Salut le Monde,
À mon arrivée sur le forum, on m'a demandé : Penses-tu écrire une fan fiction de ton détective préféré enquêtant sur des vols de robots peluches victimes de chimères lions / rapaces ? et ça m'a bien inspirée. J'ai gardé les idées suivantes : détective préféré (Sherlock Holmes) ; robots ; peluches ; chimère ; sauf que : Sherlock n'enquête pas (pas vraiment) ; ce ne sont pas des robots peluches qui se font enlever ; et les rapaces ont été remplacés par un dragon.
En 2023, j'ai revu la forme globale : j'ai passé le tout au présent, je trouve que ça rend mieux, plus spontané et j'ai tenté d'harmoniser la narration. Pour ce qui est des futures corrections, j'aimerais savoir si la lecture est fluide, si le style utilisé pour la narration fonctionne bien, si ça n'alourdit pas trop la lecture. Et aussi, les éternelles fautes d'orthographe, de conjugaison, les tournures étranges. La dernière partie me semble assez bancale, à partir de l'apparition de l'homme bouilloire.
Une relecture extérieure a mis le doigt sur des lacunes et confirmé mon impression : "Le fantastique arrive un peu trop comme un cheveu sur la soupe, ça m'a décroché de la lecture. J'ai pas compris la partie en gras.'
Notes : | en cours de correction ; dernier passage en 2023 ; travaillé jusqu'à Mme Hudson (#post_hudson) ; introduction mise à jour en 2024 ; |
Une bonne lecture à toi !
Une étude en gris
Ce soir, il fait sombre et pas beau. Wiggins a demandé de pas bouger. C’est pas facile. Ma veste me gratte et le pavé sent pas bon. Ils arrivent : je les entends. Oliver tape du pied et croque sa chemise. Il trépigne, dit M. Holmes. Oliver est drôle. Il veut se battre avec les grands et arrêter les méchants. M. Holmes dit qu’il est trop petit.
Deux hommes sortent de derrière le dock. Enfin ! Je les montre à Oliver. Ses yeux brillent : on va arrêter les méchants. Je dois le dire à Wiggins – c’est notre chef. Je rampe comme un serpent. J’aime les serpents : ils font pas de bruit, comme moi. Je quitte ma cachette.
Dans un trou entre deux pavés, une vieille chaussette accrochée à un bout de bois. Je tire dessus pour la sortir et la secoue en l’air. D’autres chaussettes me répondent. Jusqu’à Wiggins ; jusqu’à M. Holmes. Il Arrêtera les méchants. Ma mission est terminée. J’aime pas la bagarre. Je cours vite c’est tout. Un bon messager, dit M. Holmes.
Les rues du Londres. Des pavés qui forment de chemins ; des chemins qui emmènent partout. Des maisons autour des chemins : parfois grandes et pas larges, parfois collées les unes contre les autres, parfois droites, parfois tordues ; et grises. Tout dans le Londres est gris : les pavés, les murs, les toits, le ciel. Même les vestes des messieurs et les robes des mesdames. Tout.
Les gens me regardent. Ils murmurent : « Un orphelin. », « Un pauvre. », « Un voyou. », « Un voleur. », « Un enfant du malin. ». Ils disent mais ils savent pas. Moi je sais. Je vole pas ; jamais. Je gagne des pièces. Je cire les chaussures des messieurs. J’aide la grosse Bertha à son bar ; même que des fois, elle me laisse piquer dans le fond des assiettes des bonnes gens.
J’aide aussi M. Holmes, qui nous donne toujours quelques pièces. Demain. Demain, le crieur criera : « Achetez les dernières nouvelles ! Une nouvelle affaire résolue par Sherlock Holmes, le grand détective ! ». Il crie toujours ça. Il ne crie pas Wiggins a aidé ; que Oliver a aidé ; ou que moi, Jack, j’ai aidé. Je continue mon chemin. Je redresse mon torse maigre et relève les yeux. Fier, je fixe les gens qui parlent : eux ne savent pas.
Ma salopette craque un peu. Elle est trop petite. Je vais la donner à Pol, peut-être piquer celle de Wiggins ou chercher dans la fosse. Les vêtements dans la fosse puent, mais c’est toujours mieux que le froid. Peut-être Bertha voudra bien me donner des vieilles choses. Je me débrouille avec une aiguille.
Les bas-fonds. Ils ressemblent à un monstre : on rentre dans sa gueule par des escaliers entre deux maisons très hautes. Ses dents, des hommes et des femmes méchants. Ils volent et font du mal. Ils sont désespérés, dit M. Holmes. Ils ont plus rien et donc veulent. Moi, j’ai rien et pourtant j’aime pas faire du mal. Ici, je me méfie de tout. Dans cette rue, les femmes attirent les hommes un peu idiots et volent leur dernier sou. Dans celle-là, on a retrouvé Billy. Il dormait et s’est même pas réveillé quand on l’a balancé dans la fosse avec les autres gens qui dorment.
Soudain, je me fige : un éclat de voix.
L’officier McCullen ! Pas jeune ; pas vieux. Pas beau ; pas laid. Comme beaucoup d’hommes. Il a sa Mme Rosa et ses amis. Il emmène sa Mme Rosa au théâtre ; il retrouve ses amis au bar. Et tout le monde sait ce que l’officier McCullen aime pas : les enfants. Il aime pas les voir et les entendre, alors il leur crie dessus. Les grands, ils disent qu’il aime pas les enfants à cause de sa Mme Rosa ; parce qu’elle veut son enfant et qu’il arrive pas.
J’aime pas l’officier McCullen. Il fait peur. Tout le jour, je me cache pour pas qu’il me voit. Des fois, il me crie dessus parce que j’ai mangé un bout de pain ou une pomme – j’aime bien les pommes. Il va me voir et me crier dessus. Je dois partir.
J’entends des pleurs : il a attrapé un autre enfant.
Je les vois dans une rue sans lumière. Il gronde une fille – une jolie fille. Elle a les cheveux très longs, de la couleur du pain chaud, attachés et plein de nœuds. Sa robe aussi est jolie, avec des petites fleurs dessinées. Ses bottes lui donnent l’air d’une dame.
Mais là, elle est pas jolie. Ses yeux sont gonflés, ses joues rouges, son visage sale, ses poings serrés contre sa robe. Elle regarde le trottoir, a peur que l’officier McCullen tape. Il bouge beaucoup quand il hurle, l’officier McCullen. Et parfois, il tape ; très fort. Elle sursaute, relève la tête. Et me voit. Ses grands yeux me disent : « Aide-moi. ».
D’accord !
Observer. M. Holmes dit souvent ça. Observer et tirer avantage. Avantage : pour aider à gagner. M. Holmes m’a appris ce mot. Il aime bien m’apprendre des mots savants parce que j’aime apprendre.
L’officier McCullen porte pas son uniforme. Il porte des vêtements gris et se glisse contre les murs ; pour qu’on le voit pas. Il les porte quand il va voir la grosse Bertha. La Bertha qui aime tous les hommes ; que les femmes aiment pas. Elle dit qu’à cause d’elle, les hommes, ils sont infidèles. Elle dit aussi que si on a des problèmes avec les hommes qu’elle aime, on doit crier le nom de leur femme.
Mme Rosa.
Je peux pas crier Mme Rosa. Mon monde est fait de silence. Ma voix est jamais née. Alors je cours entre les gens. Ils me poussent, me crient dessus. J’écoute pas. Mme Rosa, elle aime bien les fleurs de M. Mickael. Elle reste longtemps dans sa boutique.
Elle discute devant les fleurs avec Emily, la fille du poissonnier. J’aime bien Emily. Quand son papa ne reçoit pas de sous pour son poisson, il le jette, en colère. Emily le vole pour nous. Oliver, il aime le poisson. Moi, pas ; mais j’ai faim, donc je le mange.
— Jack ! Que fais-tu ici ?
Elle a une jolie voix, Emily : comme les oiseaux qui chantent. Mme Rosa se tourne vers moi. Son regard est un peu méchant – méfiant. Elle est pas méchante, Mme Rosa ; un peu malheureuse, c’est tout. C’est ce que dit Emily.
J’explique à Emily. Je lui montre comment fait l’officier McCullen quand il dit bonjour aux beaux messieurs. Il met son bras sur sa tête et soulève sa casquette.
— Rosa, il parle de ton mari.
Elles me suivent. L’officier McCullen gronde toujours la petite fille. Sa femme le voit ; elle voit le bar de Bertha au bout de la rue. Le visage de Mme Rosa devient rouge. Elle remonte ses manche sur ses bras. Elle a des bras forts. Mme Rosa se met à crier.
— Peter Alan McCullen ! Je t’y reprends ! Goujat !
— Rosa ?
L’officier McCullen se ratatine ; sa Mme Rosa, elle crie encore plus fort que lui. Emily prend la petite fille avec elle. Elle l’emmène loin de Mme Rosa ; loin de l’officier McCullen. Elle se met à genoux en face d’elle et sèche ses larmes avec un mouchoir.
— Bonjour, je m’appelle Emily.
— Vous êtes la fille du poissonnier.
— Oui.
Emily rit doucement. La petite fille aussi. Elle retire la poussière sur sa robe, redresse son dos.
— Je m’appelle Ana Blackburn.
— Comme M. Blackburn : le banquier ?
— C’est mon papa.
C’est quoi un banquier ? Je demanderai à M. Holmes.
— Tu habites Marylebone ?
— Oui.
Je connais Marylebone. Plein de jolies maisons, des fleurs aux fenêtres et des bars aux vitrines propres. Emily me regarde :
— Tu peux ramener Ana chez elle, s’il-te-plait ? Si je n’arrête pas cette dispute, elle continuera jusqu’au matin. Je compte sur toi Jack !
Elle passe sa main dans mes cheveux, sourit, prend son souffle et part en guerre pour séparer l’officier McCullen et Mme Rosa en colère. Mme Rosa qui dit des choses méchantes sur la grosse Bertha. La grosse Bertha, elle est gentille.
Ana serre mes doigts très fort. On ressemble aux jeunes gens que je vois parfois – en plus petits – : eux aussi se tiennent la main. Ana regarde partout autour d’elle. Elle ne connait pas les bas-fonds comme je les connais. Elle ne fait pas attention. Elle saute quand on entend un gros bruit : les disputes, les portes qui claquent, le couteau sur le cou des poulets.
Ana parle beaucoup. Elle parle pour se calmer ; parle de tout, me raconte sa vie avec son papa, sa maman et ses chiens. Elle me dit que son papa, il travaille tout le temps. Sa maman lui manque. Elle pense que sa maman pleure : elle ne sait pas que Ana va bien. Sa maman s’inquiète tout le temps.
On arrive devant sa maison. Une grande sa maison avec plein de fenêtres ; et des fleurs de toutes les couleurs. Elle me montre une fenêtre avec des jolies fleurs roses, me dit que c’est sa chambre et que demain, je dois venir dessous. Parce que je suis son prince charmant : les princes charmants, ils viennent sous les fenêtres avec plein de chansons et des mots d’amour.
Elle me fait un bisou. Elle dit que les princesses font des bisous à leur prince. Elle court vers la porte et appelle sa maman. Sa maman ouvre. Elle pleure beaucoup, crie et prend Ana dans ses bras. Elles rentrent toutes les deux.
Moi aussi, je dois rentrer.
Wiggins, Oliver et les autres sont déjà dans le grenier de la grosse Bertha. Elle nous aime bien Bertha. Elle nous laisse dormir dans le grenier. Elle dit que c’est mieux que rester dans la rue, qu’un môme mort de froid, c’est pas vendeur.
Je m’assoie à la fenêtre. Les autres, ils parlent tout bas. Ils regardent dans la chambre de Bertha par le trous dans le bois. Dans sa chambre, il y a encore un homme qui veut un peu de son amour. Alors, elle le lui donne. Et les autres, ils aiment bien regarder.
La grosse Bertha, elle fait plein de petits bruits, elle grogne de plus en plus fort. Je me bouche les oreilles ; regarde dehors. Pas d’oiseau dans le ciel des bas-fonds. Juste un ciel gris.
Le sommeil m’emporte. Un sommeil léger et joyeux.
Je veux voir Ana.
Les nuages grondent. La pluie mouille. Les messieurs veulent pas cirer leurs chaussures. Ils marchent vite. Mon ventre gargouille. Emily dit que son papa a vendu tout le poisson. Elle me donne une pomme. Je mange, je mange. Elle joue avec mes cheveux, regarde dehors, mord sa lèvre. La pomme est pas bonne : elle a l’intérieur tout marron. Les nuages grondent plus fort. Elle me dit de rentrer, vite.
Je veux pas rentrer. Je marche. Marylebone. Il y a personne. La pluie tombe fort. La nuit arrive plus vite. Le ciel s’énerve plus fort que l’officier McCullen.
J’arrive devant le château de Ana. Il est beau son château. Sa lumière éclaire le noir. A une fenêtre d’en bas, le papa de Ana lit son journal et sa maman fait des jolies images avec une aiguille.
La fenêtre de Ana s’ouvre. Elle crie sans bruit. Comme moi. Ses yeux ont peur. Une grande ombre derrière elle. Ana tombe dans ses bras. Elle ne bouge plus. J’ai peur. L’ombre sort du château. Il met Ana dans un carrosse. Quelque chose tombe. Le carosse part.
Je m’approche. C’est un animal tout doux qui sourit. Il ne ressemble pas à un rat ou à un serpent ; mais il est à Ana. C’est son ami. Je l’emmène. Avec lui, je vais retrouver Ana.
Mme Hudson. Une vieille dame ; gentille. Elle aime beaucoup M. Holmes ; et M. Holmes m’aime bien : donc elle m’aime bien. Elle me sourit. Ses yeux se plissent et des rides apparaissent sur son front. Elle est fatiguée. Elle me dit d’entrer et de monter tout de suite. Une marche. Deux marches. J’aime compter. M. Holmes m’apprend à compter. Ça peut être utile qu’il dit. Il y a dix marches à son escalier. Et sept de plus.
J’ouvre la porte. De la fumée flotte dans la pièce. M. Holmes est à la fenêtre. Il réfléchit. Son violon est posé sur son fauteuil. Son ami se tient à la cheminée. Il est en colère. Ils se sont disputés. Je serre le tout doux contre moi. Je n’aime pas les disputes ; ni les amis fâchés. L’ami de M. Holmes me voit. Sa colère s’en va.
— Vous saviez que ce garçon venait !
— Quelle déduction, Watson : posté à la fenêtre, je ne pouvais manquer l’arrivée de Jack, essoufflé avec un ours en peluche à la main. Maintenant, Jack…
Il tend un doigt vers moi. Je ferme la porte ; pose le tout doux d’Ana sur la table. M. Holmes le prend : il le regarde, le palpe, trouve des choses que personne d’autre ne peut voir.
— Où as-tu trouvé ça ?
Sa voix me dérange. Il s’inquiète, se méfie. Je lui explique. M. Holmes comprend toujours quand je parle. Je monte sur la table, je me mets sur la pointe des pieds.
— Quelqu’un de grand.
Je lève mes bras le plus haut que je peux.
— Quelqu’un de très grand.
Je prends le tout doux. Je le serre contre moi, comme l’homme avec Ana. Je bondis de la table, m’accroupis, regarde à gauche, regarde à droite, surveille. Je m’approche de la fenêtre et m’assoie sur la fenêtre.
— Je ne comprends rien à cet enfant !
L’ami de M. Holmes, il comprend jamais. M. Holmes lui explique tout.
— Un homme, grand, a enlevé la fille Blackburn.
— Comment…
— Plus tard ! Cette fillette a besoin de nous !
M. Holmes marche vite. Je cours derrière lui. Son ami aussi. Il arrête un cocher et lui donne une adresse. Mes pieds quittent le sol quand il me porte dans la voiture.
— Pas de cette vermine-là !
M. Holmes grogne et tend quelque chose au cocher. Il rougit, me regarde, soupire. On part tous ensemble au château de la princesse. Quand on arrive devant, le château est plein de lumières. Des Messieurs discutent. Ils baissent la tête devant M. Holmes. Ils me voient et détournent le regard.
Dans le château, la maman de Ana pleure. Je l’entends avant de la voir. Elle crie que son bébé a été enlevé. Le papa de Ana la console. Il pose sa main sur ses épaules qui tremblent. Un monsieur vient vers nous. Il parle tout bas avec M. Holmes, me regarde et m’oublie.
Je me faufile entre les grands, découvre le château de Ana. Il est beau ce château. De jolies images sur les murs, sur les fenêtres.
— Tu es un ami de Ana ?
Sa maman me regarde. Je lui donne le tout doux. Des larmes coulent sur ses joues. Elle sourit et ses doigts serrent le tout doux.
— Ma sœur lui a offert cet ours ramené d’un de ses voyages en Allemagne. Ana l’aime beaucoup. Elle doit avoir si peur.
Sa voix s’arrête et elle pleure encore plus. Le papa de Ana la serre contre lui. Elle lâche le tout doux. Je le prends et m’éloigne d’eux.
Le vent entre par la porte ouverte. Il siffle ; il murmure. Sa voix me guide. Je monte l’escalier. M. Holmes parle avec la maman de Ana. Les mamans, elles savent mieux que les papas. Les papas, ils travaillent trop.
En haut des marches – dix, et dix, et deux – il y a un grand couloir avec plein de portes. Celle tout au bout est ouverte. Le vent me pousse vers elle. J’entre. Une couverture traîne par terre. Des jouets et des livres partout autour d’un lit assez grand pour Wiggins, Oliver et moi. La fenêtre ouvert, les rideaux flottent dans la chambre.
Ils s’envolent et retombent. À travers, je vois un drôle de monstre. Quand le rideau vole, il se cache derrière ; quand il retombe, il n’est plus là. Il me regarde. Ses yeux comme le feu ont une fente toute noire ; les mêmes yeux qu’un serpent. Autour de son visage de gros chat, une couronne de poils jaunes.
Bonsoir, Jack.
Je recule. Il me connait ; je ne le connais pas. Et il parle comme moi, sans bouger les lèvres.
Je viens te chercher Jack. Tu dois sauver ta princesse.
Il avance une grosse patte vers moi. Sa queue d’écailles fend l’air comme une épée.
Grimpe sur mon dos, Jack. Le Maître des Cauchemars a enlevé ta princesse.
Je ne sais pas. C’est bizarre. Le Maître des…
Ana !
J’accroche le tout doux contre moi et monte sur ses épaules. Il se tourne vers le ciel, saute. On s’envole au-dessus des maisons. Je regarde le Londres devenir tout petit. On s’arrête en haut du grand clocher.
Chimère.
Mon compagnon se tourne vers la voix qui l’appelle. Un très gros serpent nous fixe, ses yeux rouges et sa bouche ouverte.
Dragon.
L’autre renifle.
L’ enfant. Tu ne peux l’emmener avec toi.
Il est sous ma protection.
Alors il périra avec toi.
Dragon s’avance. Il fait plus peur encore que l’officier McCullen quand il est très en colère.
Accroche-toi.
Chimère s’avance aussi. Les deux baissent la tête, comme les messieurs quand ils veulent tirer sur l’autre avec leurs pistolets. Je serre les poings dans la couronne de Chimère. Un oiseau s’envole ; le combat commence. Coups de crocs. Coups de griffes. Dragon veut m’attraper. Chimère le croque ; il grogne. Mes yeux ne voient pas le moment où Chimère gagne : Dragon est sous ses pattes, son corps tendu.
Tu as gagné, Chimère.
Chimère baisse la tête vers Dragon.
Je le ramène avant le matin ; avec la princesse.
Le regard de Dragon devient rond.
Princesse ?
Le Maître des Cauchemars l’a enlevée.
Dragon renifle. Chimère le laisse là ; mais Dragon le suit. Le ciel change de couleur : rose, comme les robes des filles. Les nuages sont verts. La lune a de grands yeux et un sourire de maman.
Bonsoir Chimère. Bonsoir Dragon.
Elle a une voix toute douce. J’ai envie de dormir. La couronne de Chimère me chatouille le nez. Je secoue ma tête. Je dois sauver Ana.
Vous allez au Château des Cauchemars. La Princesse est dans la Tour au-dessus des nuages. Elle pleure.
Merci, Mère Lune.
On arrive devant le Château des Cauchemars. Il est grand et noir. Il fait peur. Des soldats sortent. Ils ont les bras et les jambes droits. Je descends du dos de Chimère. Il sourit à Dragon. Ils se lancent dans la bataille. Je me glisse contre les murs. Les soldats me voient pas.
J’entre dans le château. Les couloirs m’encerclent. Ils sont tout autour de moi. Il me serrent et me font mal, comme que l’officier McCullen m’attrape avec ses grosses mains.
Un enfant ! Un enfant !
Ils crient, partout dans ma tête.
Par tous les Cauchemars ! Il ne doit pas arriver à la tour ! Attrapez-le !
Les murs font peur. Ils se rapprochent à gauche ; ils se rapprochent à droite. Je cours ; cours ; cours. Je me cache des couloirs. Ils me suivent partout. J’ouvre une porte ; et me cache. J’ai peur. Les couloirs parlent dehors. Dedans, il fait noir ; ça me rassure. Le noir c’est comme le Londres. Le Londres c’est la maison. Je cache ma tête dans mes genoux. Je veux rentrer. Je ne suis pas un prince. Je suis Jack ; juste Jack.
Je. Suis. Jack.
Juste. Jack.
Dans le noir, deux billes. Elles ont une drôle de couleur. Ni jaune, ni rouge, ni bleu, ni vert : tout en même temps. La lumière s’allume. L’homme en face de moi est bizarre. Il ressemble à une casserole ; ou à la bouilloire de la grosse Bertha. Le bruit et la fumée sortent de sa tête.
La grosse Bertha me manque. Wiggins me manque. M. Holmes me manque. Et Ana. Elle pleure en haut de la tour. Je dois sauver Ana.
Sauver. Ana.
Haut. De. La. Tour.
L’homme bouilloire se retourne. Il avance pas vite. Je le suis. Les murs ne crient plus. Ils chuchotent. Le vieux bois craque. Comme dans le grenier de Bertha. On s’arrête devant une porte. L’homme bouilloire me regarde ; me pousse vers la porte.
Je l’ouvre : un grand salon, avec plein de livres. Au milieu, une jolie cheminée, comme chez M. Holmes. Devant une fenêtre, l’homme très grand qui a enlevé Ana. Je ne bouge plus. J’ai peur.
J’ai. Peur.
L’homme bouilloire entre dans la pièce. L’autre se tourne vers moi. Dans ses yeux, du vide, de la tristesse, de la solitude.
Ainsi, tu viens sauver ta princesse.
Je secoue la tête. Il va jusqu’à la cheminée ; s’assoit sur un fauteuil. Il marche bizarrement : il flotte sur un nuage et ses bras ne bougent pas, ils pendent comme des rideaux. L’homme bouilloire me montre l’autre fauteuil. Je grimpe dessus.
Je. Viens. Sauver. Ma. Princesse.
Ma. Princesse. Pleure.
Sa. Maman. Pleure. Aussi.
Je sais tout cela, petit prince. Moi aussi, je pleure.
Pourquoi.
Je suis le maître des Cauchemars. Les enfants pleurent quand ils me voient. Ils s’enfuient. Et je me retrouve tout seul.
Les. Couloirs. Vous. Parlent. Pas.
Les couloirs m’obéissent, ils ne parlent pas.
L’Homme. Bouilloire.
Il répète ce que je dis sans réfléchir.
Aucun. Ami.
Non, aucun. La princesse, elle ne pleure plus devant les cauchemars. Elle dit que son prince va venir la sauver. Elle me raconte des histoires : des aventures qui ne sont pas des cauchemars. J’aime ses histoires.
Il soupire. Mes pieds tapent contre le fauteuil.
Moi. Aussi. Je. Vous. Raconterai. Des. Histoires.
On. Reviendra. Avec. La. Princesse. Le. Soir.
Mais. On. Doit. Rentrer.
Elle. Pleure. Sa. Maman. Pleure.
Il relève ses yeux ; me regarde. La solitude s’en va.
Je sais petit. Je vais la ramener. Et vous reviendrez tous les deux ?
Chimère. Nous. Portera. Sur. Son. Dos. Dragon. Viendra. Aussi.
Alors, va la chercher. Je vous attendrai.
Devant un mur, les livres bougent tout seuls. Ils font beaucoup de bruit. Je vois un escalier caché derrière. Je le monte. J’entends les pleurs d’Ana. Elle est là. Elle regarde dehors ; se tourne vers moi.
— Jack !
Elle court vers moi et me serre très fort. Derrière la fenêtre, je vois Chimère. Je vais l’ouvrir. Ana se cache derrière moi.
Tu as retrouvé ta princesse. Rentrons maintenant. Le jour arrive.
Ana monte sur le dos de Chimère. Je monte sur le dos de Dragon. Ensemble, on rentre à la maison. Le Londres gris est beau. Il a plein de couleurs. L’orange des toits qui brillent au soleil ; le blanc des magasins qui veulent pas être gris. Le bleu de la Tamise – peut-être un peu gris.
Dans la chambre d’Ana aussi, il y a plein de couleurs. Elle rit. Sa maman l’entend, l’appelle, court dans l’escalier. Elle prend Ana dans ses bras. Son papa aussi. M. Holmes me regarde. Je souris. Chimère et Dragon sont partis. Ana revient vers moi ; et me fait un bisou.
Je me réveille dans le grenier qui grince de la grosse Bertha. Le soleil se lève. Je frotte ma joue. Je veux encore un bisou.