J'ai écris, il y a quelques années une série de petits textes sur le cirque. Je vous en propose un, d'autres viendront prochainement.
Ce soir-là, ils étaient restés perchés sur l’étroite plate-forme d’où ils s’élançaient ordinairement dans le vide, accrochés par les mains ou les pieds à la barre horizontale de leur trapèze volant. Ils étaient restés perchés, ils ne voulaient plus redescendre.
Cela s’était passé à la fin de leur numéro, ils avaient salué sous les applaudissements du public, puis, il y avait eu un instant d’hésitation, alors le plus grand, l’athlète aux biceps impressionnants et au maillot léopard avait tourné deux ou trois fois sur lui-même, il avait poussé un grand cri en levant ses bras comme des ailes, puis il s’était immobilisé, le regard haut, indifférent, hiératique, et cela avait duré, duré, ses partenaires demeurant immobiles comme lui, recroquevillés, absents.
Le directeur était intervenu, les avait hélés du milieu de la piste :
— Hé ! là-haut, que se passe-t-il ! redescendez, voyons ?
Mais eux, ignorant tout, avec un suprême dédain, avaient gardé le silence ; simplement, le grand à la tenue léopard, avait remonté l’échelle de corde, interdisant à qui que ce soit de venir les déranger.
Bon gré mal gré, le spectacle avait suivi son cours, mais celui-ci terminé, nos trois trapézistes étaient toujours souverainement installés dans ce qui semblait être devenu leur nid. Oui, car c’était à cela qu’ils faisaient penser, à des oiseaux, de grands, d’orgueilleux rapaces toisant le monde à quinze mètres du sol. Que s’était-il passé ? Quel élan vers le ciel avait eu raison de leur esprit ? Quelle nostalgie, quel vertige s’était emparé d’eux ?
Quinze jours, un mois, deux mois passèrent ainsi. De quoi se nourrissaient-ils ? D’insectes attirés par les lumières du chapiteau ? Ou de rêves, simplement de rêves, de merveilleux rêves d’envol ?
Parfois, quand le cirque s’était vidé, on avait pu les surprendre battant furieusement des bras, s’élançant pour des triples, des quadruples, des quintuples sauts périlleux, se rattrapant d’une main négligente au trapèze, ou s’embrassant dans les airs tous les trois réunis, magiquement immobiles au-dessus du vide, puis se séparant avec des cris joyeux.
Cela avait duré des mois sans qu’on y pût rien faire, mais un matin, la-haut, on ne vit plus personne et en regardant bien, on avait aperçu une déchirure dans la bâche du chapiteau, juste suffisante pour que puisse y passer un homme ou un oiseau.