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Le Monde de L'Écriture » Coin écriture » Textes courts (Modérateur: Claudius) » Retour de vacances

Auteur Sujet: Retour de vacances  (Lu 538 fois)

Hors ligne UmanaFragilita

  • Tabellion
  • Messages: 31
Retour de vacances
« le: 30 novembre 2022 à 15:10:39 »
Bonjour,

A l'été 2021, j'ai pour la première fois tenu une sorte de journal de vacances, sur un ton à la fois amer et humoristique. L'atmosphère s'y prêtait : c'était mon dernier séjour à Saint-Tropez, dans une résidence en temps partagé que je fréquentais depuis mon enfance, et dont le bail se terminait cette année-là. J'ai écrit le texte qui suit pendant mon voyage de retour en train. Avec les courts billets que j'ai écrits durant ces vacances, il constitue un peu le déclic de mon envie d'écrire. j'avais envie de vous le faire partager :

Vacances à Saint-Tropez, épilogue.

Cher journal,

Je réalise que je ne te connais pas encore, car malgré mes cinquante-trois ans de vie, je n'avais pas encore jugé utile d'ouvrir la première de tes pages.

Pourtant, j'ai choisi de te parler comme à un vieil ami, car même si tu m'es inconnu, tu sais déjà presque tout de moi. Au moins tout ce qu'il est possible de saisir d'un fluide hasardeux, sans cesse recomposé : les flaques éparses laissées sur son passage.

Je ne t'apprendrai donc rien en te disant que je rentre fourbu de mes dernières vacances tropéziennes, et que je t'écris dans le train qui me ramène vers d'autres habitudes, parisiennes celles-ci, mais toujours à côté de la femme que j'aime et qui a bien voulu de moi.

Comme tu le sais, je n'ai pas choisi moi-même de vivre à Saint-Tropez mes meilleurs comme mes pires souvenirs. Ce sont mes parents qui, issus de cette classe moyenne économe mais soucieuse de s'octroyer un espace d'évasion annuel, peut-être d'avantage pour leur unique enfant que pour eux-mêmes, avaient acheté ce mois de juillet estival au début des années soixante-dix. C'était, selon la formule en vogue dans ces années post-soixante-huitardes encore vaguement communautaristes, le principe du timeshare, mieux connu sous le nom de multipropriété.

Le choix du lieu fût guidé par d'autres souvenirs, empruntés à une autre histoire, et comme emboîtés les uns dans les autres. Ceux de ma mère en l'occurrence, de ses frasques de jeune fille en goguette à Sainte-Maxime chez des amis de la famille, au cœur des années soixante, et de ses pieds douloureux à force de danser sur la piste d'un piano bar tropézien trop vite disparu. Ces mêmes pieds qu'elle avait pourtant déjà rangé dans des pantoufles de plomb, entre un mari peu disert et un chiard infect qui ne pensait qu'à lui voler de l'amour.

Le naufrage consenti de cette femme, ma mère, devenu l'horizon d'une vie, fut l'écrin cotonneux qui enveloppa mon enfance. Jusqu'à ce que Saint-Tropez, cet illusoire rachat de bonheur avorté, ne soit plus qu'une vulgarité parmi d'autres.

Et pourtant, cet endroit ne m'a jamais quitté. J'y fus de retour à chaque saison chaude, avec la régularité calendaire d'un astre en orbite, pendant presque cinquante années de somnambulisme satisfait.

D'abord gamin trimbalé laborieusement dans le tangage d'une Citroën DS puant le plastique chaud. Puis jeune homme en tête à tête avec son anxiété, au fur et à mesure que ses parents désertaient le lieu, fatigués d'allers-retours non moins absurdes à leurs yeux qu'une sédentarité assumée. Puis apprenti papa, réjouis du rire de sa fille, mais comme sidéré par un trajet de vie si rectiligne qu'il ne semblait pas lui appartenir. Et aujourd'hui je ne sais qui, car on ne se connait pas dans le présent. Ce sont les gestes accomplis qui nous révèlent à nous-mêmes.

Tous ces mois de juillet, mis bout à bout, font presque quatre années d'un éternel été. Chacun d'entre eux témoigne du déroulement de ma vie, comme la toise marquée de coups de crayons mesure la croissance d'un enfant.

J'ai le souvenir encore vivace de la découverte de ce sol en carrelage fleuri, d'une couleur olivâtre de mollard bronchitique, qui paraissait si proche de mes yeux du haut de mes cinq ans. Et de ces tissus imprimés de fleurs géantes aux tons saturés qui tapissaient les murs, aujourd'hui remplacés par le beige anonyme d'un revêtement plastifié.

Il me revient l'horrible démangeaison du chlore de la piscine sur ma peau brûlée de soleil, qui me faisait me rouler par terre dans des geignements surjoués de sale gosse, dans l'espoir d'arracher un instant de compassion véritable d'une mère noyée dans ses angoisses.

Je revois avec les yeux ronds d'un gosse ce bazar remarquable, disparu aussi dernièrement, avec ses fascinantes processions de voitures Majorette, et ses authentiques martinets à ficelles de cuir, dont je fantasmais avec effroi la morsure sur ma peau rougie.

Je revois aussi, sur le muret éblouissant du chemin conduisant à la piscine, les lézards que j'essayais vainement d'attraper par la queue en espérant la voir se détacher, comme on me l'avait assuré.
Et le balai virevoltant des mouches au milieu de l'appartement, ces mêmes mouches qui m'agaçaient à l'heure de la sieste imposée que je faisais semblant d'observer, et qui se sont progressivement raréfiées au fur et à mesure de l'invasion de la côte par les fourmis d'Argentine, jusqu'à être totalement remplacées par le tournoiement hostile des moustiques tigre.

Dans ce bestiaire un peu gothique d'enfant inquiet, je pense encore aux oursins que mon cousin ramassait en se faufilant à travers les rochers, sur la plage accidentée de l'Escalet. Effrayé, je les voyais vainement tenter l'escalade des parois verticales de nos sceaux en plastique, et retomber lourdement en perdant leurs "podia", ces petits tentacules locomoteurs dont je n'ai appris le nom que pour l'exigence de la précision littéraire. Une sombre amertume à l'égard du monde germait en moi, tandis que les oursins, otages de nos jeux, semaient derrière eux ces squames noirâtres un peu écœurants, dans un arrachement que j'imaginais douloureux. Trop chassés, ou victimes de la curiosité indifférente d'enfants semblables à ceux que nous fument, ils ont petit à petit déserté les habitats proches des baigneurs.

Puis vint l'adolescence au soleil.

Ce fut le temps des premières érections contrites qui gonflaient mon slip de bain trop ajusté, et qu'il allait bien falloir que je soulage, d'une manière ou d'une autre.

Ce furent ces premières cigarettes qui me filaient la gerbe, et que je cachais aux yeux de mes parents dans le faux plafond du hall de l'accueil. Que ne fallait-il pas faire pour m'assimiler aux autres "réguliers", ces copains et copines pris dans leurs engrenages parallèles, que je me réjouissais de retrouver aux mêmes sempiternelles quinzaines de juillet.

Il y avait aussi ces trois librairies, près du port, où j'achetais les romans de science-fiction qui ont tant marqué mon imaginaire, bien que souvent choisis sur la seule évocation d'une couverture illustrée. Toutes ont fermé, englouties l'une après l'autre dans le magma des enseignes commerciales standardisées, qui aura lentement dévoré le théâtre de mon enfance.

Qu'importe. Tout cela est terminé. Ces cinquante années de fascination trouble, de petits bonheurs et d'abandon routinier, étaient inscrites contractuellement dans l'acte notarié que mes parents avaient signé.

Car telle était la durée impartie de la concession, à moins que les copropriétaires ne choisissent de la renouveler à son échéance, à la condition expresse d'une impossible majorité. Le diable, que l'on dit spécialiste en détails et autres chartes Faustiennes, n'aurait pas fait mieux.

Je n'en veux pas à mes parents d'avoir voté pour la fin de ce bail sclérosé. Ce fut avec mon accord explicite, afin de m'épargner un héritage vieillissant, générant au final presque autant de charges qu'une location saisonnière.

Mais voilà. L'échéance cinquantenaire est bien tombée cette année. La résidence, déjà promise à la revente, est vouée à devenir un accueil de luxe, pourvu des commodités nécessaires aux exigences du tourisme moderne, à l'instar de cet air conditionné que j'affectais de trouver superflu.

Pour moi, ce lieu ne sera plus, alors même que, de façon stupéfiante, il a toujours été.

Je sais à cette heure-ci que je ne retournerai plus jamais à Saint-Tropez, sinon en amant furtif, pressé de faire sa besogne et de s'enfuir avant le lever du jour.

Je sais que je n'y retournerai plus, pour la simple raison qu'il me serait possible de le faire. Comme dans ces au-revoirs de copains de vacances, avec qui l'on échange une adresse ou un numéro de téléphone, et dont on oublie les noms après quelques mois de routine.

Cher journal, il est temps que je revienne à toi. Merci de m'accueillir dans ce moment suspendu.

Je ne te connaîtrai que lorsque je t'aurai fait, mais j'aimerais que nous soyons amis. J'espère que tu seras indulgent avec moi, que tu ne m'en voudras pas de n'être qu'un si modeste rédacteur.

D'ailleurs, tu me fais déjà sourire avec ton intitulé candide, évoquant un adolescent qui se redécouvre. Mais ne t'inquiètes pas, je te donnerai d'autres noms, et des fameux. Si tout va bien, peut-être t'appelleras-tu "Préambule", voire, qui sait, "Chapitre 1".

Moi-même, je serai un autre, ou une autre, ou une sensation, un désir, un parfum flottant, ou le vol d'un hanneton.

"Il faut aimer", concluait le petit Momo, qui poussait encore sa vie devant lui dans le fameux livre de Romain Gary. Mais pour bien aimer, il faut peler la peau du monde. Il faut reconnaître les miroirs qui nous cachent l'essence des êtres. Il faut en exposer l'artifice, et le brûler dans un grand éclat de rire.

C'est dans ce but que je te convoque.

Nous n'avons pas encore fait beaucoup de chemin ensemble. Je te sens un peu timide, mais attend, on va se détendre, au fur et à mesure que nous nous apprivoiserons. Et on va bien s'amuser, toi et moi. Parce qu'il faut rire.

Il faut rire.

(entre Saint-Tropez et Paris, 30/07/2021)
« Il fait toujours nuit, sinon on n’aurait pas besoin de lumière » (Thelonius Monk)

Hors ligne Cendres

  • Comète Versifiante
  • Messages: 4 084
Re : Retour de vacances
« Réponse #1 le: 01 décembre 2022 à 10:15:44 »
Merci pour ton texte.

C'est un résumé de ta vie tropézienne pendant les vacances.

Tu nous racontes la raison de l'achat et de l'arrêt de tes vacances, ensuite ton évolution avec l'âge et aussi ta famille.

C'est un texte de souvenir et de réflexion sur la vie. Le temps qui passe et qui change les choses qu'on imagine qui ne changeraient pas. Il y'a de la mélancolie et de la nostalgie dans ton texte, du moins  c'est ce que j'ai ressenti.

Je ne suis pas experte en analyse de texte. Attend d'avoir des autres  avis pour te faire une idée.

Hors ligne Beglous

  • Troubadour
  • Messages: 385
Re : Retour de vacances
« Réponse #2 le: 02 décembre 2022 à 00:04:06 »
Bonjour UmanaFragilita,

Suite à tes passages, j'ai eu envie de venir découvrir ce que tu écrivais de ton côté.

J'ai été très surprise par ce que j'ai lu.
Avec pour accroche "vacances à Saint-Tropez, épilogue", je ne m'attendais pas du tout à ça !
Je m'attendais à quelque chose de léger, d'estival ; et j'y ai trouvé une matière ancienne, remuée comme on retournerait de la vieille terre.
C'est un journal étrange par sa temporalité. Un journal, il me semble, s'inscrit dans un temps présent, il suit au jour le jour l'évolution d'une situation ou d'un ensemble de situations. Ici, j'ai plutôt eu l'impression d'être plongée dans des mémoires ravivées par un changement important. Cela donne quelque chose de ramassé, de condensé. Si tu comptes le retravailler, je pense que d'interroger sa construction temporelle serait intéressant. Il y a parfois des sauts du passé au présent et inversement qui sont rapides et imprévisibles. Cela semble être écrit sur le moment même du souvenir. Il y a le temps du vécu, le temps du souvenir et selon moi il manque le troisième temps qui est celui de la narration. Cela dit, ça donne une lecture à chaud, à vif du sujet. C'est un parti-pris.
Concernant l'écriture, je l'ai beaucoup appréciée. Je trouve qu'il y a un soin particulier apporté aux détails qui rend la lecture vraiment agréable. C'est fluide et les phrases sont à mes yeux bien construites.

J'ai repris plus en détails certains passages :

Désolé, vous n'êtes pas autorisé à afficher le contenu du spoiler.


Belle suite à toi dans cette relation naissante avec ce cher journal ;)

Hors ligne Choumi

  • Calliopéen
  • Messages: 582
Re : Retour de vacances
« Réponse #3 le: 02 décembre 2022 à 17:08:09 »
Bonjour
Voici des souvenirs bien tristes dans un endroit qui pour moi était idyllique de mon temps yé-yé
L’écriture est alerte, prenante et reflète bien ton état d’esprit
J’ai été pris par la lecture jusqu’au bout
Amicalement
Michel

Hors ligne Mic Ester

  • Troubadour
  • Messages: 254
Re : Retour de vacances
« Réponse #4 le: 03 décembre 2022 à 11:32:37 »
Vacances à Saint-Tropez, j’attendais autre chose, et puis non ! mais bon, on part dans une autre ambiance et ça se lit bien, un peu triste quand même, tu mets beaucoup de toi et chacun s’y retrouve en partie, c’est peut-être pour ça que ça marche.
Rien à dire sur l’écriture, on va au bout sans problèmes
J’aime bien la fin où tu parles à ton journal avec de belles promesses …
Mic

Forêt

  • Invité
Re : Retour de vacances
« Réponse #5 le: 04 décembre 2022 à 20:17:03 »
Salut UmanaFragilita !

Cher journal,

Je réalise que je ne te connais pas encore, car malgré mes cinquante-trois ans de vie, je n'avais pas encore jugé utile d'ouvrir la première de tes pages.


Pourtant, j'ai choisi de te parler comme à un vieil ami, car même si tu m'es inconnu, tu sais déjà presque tout de moi. Au moins tout ce qu'il est possible de saisir d'un fluide hasardeux, sans cesse recomposé : les flaques éparses laissées sur son passage.

Un peu cliché cette adresse au journal ?

Citer
Je ne t'apprendrai donc rien en te disant que je rentre fourbu de mes dernières vacances tropéziennes, et que je t'écris dans le train qui me ramène vers d'autres habitudes, parisiennes celles-ci, mais toujours à côté de la femme que j'aime et qui a bien voulu de moi.

Est-ce que tu tiens à la virgule après "tropéziennes" ?

Citer
Comme tu le sais, je n'ai pas choisi moi-même de vivre à Saint-Tropez mes meilleurs comme mes pires souvenirs.

"je n'ai pas choisi" suffit, à mon avis.

Citer
Ce sont mes parents qui, issus de cette classe moyenne économe mais soucieuse de s'octroyer un espace d'évasion annuel, peut-être d'avantage pour leur unique enfant que pour eux-mêmes, avaient acheté ce mois de juillet estival au début des années soixante-dix. C'était, selon la formule en vogue dans ces années post-soixante-huitardes encore vaguement communautaristes, le principe du timeshare, mieux connu sous le nom de multipropriété.

"davantage", sans apostrophe.
"années soixante-dix", "années post-soixante-huitardes", c'est un peu redondant.
"timeshare" en italique, si tu veux.
"mois de juillet estival" tu peux enlever "estival" je crois.
Je me demande ce que tu veux dire exactement, en l'occurrence, par "communautaristes".
J'aime bien que ce soit le "mois de juillet" que les parents achètent.
Un portrait sociologiquement bien identifié.

Citer
Le choix du lieu fût guidé par d'autres souvenirs, empruntés à une autre histoire, et comme emboîtés les uns dans les autres.

"fut", sans circonflexe.
Tu tiens à la virgule après "histoire" ?

Citer
Ceux de ma mère en l'occurrence, de ses frasques de jeune fille en goguette à Sainte-Maxime chez des amis de la famille, au cœur des années soixante, et de ses pieds douloureux à force de danser sur la piste d'un piano bar tropézien trop vite disparu. Ces mêmes pieds qu'elle avait pourtant déjà rangé dans des pantoufles de plomb, entre un mari peu disert et un chiard infect qui ne pensait qu'à lui voler de l'amour.

Encore "années soixante" ; possible d'éviter cette redondance à mon avis.
"piano-bar" avec un tiret, si je ne m'abuse.
"rangés" avec un /s/.
Assez intéressant, ce que ce portrait peut dire d'une vie de femme spoliée par le mariage et la maternité.
Je me demande simplement pourquoi le narrateur se décrit lui-même comme un "chiard infect". C'est un peu expéditif et certainement pour partie gratuit. On peut, pourquoi pas, y voir une flagellation narcissique déguisant une forme de culpabilité, ce qui ne me dérange pas ; ce qui me dérange un peu, c'est davantage la vision de l'enfance que cela peut aussi révéler (les enfants sont-ils jamais infects ?).

Citer
Le naufrage consenti de cette femme, ma mère, devenu l'horizon d'une vie, fut l'écrin cotonneux qui enveloppa mon enfance. Jusqu'à ce que Saint-Tropez, cet illusoire rachat de bonheur avorté, ne soit plus qu'une vulgarité parmi d'autres.

J'aime toujours bien le regard analytique du narrateur et plutôt aussi le fait que "le naufrage consenti" de la mère soit "l'écrin cotonneux" de l'"enfance". Il y a là un intéressant contraste, même si d'un point de vue intellectuel et sociopolitique on peut s'interroger sur la justesse du regard du narrateur lorsqu'il dit "consenti" pour parler (à la place) de sa mère (la servitude volontaire est une idée à prendre avec des pincettes, dans la mesure où les déterminations objectives prévalent sur les subjectives, sur le libre-arbitre ; cela peut amener à rendre individuellement responsables les personnes des carcans pourtant structurels qui les contraignent).
"l'horizon d'une vie", formule toute faite, ne me semble pas nécessaire.

Citer
Et pourtant, cet endroit ne m'a jamais quitté. J'y fus de retour à chaque saison chaude, avec la régularité calendaire d'un astre en orbite, pendant presque cinquante années de somnambulisme satisfait.

J'aime bien cette espèce de loi cyclique de l'attraction vis-à-vis d'un lieu dont on a hérité et qui nous hante, qu'on transporte avec soi.

Citer
D'abord gamin trimbalé laborieusement dans le tangage d'une Citroën DS puant le plastique chaud. Puis jeune homme en tête à tête avec son anxiété, au fur et à mesure que ses parents désertaient le lieu, fatigués d'allers-retours non moins absurdes à leurs yeux qu'une sédentarité assumée. Puis apprenti papa, réjouis du rire de sa fille, mais comme sidéré par un trajet de vie si rectiligne qu'il ne semblait pas lui appartenir. Et aujourd'hui je ne sais qui, car on ne se connait pas dans le présent. Ce sont les gestes accomplis qui nous révèlent à nous-mêmes.

C'est marrant, ce passage du "gamin trimbalé" dans une "Citroën DS", ce motif de la migration transmise jusqu'à cette étrangeté à soi m'a rappelé mon texte "Montélimar" (pardon pour l'autoréférence). Il y a certains points communs, je crois.

Citer
des geignements surjoués de sale gosse, dans l'espoir d'arracher un instant de compassion véritable d'une mère noyée dans ses angoisses.

Encore cette détestation de l'enfant que le narrateur fut.
"instant de compassion véritable" et "noyée dans ses angoisses" sont des expressions un peu convenues, je trouve.
Quelles "angoisses" ? Il serait intéressant d'être plus spécifique, selon moi, en l'occurrence.

Citer
Je revois avec les yeux ronds d'un gosse ce bazar remarquable, disparu aussi dernièrement, avec ses fascinantes processions de voitures Majorette, et ses authentiques martinets à ficelles de cuir, dont je fantasmais avec effroi la morsure sur ma peau rougie.

"remarquable", "fascinantes", "authentiques" (+ "véritables" au-dessus), un peu lourd ?

Citer
Je revois aussi, sur le muret éblouissant du chemin conduisant à la piscine, les lézards que j'essayais vainement d'attraper par la queue en espérant la voir se détacher, comme on me l'avait assuré.

"muret éblouissant", je ne comprends pas bien cet adjectif.

Citer
Et le balai virevoltant des mouches au milieu de l'appartement, ces mêmes mouches qui m'agaçaient à l'heure de la sieste imposée que je faisais semblant d'observer, et qui se sont progressivement raréfiées au fur et à mesure de l'invasion de la côte par les fourmis d'Argentine, jusqu'à être totalement remplacées par le tournoiement hostile des moustiques tigre.

Idem : "balai virevoltant", "tournoiement hostile", je pense qu'il est possible de gagner en force en allégeant.
J'aime bien cette mémoire du lieu à travers la mutation des espèces (elles aussi migrent ; chaque migration est une mue).

Citer
Dans ce bestiaire un peu gothique

"un peu gothique" ? Je ne suis pas sûr de bien comprendre.

Citer
Une sombre amertume à l'égard du monde germait en moi

J'aime bien ce que le texte essaie de dire, mais j'aimerais mieux, justement, qu'il le dise d'une manière plus précise et moins conventionnelle ("sombre amertume").

Citer
tandis que les oursins, otages de nos jeux, semaient derrière eux ces squames noirâtres un peu écœurants, dans un arrachement que j'imaginais douloureux.

J'aime, encore une fois, cette attention portée à la biocénose, le fait que les souvenirs du lieu de l'enfance s'ancrent dans des interactions sensorielles avec l'environnement.
Intéressant, aussi, l'analyse symbolique que l'on pourrait faire de ce passage à travers la récurrence du terme d'"arrachement" (plus haut, l'enfant tentait "d'arracher un instant de compassion véritable" à sa mère) : les oursins seraient-ils otages du narrateur à la manière de la figure maternelle ? leurs "squames noirâtres" seraient-ils l'avatar de la mélancolie (bile noire) de cette dernière ? Et cette "sombre amertume" du narrateur, alors, ne serait-elle pas une nouvelle fois liée à une forme de culpabilité originelle et à cette sensation d'être lui-même otage ? Comme sa mère, comme l'oursin et comme tout un chacun, le narrateur semble un jouet entre les mains d'un autre (parents ou société, par exemple), puisqu'on n'est jamais tout à fait maître de sa propre vie (de son propre déplacement), puisqu'on ne choisit pas de naître et puisque toutes les choses qui nous précèdent, par définition, nous dépossèdent.

Citer
Trop chassés, ou victimes de la curiosité indifférente d'enfants semblables à ceux que nous fument

"fûmes".

Citer
Ce fut le temps des premières érections contrites qui gonflaient mon slip de bain trop ajusté, et qu'il allait bien falloir que je soulage, d'une manière ou d'une autre.

Tu tiens à la virgule après "ajusté" ?
Je ne suis pas certain que la corporéité de ce passage soit amenée d'une façon suffisamment originale. Du coup, cela peut paraître un peu injustifié, un peu grossier...

Citer
Ce furent ces premières cigarettes qui me filaient la gerbe, et que je cachais aux yeux de mes parents dans le faux plafond du hall de l'accueil.

Même remarque quant à la virgule.

Citer
Que ne fallait-il pas faire pour m'assimiler aux autres "réguliers", ces copains et copines pris dans leurs engrenages parallèles, que je me réjouissais de retrouver aux mêmes sempiternelles quinzaines de juillet.

J'ai oublié de te le dire plus haut : guillemets à chevrons, si tu veux.
Mais de toute façon, ces guillemets sont-ils vraiment nécessaires ?

Citer
qui aura lentement dévoré le théâtre de mon enfance.

Un peu grandiloquent et convenu, je trouve, "théâtre de mon enfance".

Citer
Ces cinquante années de fascination trouble, de petits bonheurs et d'abandon routinier, étaient inscrites contractuellement dans l'acte notarié que mes parents avaient signé.

A priori la virgule après "routinier" n'est pas utile, même si elle peut sembler naturelle à l'oral.
Oui, voilà qui est intéressant, je trouve : comment le contenu bien réel de la vie d'un corps peut dépendre d'une abstraction juridique.

Citer
Le diable, que l'on dit spécialiste en détails et autres chartes Faustiennes

"faustiennes", sans majuscule.

Citer
Je n'en veux pas à mes parents d'avoir voté pour la fin de ce bail sclérosé. Ce fut avec mon accord explicite, afin de m'épargner un héritage vieillissant, générant au final presque autant de charges qu'une location saisonnière.

"au final" est une expression que l'on dit souvent fautive, mais bon, on peut aussi s'en ficher.

Citer
Pour moi, ce lieu ne sera plus, alors même que, de façon stupéfiante, il a toujours été.

Je pense qu'il y a là quelque chose à creuser à travers la langue. C'est à mon avis l'un des noeuds du texte (la propriété des souvenirs, etc.).

Citer
Comme dans ces au-revoirs de copains de vacances

"au revoirs" (ou "au revoir") sans trait d'union.

Citer
Cher journal, il est temps que je revienne à toi. Merci de m'accueillir dans ce moment suspendu.

Assez cliché, je trouve, non seulement l'adresse au journal mais aussi "moment suspendu".

Citer
Je ne te connaîtrai que lorsque je t'aurai fait, mais j'aimerais que nous soyons amis. J'espère que tu seras indulgent avec moi, que tu ne m'en voudras pas de n'être qu'un si modeste rédacteur.

"Il faut aimer", concluait le petit Momo, qui poussait encore sa vie devant lui dans le fameux livre de Romain Gary. Mais pour bien aimer, il faut peler la peau du monde. Il faut reconnaître les miroirs qui nous cachent l'essence des êtres. Il faut en exposer l'artifice, et le brûler dans un grand éclat de rire.

C'est dans ce but que je te convoque.

Nous n'avons pas encore fait beaucoup de chemin ensemble. Je te sens un peu timide, mais attend, on va se détendre, au fur et à mesure que nous nous apprivoiserons. Et on va bien s'amuser, toi et moi. Parce qu'il faut rire.

Il faut rire.

Toute cette fin, aussi, me semble un peu cliché... Mais bon, ce n'est que mon avis !


J'ai bien aimé parcourir ce texte en raison de l'écriture sobre et sentimentale et surtout de son principe même : je crois que seuls comptent les lieux, les itinéraires, les tracés et qu'il est toujours important et intéressant d'explorer cette géographie de soi nécessairement plus vieille que soi. Il me semble que l'écriture peut encore être améliorée en évitant certaines expressions toutes faites, certains clichés, et en élaguant certaines redondances et certains adjectifs. Je pense notamment que la fin peut être réécrite et qu'il est possible d'aller plus loin dans l'introspection ou, pour le dire autrement, d'approfondir poétiquement certaines intuitions. Au plaisir de te lire à nouveau !

Hors ligne UmanaFragilita

  • Tabellion
  • Messages: 31
Re : Retour de vacances
« Réponse #6 le: 04 décembre 2022 à 21:51:00 »
Merci pour vos retours qui me font très plaisir.

Cendres : merci pour ton ressenti. Oui, j’exprime de la mélancolie, mais je pense ouvrir le texte sur la fin vers un horizon optimiste. C’est une sorte de bilan.

Beglous : En fait, ce texte venait conclure une série de billets que j’avais écrits durant ces vacances, sur un tout autre ton, plutôt humoristique cette fois. L’idée du journal était un prétexte facile pour lancer cette petite réflexion nostalgique, mais je ne l’ai pas tenu par la suite. Merci pour tes commentaires précis.

Choumi : Merci pour ton appréciation positive de l’écriture qui est encourageante.

Mic Ester : Merci aussi pour ce commentaire positif qui me va droit au cœur.

Forêt : Un grand merci pour cette lecture attentive et ce retour très détaillé. Je ne suis pas sûr que ce texte méritait des commentaires aussi poussés et soignés, mais cela me touche que tu t’y sois investi à ce point.
Oui, l’adresse au journal est complètement cliché, je m’en rends compte. Ce qui l’est moins, c’est de démarrer un journal aussi tard dans une vie, alors que c'est une pratique plutôt adolescente. Mais oui, il y a des clichés dans ce texte, et des passages inégaux. Mais je n’y tiens pas au point de le retravailler. Cela reste une photographie d’un moment de vie et de mémoire que je range telle qu'elle dans mes archives. Je me consacre à un projet de roman plus précieux à mes yeux.
Ce qui m’importe, c’est de rester conscient de mes limites comme de mes compétences, et de ne pas me frotter à des effets de style qui seraient hors de ma portée. Je tiens à ce que mon écriture reste sobre, directe, presque parlée, parce que c’est ce qui sert le mieux mon propos. Et aussi parce que je me sais piètre poète.

Merci à toutes et à tous, et bon courage pour vos propres entreprises.
« Il fait toujours nuit, sinon on n’aurait pas besoin de lumière » (Thelonius Monk)

 


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