Juste parce qu'on est sur un forum de mots, et si y'en a un qui est rare, qui me touche et qui a un grand stylo, c'est bien le Gaël.
Gael faye est un rappeur, un agenceur de sonorités, un rapoète, qui sort des sentiers communs du rap moderne (à chier, oui) pour rentrer dans un truc plus underground et plus poétique, plus proche d'un Oxmo Puccino que d'un Boobalol ou autres marionnettes.
Une vie... difficile, pour le moins que l'on puisse dire. Ici :
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On peut donc parler de déchirure, de mère perdue, de scission et de gaufre quand il s'agit de tout plaquer pour écumer les routes d'Afrique avec son pote Sekloka (dont je vous parlerai sûrement un autre jour parce que c'est tout aussi priceless), dans le but pour l'un de faire un album inspiré du voyage et de situation spontanée, et pour l'autre (qui rappe aussi mais qui écrit surtout de bons bouquins) d'avoir des images, des idées et de suivre son poto pour lui filer un coup de main.
Donc, en gros, Gael, c'est une mixité culturelle assez folle, un vécu assez fort, et une curiosité piquée par un amour de l'autre qui le pousse à mélanger, sur un album parfois trop inégal, des sonorités africaines, jazzy, hip-hop, folk, sur un même skeud. Toujours avec cette plume qui hurle son déchirement d'enfant, son incompréhension du génocide (qu'il a connu), sa peur de l'Homme et son amour de l'Autre.
Donc, pour vous donner deux exemples :
ici et
ici. (le final du second, si vous pouviez écouter tout en entier sans aller directement à la fin... c'est d'une force rare. L'impression de regarder le monde réel et les conséquences de mes actions quotidiennes dans le blanc des yeux. A chaque fois, grosse montée de pression, sans pouvoir dire pourquoi. Tkt, tu verras pas ce clip sur MCM, ça c'est sûr.)
Le reste de l'album est plutôt bon, même si deux trois titres sont biens moins bons que les
torpilles textuelles qu'il nous sort parfois comme des cadeaux.
On peut aussi s'attarder sur son incroyable énergie en concert (increvable et openminded), sa proximité totale (j'ai bu l'apéro avec lui en mode afterconcert et plus l'impression d'être avec un pote qu'avec un artiste), ses envies de transparence (la totalité du voyage qui a servi à enregistrer et à monter son album a été filmée et c'est des barres, des frissons, des larmes.. and so much more). Vous verrez donc Gaël, mais aussi ce bon vieux Edgard, qui est une véritable perle de connerie et d'ouverture. Donc, l'ensemble des vidéos
ici (et vous verrez que, si les studios européens ont l'heure, les africains, eux, ont le temps
)
Son album a reçu un accueil unanime par la critique, a touché son public, mais n'a pas marché tant que ça : il est resté au fond des bacs. Alors, si vous pouviez un peu faire tourner tout ça, faire connaitre un peu ces agenceurs de mots autres que la cité le ghetto la haine de l'autre et la rancoeur, je pense que ça fera un peu évoluer les choses : non, le rap n'est pas une mode, non, le rap n'est pas un business, et si l'on peut s'attarder sur la partie immergée de l'iceberg qui est à vomir, sous l'eau, tout au fond, bien au fond, on trouve des perles de contestation et d'appel à l'amour. D'ailleurs, Gaël le dit lui même (sur une instru et un flow violents, il rend hommage au rap du départ, alors c'est normal :
ici)
A savoir que les rares médias (hors Presse spécialisée) à lui avoir consacré un peu de temps sont France Inter et Arte. Sinon, comme toujours, faut gratter, chercher, creuser pour trouver des artistes entiers.
A savoir qu'avant de rapper seul, le crew monté avec Sekloka s'appelle "Milk Coffee & Sugar", ils ont d'excellents morceaux également, bien qu'ils soient plus portés sur un rap réel, moins géopolitique et plus sociétal, moins humain et plus littéraire/punchline. Toujours est-il que ce sont des
tueurs.
A savoir que le monsieur, après avoir fait une tournée dans les jazz-club et les bars miteux, a maintenant monté
un concert où il joue peu, où il invite de nombreux artistes (de tout milieu et de tout genre) rwandais à s'exprimer sur le génocide, sur la couverture des médias et sur un tas de problématique inhérentes à cette sombre période.
Bref, je vous invite franchement à écouter ça, à se poser un peu, et lire les textes si les flows vous perdent, et ,à faire tourner un peu (voire même acheter l'album si vous le sentez : il est à 10 balles et c'est un gros soutien).
A savoir qu'
Edgard Sekloka fait aussi des livres de poésie (que je trouve plutôt bons) et des romans qu'on trouve sur son site, ou en concert : les couvertures sont faites mains (tressées), il y a un skeud avec quelques chansons, et les textes sont d'une force assez rare. Je pense que Césaire serait plutôt fier.
Allez, bisous, et désolé pour le pavé, mais c'est un grand monsieur que le monde fait rester petit