dans un gant#
diversité #
pseudosophie mélancolique #
richesses #
artificiel...
ils sont cachés là, juste devant mes yeux...
je les soupçonne exister mais je n'ai pas accès à leur cercle ; c'est valable plus ou moins un peu partout, pour tout le monde, d'une façon qui semble elle-même dissimulée, alors je déambule dans la rue, à pieds, parce que je n'ai pas ni les moyens ni la déontologie de me payer une voiture, là je sais que derrière les reflets des parebrise, ce ne sont pas les mêmes gens ; ils sont préoccupés par les bouchons, par les feux tricolores, par les panneaux d'interdiction, les clignotants négligés, les klaxons sans verbe, ils sont préoccupés par la trace ronde de la ventouse du gps, ou par le porteclé qui tinte contre leur genou droit, ou par le monologue d'un autoradio, d'un passager avant, d'un enfant derrière qui heureusement le plus souvent, ne les déconcentrent pas assez pour trop risquer la collision... ils sont préoccupés par l'horaire, par la destination, par la taille du coffre, par les rétroviseurs et parfois les angles morts, ils ont des réflexes type priorité à droite, trois secondes au stop, hypervigilance au rond-point pour pas déranger plus qu'on dérange ; ils savent que le piéton est roi d'après la loi, mais ils ne le voient pas, ce moi qui marche dans la rue parce que je n'ai pas de voiture, ils ne se doutent pas que nous ne sommes pas dans le même univers ; ils ne savent qu'à peine consciemment que le parebrise est un masque, qu'ils voient mais que moi, je ne peux que les discerner à peine derrière le reflet du ciel goudronneux ; et nous nous ignorons mutuellement
je les soupçonne exister mais jamais ne les aperçois, alors je me méfie, je doute, où se cachent-ils ? je sais bien que lorsque je marche dans la rue, ce n'est qu'un reflet non représentatif qui me montre la société ; elle m'entoure ainsi, je vois quelques profils qui se distinguent, mais pas tous ; nous ne sommes pas tous piétons ; longtemps cette diversité me frappait sans me heurter, tel un ou tel autre, un promeneur avec son chien, une dame qui descend du bus, un type allé chercher le pain, un étudiant encore sans permis, un retraité qui passe le temps ; mais ce banquier en costume cravate ? j'ai bcp de chance si je le vois un court instant aller à 17h03 de son bureau au parking, après il disparait derrière un parebrise et je ne le revois jamais ; cette mère de famille à l'agenda surbooké ? j'ai bcp de chance si je la vois un court instant aller à 16h59 se poster devant la sortie de l'école en double-file avec les warnings, faire rentrer les bambins dans le monospace avant de disparaître derrière un parebrise ; ce couple de classe moyenne résidant à la proche campagne qui se fait une séance de théâtre ? j'ai bcp de chance si je le vois à 19h47 se dévoiler d'un parebrise dans un parking souterrain dans lequel je n'ai rien à faire, et puis disparaitre dans une salle de spectacle à l'intérieur de laquelle je n'aurai jamais accès...
même ce type qui a de quoi noyer sa misère dans un bar le soir, je ne sais plus vraiment à quoi il ressemble, lui a qmm souvent, au moins un smic, pour moi il est riche et privilégié, ce n'est pas lui que je croise le plus souvent dans la rue, la rue ce dernier lieu gratuit où traînent les rares qui ont encore accès à une part d'existence qui ne compte pas sur le capitalisme financier pour tout chiffrer
alors ? ce que je soupçonne des quartiers huppés ? je sais pas faire la différence entre le paris noble et le paris bourgeois ; j'imagine bien qu'ils se moquent les uns les autres, et que les pauvres comme moi, ils vont aussi en rire les rares fois où nos cercles entreront en collision, ce qui est si rare que ces deux, la majorité du temps, oscilleront entre charité d'apparence pour se sentir moraux, et rejet dégoûté lorsque le hasard fera que nous nous croisons en vrai ; tout est chiffré, ils veulent bien donner une part de salaire pour les associations, pour l'humanitaire, les restau du coeur et autres gestions des sdf, mais à la seule condition qu'ils n'y soient pas confrontés, qu'ils ne les approchent pas ; ces cercles ne sont pas miscibles, oui, même les plus miséreux d'entre eux derrière leur parebrise à reflet, sont à mille lieues de comprendre quelles sont les préoccupations du piéton que je suis
je marche, et lorsque j'ai quelque sou pour les transports en commun, je me sens déjà baigné d'un luxe gênant ; sinon, mes préoccupations ne sont pas de savoir si je peux aller me ressourcer dans le village de campagne qui ceint la ville ; même six ou sept kilomètre depuis la panneau de fin d'agglomération, c'est un autre univers lorsque les voitures te passent devant, les gens dedans en ont pour cinq minutes pour la même destination, un petit effort entre le talon et la cheville droite, et la destination est là ; moi sur cette route ? même si j'avais quelqu'un à aller rendre visite dans cette campagne et son cercle, je ne suis pas sûr que je réitérerais tous les samedis soir ; surtout que dans ma ville, le panneau de fin d'agglomération est déjà à six kilomètres de mon domicile ; quand je marche, c'est préoccupé par les crottes de chien qui n'ont pas eu la délicatesse de se ranger dans les sacs prévus à cet effet ; c'est acheter des chaussures bon-marché qui supportent aussi les jours de pluie de ne pas trop dégrader mes chaussettes trouées, car la pluie n'est pas une excuse pour esquiver certains déplacements, c'est valable pour les voitures et pour les piétons, de manière sensiblement différente ; le tout là dans ces chaussures, est soumis à de sales lois d'hygiène que la pédale d'embrayage n'implique que modestement par rapport à un trajet qui ne peut pas vraiment porter le qualificatif 'sportif'...
cette caresse gantée... je passe devant cet immeuble chic, soit un complexe de banque aux verres brillants, soit un cabinet d'avocats dans un style haussmannien ; même ce magasin de prêt-à-porter ne veut pas se comparer à la friperie qui parfois m'accueille pour mes obligations à la pudeur sociale ; un café dans cette brasserie à terrasse vaut dix de mes bouteilles de sirop discount ; et entre nos épidermes, un gant ; je sais qu'il y a encore plus pauvre que moi, et je ne parviens pas à me figurer le plastique entre nous, je suis coupé de leur cercle comme je suis coupé du cercle des smicards ; et cet aveuglement est pourtant à mon époque, en plein travail de transparencification ; j'ose à peine me figurer le décalage d'illusions et d'ignorances, entre les cercles des classes sociales avant l'ère des médias ; aujourd'hui je sais qu'existent ces gens que jamais je ne croiserai dans la rue, ceux pour qui un billet d'avion n'est que ce qui va avec un veston qui n'a pas à être repassé puisqu'il est à usage unique, avec un pass vip à scanner depuis l'écran de ce téléphone tactile sans distinction, avec ce café bioéthique pris en détail dans la galerie où un quart d'heure sur une chaise ne coûte que quelques dizaines d'unités monétaires, le temps de ne pas s'ennuyer avant le décollage, avec ce petit sac en carton dont le port improvisé là par hameçonnage d'une vitrine ne pèse que le poids d'un bijou ou d'un gadget, d'une petite surprise ou d'un coup de coeur, d'un craquage compulsif d'achat, us que mon portefeuille ne connait pas...
jamais dans la rue croisée, cette personnalité qui sur un plateau télé parle des ravages de la pauvreté, de la guerre, de la maladie ; des cercles ; cette personnalité qui ne va jamais avoir besoin d'aller de la boulangerie à la gare avec sa ferrari, et qui au cas rarissime où, a qmm acheté une renault pour ce faire sans choquer la foule ; des cercles gantés, parce que la différence n'a pas les effets qu'ont lui vante, qu'on lui rêve, qu'on revendique ; celui que tu vois en ferrari est un pauvre qui veut paraitre riche, le vrai riche ne la sort que sur circuit le dimanche aprèm, et lorsqu'il doit emprunter une route démocratiquement publique, il préfère y faire incognito en renault
et pendant ce temps moi je marche ; le banquier, la mère de famille, le couple ruralisé, ils ont un coffre et ça les emmerde de tout charger, tout décharger ; moi quand je vais faire mes courses à pieds, j'ai d'autres préoccupations, et je les imagine me dire : "ne te plains pas, tu sais pas ce que je vis !"... chacun ses problèmes, tout emmitouflés dans un gant de plastique ; la caissière me sourit "vous avez le sans contact ?" ; c'est poétique...
edit : annexe :
à une époque les gps de voitures proposaient un choix de méthodologie du calcul d'itinéraire, c'était soit 'le plus court', soit 'le plus rapide'... ça s'est ptetr complexifié avec les données en temps réel, ptetr c'plus simple maintenant sans choix, jsp... tjrs est-il que dans l'univers piéton, le gps pour moi (celui dans ma tête, car au final même chez le conducteur, le gps électronique essaye de faciliter la réflexion personnelle, et se calque donc dessus avec ces impératifs parmis les choix de configuration) peut venir s'opposer en 'le moins fatigant', qu'une voiture ne connait pas forcément, mais lui-même est ptetr dans un choix à faire, ce qui peut changer selon le paramètre d'utilité au voyage, ptetr à mettre en parallèle avec cet autre choix proposé aux conducteurs sur les longs trajets, 'avec ou sans péages', pour le piéton dont je traine une évolution d'expérience de vie, entre une promenade psycholibératrice, une marche sportive, un trajet utile, et autres buts motivant un déplacement, il y a diverses 'politiques' (entendons là mon usage métaphorique pour parler de mes décisions internes suite à débat tout aussi interne) bien plus complexes que le simple fait de rentabiliser l'effort, sans que la question ne s'élude complètement non plus...
fallait que je rajoute ça huhu wtf des gants entre épidermes !