Bonjour ! Voici une nouvelle enquête de notre équipe de bras cassés. Victor le Boss, Lucie la dactylo, Tom mon adjoint sur le terrain et moi Léon Théophile Alfred Cameut détective privé.
Merci d'avance pour vos retours qui seront pris en compte dans la version N°2
Amicalement
Michel
La Comtesse joue de la mandoline ! Samedi 9 Septembre 2001
Victor nous a convoqués Lucie, Tom et moi dans les locaux de l'agence rue Barve, ce samedi après-midi pourtant classé en vigilance orange par Météo-France. Ce dossier est-il si brûlant pour passer notre week-end à la trappe? Seule la peur d'une engueulade pour désobéissance nous a contraint à quitter la rame protectrice du tram au plus fort de l'orage.
À notre arrivée, Le Boss nous a à peine salués, évitant ainsi toute protestation, puis a repris ses va-et-vient de fauve blessé entre le bureau et l'unique fenêtre qui s'ouvre sur l'allée Maline.
— Vindious, putain de temps ! Il pleut des cordes ! À n'pas foutre un cocu dehors ! Maoule-t-il en scrutant le petit morceau de ciel gris coincé entre les deux immeubles d'en face.
En ce moment, il en a après tout le monde, le beau Victor. Hier, en connaissance de cause, il fustigeait tous les cons.
— Quel con, mais quel con je fais ! Faut-il être con pour se priver à ce point ! N'a-t-il pas cessé de répéter à qui voulait l'entendre, les yeux éteints devant sa gamelle de crudités.
— Si tu ne savais pas qu'il suffisait de l’être pour ressembler à tout le monde, lui a lancé Tom, maintenant tu sais pourquoi tu passes inaperçu dans la foule.
En grand seigneur qu'il n'est pas toujours, le Pacha s'est refusé à tout commentaire et valait mieux ne pas trop insister. Mis au régime depuis peu, il n'est pas bon à prendre avec des pincettes ni même à chatouiller dans le sens du poil avec une maryse. Justement, Maryse c'est aussi le prénom de sa femme et en ce moment elle lui collerai plutôt de l'urticaire aux jointures.
Élégante, raffinée, proche d'une cinquantaine assumée, l'on devine sous ses traits matures le reflet de la jeune et jolie jeune fille qu'elle a été. Son hidalgo, lui, grand amateur de frites et de marshmallows, a pris au fil des années la forme d'un culbuto. Résultats : Puissamment charpenté mais monté court sur pattes, son veston lui arrive aux genoux et les poches de sa popeline traînent par terre. Alors, Cendrillon a pris le taureau par les cornes et a emmené Gargantua chez une diététicienne qui a trouvé sans mal ce qui clochait.
— Vous avez vu cette lavasse ? J'donnerais bien une thune pour que ça s'arrête. Pas vous ? Bougonne Tarzounet.
Réfugiés prés du poêle à bois, Lucie grelotte, Tom renifle, et moi je regarde d'un air absent la flaque d'eau qui se forme sous la patère, alimentée goutte après goutte par nos fringues détrempées .
— Je me demande si je ne vous ai pas fait venir pour rien ?
Décidément, Obélix se force à renouer le dialogue, ça se voit comme un string sous une robe de toile légère. Mais, nous ne sommes pas dupes, peu lui importe nos mines défaites, seul compte le client du jour et pour l'instant, le client du jour, dont il ne connaît que la voix au téléphone, ressemble à un courant d'air.
Nous en étions à ce haut niveau intellectuel, quand le claquement du heurtoir en bronze nous a tous fait tourner la tête du même côté.
— Le v'là ! Que personne ne bouge ! J'm'en occupe, s'est exclamé notre futur Chippendale en se rapprochant de la grosse porte en chêne. Entrez c'est ouv...
Forçant le passage, un diablotin monté sur ressorts, aboyant plus fort qu'un porte-voix de manifestation, surgit entre ses jambes, mordille le bas de son froc, pisse sur ses godasses, l'oblige à faire un demi-tour sur place, au risque de lui foutre la coloquinte sur le parquet.
— C’est quoi ce tapis à quatre pattes ?
Hurle-t-il un tantinet agacé, le front perlé de sueur.
— C’est Youki le toutou à sa Mémère.
— Hein !
Dans l’encoignure sombre se dessine un grand échalas, tout habillé de noir.
— Suis-je bien en la présence de Mr Victor détective privé et de son bataillon d'acolytes, tous trés doués pour mener à bien les enquêtes sérieuses ?
— Ah ! Heu ! Oui, voici Lucie la secrétaire, Tom l'adjoint de Théophile notre enquêteur principal et moi même Victor votre obligé.
— Je me présente : Joseph Henry Jacques de Marébote Baron de Hautebele et accessoirement propriétaire des haras de Chanteloure et de la Palteraie.
— C’est tout ? Heureusement que vous n’êtes pas deux, s'égosille Victor en s'épongeant la nuque.
— Si justement j'ai un frère jumeau. Il s'appelle comme moi mais sans le c à Jaques pour que l'état civil s'y retrouve. Il est propriétaire d'une parcelle en Charentes, dans la zone d'appellation contrôlée, Grande Champagne, classée premier cru pour la fabrication du cognac. C'est pour lui que je suis là.
— Décidément toute l'aristocratie est de sortie.
— Nous sommes les derniers à revendiquer le droit à la couronne de France. Notre père l’Archiduc Léopold François de la... .
— Faites court voulez-vous et revenons au motif de votre visite.
— Où puis-je poser mon melon ?
— Là sur le bureau!
Machinalement nous nous sommes rapprochés de ce personnage singulier, affublé d'un nez en pied de marmite et d'un regard déroutant, où l’œil droit surveille si le gauche ne fait pas une connerie.
— Bon, vous venez pour votre frère, il ne pouvait pas venir lui-même.
— Non, il n'ose pas. Faut se mettre à sa place. C'est à propos de sa femme la Comtesse Marguerite Léonie Marie-Odile. D'aucuns avancent qu'elle jouerait de la mandoline tous les mercredi avec une copine.
— Voyez-vous ça ! Encore une sur le retour qui se dit dévorée par la musique. Je ne vois rien de répréhensible à la pratique mais quand même. Attendre d'être bourré d'arthrose pour s'y coller ne doit pas aider la prise en main du piètre ni favoriser l'agilité des doigts.
Lucie, habituellement discrète sur ses loisirs, intervient de façon militante.
— Moi aussi, j'aime jouer de la mandoline. Et alors ! Y-a pas de honte à préférer la musique de chambre aux défilés militaires. J'ai commencé en solo à mon adolescence, comme ça juste pour me détendre, sans recourir à une aide extérieure. Mais on peut commencer à tout âge et demander conseils à plus expérimentées. Je connais une amie qui s'y est mise passée ses soixante ans.
Tom, lui aussi, sort de sa léthargie contestataire.
— Attention, y-a mandoline et mandoline. Ma frangine en joue aussi dans sa cuisine et ne veut personne dans les jambes quand elle manipule, encore moins que le beauf y mette les pognes.
Décidément Victor a eu raison de nous convoquer, cette histoire intéresse tout le monde. Je me risque.
— Vous parliez d'une copine, vous supposez que votre belle sœur s'adonne en duo ?
— En duo ou en groupe, peu nous importe. Ce qui chagrine le frangin, c'est que Marie-Odile prenne plaisir à une activité extérieure qui semble l'emmerder copieusement à la maison.
— Et où à lieu ce crime de lèse-majesté ?
— Rue Palousine au 19 ! C'est un quartier populaire, envahi par les bleus. Je n'y mets jamais les pieds, vous pensez-bien. Je ne tiens pas à ce que mon cabriolet soit rayé par une Clio reconditionnée. Vous imaginez la tête de mon assureur.
Je dévisage ce grand escogriffe, un peu pisse-vinaigre, dépassé par la situation et Victor qui s'enflamme devant une enquête qui lui échappe déjà.
— Ne vous en faites pas, je vais m'en occuper personnellement et reviens vers vous au moindre indice, rassure le patron, tout en le ramenant vers la sortie.
Pour Victor, la consultation est terminée. L'homme en noir a repris son roquet surexcité, puis s'est éclipsé, oubliant le melon, mais non sans avoir verser une avance sur les honoraires à venir. Je suis rassuré, notre futur Adonis n'a pas perdu le sens des affaires.
— Bon les enfants, on fait la paix. Va falloir tirer cette affaire au clair sans faire de remous. Pour lundi, Tom tiendra le quart avec Lucie et nous deux Théophile on se retrouve directement à l'adresse indiquée par notre constipé. Salut à tous, bon dimanche, quartier libre !
L'orage a disparu, laissant une chaussée aveuglante sous le soleil revenu. Je décide de rentrer à pied et passer rue Palousine par curiosité. À ma grande surprise, le N°19 est occupé par les locaux de la police municipale, tout près du gymnase Jack Boilot. Je presse le pas, nous verrons cela lundi, pour l'heure j'ai envie de retrouver Martine. En ce moment elle semble prise aussi par le démon de la musique et profite de mes absences pour réviser ses gammes.
~Lundi 10 Septembre
Quand j'arrive à notre rendez-vous, Appolon m'attend le teint frais, l’œil vif, l'air jovial dans son marcel du dimanche, le pèse-personne a dû être conciliant. Lui aussi a été surpris et propose d'aller voir à l’intérieur s'ils connaissent la musique. Sitôt passé la porte, un gars sympa, en uniforme, nous accueille.
— Bonjour Messieurs vous venez pour les cours de self- défense proposés aux seniors ?
— Pas vraiment, se défend Victor en agitant sa carte professionnelle, nous aimerions savoir si certaines de vos recrues jouent de la mandoline.
— Ah ! Y-a maldonne, dit-il en riant, celui qui joue de la mandoline ici, c'est moi !
— Ah bon !
— Que je vous explique. Recevoir un coup de Mandoline c'est prendre un coup de matraque sur le crane. ( lu dans ABC de la langue Française sur le net ) Je suis brigadier et dans le cadre d'une police de proximité, j'organise des cours d'auto-défense pour les seniors, histoire de les occuper entre deux manifs pour leur retraite. Dans notre jargon, jouer de la mandoline est une classique où l'on mime une attaque avec un bâton. Pendant les cours, chaque participant devient l'attaquant ou l'attaqué. Ça vous tente ?
— De ramasser un coup ou d'en jouer ?
— Au choix c'est pour s'amuser.
Tu vois Théophile mon garçon, la Mère Odile veut s’aérer l'esprit en faisant un peu de sport. Mais une indiscrétion a mis la puce à l'oreille à nos deux comiques qui se sont fait des idées. J'ai bien envie de ne rien dévoiler. Une enquête peut être classée sans suite faute d'élément.
Il y a des jours où je suis content de bosser à l'agence. Victor n'est pas un mauvais bougre, Tom est un gentil garçon, et Lucie est toujours aussi charmante. Mais, je me demande bien ce qu'elle a voulu dire par : Jouer en solo depuis son adolescence.