Calvacanti Production L’étudiant habitait dans une mansarde, sous les toits d’un immeuble boulevard Pereire. Chaque jour il passait devant la porte de M. Calvacanti au deuxième étage. Sur la porte en bois verni, une plaque de cuivre indiquait « Calvacanti Production ».
Plusieurs fois l’étudiant avait croisé M. Calvacanti, dans l’escalier, sortant de chez lui. C’était un homme de corpulence massive, aux cheveux argentés ondulant, toujours en costume trois pièces. L’étudiant l’imaginait assis derrière un immense bureau, mâchouillant des cigares, un verre de bourbon à la main.
Parfois aussi il rencontrait, devant la porte en bois verni, une femme élégante, un peu sévère, longiligne, en talons aiguilles et jupe serrée. Il en concluait que c’était Mme Calvacanti.
L’étudiant grimpait jusqu’à son dernier étage. Dans sa mansarde, il pensait souvent avant de s’endormir à l’appartement de M. Calvacanti.
*
Un matin, ouvrant sa boîte aux lettres, l’étudiant découvrit une enveloppe blanche, sans rien écrit dessus. Dedans sur un carton bristol, en encre violette, on pouvait lire « Je vous attends ce soir à huit heures ». Le carton était à l’effigie de Calvacanti Production.
La journée parût interminable à l’étudiant.
Dans son placard, il ne trouva pas un vêtement satisfaisant pour honorer ce rendez-vous.
C’était un jour de novembre, quand les feuilles de platane recouvrent les trottoirs.
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Il sonna à la porte. Au troisième coup de sonnette seulement quelqu’un lui ouvrit. Un employé de maison l’introduisit dans un petit salon de style chinois. Un Bouddha en bronze était posé sur la cheminée.
L’étudiant resserra les lacets de ses baskets.
*
Elle entra dans le salon.
Elle le pria de le suivre.
Ils arrivèrent dans une vaste pièce sombre.
Elle lui présenta un fauteuil, il s’assit.
Elle en fit de même dans le fauteuil en face, réajustant les pans de sa jupe.
Mme Calvacanti s’adressait à l’étudiant avec beaucoup de déférence. Ses phrases étaient longues et sa voix profonde. M. Calvacanti était en réunion et il ne tarderait pas.
Elle fixait le jean élimé de l’étudiant et son sourire découvrait de larges dents.
*
Il répondait poliment aux questions de Mme Calvacanti. Il dut parler un peu de ses études et de sa mère âgée qui vivait seule en province. Malgré l’ombre de la pièce il devinait des rangées de livres qui montaient jusqu’en haut des murs. Le fauteuil où il était assis était en vieux cuir patiné. Les bruits de la rue parvenaient faiblement car les rideaux épais étaient fermés. Une lumière diffuse éclairait par moment l’imposant chignon choucroute de Mme Calvacanti. Ses jambes croisées ne faisaient pas oublier la pénombre. L’étudiant entendit soudain dans le couloir une voix masculine. La porte s’ouvrit.
*
Le tournage commencera dans huit jours.
Oui.
Dans la forêt de Meudon.
Oui.
Après on ira en Grèce.
En Grèce ?
A Naoussa. Vous aimez la fava ?
Je ne sais pas.
On en mangera beaucoup… à cause des sponsors…
Ah !
C’est un film policier. Vous devrez vous couper les cheveux.
Bien sûr.
Pour les conditions et la paperasse voyez avec madame.
Il désigna la femme au chignon choucroute en jupe serrée.
*
L’étudiant dans sa mansarde regardait longuement le velux.
La nuit était noire.
Il revoyait M. Calvacanti derrière son bureau. La Grèce, la fava, la forêt de Meudon, c’étaient des mots. Mais l’étudiant avait signé un contrat que la femme au chignon lui avait tendu. Il y avait dessus un numéro à quatre chiffres. Une somme.
Quand M. Calvacanti s’était levé, l’étudiant vit qu’il était vêtu d’une somptueuse robe de chambre d’intérieur. Dessous il semblait nu. « On se reverra mon ami » dit-il en écrasant la main de l’étudiant dans son énorme poigne. Un parfum de musc passa rapidement.
Quelques feuilles mortes dehors étaient restées accrochées au velux. De l’autre côté de la cloison les paroles d’une dispute rompaient le silence. C’était l’habituel couple qui se chamaillait toutes les nuits.
L’étudiant se demandait à quoi il ressemblerait, les cheveux coupés, sur la plage de Naoussa.