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Auteur Sujet: On y buvait des noms II  (Lu 911 fois)

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On y buvait des noms II
« le: 30 septembre 2020 à 07:21:28 »
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bon alors un petit paratexte qui sera pas plus long que le texte, puisqu'on est en textes mi-longs et que du coup ce serait quand même chelou, ouioui, j'ai passé une fin de nuit à partir de son milieu, jusqu'à ce matin, et voici la suite, ou plutôt la nouvelle occurrence, d'un petit concept qui serait un peu comme... un mini-recueil de minies-nouvelles ! j'aime le miniature, parce que je sais pas, expliquer ce que j'aime ou n'aime pas, je n'aime pas ; mais en me baladant l'autre soir en pleine journée, j'ai eu l'occasion de trouver dans la rue le deuxième titre de ce mini-recueil, et comme j'avais déjà le premier et que je savais pas trop quoi en faire, bin voilà, je me suis projeté à essayer de faire un deuxième petit bout de concaténation d'histoires si petites que ce sont des bouchées, des trucs un peu de rien du tout, qui ne s'expliquent pas plus que cela...


On y buvait des noms II


- I -
IL DORMAIT AVEC SON CENDAR
Un mec standard, quoique.
Il avait comme ça des flemmes en trop, et il ne les partageait qu'avec lui-même. Un peu comme si tout n'avait que rien en valeur d'absolu, et que ce qui le motivait ne pouvait être que le fruit d'un néant terrible et immaculé. Pourtant anthracite, sa vie le menait à enchaîner les sticks de braise, comme il la fumait, la consumait. Et puis c'était ainsi dans son habitude un peu mortifère, non pas de chérir comme une poupée, un cendrier un peu nauséabond. Non. Juste dormait-il avec son cendar, parce que flemme. Sur le bord sans drap, à-même le matelas, trônait un triangle un peu trop illuminati pour n'être qu'un triangle. Le mec il dormait de moitié, c'est-à-dire sur la moitié de son lit. Peut-être était-il en manque d'une quelconque moitié de lit, oui. Peut-être le sommier deux personnes, était-il un espoir un peu vain de trouver le sommeil en compagnie qu'il ne pouvait que trouver auprès de ses sticks de braise. Lui soufflaient-ils de leur fumée, quelques rêves cendrés lorsqu'il sommeillait ? En tout cas il n'avait plus peur de le renverser par somnolence agitée. Le cendar était là, toute la journée il dormait, et la nuit il était là aussi, et peut-être enveloppait-il de rêve ce que la couette pliée en deux ne pouvait vraiment réchauffer dans le cœur du mec qui dormait, en buvant des noms improbables jusqu'à ce que se réveille une journée ténébreuse. Et le mec dormait comme ça, la tête dans le cendrier, parce qu'il venait de fumer les sticks de sa journée de braise, en enfer que peu auraient respiré...

- II -
SOUS UN PARAPLUIE SUR UN BANC
Un mec standard, quoique.
Il se baladait sous la pluie parce qu'il aime un peu quand ça mouille, mais surtout parce qu'il lui fallait se balader, et qu'il pleuvait. Injuste combo pourtant tout-à-fait récurrent dans sa vie de mec standard. Il se baladait sous la pluie donc, et il lui fallait parcourir le dehors, parce que c'est le principe du déplacement qui en fait, était là un peu plus utile qu'oisif. Il marchait avec destination, il avait un but, et le poursuivant, totalement incapable de raison autre que le chemin de ses pas, lui venaient en tête des considérations plates et injustes, dénuées de toute ambition à autre chose qu'une expectative de la destination. Et puis cela a retenu son attention. Parce que s'il y a un truc désagréable dans la pluie, trouve-t-il en général, c'est ce qu'elle fait sur les vêtements. Une douche un peu fraîche, dans la plupart des cas, c'est pas malsain. Sauf si peut-être, on souffre déjà de fraîcheur, et que mettre un pull est une habitude non pas de confort, mais d'une sécurité tant maladive qu'elle en est devenue habituelle. Le froid ne l'habitait pas tant, au mec, parce que quoique. Il n'était pas standard, même si comme tout le monde, il se sentait un peu moins en danger sous le beau temps que sous les nuages. Et justement, le vêtement sous la pluie, il a tendance à rendre palpable le danger du nuage. Parce que le froid s'immisce. Parce que le vent glace. Parce que ça colle, et tout ceci, uniquement pour le désagrément au présent, sans le futur où le mec doit faire sécher, laver, désempuantir le vêtement qui a amassé les colles de la pluie, ou plutôt de sa crasse mouillée par la pluie, celle qu'amasse si facilement le vêtement. Et donc il se baladait, et cela a retenu son attention, que de voir sur ce banc, quelqu'un sous un parapluie. Il s'est demandé quelles fesses supporteraient un pantalon trempé, même sous le parapluie au sec.

- III -
IL S'EST GARÉ SANS PERMIS
Un mec standard, quoique.
Il avait pas de voiture, mais il avait du mal à se garer. C'est tout simple, la circulation, il y a toujours des bouchons. Donc sur son trottoir il est souvent là, dans le centre ville parce qu'il ne va pas aller voyager jusqu'à trop loin, à pieds. Et les bouchon de circulation, c'est ce qui le préoccupe un peu tout le temps. Pourquoi ? Parce qu'il respire les échappements, qu'il s'assourdit du bruit de moteur. Parce qu'il tente de percer les reflets des pare-brises, qui dissimulent les automobilistes comme si leurs corps étaient les âmes des voitures ainsi personnifiées. Des machins qui avancent sur quatre appuis, ces drôles d'animaux qui ne peuvent que suivre, comme un troupeau aligné, les chemins de la condition humaine. Et le mec standard il était là, pas trop standard parce qu'il a pas de voiture, et plus il était là et plus il se disait que ça devient compliqué de circuler à pied sur les trottoires où se garent les voitures, avec un ou deux clignotant parfois, c'est plus des avertisseurs de danger, quoique. Attention danger, je prends toute la place. Le mec standard il cicrulait parmis les voitures piétonnes, et il a fallu qu'il se trouve une place. Mais non. Pas de place. Là un clignotant, la un klaxon, et entre tout ça des chaussures et des pantalons qui enjambent des pavés, qui traînent une misère citadine, qui rentrent et qui sortent depuis le chemin, pour aller faire un truc dans un magasin et en ressortir, manger, acheter, consommer, s'arrêter et repartir, mais surtout : prendre toute la place. Impossible de se parquer dans ces conditions, même en tant que piéton standard. Il a cherché un banc à l'ombre, mais il n'y en avait que sous la pluie. Il a cherché une terrasse sans consommation, mais il fallait payer son ticket, et il ne voulait pas abandonner son véhiculement juste au titre d'une pièce qui ne le vaut pas, mais qui est quand même chère payée... Du coup il s'est garé sans permis, et il a mis un anti-vol. Ses lacets de chaussures, il a failli s'emmêler les pieds dedans puisqu'ils étaient noués. Mais il a eu peur de la contravention. Sur la route piétonne, sur les trottoires auto-immobilistes, il s'est garé sans permis.

- IV -
IL N'Y AVAIT PERSONNE DANS CETTE FOULE
Un mec standard, quoique.
Il se baladait comme un fantôme, et il se demandait un peu des trucs étranges, comme quoi tout lui apparaissait parfaitement logique par irrationalité. Oui. Parce qu'il avait toujours un peu senti un écart entre lui et les standards. Comme quoi une société qu'il avait renié pouvait parfaitement le renier lui aussi. Et il s'imaginait de manière ambivalente des trucs comme quoi tout ce beau monde qui l'entourait était un peu anonyme et pourtant bien identitaire. Un peu tout le monde et personne. Un peu trop et pourtant nul. Un peu oui, nombreux à exister en dehors de son existence à lui. Des anonymes qu'il croisait uniquement dans la rue, lorsque anonymement tous marchaient pour fonctionner, dans cette ville où il faut travailler où s'installer, sur une terrasse où l'on devient quelqu'un le temps d'un café et d'un pourboire. Le mec standard il se figurait parfaitement que ces gens anonymes possédaient une vie un peu mieux remplie que la sienne, sûrement. Qu'ils avaient une fonction dans le puzzle social. Que leur demain était ficelé comme un rôti. Et ces gens pourtant, lui étaient introuvables. Oui ils s'affichaient là devant lui, tout autour de partout, dans ces rues, surabondant de leur présence l'anonymat d'une foule un peu trop impersonnelle pour se révéler à l'individu qu'il était, lui aussi anonyme, au milieu de cette foule d'inconnus. Ces gens qui n'échangeaient à peine que des regards désengagés, ou des coups de klaxon lorsqu'ils se le permettaient d'outrage indifférent. Et pourtant ; le mec standard quand il rentrait chez lui, c'était pour réaliser que cette foule n'existait pas. Aucune trace, pas la seule marque autre que la ville elle-même, purement construire à la lumière de leurs efforts, de leur cohésion organisée, dont lui, le mec standard, n'avait aucune idée puisqu'il avait renié la société, ces gens de la ville qui déambulent anonymement, qui se regardent à peine, sauf qu'il faut. Il ne connaissait personne dans cette foule, et pourtant la foule il la reconnaissait. Toujours la même. Toujours elle.

- V -
LES ENFANTS DU RÉVEIL-MATIN
Ceux qui voulaient un peu veiller le soir quand il était l'heure de dormir. Ils passaient leur soirée à ruminer que c'est mieux de vivre en dehors du chaud de la couette. Le noir habite dorénavant leur esprit. Leurs rêves se sont décalqués ailleurs que dans leur sommeil, car finalement ils en sont incapable : dormir sereinement. Se réveiller, dynamiques, c'était difficile pour eux parce qu'ils n'avaient pas eu la foi pour se reposer. Le matin s'annonçait rude, tous, tous les matins, surtout à force de se coucher sans réel sommeil, mais avec une fatigue déjà accumulée des jours et des nuits sans repos. Ils étaient donc là, à peine endormis qu'il fallait se réveiller, de mauvaise humeur parce qu'il fallait s'endormir à peine réveillés. Et que le cercle vicieux ne pouvait être interrompu. Ni par eux, jeunes irresponsables de leurs horaires, ni par leurs parents, qui ne se doutaient pas de leurs erreurs d'adultes à la responsabilité inconsciente. Les matins donc, se succédaient pour ces enfants à traumatiser. Ils étaient scolaires, bien sûr, et toute leur éducation, parentale comme écolière, était tâchée de cette contrainte qu'ils ne supportaient plus depuis trop longtemps, et qu'il n'avait jamais été légitime de remettre en question. Dormir. Se réveiller le matin, dynamiques, c'était difficile pour eux parce que rien ne les avait propulsé dans le flux de la satisfaction. Maugréant un soir, maugréant un réveil, ils tremblaient toute la journée et toute la nuit, leur lente mort les gardait immobiles. Lire les ingrédients d'une tartine, l’œil hagard. Savoureux chocolat chaud servi comme structure sucrée pour bien se réveiller ; mais non. Les enfants du réveil-matin, c'est ceux à qui on a kidnappé le sommeil. Ils ont dorénavant besoin de cette machine pour devancer le soleil du jour, et lorsqu'ils veulent un sourire pour lancer les heures, ils ne le trouvent plus en leur intérieur qui n'est plus riche de bonheur, non ; ils le volent au malheur des autres, qu'ils trouvent où ils peuvent, c'est-à-dire partout. Une tronche mal rasée de papa. Une première crise matinale de maman. Pas que la mauvaise humeur soit leur credo, non ; juste transpirent-ils cette misère mondiale que tout le monde perd de vue quand il voit son réveil-matin annoncer qu'il faut aller contribuer à la lutte pour le bonheur. Et tout le monde est lancé aveuglément là-dedans. Surtout ces enfants tristes, les enfants du réveil-matin.

- VI -
IL HABITA AILLEURS QUE CHEZ LUI
Un mec standard, quoique.

- VII -
TOUT FIER DE SE RATATINER SUR SON SIÈGE DE BUREAU POUR ALLER FORCER EN SALLE DE SPORT
Un mec standard, quoique.
Il était là, traîné par des obligations vitales mais pas trop vivantes. Un truc qu'il appelait son pouvoir d'achat, qui l'enchaînait à un siège de bureau toute la journée contre quoi on lui permettait d'aller cueillir des fruits sur les arbres. Mieux, quelqu'un le faisait à sa place, et lui n'avait plus que le pouvoir de manger ces fruits. Contre quelques journées de sa vie, passées à se ratatiner allègrement, confortablement, comme une éponge trop mouillée dégouline dans l’égouttoir. Il se vidait pas de sa substance, lui. Le mec standard il s'emplissait les poches de pouvoir d'achat, et une fois qu'il avait mangé les fruits, il avait assez de protéines pour aller forcer à la salle de sport. Des haltères, des poids, des trucs qui roulent et qui ne grincent que si personne ne les graisse. Des barres en fer, des ballons en plastique. Il s'affairait avec ces trucs pas très naturels, pour trouver la forme de se rendre artificiellement aussi bien que s'il n'avait pas les moyens, le pouvoir d'achat, pour acheter le droit de s'entretenir naturellement. En salle de sport, pourquoi ? Peut-être que les ballons en plastique ne poussent pas sur les arbres qu'il ne voit plus depuis son siège de bureau, et que l'importation des pastèques se fait mieux lorsqu'elles sont en plastique ; pour forcer un peu autour d'une ligne à maintenir, mais en vrai...? Qui garde la ligne en salle de sport ? Il va la chercher un peu, il la trouve, et une fois qu'il a assez forcé, il retourne se ratatiner fièrement, tout aussi fièrement que son visage se rougit et se gonfle à l'effort immense de rester vivant, de manière presque vitale. La sueur en torrent, les souffles essoufflés, il les aime vraiment, pour lui c'est ça, garder la santé. Par le travail. Ponctuel. Antagoniste au restant de sa journée de siège ratatinant. De bureau. Tout ça pour des arbres qu'il ne connaît pas, et qu'il va même jusqu'à ôter le droit d'ensemencer à des fins de fécondation. Plus rien n'a d'utilité, alors, et le mec standard il était là à tout rendre artificiel tout en se plaignant que la nature lui manquait. Peut-être comprendra-t-il un jour, le mec standard. Mais pas aujourd'hui. Non.

- VIII -
LA STATUE QUI AVAIT DES CRAMPES
Un mec standard, quoique.
Il était là dans le musée. Il avait payé un ticket d'entrée, hors de prix, mais il était quand même rentré dedans, ce prix, parce que ça vaut le coup culturel de s'instruire à regarder la psyché d'artistes torturés pour avouer l'irrationalité de leur cerveau. Là il était dans un de ceux que les anciens auraient renié. Il n'y trônait aucun corps puissamment valorisé par un petit sexe ou des bras amputés. Non, c'était plus vieux encore, et il y avait des cubes, des barres entortillées, des bulles de ciment et des verres à plonger les pieds dedans ; avec les dents. Donc il était là le mec standard, pis il auscultait. Ils avaient l'air vivants, ces cubes. Presque aussi bien fait que des vrais. Reproduits quasiment à l'idéal, ils étaient tous là sur leurs socles, comme David et sa main puissamment élargie, pour lancer ce caillou étrange contre le géant de l'impuissance artistique. Et le mec il était là devant, tout aussi impuissant. L'air dubitatif, mais intelligemment dubitatif. Il était là à ausculter le cube, et il se disait que oui, c'était un beau cube conceptuel, qui n'a rien à voir avec le beau naturel tant dépassé. Non, un petit sexe d'athlète, c'est risible quand on le cache pas avec les muscles qui ne servent qu'aux forçats des salles de sport. Aujourd'hui quand il va dans un truc de corps, c'est soit pour le dessiner, soit pour faire l'amour, soit pour... Et puis il était là, devant le cube conceptuel, et oui, il se dit que c'est pas n'importe quel cube, c'est ce cube. Ce cube presque pédant à s'incarner comme ça, comme n'importe quel autre cube, quoique. Non ; justement, c'est ce cube, et il était beau, comme ça, comme lui, comme un cube incarné en cube. Et puis donc, dubitatif mais intelligent, il se fronçait le sourcil avec un doigt, mâchouillait sa barbe de menton en lui imaginant une lange réflexive tirée sur le côté, comme le gamin qu'il a été, le mec standard, et à qui on a appris qu'un musée, c'est le lieu de vie des cubes, des petits sexes et des bras amputés. Donc il partait dans ses considérations hautement lubrifiées par la substance, et il en oubliait un peu que seul le cube face à lui était aussi mobile qu'une planète qui file en perdant quelques miettes dans l'espace. Car lui, dubitatif, il s'était arrêté d'avancer. Il se statufiait petit à petit, car le concept du cube porte quelque chose de très carré en lui, quelque chose qu'on ne lui ôte pas facilement, même avec le meilleur angle de vue isométrique. Un coup il aurait voulu se déplacer pour que s'affiche sur sa rétine, l'hexagone d'une double dimension à laquelle la troisième manque à ses deux yeux, et sur l'écran aplati de sa vision, il aurait oui, voulu que l'hexagone parfait, avec son angle pointu pointant vers le milieu. Mais il ne pouvait déjà plus bouger de son angle de vue, et le cube était bien carré. Et lui, il ne pouvait donc plus bouger, et il avait des crampes. Immobiles.

- IX -
DE LA SURFACE ON NE VOYAIT QUE L'UNE CELLE DE L'EAU
Un mec standard, quoique.
Il était sur son bateau de croisière, tout seul à croiser hier, comme un aujourd'hui un peu différent. Il replongeait dans les souvenirs terrestres, et il se sentait bien, à flotter là. La barre du navire, il se demandait pas pourquoi on se figurait parfaitement que c'était un rond, alors qu'une barre, on se figure généralement que c'est un trait. Il maniait des arêtes de poisson, pour s'étouffer à moitié mais pas se noyer, ni le noyer lui, ce poisson, puisqu'il était mort par-delà de sa surface. Et le mec standard il était là, entre deux surfaces, ou plutôt comme passager de la faille entre l'air et la mer, sur son bateau, et il ne pouvait pas vraiment se figurer ce qu'est une surface pour une arête de poisson mort. Parce que lui, sa surface au mec standard, c'est celle de l'eau. Toujours. Alors que quand le poisson était en vie, probablement que le mur au dessus de sa tête, se disait-il que c'était une surface d'air. Et d'un côté comme de l'autre, c'est un sacré concept foireux que ce phénomène pourtant perceptible qu'est la surface de l'air sur la mer. Donc il y avait des vagues autour de la coque du navire de croisière, et en croisant le fer entre hier et aujourd'hui, ce n'est pas la nuit qui éclairait et scintillait sur les vagues. C'était les étoiles et les phares. C'était le soleil absent, c'était la lune au caractère de face cachée. C'était le poisson mort aux écailles luisantes. Le mec standard il était là dans son cocon de coquille. Il y avait un certain confort pour lui à subir le roulis, ou au contraire à tanguer, et alors qu'il se berçait d'un sommeil attentif, il ne se demandait plus trop quelle surface plane et plate pouvait posséder des vagues et s'arrondir à l'horizon, comme l'orange de l'explorateur à l’œuf dur. Non ; les surfaces de la mer, c'est avec l'air marin qu'elles se disséminaient en un rassemblement singulier : la surface.

- X -
IL PORTAIT SON UNIQUE GANT DE SKI À LA MAIN ÉVIDEMMENT
Un mec standard, quoique.

- XI -
POUR COMPTER DES LETTRES IL LES ÉNUMÉRAIT
Un mec standard, quoique.
Quand il ne comptait pas les moutons de la société pour s'endormir, ou les nuages d'un paysage ensoleillé, il comptait les lettres. Une première, ah. Souvent d'autres suivaient, et il en était content le mec, parce que compter jusqu'à un, c'était palpitant que tant qu'il se sentait lui et seul. Et puis avec les lettres, on finit par ressentir de la compagnie, parce que c'est souvent quelqu'un qui les écrit. Lui, il en écrit, et il en compte. Une première, et une suivante, bée qu'elle est de suivre, c'est décidé, d'autres suivent alors. Parce que le mec standard, il était là et il avait bien imaginé qu'une lettre puisse se suffire à elle-même. Il avait bien imaginé ensuite, qu'un couple serait plus heureux. Mais en fait plus elles rient ensemble et plus c'est fou, de les compter les unes après les autres, en les énumérant ainsi, l'une après l'autre. Il comptait bien là-dessus, mais il savait aussi que les lettres, c'est pas pour que pour compter, tout comme les chiffres, c'est pas que pour raconter des nombres. Et là, il en était à un nombre un peu bizarre, il ne regardait plus le compteur de ses lettres, et c'est pour ça que c'était bizarre. A force de débiter des lettres, il y a ces mots, ces sens, ces trucs que le mecs, il ne sait plus quoi en dire, et pourtant il continue. Heu.. l'effet giratoire, l'alphabet haché au hachoir, il ne le justifiait que d'un étrange coup de poker, lamentable en fonctions de ses propres termes, et pourtant pas dénué de tout truc paradoxal. Il n'aimait pas ces fumisteries de langage ou de mathématique, et pourtant. Il comptait les lettres comme on énonce des chiffres, et tout ceci le rendait d'autant plus misérable que rien ne pouvait se prononcer dans une lettre seule. Un chiffre, c'était pareil, et à l'écrit comme à l'oral, ces pièces détachées pour sens appliqué, il s'en faisait toute une théorie qu'il n'aimait pas trop lire ou entendre. Non ; juste l'avancement de l'alphabet des chiffres lettrés, l'intéressait conceptuellement, et il se prenait la tête avec ces capsules qui ne veulent rien dire quand on y réfléchit vraiment. Quoique ; et le mec standard il commençait à comprendre que rien ne valait le débit lettré du sang de sa pensée, dans les veines chiffrées de son cortex d'âme...

- XII -
SES AISSELLES D'ÉPONGE
Un mec standard, quoique.
Il se ratatinait depuis qu'il n'était plus tout-à-fait seul, parce que lorsqu'il ne l'était plus, il ne pouvait plus penser tout seul, à lui, à être, agir, son corps et son esprit. Lorsqu'il oubliait un instant avec autrui, le fait que le langage relie avec cet autrui, mais destitue tout individu de son propre lui-même par interaction de conscience, il en devenait cette victime de la ratatine. Et alors tout son corps se ramollissait à mesure qu'il l'oubliait, et il s'affaissait imperceptiblement dans l'inertie de son mouvement décéléré. Il y avait alors un manquement à la corporalité qui le faisait peut-être, parfois, ressentir un appel à la sécurité. Mais lui le mec standard, il n'y était plus sensible. Il avait oublié, tant, cet individu qu'il était, qu'il était devenu sourd aux appels de la sécurité corporelle de son égoïsme maladif à la valorisation d'autrui. Et alors, oui, il y avait cet affaissement appeler son sourds esprit au corps, avec des signaux qu'il croyait venir d'autrui, le mec standard. Et ses aisselles de suer, de suinter, surtout par temps froid. Il dégoulinait, comme une éponge trop remplie. Sur son égouttoir, il dégoulinait. Et puis elles transpiraient comme ça, et venaient tacher ses vêtements. Il maugréait alors comme une éponge, ou pas vraiment. Il était standard le mec, normal. Il suait des aisselles quoi, si l'on peut dire que c'est le lieu privilégié de la transpiration, cette évacuation des fluides excédentaires, ce gaspillage de matière écologique. Il transpirait et ça puait les bactéries, celles qu'il ne supportait plus dans l'appel de son corps, et qu'il rejetait parce que c'est la nature, la nature de l'humain, que de virer de lui ce qui n'est pas lui. Or tout ceci est foutaise, et le mec standard il comprenait pas. Il croyait longtemps, et toujours, que lui, il était ce truc insécable, unique, parfait, inaltérable, cette entité que l'autre croyait lui aussi être un truc unitaire, un individu, qui interagit sans penser que c'est cette fluidification des substances altruistes qui le dénaturait de lui-même, le fasant transpirer des aisselles parce que tout dégoulinait en lui ; la ratatine. Un rien plus tard et il se serait effondré, liquide, lui aussi ; il se serait fondu sur le sol ou non, sur un matelas où un siège de bureau, un divan de psychanalyste ou une civière de presque-mort. La ratatine, sa liquéfaction personnelle. Et il se laissait couler, lentement, comme un navire de surface.

- XIII -
LA MONTRE QUI COMPTAIT SON RETARD
Un mec standard, quoique.
Il n'avait pas mis à jour son logiciel de poignet. La machine était là, accrochée, et elle indiquait un autre temps que celui qui n'existe pas. Lui il en avait rien faire, le mec standard, parce que en fait le temps, pour lui, c'était pas tant les secondes qui coulent que les moments entre ces liquidités matricielles. Il ne vivait pas de tic-tac à proprement parler, juste regardait-il sa montre, et tout en essayant de se figurer les aiguilles et le fait qu'elles avancent toutes seules, il ne pouvait s'empêcher de se dire que dans une heure dure à passer, ce n'est pas uniquement la montre qui fait souffrire. Il y a aussi, et surtout, tout ce qu'il y a à psychoter d'esprit vif et humain, à propos de ce qui se déroule mal. L'objet de son retard, en revanche, la cause de son propre temps, c'était bel et bien cette montre. Car quand il ne la portait pas, pendant ses rares vacances loin du tourisme professionnel de son engagement auprès de la société, sa montre ne lui causait que le souci de son addiction, dont il avait quand même tôt fait de se débarrasser, puisqu'il se rassurait intérieurement de la rattraper au plus tard d'un certain trop tôt de la fin du congé. Embarqué alors dans le dehors du mouvement de production, il amassait. Il amassait les secondes de retard qu'il fallait alors compenser une fois qu'il revenait se menotter aux aiguilles. Un rien de quelque retard, et tout basculait pour le mec standard. Retour de vacances tropicales, c'est surtout : du courrier entassé dans la boîte, des clients pas content de son absence, des jaloux moqueurs qui ne seront bientôt plus jaloux puisqu'il revient, mais qui resteront moqueurs. En toutes circonstances, il regarde alors un peu dans son esprit, le temps qui coule, qui court, qui coud, des secondes éternelles, il y en a trop pour s'imaginer à quoi elles servent. Or elles servent à le rapprocher de la mort, et ça même s'il le sait très bien, il n'en a pas pour autant une conscience aiguë. Il sait sans savoir vraiment ; il n'est pas avec son savoir, juste le possède-t-il, sans être ; avoir. Et puis des secondes il en a, il en a beaucoup depuis qu'il a une montre. Avant, c'était ce qu'il était, maintenant c'est ce qu'il a. Et il est riche. Riche du retard que sa montre compte depuis qu'il est pressé de se rattraper ; de la chute vivante vers la mort.

- XIV -
UNE CONFITURE DE TARTINE À ÉTALER
Un mec standard, quoique.

- XV -
LES SENTIMENTS DE FER FORGÉ À l'AUBE
Un mec standard, quoique.

- XVI -
UNE MUSIQUE QUI BOUGE POUR DORMIR ÉVIDEMMENT Y'A PAS
Un mec standard, quoique.
Il était là, un peu insomniaque, parce que dormir c'est quand t'es assez serein pour te lâcher un bon coup la conscience, et lui non. Lui il était là sur son siège de travail au boulot, et il avait pas le temps pour une sieste payée. Mais pourtant il avait sommeil. D'un baillement un peu écorché qui ne signifiait uniquement qu'il pouvait se décrocher la mâchoire comme un standardiste à la lui-même, peut décrocher un téléphone de bureau, il a respiré amplement, et il a tapé sur son ordinateur une idée un peu foireuse. En repensant à comment il s'était senti fatigué en bougeant son body ce week-end dernier, il se dit dans l'instant, "mais voilà la solution" : "une musique qui bouge pour dormir" ; bin ouais. Alors il cherche, et aucun résultat pertinent. Bien sûr. Parce que tout le monde croit que pour s'apaiser, il faut un truc apaisé. Mais lui il suit difficilement la psychologie inversée ou conventionnelle. Il sait pas trop comment il doit penser chaque chose, chaque émotion, chaque physiologie de son état de bureau. Sur le siège de son travail, entre un combiné sans fil et le câble de recharge branché au téléphone, il se sent un peu enchaîné, dans son inactivité qui le fatigue terriblement. Il voudrait s'éveiller, bouger un peu, beaucoup, et puis surtout, s'endormir pas par épuisement inutile, mais par une autre fatigue un peu perdue, celle d'avoir bien bougé un peu beaucoup. Alors le mec standard il s'imagine un instant sa vie d'ancien singe, et il rêve d'arbres à musique. Il les fait danser, tout éveillé qu'il est, au gré du vent de son imagination. Et les feuilles de pleuvoir. Les graines de tirer sur la corde, au lieu de pousser vers le bas des racines invisibles, plongeant sous la surface opaque de la terre opaque. Forcément, il voudrait danser lui aussi comme les branches de ses arbres idéaux. Le rêve de son être, tout qu'il est planté là, à prendre tronc sur son siège, le voilà à prendre des dimensions un peu trop délirantes pour qu'il s'apaise. Et pourtant le calme immobile du sommeil l'a fait bailler, et sans vraiment respirer pour autant, il se décroche une mâchoire comme on répond à un coup de fil. Branché.

- XVII -


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Re : On y buvait des noms II
« Réponse #1 le: 30 septembre 2020 à 19:48:35 »
Bonsoir

Merci a toi ! :)

Gagne : j ai un peu le cafard ......................... :-[
Je ne crains pas d etre paranoiaque

"Le traducteur kleptomane : bijoux, candelabres et objets de valeur disparaissaient du texte qu il traduisait. " Jean Baudrillard

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Re : On y buvait des noms II
« Réponse #2 le: 01 octobre 2020 à 05:02:19 »
Bon matin :)
Et desoled pour le cafard :(

C'est pas anodin pour moi de m'amuser avec la langue, surtout sur les objets de mes interiorites qui possedent pour la plupart ce caractere insectoïde

:0
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Re : Re : On y buvait des noms II
« Réponse #3 le: 01 octobre 2020 à 08:52:55 »
Bon matin :)
Et desoled pour le cafard :(
.....................................................................
:0

Bonjour

Un coup de bas armagnac et c est passe !!! :)
Je ne crains pas d etre paranoiaque

"Le traducteur kleptomane : bijoux, candelabres et objets de valeur disparaissaient du texte qu il traduisait. " Jean Baudrillard

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Re : On y buvait des noms II
« Réponse #4 le: 01 octobre 2020 à 18:55:04 »
Cool,  tant que le fond sert a prendre appui pour remonter!
"i don't care if your world is ending today
because i wasn't invited to it anyway
you said i tasted famous, so i drew you a heart
but now i'm not an artist i'm a fucking work of art"

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