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Auteur Sujet: Luminescente (Prologue + Chapitre 1 à 3) [Fantasy]  (Lu 704 fois)

Hors ligne NebuLunae

  • Buvard
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Luminescente (Prologue + Chapitre 1 à 3) [Fantasy]
« le: 30 janvier 2023 à 19:21:53 »
Coucou tout le monde !

J'espère que vous passez une agréable soirée !

Je souhaite avoir des retours constructifs, que je sais pouvoir obtenir grâce à votre aide précieuse, sur la première partie de mon projet de livre, Luminescente.

Je vous remercie d'ores et déjà de prendre le temps de me lire, et suis ouverte à tout type de commentaire, tant qu'il me permet de peaufiner mon texte et m'améliorer.

Le texte en question :

Prologue

Noire. Obscure. Brumeuse. Telle était la nuit où tout commença…

Au loin, la tempête battait son plein, enrageant les embruns d’une mer déchaînée. Tout n’était que confusion : les vagues, le vent, les courants, le temps. Plus rien n’importait dans ce paysage informe. L’ordre était absent de cette réalité, vide de sens, dépourvu de toute consistance. La confusion s’étendait partout, omniprésente, dirigeant cet orchestre océanique d’une main de fer. Personne n’était visible à l’horizon. Personne n’aurait pu survivre à la puissance de la tempête. Personne n’aurait eu l’audace de défier les lois de la nature, de défier les dieux eux-mêmes.

Et pourtant…

Quelque part entre les rochers humides, la lumière de lune perçait à peine le voile surplombant la mer. Au milieu de cette clarté, deux ombres rejoignaient progressivement la plage, où était échouée une embarcation improvisée.
Leurs vêtements amples flottaient, tels des spectres, au gré du vent. On percevait une vague résonance, un écho plaintif qui les suivait. Les deux silhouettes avançaient à grand-peine, traînant quelque chose, ou quelqu’un, derrière elles ; une forme plus modeste, ténue, souffrante. Au fur et à mesure qu’elles s’approchaient, la scène prenait la pleine mesure de sa cruauté.

Une jeune fille, la voix déchirée, les poumons ardents. Elle se débattait de toutes ses forces, elle frappait, essayait de mordre, de fuir, de s'échapper à tout prix. Mais rien n'y faisait, des mains de fer la maintenaient au milieu de cet enfer et elle aurait eu de meilleures chances de contenir la tempête au creux de ses mains que d'échapper à ses tortionnaires.
Arrivées devant l’embarcation, les deux ombres jetèrent la fille contre le mat et l'attachèrent fermement. Les échardes du mât perçaient son dos de mille épines. Seul le vent répondait à ses hurlements. Ainsi, le bateau était prêt. Une simple poussée suffirait afin que la structure de bois se fasse happer par les courants ; la tempête s’occuperait de finir le travail en un rien de temps.

Elle les suppliait, implorait leur miséricorde, le cœur sanglant. Calmement, ses parents mirent pied à terre et poussèrent l'embarcation vers le cœur de la tempête. Ils se retournèrent pour rentrer sans un regard en arrière pour contempler le travail accompli.

Le radeau commençait à prendre de la vitesse, ondulant au rythme effréné de l’océan. Dès lors, de multiples possibilités s’offraient à lui. Il aurait pu revenir se fracasser sur les rochers tranchants ; il aurait pu percuter une de ces vagues immenses, chavirer, s’enfonçant doucement dans les profondeurs maritimes. Mais rien n’en fut. La fille et son radeau filèrent au cœur de la tempête, tout droit vers un destin tout tracé.

Si quelqu'un avait pris la peine de regarder l'horizon, ils auraient aperçu un rai de lumière au loin, à l'épicentre du chaos, un éclat impossible. Mais personne n'avait bravé la tempête pour observer cette dernière once d'espoir ; c'est pourtant elle qui loin de s'éteindre allait tout faire basculer.

Si jeune, ayant à peine vécu ; abandonnée et meurtrie par son propre sang…

Cet être de lumière, c’était moi.


[ 1 ] Amnésique

Je me réveillai en sursaut, haletante, l’impression d’étouffer, d’être prise au piège. Je scrutai mon esprit afin d’en trouver la source de mon angoisse, ne serait-ce qu’un souvenir qui me permettrait de savoir ce qui m’avait mise dans cet état. Le vide. Tout ce à quoi je me cognai fut le vide, obscur et intense, au point qu’il m’en arrachait les tempes.

Quelque chose devait se trouver là, juste à cet endroit. J’en étais sûre, je ne m’étais pas trompée de sentier. Je sondai les ténèbres, désespérée, m’acharnai alors même que je n’avais aucune idée de ce que je cherchais, sur quoi je pourrais tomber dans cet amas de brume. L’absence. Le néant. Je faisais face à un mur sans substance, impénétrable, immuable.
Mon cœur se serra. Son rythme s’accéléra. L’air me manquait. Ma tête commençait à tourner. Une question persistait, cognait, tambourinait contre le peu de conscience qu’il me restait : QUI SUIS-JE ?

Soudain, un nom. Jaylin. Mon prénom. Seul constituant de mon identité. Un simple mot, unique, mais tellement apaisant, tout comme l’aurait été la lueur d’une flamme dans une obscurité oppressante. Je me focalisai sur ce prénom, me le répétai frénétiquement. Puis, tendrement, je le lovai tout contre mon torse, en sentis sa chaleur se déverser en moi. J’étais tellement lasse, épuisée après un sprint cérébral. Je m’affaissai et mon esprit retourna vaquer dans l’inconscient.


Je ne saurais dire quand j’émergeai à nouveau de mon sommeil profond. Ceci étant que ma respiration était plus lente et mon esprit plus serein, accompagné de ce prénom qui m’appartenait, qui m’était familier. Je pus alors me rendre compte que j’étais allongée sur une paillasse à même le sol, une couverture me partageant le peu de chaleur dont elle disposait. Les rayons du soleil qui filtraient à travers les volets venaient titiller ma rétine, et je plissai les yeux pour me délecter de cette douce lumière.

Je décidai de me redresser, et constatai que mon corps ne se souvenait que trop bien d’un passé qui me faisait défaut. Douleur. Tout ce que je sentis en premier lieu fut la douleur, le tiraillement incessant que chaque mouvement produisait sur mes muscles. Isolée, chaque douleur aurait pu être supportable, bien que désagréable. Ensemble cependant, elles formaient un savant mélange de souffrance et de martyre. Je laissai un gémissement rouillé accompagner ma tentative infructueuse pour me lever, puis me recouchait et regardait le plafond, le regard vide.

Je me sentais impuissante, inutile. Je ne savais plus qui j’étais ni comment j’étais arrivée dans cette pièce. Je n’avais aucune idée de ce que je pourrai trouver à l’extérieur de ces murs qui m’enfermaient, me restreignaient. Et de surcroît, j’étais clouée sur cette foutue paillasse !

Pleurer. Je voulais juste pleurer. J’avais besoin de pleurer. Maintenant, abondamment. Mais rien n’y faisait ; je n’y arriverai pas.

Je sentis une larme ridicule perler sur ma peau. Je me concentrai sur cette petite goutte d’eau lorsqu’elle glissa jusqu’à mon oreille, laissant une traînée humide sur mon visage. Je la sentis rester en suspension, puis se décoller d’un coup et entamer sa chute pour finalement se fracasser sur le sol. J’attendis, en alerte, mais aucune autre larme ne vint marcher sur les pas de la première. À la place, mon torse se contracta alors qu’une peine sourde le parcourait, ne trouvant aucune porte de sortie. Je restai immobile, impassible, attendant que ma douleur morale se dissipe, se fasse moindre.

Je n’en eus pas le temps. En effet, j’entendis le grincement de la porte s’entrouvrant, puis remarquai alors de petits yeux verts qui se faufilèrent dans l’interstice, me dévisageant avec intérêt. Aussitôt arrivée, aussitôt repartie ; l’enfant se précipita dans la maison, engendrant un boucan à en déchaîner une mer paisible.

— Papa, papa ! Elle s’est réveillée !

Je n’entendis pas clairement ce que lui répondit son paternel, mais sa voix grave vibrait d’une manière rassurante, enivrante. Quelques instants plus tard, il pénétra dans la pièce où je me trouvai. Je le regardai tout d’abord inquiète, et tentai un mouvement de recul malgré mon organisme endolori. Je ne connaissais pas cet homme, et malgré le fait qu’il m’ait recueillie chez lui, je ne pouvais taire le réflexe qui m’incitait à la méfiance.

Cependant, son attitude bienveillante et son regard soucieux eurent tôt fait de me rassurer lorsqu’il m’adressa la parole tout en se rapprochant.

— Ne bouge pas. Je suis là pour te soigner.

Il vint déposer une bassine d’eau à mes côtés, et s’agenouilla. Ce faisant, il prit un chiffon propre, l’imbiba légèrement d’eau, puis me le passa délicatement sur le visage. Je fermai les yeux, et profitais de la sensation du tissu humide et chaud qui progressait sur mon visage. Lorsque je tournai à nouveau mon regard vers mon soigneur, je le remerciai d’une voix ténue. Ses lèvres esquissèrent un sourire simple, mais reconnaissant.

Une question me consumait cependant, et je ne pus la retenir plus longtemps.

— Que m’est-il arrivé ? Savez-vous qui je suis ?

L’homme parut attristé de la réponse qu’il s’apprêtait à me donner. Il se racla la gorge.

— Je t’ai repêchée en mer il y a deux nuits. Tu étais mal en point, alors je t’ai amenée ici. C’est tout ce que je peux te dire.

Ses yeux se détournèrent un instant pour se fixer furtivement sur mon avant-bras. Je voulus accompagner son regard et regarder ce qui le dérangeait, mais il revint rapidement et remonta la couverture jusqu’à mes épaules. Puis il lâcha :

— Junto. Les gens m’appellent comme ça ici. Et toi, tu te souviens de ton nom ?

— Jaylin.

Il acquiesça puis s’assit sur le tabouret à côté de moi, en me regardant avec empathie lorsqu’il ajouta :

— Repose-toi alors, Jaylin. En attendant, tu es chez toi ici.

À ces mots, une petite lueur s’alluma au fond de moi. Une flamme qui navigua à travers mon organisme, et se propagea dans chacun des recoins de mon être. Je ne savais toujours pas qui j’étais, d’où je venais. Cependant, je me sentais rassurée et en sécurité, ici. J’avais un toit, une personne qui prenait soin de moi. Je me trouvai en quelque sorte chez moi, tout compte fait.

Lorsque Junto sortit de ma chambre, je sentis un élan de fatigue m’alourdir, tirer ma conscience vers l’inconnu. Cette fois-ci, j’étais sereine, paisible, et c’est l’esprit léger que je me laissai emporter dans les abîmes de mes rêves.


Le temps est comme ralenti lorsque l’on se rétablit. Les jours défilent, les semaines passent, et vous ne pouvez dire combien de temps s’est écoulé entre deux moments de conscience. Votre esprit navigue en eaux troubles, avance prudemment dans la brume, jusqu’à repérer au loin une percée lumineuse dans les nuages. Alors il se précipite, se délecte de cet instant de clarté, pour ensuite revenir à la pénombre environnante. Puis vient le jour où les nuages se dissipent. La lumière devient alors la norme. Sa substance vous inonde. Et vous vous réveillez.

Le jour où je suis sortie pour la première fois de la maison, je fus à la fois fascinée et apeurée de me retrouver face à cette étendue d’eau incommensurable. La mer était calme, brumeuse. L’eau allait et venait sur le flanc de la côte, tel le courant incessant de l’ordre et du chaos s’entremêlant dans une danse idyllique, romantique. Je sentais ce courant océanique me percuter, me submerger, m’annihiler.

Lorsque j’eus la capacité de me détourner de ce solfège liquide, j’avançai quelque peu sur la plage et vis Junto, transpirant, s’attelant à la réparation de filets de pêche. Derrière lui, un ponton s’élançait dans la mer et retenait tant bien que mal une petite embarcation de pêche. Je n’avais pas envie de parler à quelqu’un, pour le moment. La seule chose dont j’avais besoin, c’était une bonne dose de solitude et de mélancolie. Je partis donc dans l’autre direction, mes pieds nus clapotant sur la fine couche d’eau mousseuse qui venait lécher le littoral.

Je marchai vers l’inconnu à l’instar de mes pensées dirigées vers mon passé, mes souvenirs perdus. Mon pas était lent, mes pieds s’enfonçant dans le sable moelleux, mais frais. Ce devait être la fin de l’hiver. Je sentais le Torrent me faire virevolter la masse informe de mes cheveux châtains descendants jusqu’à mes épaules. D’ailleurs, je n’ai aucune idée de comment ce vent glacial annonçant l’arrivée du printemps m’était revenu. Qu’importe. Ce n’était pas cela qui allait m’aider à retrouver quoi que ce soit de mon histoire. Plus tard, je découvris que cela pouvait m’en apprendre quelque peu sur ma nature, mais passons.

Je continuai donc à déambuler le long de la côte, lorsque je tombai sur une embarcation échouée sur le bord de mer. Son mat était un amas d’échardes me rappelant la texture d’un hérisson, et des cordes étaient coupées et laissées à même le sol. Ce morceau de bois me criait un souvenir que je ne savais saisir ; il restait à la limite de mon esprit, mais demeurait insaisissable. La sensation que je ressentais à la vue de cet amas de bois n’était pas agréable, mais je ressentais enfin quelque chose, je percevais une once de mémoire à la limite de ma pensée.

Je m’assis là un instant, à regarder le vide de la mer, cherchant à saisir l’insaisissable. Je voyageai mentalement parmi les courants de l’eau et du vent, jusqu’à en perdre toute notion du temps. Je cherchais inlassablement à me souvenir ; je souffrais du manque. Ne pas savoir qui j’étais, d’où je venais, ni même du simple nom de mes parents. Ne pas savoir ce dont j’étais capable, ce que j’avais appris ou non, et quelle était ma place dans ce monde. Ne pas savoir pourquoi j’étais en vie.

D’ailleurs, pourquoi ces questionnements étaient-ils omniprésents ? Avais-je à ce point besoin de connaître et de comprendre mon passé pour vivre dans le présent ? D’une certaine manière, je ressentais ce besoin. Cependant, je n’avais aucune certitude s’il était vraiment le produit de ma personne où si c’était de savoir que les autres avaient en mémoire leur passé qui me poussait à vouloir être comme elleux.

J’étais perdue dans mes questionnements existentiels lorsque je vis Junto arriver au loin. Sa démarche était lente, et du regard, je sentis qu’il me demandait la permission de s’approcher. Je lui accordai d’un geste mon consentement, avec quelque peu d’hésitation certes, bien que je sentis que sa présence pouvait me réchauffer en ce moment dépourvu. Il vint alors s’asseoir à mes côtés sur le radeau. Tout d’abord, il regarda le lointain avec moi et ne dit rien. C’était agréable ; je sentais sa présence rassurante me couvrir comme l’aurait fait une couverture chaleureuse et duveteuse. Puis il m’adressa la parole de sa voix rocailleuse, telle une roche polie des années durant par le mouvement incessant des vagues.

— Je t’ai retrouvée là.

Il laissa un moment de silence, me regardant sortir de mon état de léthargie mentale, puis ajouta :

— As quoi tu pensais ?

J’émis un simple soupir avant de lui répondre.

— Honnêtement, je suis complètement perdue. Je me sens errer dans un univers inconnu, sans savoir quel sens donner à mon existence. Je suis là, à regarder le vide avec vous, indécise, et si je pouvais, je m’arracherais simplement de ce monde.

— Ne dis pas ça Jaylin. C’est un mauvais présage de parler de la mort devant Fléole.

— Qui ça ? demandai-je.

— Fléole est la déesse du mouvement. Elle est à l’origine des courants marins, du vent, des séismes et a emporté tellement des nôtres.

Bien que la mort des proches de Junto m’attristait, je ne pus m’empêcher de rire intérieurement en l’interrogeant :

— Vous l’avez déjà vue votre déesse du mouvement ?

— J’ai vu ce don elle est capable, et ce n’est rien de bon. Tu ne me crois pas ?

— J’ai simplement de la peine à croire en une quelconque divinité, quelle qu’elle soit, rétorquais-je.

Junto parut étonné à son air figé, mais n’en dit rien. Nous regardâmes ensemble en direction de l’horizon nuageux, puis il laissa échapper un gloussement.

— Au moins, tu te souviens de quelque chose, tu vois ? Tu as vraiment besoin d’en savoir plus ?

Je rigolais avec lui et me dis qu’effectivement, vu comme ça, je pouvais me laisser découvrir au jour le jour ce que j’aimais et savais faire, et pour quelles tâches je pouvais me rendre utile. Rien ne m’empêchait d’apprendre à partir de maintenant. Mais une question subsistait, et je sentis mon cœur se serrer dans ma poitrine en y pensant.

— Et ma famille ? Je ne sais même plus qui sont mes parents.

Le regard de Junto transpira d’empathie à entendre mes paroles. J’avais besoin de me livrer, de déverser mon sac, et il était d’un parfait soutien pour moi. Il me regarda de ces yeux forestiers, puis m’assura :

— Jaylin, tu es en vie. Là, maintenant. Ton passé ne va pas créer ton futur. Et la famille, c’est du vent. On se la crée dans le présent. Tu sais si tu veux, tu peux rester ici avec Mina et moi.

Sa proposition de rester auprès de sa maison était honnête et sincère, mais ne pouvais-je rien faire pour retrouver la mémoire ? Partir voyager de villes en villages et voir si je reconnaîtrai quoi que ce soit, si un lieu ou une personne me rattacherait à mon passé ?

— Je te laisse le temps d’y penser, dit-il le regard attendrissant.

À ces paroles, il se leva et repartit en direction de la maison. Je l’arrêtai avant qu’il ne soit plus à portée de voix, et lui exprimai hésitante :

— Junto. Merci pour ce moment. Je vais vraiment y réfléchir. Je sens que j’ai encore un peu besoin de temps pour me faire à l’idée d’abandonner mon passé. Je ne peux pas le faire d’une traite. Mais je vais prendre un moment et m’installer ici en attendant de prendre une décision définitive.

— Je comprends. Demain si tu veux, tu pourrais te proposer d’accompagner ma fille Mina à l’école pour qu’elle te présente le village. Ça te dirait ?

— Je peux essayer.

Junto esquissa un grand sourire et me répondit :

— C’est parfait, je lui dirai alors.

Puis il s’éloigna et je le vis se rapetisser jusqu’à ce qu’il ne soit plus qu’un point au loin en direction sa maison.

Pour ma part, je ne saurais dire combien de temps je restai là à regarder le large. Je sais simplement que j’y trouvai une fascination excessive, quelque chose de presque maladif. Je voulais me fondre dans cette masse incommensurable de courants océaniques et ne faire qu’un avec ce chaos ordonné. Suivre le mouvement des vagues, m’enrouler autour de leurs roulis, me fracasser sur les rochers. Puis revenir en arrière, reprendre forme et puissance, et recommencer incessamment.

Toujours est-il que lorsque la nuit tomba et que le Torrent se fit plus dru, je dus rentrer m’abriter dans la maison qui était désormais mienne tout comme celle de Junto et Mina, et j’allai rapidement me coucher. Je pensais quelques instants au stress que cela occasionnerait d’aller au village le lendemain, autour de personnes inconnues. Mais la fatigue me prit de cours et je tombai dans un profond sommeil réparateur.


Cette nuit-là, je fis un rêve bien mystérieux. Je sentais l’eau couler dans mes veines, la terre creuser ses sillages sur ma peau, et le vent transpercer mes poumons.
J’étais la conscience en toute chose, la pensée derrière chaque oscillation. D’un claquement de doigts, je pouvais semer le chaos, ou rétablir l’ordre. Je perçus peu à peu la puissance incommensurable que je possédai par le simple fait de ma volonté, et commençait à plonger dans le fleuve de cette nouvelle connaissance.

La seconde suivante, je coulai. Trop de savoir pour mon seul entendement. Pas assez d’air. Trop de pression sur mon corps faible et minusculement rapetissé. Quoi ? J’avais un corps ? Pas assez de force.

La mort chuchotait à mon oreille. La vie m’échappait inlassablement. Tout mon corps brillait d’une lumière bleue luminescente.

Puis je me redressai et revins à la réalité.


[ 2 ] Affectueuse

Le lendemain matin, j’émergeai en stress et en sueur de mon sommeil. Je dus réveiller Mina, qui apparemment dormait dans la même chambre que moi, car je l’entendis me demander :

— Tout va bien, Jaylin ?

Je tournais ma vue brouillée et endormie vers elle et aperçut que sa vue ne devait pas être meilleure que la mienne vu sa mine engourdie.

— J’ai simplement fait un mauvais rêve. Désolée de t’avoir réveillée.

— Ce n’est rien, me répondit-elle.

Mina me proposa ensuite de nous lever et de préparer le déjeuner ensemble pour faire une surprise à son père, chose que j’acceptai avec grand plaisir. Cela me changerait les idées de cuisiner.

En me levant, je m’attardais sur les détails de la chambre, et découvris qu’à côté de ma paillasse, le lit de Mina était en réalité un amas de paille à même le sol. Un coffre en bois contenant probablement des habits était déposé à côté de la porte, elle-même constituée d’un bout de toile enfilée dans une tige en hauteur. Des planches de bois formaient les murs, mais je compris qu’elles avaient un aspect décoratif lorsque je vis dans une fente du bois de la terre tassée. Nous étions vraisemblablement sous terre.

J’eus la sensation que d’où je venais, les bâtiments étaient plus sophistiqués, en pierre, et construits en hauteur et non pas dans les entrailles du sol. Néanmoins, je ne voulais pas montrer de signe de richesse devant la pauvreté apparente dans laquelle Junto et Mina vivaient. Je gardais donc cela pour moi.

Je gardais pour moi également la petite trace bleue lumineuse que j’avais sur le bras et que j’avais remarquée en m’habillant, ne prenant pas alors la pleine conscience de ce que cela signifiait. Je la glissais simplement sous mon pull et continuai ma journée.

Nous arrivâmes à la cuisine, qui était rustique, mais tout à fait fonctionnelle, et Mina me proposa d’installer la table pendant qu’elle faisait chauffer de l’eau. Elle voulait préparer une infusion de plantes sauvages pour accompagner les tartines à la pâte de coins.

— Viens sentir ma recette spéciale-Mina ! me dit-elle tout excitée.

Je ne savais identifier quelles plantes étaient présentes dans la décoction revigorante, mais Mina était talentueuse dans l’art des végétaux.

— Du gingembre, de la cannelle et du thym ! Tout pour bien se réveiller et se réchauffer le matin !

Elle était décidément passionnée par ses connaissances, comme en témoignait sa collection exhaustive d’épices et de plantes séchées sur l’étalage au-dessus de la cuisinière, petit havre de richesse dans cet environnement modeste.

Nous eûmes à peine le temps de terminer la préparation du déjeuner que Junto se leva.

— Ah ! Debout de si bon matin ! Et en plus, je suis accueilli comme un roi !

Le soleil perlait à travers l’entrée principale, et venait se refléter sur la chevelure blonde et frisée de Junto. Les mêmes cheveux que possédait Mina, bien que les yeux saphir de Junto différaient des yeux émeraude de Mina.

Lorsque je questionnais Mina sur la provenance de ses pupilles vertes forêt, Junto prit la parole, la voix mélancolique.

— Sa mère est morte à sa naissance. C’était il y 11 ans maintenant. Ce fut très difficile à surmonter pour moi. J’ai tout fait pour que Mina ne manque de rien, mais ce ne fut pas toujours possible.

J’étais navrée d’avoir posé ma question, mais préférai me taire à des voeux de condoléances. Mon silence avait bien plus de sens que des mots.

C’est Mina qui rompit notre moment de deuil en nous incitant à nous asseoir pour manger. C’est elle également qui réussit à nous redonner de la joie dans nos conversations en nous racontant sa mésaventure avec Lau il y a trois jours lorsqu’elle trébucha dans la forêt et finit la tête la première dans un ruisseau.

Lau était un ami proche de Mina et avec qui elle étudiait trois jours par semaine dans le village le plus proche, Estravent.

— C’est une école qui a été ouverte lorsque Mina était petite, m’informa Junto. Il n’y en avait pas avant. Même si elle n’aime pas y aller, elle y apprend à lire et y a découvert un fort intérêt pour les livres sur les plantes.

Pendant qu’elle me montrait sa collection de littérature botanique, je découvris qu’à l’instar de Mina, je savais également lire. Et plutôt bien qui plus est.

— Tu devais avoir une bonne formation là d’où tu viens, s’étonna Mina.

Nous allâmes nous habiller pour partir au village d’Estravent. Quant à Junto, il alla en direction de la mer, sûrement pour pêcher au petit matin.

Le chemin vers le village était relativement court, bien que la maison où j’habitai fût suffisamment éloignée pour ne pas attirer les regards. De ce fait, personne n’avait remarqué mon arrivée à part Junto et Mina.

Lorsque nous arrivâmes au village, je découvris des maisons vieillottes en bois parsemées de petits potagers par-ci par-là, ainsi qu’une ruelle principale où se tenait le marché. Des effluves de poissons me parvenaient aux narines étant donné le rôle principal de ce bien dans la région où je me trouvais. Mina m’expliqua que le blé était également commun de l’autre côté de l’île, mais que de nombreux marchands venaient vendre leurs marchandises dans les villages alentour.

Nous traversâmes la rue principale puis en tournant dans une ruelle à peine plus petite, nous arrivâmes devant l’école.

— Si tu veux, tu peux traîner à la Saupoudrée en m’attendant. C’est une taverne à l’intersection suivante, la seule du village.

Je la remerciai du conseil et nous nous quittâmes aussitôt afin de vaquer à nos occupations.

Plutôt que d’aller à la Saupoudrée, je décidai de marcher dans le village et d’en faire le tour afin de mieux me familiariser avec les lieux. Je pressentais qu’une taverne n’était pas l’endroit où je me sentirais à l’aise d’entrer seule.

Durant mon expédition, je découvris qu’un fleuve léchait le flanc est de la ville ; la Silencieuse m’expliqua Junto lorsque je fus rentrée plus tard dans la journée. D’ailleurs, les rayons du soleil venant se baigner dans le ruisseau me faisaient frétiller la rétine, à tel point que je dus plisser les yeux pour mieux observer le paysage qui se dégageait derrière. Lorsqu’Estravent n’était pas entourée d’eau, elle l’était alors par la forêt.

C’était un village dont l’économie fonctionnait principalement par le bûcheronnage et par la pêche, bien que certains stands du marché faisaient venir des produits des villages limitrophes afin de se fournir en blé, tissus et autres denrées nécessaires au fonctionnement d’une vie modeste ; je dis modeste, car personne n’était vraiment aisé à Estravent, bien qu’il y eût tout de même des écarts de richesse entre celleux qui possédait assez pour vivre quotidiennement, et celleux qui devaient voler à l’étalage.

C’est ce jour-là qu’un jeune individu fonça droit sur moi , une miche de pain dans son veston rapiécé, poursuivi par un garde du village.

— Sale petit chenapan ! Reviens ici ! criait-il.

L’adolescent continua cependant sa route, non sans me bousculer au passage. Je me fis emporter dans sa course folle, et me retrouvai sens dessus dessous, un lancinement dans le flanc droit. Lorsque je me relevai, il était parti derrière une échoppe et le garde, distrait par ma chute, l’avait perdu de vue.

Ce n’est que deux jours plus tard, lorsque j’aidais Junto à vendre le poisson au marché, qu’il réapparut juste à côté de moi, accroupi.

— Eh toi, me chuchota-t-il. Pardon de t’être rentré dedans l’autre jour. Je ne voulais pas.

— Je ne t’en veux pas, lui répondis-je sur le même ton. Mais si j’ai un conseil à te donner, c’est de ne pas te faire repérer par le boulanger qui est juste en face avec son stand. Si je ne me trompe pas, c’est chez lui que tu as dérobé une miche de pain non ?

— Ah ça, je m’amusais. On s’ennuie dans ce village, c’est fou. Du coup, je m’entraîne à voler. Mais une fois que j’ai fui le garde, je viens toujours rendre ce que j’ai pris à son propriétaire ; ou du moins, lui payer la marchandise.

On ne rencontre pas deux personnes comme Ariel. Vif, têtu, mais parfois rusé, nous devînmes amis à partir de ce jour.

Dès lors, mes journées commencèrent à être bien rythmées.

Le matin, j’apprenais à pêcher avec Junto. Je trouvais toujours impressionnant comme il arrivait à attraper autant de poisson dans un lancer de filet. Lorsque j’essayais, mon filet partait de travers et en le tirant, je laissai s’échapper la moitié de mes proies.

Plus tard, j’appris à manier le filet avec plus d’adresse, mais ne parvint jamais au niveau de Junto, qui restait maître dans son domaine.

Lorsque je n’étais pas au marché après la pêche matinale, j’allais jouer dans la forêt avec Ariel. Il n’avait plus besoin de voler pour s’amuser, car nos jeux de cabanes et de poursuites étaient suffisamment ludiques pour lui, tout comme pour moi.

Nous avions même trouvé un bateau échoué, et faute de pouvoir le mettre à la mer, nous jouions aux pirates à l’intérieur. Je me débrouillai étonnamment bien dans le combat au bâton, et je me demandai si je n’avais pas reçu de formation dans ce domaine par le passé tellement je rétamais Ariel.

Le soir, Mina me partageait sa passion pour la botanique et nous cuisinions souvent ensemble. Elle tentait de m’apprendre certaines propriétés de différentes plantes, mais les seules que je puisse encore me souvenir sont que le plantain permet de soigner les blessures et que la valériane sert de calmant. En effet, je les ai utilisées à plusieurs reprises durant la suite de ma vie.

Cette routine s’étala sur une année entière, que je perçois encore aujourd’hui comme un moment hors du temps, suspendu entre la sérénité et la naïveté. J’étais jeune, quinze ans tout au plus, et ne pensais pas que mon univers construit dûment pouvait prendre fin. Je me trompais terriblement.


[ 3 ] Luminescente

Je fuyais, le souffle court, poursuivie par Ariel. Nous étions dans la forêt à côté du village, comme à notre habitude. Je me rappelle que ce jour-là, le temps n’était pas clément avec nous. Il pleuvait et le sol était passablement glissant.

Nous n’en avions que faire. Notre jeu l’emportait sur le temps.

J’étais devenue avisée dans l’art d’esquiver les branches. Cependant, Ariel était plus grand et élancé que moi. Pour contrer son avantage, je courais en bifurquant à chaque obstacle, tentant de profiter de mon agilité pour casser le rythme.

Quand soudain, je sentis un énorme poids m’enserrer la taille, me bloquant dans ma course.

Je tombai dans des fougères et les sentis me lanciner les jambes. La chute m’avait assommée. Je dus prendre quelques secondes pour reprendre mes esprits.

Lorsque je me relevai, Ariel se tenait à distance, le regard pétrifié, une once de dégoût dans les yeux.

— Alors tu es des leurs ? me cracha-t-il.

Puis il partit.

— Attends ! lançai-je.

Il continua son chemin sans se retourner.

Je restai abasourdie, tentant de comprendre sa réaction. Les larmes me vinrent, me brouillant la vue pendant que je regardais autour de moi. Qu’avais-je bien pu faire pour me faire rejeter ?

Puis je compris.

Je les avais remarquées sur mon corps, qui apparaissaient et disparaissaient au gré de je ne sais quel vent. Mais jamais je n’aurai pensée possible une telle réaction à leur vue, surtout de la part mon meilleur ami.

Mes traces luminescentes.

Ariel les avait vues sur mes chevilles découvertes par ma chute.

— Fais chier ! criai-je d’une colère sourde.

Je n’avais plus rien à faire ici. Je rentrai, non sans vouloir tout fracasser sur mon passage. Je n’en fis rien. Au lieu de cela, je refoulai mes émotions et laissai place à un vide dérangeant.

En arrivant à la maison, je pris deux respirations, puis entrai.

Junto prenait son thé à la table à manger. Je m’assis en face de lui, l’air dépité. Je voulais parler, j’avais des questions à poser, mais ne voulait pas lancer la conversation. Mes tripes se serraient à la simple pensée d’Ariel.

— Toi, il t’est arrivé quelque chose. Qu’est-ce qu’il se passe, Jaylin ?

Je savais que je pouvais déverser mon sac sans retenue avec lui.

— C’est à propos de mon meilleur ami, Ariel. Il m’a abandonnée en voyant ces traces sur moi. Pourquoi, Junto ?
— Tu veux dire que le fils de Mélisande et Gareth a vu tes traces ?

Son regard devint sérieux. Il ne regarda même pas ma cheville. Il savait.

Me l’avait-il caché tout ce temps ? Dans quel but ? J’étais déjà en colère, mais là, ça dépassait mes limites !

— Putain Junto, maintenant dis-moi qui je suis à la fin !

— La question n’est pas qui, mais quoi Jaylin.

Il laissa un moment de silence, gardant son plus grand calme. Puis il reprit.

— Tu es une Luminescente. L’ordre des Brumeux croit que vous volez les pouvoirs de la déesse Fléole pour vous les approprier. C’est pour ça qu’ils veulent vous tuer.

— Et vous ne croyez pas à la déesse Fléole vous ?

— J’y crois, mais il y a une différence entre y croire de mon côté, et imposer la mort à d’autres par ma croyance. Les parents d’Ariel faisant partie de cette deuxième catégorie, je te laisse imaginer ce qu’iels pourraient te faire si leur fils leur racontait ce qu’il a vu.

— Pourquoi ne pas m’en avoir parlé plus tôt Junto ? Pourquoi ?

— Je ne voulais pas que tu vives dans la peur Jaylin. Je tiens à toi tout comme à Mina. Et je ne veux pas qu’une bande de psychopathes te gâche la vie.

Je n’avais aucunement peur de ces gens. Au contraire, ils me révulsaient et me mettaient en colère.

Les jours qui suivirent furent néanmoins difficiles. Je regrettai ma routine bien établie avec Ariel, nos jeux détendus qui me vidaient l’esprit après une dure journée de travail.

Mais j’avais un nouveau but à présent. Comprendre ma nature et ce dont j’étais capable.

Je m’étais toujours sentie connecté au vent, à la terre, à l’océan, comme si je pouvais projeter ma conscience en eux. Mais je n’avais jamais essayé consciemment de le faire. Les seules fois où je le faisais, c’était dans mes rêves, et cela me laissait des traces bleues luminescentes sur ma peau le matin arrivé.

Je cherchais donc un endroit calme pour m’entraîner, et vint à la conclusion que le bateau échoué vers lequel nous jouions avec Ariel était le parfait endroit. Je devais traverser la forêt à côté du village pour y accéder, mais étais ensuite à l’abri des regards.

Je commençai à explorer mes capacités et fermais les yeux, tendant ma conscience vers l’océan. C’était la première fois que je le faisais en dehors de mes rêves. Je n’avais aucune expérience. Je compris par la suite que c’était une grave erreur.

Je me fis happer et éjecter en dehors de mon corps sans aucune chance de résister. Je me retrouvai en l’océan, étouffant. Je sentais sa pression me compresser. Il m’agrippait fermement, me tiraillait.

Quand soudain je perçus une minuscule lueur au loin sur la côte.

Je tendis la main, tentai de l’attraper. En vain. J’étais prise au piège sous une quantité d’eau incommensurable. Je recommençai plus fort, mais rien n’y faisait : mon bras bougeait à peine.

L’air commençait à me manquer sérieusement. Ma force diminuait à force que je me débattais.

Puis je testai autre chose. Je fermais les yeux, et tendis ma conscience tout entière vers cette flamme lointaine, qui commençait à diminuer en intensité.

Lorsque j’ouvris à nouveau les yeux, j’étais dans mon corps, haletante, épuisée. Des traces luminescentes recouvraient mes mains.

Je ne fis rien de plus ce jour-là. J’avais frôlé la mort par ma bêtise, et décidai les fois suivantes de prendre des précautions.

J’emportai alors avec moi un bol que je remplis d’eau une fois arrivée. Puis je tendis ma conscience vers celui-ci.

Cette fois, quelque chose d’étrange se passa. C’est comme si mon être fusionna avec l’eau du bol. Je pouvais contrôler mes mouvements, mais j’avais également un pouvoir de décision sur la direction que devait prendre l’eau dans le bol.

Je tentais maladroitement de la faire tourner en rond, chose qui ne se passa pas comme prévu. Je dus mettre trop de puissance, et l’eau percuta une paroi et se renversa.

Je compris rapidement que je devais user de subtilité et de retenue, car je pouvais rapidement faire des dégâts avec mes pouvoirs.

Il me fallut un bon mois pour réussir à créer un siphon dans le bol. Tous les jours, je me retrouvai vers le bateau échoué et je recommençai les mêmes exercices.

Je découvris que mon entraînement avec l’eau me facilitait l’apprentissage des mêmes capacités avec les autres éléments : le vent et la terre. Ce n’est pas pour autant que je ne me blessai pas les premières fois où je les essayai.

L’air que j’avais enfermé dans mes mains me cisailla l’intérieur des paumes. Quant à la terre dans le bol, je m’ouvris le menton à cause d’une pierre projetée.

Au bout de trois mois de mon apprentissage, j’étais capable de dévier une vague qui léchait la plage. À cinq mois, je pouvais déraciner un arbuste. Et après huit mois, j’arrivai à gonfler les voiles de l’embarcation de pêche de Junto alors que le vent ne soufflait pas.

Je continuai mon entraînement en partageant avec Junto et Mina mes nouveaux exploits. Ils m’encourageaient généreusement, bien que Junto m’incitât à la prudence. Il savait de quoi étaient capables les Luminescents.

— Tu sais Jaylin, tes mêmes pouvoirs peuvent devenir une arme aux mains de personnes mal intentionnées, me répétait-il.

Je ne sais pas si je prenais assez au sérieux ses avertissements, au vu de ce que j’essayai de faire. Toujours est-il que je m’entraînais toujours seule et que je ne risquai pas de blesser quelqu’un d’autre que moi.

Jusqu’au jour où je vis Ariel débarquer depuis la forêt.

Il avait encore grandi durant l’année où je ne l’avais pas vu. Ces cheveux étaient devenus plus foncés également. Ses traits sérieux, légèrement tirés, n’avisaient rien de bon.

Nous étions tous deux habillés chaudement, l’hiver annonçant ses premières lueurs.

— Pourquoi tu reviens comme ça ? lui demandai-je indifférente, quoi qu’un peu irritée.

— Je tenais à m’excuser de comment je t’ai laissée.

Il marqua une pause, un silence qui laissait transparaître son hésitation.

— C’est tout ? demandai-je sèchement.

— Non. Je veux aller au-delà de ce que pensent mes parents. Je ne suis pas comme eux, Jaylin.

— Alors pourquoi m’avoir rejetée comme ça il y a une année ? Pourquoi tu n'es pas revenu tout ce temps ? tempêtai-je.

Je regrettai l’instant qui suivit de mettre emporté. Je ne voulais pas lui montrer que son geste m’avait touchée profondément. Peut-être ne voulais-je pas me l’admettre non plus.

Ariel fut le premier à reprendre la parole.

— Ce n’est pas aussi simple. Je baigne dans le monde des Brumeux depuis ma plus tendre enfance. Je dois déconstruire beaucoup de choses, tu sais.

— Ce n’est pas à moi d’en subir les conséquences.

Je me retournais, et recommençai mon entraînement.

Ariel parut quelque peu gêné, mais ne dut pas comprendre mon geste. Il resta et insista.

— Jaylin, s’il te plaît. Je fais des efforts pour changer en profondeur. Et j’ai besoin de toi pour y arriver. Je tiens à toi, et je ne veux plus te blesser. Je veux apprendre à tes côtés.

Je ne savais que penser de ses belles paroles. D’un côté, Ariel me montrait sa volonté d’aller dans mon sens et je tenais une occasion de me faire un allié. De l’autre, je prenais un risque en me rapprochant à nouveau de lui, et je n’avais pas le devoir de l’éduquer par rapport à ma nature.

Toujours est-il que je finis par accepter de renouer avec lui.

Nous retrouvèrent donc notre routine, bien que ce ne fut plus comme avant.

J’étais assidue dans mon entraînement, et nous avions moins de temps pour reprendre nos anciens jeux. Et les fois où nous nous poursuivions, Ariel n’osait plus m’attraper, de peur que le blesse avec mes pouvoirs.

Il m’observait donc user de mes pouvoirs, à une distance raisonnable tout de même. Je le voyais cependant s’approcher de semaine en semaine.

Un jour, il me demanda :

— Jaylin, pourquoi tu t’entraînes autant ? Ça te sert à quoi ?

Sa question était tout à fait pertinente. Il m’avait paru naturel de développer ce que je pouvais faire avec mon sens aigu des courants. Mais pourquoi réellement ?

— Je crois que j’ai envie de cultiver ma différence. J’y trouve une certaine force pour aller de l’avant face aux critiques des autres.

À cette période de ma vie, c’était ce qui me donnait du sens dans ce que je faisais. Cela me permettait de prendre confiance, au point que j’en oubliai que l’utilisation de mes pouvoirs me laissait des traces luminescentes sur la peau ; parfois à des endroits un peu trop visibles.

C’est de cette manière que je fis une erreur un jour de marché.

Ce matin-là, je vendais du poisson frais. Il faisait encore relativement froid, raison pour laquelle je portais ma veste habituelle en coton qui était bien pratique pour couvrir mes traces.

Nous attendions avec Junto devant notre poisson lorsqu’une jeune personne arriva. Je ne l’avais jamais vu venir à notre stand. En même temps, j’étais moins présente pour aider Junto ces derniers temps.

Lorsque je tendis la commande de notre client, ma veste se retroussa quelque peu au niveau de mon poignet, laissant entrevoir une lueur bleue.

Sur le moment, je ne saurai dire si la personne l’avait remarquée.

Mais je le saurai bien assez tôt, à mes dépens.
« Modifié: 30 janvier 2023 à 20:05:57 par NebuLunae »

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Re : Luminescente (Prologue + Chapitre 1 à 3) [Fantasy]
« Réponse #1 le: 31 janvier 2023 à 15:42:32 »
Bonjour Nebulunae,

Pour moi, il ne fait aucun doute que ton écriture témoigne d'un don potentiel qui ne demande qu'à s'épanouir. Je te mets sous spoiler le ressenti qui s'est imposé au fil de ma lecture.

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Re : Luminescente (Prologue + Chapitre 1 à 3) [Fantasy]
« Réponse #2 le: 31 janvier 2023 à 17:07:02 »
Bonjour,
je vois que tu profites déjà des conseils judicieux de Robert Henri.
Les commentaires sur les textes longs ou mi longs sont assez rares. Il demande du temps et de l'engagement. Il y a des fils entiers qui en parlent sur le mde, en voici un lecteurs. En gros, ne pas poster trop gros d'un coup. Il y a juste Remi qui y arrive et reçoit des commentateurs, mais Remi est une star, notre loup blanc, que dis je, aussi connu que Celine Dion au Quebec. Bref, ne pas poster trop gros et puis et surtout, se balader, créer des liens sur le forum. Tout est dit dans le post.

Quelques commentaires sur ton texte derrière le rideau. Sur le prologue et le chapitre un.

B


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Re : Luminescente (Prologue + Chapitre 1 à 3) [Fantasy]
« Réponse #3 le: 31 janvier 2023 à 18:57:53 »
Bonjour Robert Henri et Basic,

Merci infiniment pour vos retours !

Je m'adresse effectivement à un public plutôt adolescent. Ce qui ne veut pas dire que je veuille que toutes les phrases soient téléphonées non plus. Je te remercie donc Robert Henri d'avoir relevé ce point, et je vais le travailler quelque peu afin de moins avoir ce ressenti au fil des phrases.

Quant à ton commentaire sur les textes Mi-Longs et Longs, je te remercie de ton conseil Basic. Je l'appliquerai mes prochains textes afin de pouvoir me concentrer sur le détail plutôt que le global.

En attendant, je vous remercie infiniment de vos commentaires et corrections, et je vais de suite me pencher dessus.

(Je suis trop impatiente de retravailler le texte !)

Bonne soirée à vous !

Hors ligne Robert-Henri D

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Re : Re : Luminescente (Prologue + Chapitre 1 à 3) [Fantasy]
« Réponse #4 le: 02 février 2023 à 11:16:56 »

(Je suis trop impatiente de retravailler le texte !)


Bonne idée ! Personnellement, ça fait dix ans que je retravaille (entre autres) le roman que j'ai intitulé " Le monde Merveilleux Du Poète Lucien " (pourtant auto-publié) et j'en éprouve à chaque fois + de plaisir !
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Re : Luminescente (Prologue + Chapitre 1 à 3) [Fantasy]
« Réponse #5 le: 03 février 2023 à 18:48:57 »
Bonsoir,

quelques remarques sur ton  2 et 3

B

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« Modifié: 04 février 2023 à 16:25:40 par Basic »
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Re : Luminescente (Prologue + Chapitre 1 à 3) [Fantasy]
« Réponse #6 le: 10 février 2023 à 08:02:51 »
Bonjour,

bon les deux fées grimaçantes ( Robert Henri, Basic) se sont penchés sur ton berceau, tu as pris peur et tu es parti ?
Nous sommes plus ou moins, toujours, en pleine discussion autour des commentaires ici, alors... je me suis autorisé à prendre de tes nouvelles.
B
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