent, presque à se toucher, mais qui ne se voient pas.
Un monde de fourmis besogneuses, insensibles à leurs semblables qui se retrouvent parfois derrière l’anonymat d’un clavier, quand chaque regard devient suspect et quand l’indifférence est la norme.

Deux femmes de passage, comme des milliers d’autres, étrangères, distantes, mais si proches pourtant.

« Modifié: 14 Avril 2025 à 10:04:53 par Mic Ester »

Hors ligne Delnatja

  • Grand Encrier Cosmique
  • Messages: 1 368
  • Ailleurs et au-delà
Re : Gens de passage.
« Réponse #1 le: 13 Avril 2025 à 09:56:37 »
Bonjour Mic Ester, merci pour ton texte.
J'ai beaucoup aimé, le rythme est fluide et l'ambiance bien décrite.
Pas sûr que la dernière phrase soit indispensable.
Belle journée.
Michèle

Hors ligne Basic

  • Modo
  • Palimpseste Astral
  • Messages: 3 705
Re : Gens de passage.
« Réponse #2 le: 13 Avril 2025 à 10:23:41 »
Bonjour,

d'accord avec denaltja pour cette dernière phrase.

Rien à redire sur ce texte, la rencontre avec ces femmes est forte, la distance du narrateur est bien venu et donne un accent réaliste qui pourtant ne reste pas en surface.
Comment écrit-on un texte comme celui-ci, proche du documentaire. Est ce le résultat d'une rencontre ( un peu comme certains films documentaire s) ?
Y a t-il enquête, recherche, expérience personnelle ?
B
Tout a déjà été raconté, alors recommençons.

Page perso ( sommaire des textes sur le forum) : https://monde-ecriture.com/forum/index.php?topic=42205.0

Hors ligne Choumi

  • Prophète
  • Messages: 772
Re : Gens de passage.
« Réponse #3 le: 13 Avril 2025 à 10:40:13 »
Bonjour Mic Ester
Il faut disséquer le temps de travail d’une femme ou d’un homme de ménage pour toucher du doigt l’esclavage industriel et ce n’est pas le changement du nom de la profession ( technicien de surface) qui a adouci la journée .
Ceci dit qu’on en bosse, on croit souvent à tort que ´l’autre’ a trouvé un job plus cool.
J’ai bien aimé ton texte et l’ambiance qu’il dégage
Juste pour te titiller ( j’suis d’humeur coquine ce matin) , en lisant cette partie
< quinze minutes environ, c’est le temps moyen pour le nettoyage d’un espace.> j’ai pensé au véhicule de chez Renault ce qui m’a un peu sorti du texte.

Un peu d’accord avec ceux qui m’ont précédé pour la dernière phrase
Amicalement
Michel

« Modifié: 13 Avril 2025 à 10:41:53 par Choumi »

Hors ligne Vilmon

  • Équipe Mammouth - Maquette
  • Troubadour
  • Messages: 354
Re : Gens de passage.
« Réponse #4 le: 13 Avril 2025 à 17:13:25 »
Salut Mic Ester,

Chouette petit récit.
On oublie ces personnes qui travaillent en dehors des horaires habituels.
Pour ma part, celle qui passe à mon bureau ne se fait pas oublié, elle déplace toujours mon clavier pour nettoyer.
Alors à chaque fois que je le replace, j'ai une pensée pour la remercier.
Mais ce n'est que lorsque je travaille tard le soir que je la croise, parfois.
Et je la salut avec un sourire.

J'ai bien aimé et je suivais bien le rythme du déroulement.
Il y a des inconnus qui apprennent des aspects intimes de notre vie sans que nous le sachions.
Et puis, cassure, le narrateur (ou trice) nous parle soudainement de Chloé.
Et à peine un paragraphe.
Je comprends l'idée de la dernière phrase, mais j'ai trouvé que l'introduction de la "vision" de Chloé a brisé le rythme du récit.
J'ai bien apprécié ma lecture, merci !

À la prochaine !  :mrgreen:
Vilmon

Hors ligne Mic Ester

  • Troubadour
  • Messages: 349
Re : Gens de passage.
« Réponse #5 le: 14 Avril 2025 à 10:00:46 »
Merci d’être passés sur ce texte.
Deux vies qui s’entremêlent, se croisent sans jamais se toucher.
Deux femmes aux métiers éloignés, mais qui subissent chacune les difficultés des matins urbains quand il faut gérer beaucoup de choses avant de démarrer la journée, avec Paris la nuit en toile de fond.
La dernière phrase, ok pas indispensable, j’ai voulu rappeler que les deux s’apprécient peut-être au travers des petites choses qu’elles s’échangent et sont un peu proches quelque part.
Bonne journée à vous et à bientôt.
Mic

Basic, non, je ne suis ni cadre supérieur ni technicien de surface, c'est juste un ressenti comme ça, documentaire oui un peu.
Choumi, la Renault Espace ! je n'y avais pas pensé ! en fait c'est le correcteur Antidote qui n'aime pas les répétitions (remplace bureau par espace (de travail))


 


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