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Auteur Sujet: Le Grand Jabadao - (Jean-Luc Coatalem)  (Lu 1141 fois)

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Le Grand Jabadao - (Jean-Luc Coatalem)
« le: 13 août 2022 à 12:41:43 »
Critique aisée n°234

Le Grand Jabadao
Jean-Luc Coatalem
Le dilettante – 188 pages – 17€

Ça fait bien longtemps que je n’ai pas lu de Série Noire, une dizaine d’années peut-être, peut-être vingt. En tout cas, ça fait au moins trente ans que je n’en ai pas achetée. Les bibliothèques de ma maison en sont pleines. À vue de nez, il y en a surement plus de deux cents, et contrairement aux autres collections qui trônent sur mes étagères, ceux-là, je suis sûr de les avoir lus. Si je les ai tous lus, je ne les ai pas tous achetés car une partie d’entre eux m’est venue en héritage de mon père. Il avait découvert cette nouvelle collection dès sa création à la fin des années quarante. Il en tapissait les rayonnages de sa chambre, il les entassait sur le manteau de la cheminée de la maison de Touffreville, il en laissait trainer un peu partout.

Il y a six ans, j’avais consacré ma soixante quinzième Critique aisée à la Série Noire et j’y expliquais comment moi, j’avais découvert cette collection admirable :

« Juste au moment où, vers l'âge de 13 ou 14 ans, après avoir délaissé les histoires du Grand Nord et du Grand Meaulnes, je n'en pouvais plus des petites cellules grises moustachues de l'horripilant Hercule Poirot, ni des déductions embrumées et méprisantes du suffisant Sherlock Holmes, je suis tombé sur un livre cartonné noir encadré de jaune. Il était debout sur le manteau de la cheminée de notre maison de Touffreville. Sa tranche disait : "Sur un air de navaja". Il était encadré de livres semblables dont les titres : "La môme vert de gris" , "A tombeau ouvert", "Cet homme est dangereux" étaient assez évocateurs pour attirer un adolescent qui s'ennuyait sous la pluie normande de Juillet. Je ne sais pas vraiment pourquoi, mais c'est la navaja qui m'attira en premier. Peut-être était-ce parce que j'avais appris le nom de ce couteau dans une aventure de Tintin ou à cause du jeu de mots inclus dans le titre? Toujours est-il que c'est avec ce bouquin que j'entrai du même coup et pour la première fois dans la Série Noire et dans l'intimité de Philip Marlowe.
Ce fut une vraie découverte, comme plus tard Steinbeck et Maupassant ou, beaucoup plus tard, Proust et Houellebecq. (Car, j'ose le dire, on trouve parfois de purs chefs d'œuvre dans la Série Noire) Je ne pouvais plus quitter les détectives désabusés mais honnêtes, amateurs de whisky et de jolies filles, ni les policiers corrompus, ni les hommes d'affaires honteux, ni les crépuscules dorés de Los Angeles, ni la chaleur poussiéreuse de Caruso, Texas, ni le vent glacé de Chicago. Je découvrais Raymond Chandler, Chester Himes, Jim Thompson, Charles Williams
»

Aujourd’hui, je ne suis pas là pour évoquer Carter Brown ou David Goodis mais, pour parler du dernier livre de Jean-Luc Coatalem, je me suis senti obligé de faire ce petit détour par la Série Noire. Vous comprendrez pourquoi dans quelques lignes.

Tout d’abord, sachez que si j’ai fait trois librairies pour acheter ce livre en urgence, c’est à cause des éloges des critiques du Masque et la Plume, à l’exception boudeuse d’Arnaud Vivian.

Un modeste galeriste se voit proposer un petit tableau de Gauguin ignoré pour un prix ridiculement bas s’il est authentique, et faramineusement haut s’il s’agit d’un faux. Sympathique et fauché, notre galeriste se dit que s’il s’agit d’un vrai Gauguin , c’est la fortune, l’occasion pour lui de pouvoir rembourser ses dettes, de se faire admettre parmi les grands marchands d’art... C’est le point de départ de ce court roman, mi polar, mi récit pittoresque, une histoire dans laquelle on embarque avec plaisir. Le décor breton est impressionnant, les personnages sont hors de l’ordinaire, il y a des jumeaux étranges, des entourloupes à rebonds,  et même quelques actes répréhensibles, dont on sent qu’ils pourraient dégénérer.

Si le coin humide de Bretagne était remplacé par un comté surchauffé de Georgie, le galériste par un détective privé ancien joueur de football, le tableau de Gauguin par une statuette péruvienne, et les jumeaux étranges par deux paysans mystérieux, Le Grand Jabadao pourrait être une Série Noire, et vous savez déjà que sous ma plume cette qualification est tout sauf péjorative. Oui, Le Grand Jabadao aurait pu être une bonne Série Noire, et c’est sur cette impression que j’ai embarqué dans cette histoire qui commence avec le récit du galeriste. C’est un personnage sympathique, que ce narrateur, un peu aux abois, un peu malin, un peu naïf, qui pense avoir découvert le moyen de se sortir d’une passe financière difficile.

Quand on avance avec lui dans Le Grand Jabadao, on pense parfois à Fantasia chez les ploucs, sans que les bretons de Jean-Luc Coatalem atteignent le comique farceur des personnages de Charles Williams. On pense aussi un peu à ceux de Jim Thompson sans leur côté tragique et pervers.

Oui mais voilà, Le Grand Jabadao n’est pas une Série Noire. Pour cela, il lui manque un peu de rigueur dans la construction et un peu de laisser-aller dans l’écriture. Ce que je veux dire par là, c’est qu’au huitième chapitre, le narrateur change. Du galériste, on passe à l’un des jumeaux. Au chapitre suivant, le neuvième, c’est un petit escroc de bonne famille qui prend la parole. Au chapitre 10, c’est au tour de l’autre jumeau, puis on revient au galeriste, et puis, et puis.... Ces changements de point de vue ne sont pas interdits — rien n’est interdit en littérature — mais ils sont perturbants pour le lecteur. Ces changements de voix sans véritable changement de style — on y reviendra plus loin — ajoutés à un exposé parfois confus ou alambiqué, comme on voudra, de l’intrigue ont fait que je me suis perdu plusieurs fois dans l’histoire.  D’ailleurs l’auteur a dû sentir son manque de clarté car il a éprouvé le besoin de parsemer ses chapitres de quelques dialogues explicatifs un peu lourds :

« (...)
— Dois-je récapituler ?
— S’il vous plait...
— En premier, le peintre, Meijer de Haan, en Hollande, suivi par Aristide, le grand-père, en Asie donc, enfin notre père, Jacques, le ferrovipathe, l’amateur du rail. Comme piqués par un essaim de frelons, ils se sont précipités dans une voiture, un train ou un paquebot. Plus de nouvelles ou presque. Les hommes en fuite, les femmes en plan !
»

L’écriture est assez recherchée, littéraire, riche, truculente parfois. Elle n’est pas du tout désagréable à lire. On y sent en particulier le plaisir d’utiliser certains mots, comme ci-dessus par exemple : ferrovipathe ! C’est plaisant, mais plutôt artificiel quand le style reste le même quel que soit le narrateur et y compris dans les monologues et les dialogues.

Bref, un bon petit bouquin qui se lit assez bien et assez vite (deux ou trois heures) mais qui à mon avis ne mérite pas les éloges que le Masque et la Plume en ont fait. La construction un peu anarchique de l’exposé de l’intrigue et la monotonie et le contrôle de la langue font que le Grand Jabadao ne fera jamais une grande Série Noire. Mais qui a dit que Jean-Luc Coatalem voulait en faire une ?

Hors ligne txuku

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Re : Le Grand Jabadao - (Jean-Luc Coatalem)
« Réponse #1 le: 14 août 2022 à 19:06:09 »
Bonsoir

Ancien acharne de la serie noire J. H. Case - D.E WESTLAKE........................
vers dix ans

Ta description m a convaincu et grace ( a cause ? ) au ouebe je viens de passer commande.

Merci a toi ! :)
Je ne crains pas d etre paranoiaque

"Le traducteur kleptomane : bijoux, candelabres et objets de valeur disparaissaient du texte qu il traduisait. " Jean Baudrillard

 


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