Une poétesse américaine du XXeme (1911 - 1979) que je souhaitais vous faire découvrir depuis un petit moment, mais il m'en faut du temps pour m'atteler à la rédaction d'une fiche de lecture !
Elizabeth Bishop a publié plusieurs recueils d'une liberté poussée parfois jusqu'à l'égarement ; plongeant dans ses récits de voyages et ses passions amoureuses avec une certaine pudeur et une évidente sensibilité. J'ai appris qu'un film était sorti sur sa liaison avec Lota de Macedo Soares mais je n'étais malheureusement pas allé le voir, si quelqu'un l'a vu, son avis m'intéresse tout à fait.
Elizabeth Bishop, je dirais que c'est la poétesse du voyage et de la promenade sauvage, une touche de fragilité qu'elle aime cultiver dans sa poésie, et bien souvent une mélancolie profonde qui ne peut qu'alimenter bien plus son désir de liberté. Une lecture à découvrir absolument pour qui voudrait s'intéresser à la littérature américaine, elle reste la représentation la plus fidèle d'une génération émancipée et curieuse de tout. Elle a passé également une partie de sa vie au Brésil. Une traversée à l'autre bout du monde qui ne manque pas de satisfaire un cœur poétique.
J'ai sélectionné deux poèmes (pas sûr de la traduction, j'ajoute la version originale en spoiler), l'un issu de son recueil
GEOGRAPHY III l'autre de
North & South.
L’ORIGNAL
THE MOOSE
Du fond de minces contrées
de pain, thé, poisson,
pays des longues marées
où deux fois le jour la baie
s’en va loin de la mer
promener ses harengs,
où la rivière
entre ou reflue
en un mur de mousse brune
selon qu’elle trouve
la baie de sortie,
la baie revenue ;
où, rouge bourbeux,
le soleil tantôt se couche
face à une mer rouge,
et tantôt veine la grève,
la boue riche et mauve,
de rigoles de feu ;
sur des routes de gravier rouge,
après des rangées d’érables,
passées les fermes en planches,
les églises de planches propres,
striées comme des coques blanches,
passés les deux bouleaux d’argent,
tard dans l’après-midi
un car roule vers l’ouest,
pare-brise fusant rose,
rose jailli du métal
et rasant le flanc froissé
de tôle bleue flapie,
il s’enfonce, remonte,
attend patiemment
qu’un unique voyageur
embrasse et étreigne
sept parents
sous l’œil d’un colley.
Adieu aux ormes,
à la ferme, au chien.
On démarre. Plus riche
la lumière ; de la brume
mouvante et salée vient,
fine, et pénètre.
Elie forme, glisse et pose
des cristaux froids et ronds
dans les plumes blanches des poules,
dans le glaçage gris des choux,
sur les roses-choux,
sur les lupins apôtres ;
les pois de senteur agrippent
leur corde blanche humide
sur les barrières blanchies,
les hannetons grimpent
dans les digitales,
et le soir commence.
Arrêt à Rivière-aux-carpes.
Puis les Économies —
Basse, Moyenne, Haute ;
les cinq Iles, les cinq Maisons,
où une femme secoue la nappe
dehors après souper.
Lueur pâle. Éteinte.
Les marais de Tantramar,
l’odeur du foin salé.
Un pont de fer tremble,
une planche vibre, mal jointe,
mais ne cède pas.
A gauche un feu rouge
nage trouant la nuit :
fanal d’un bateau.
Deux bottes de caoutchouc surgissent,
solennelles, éblouies.
Un chien jappe une fois.
Monte une femme
avec deux cabas,
vive, pas jeune, tavelée.
« Belle nuit, Oui monsieur,
pour Boston, un aller. »
Elle nous regarde, aimable.
Clair de lune à l’orée
du New Brunswick, dans les bois
velus, rêches, échardés ;
brume et clair de lune
pris en flocons de laine
aux buissons d’un pré.
Les passagers se calent.
Ronflements. Longs soupirs.
Une divagation de rêve
commence dans la nuit,
douce et lente
hallucination de l’ouïe...
Dans les bruits, les grincements,
une vieille conversation
— pas pour nous, à l’écart,
mais on la reconnaît, là,
au fond du car :
voix des grands parents
qui n’arrêtent pas
de parler, dans l’Éternité :
noms qu’on mentionne,
choses enfin éclaircies,
il a dit, elle a dit,
et lui qu’on pensionne ;
morts, morts et maladies ;
l’année de son remariage ;
l’année où (ça) s’est passé.
Elle est morte en couches.
Ce fils, ils l’ont perdu
quand il a fait naufrage.
Il s’est mis à boire. Oui.
Et elle, de mal en pire.
Et quand Amos priait
même dans la boutique et
la famille a dû finir
par le faire enfermer.
« Oui... » : affirmation
singulière. « Oui... »
Souffle bref, qu’on ravale,
mi-plainte, mi-résignation,
qui dit « c’est la vie ».
On
la
connaît (la mort aussi)
Parlant comme ils parlaient,
sans arrêt, paisiblement,
dans leur vieux lit de plume,
le couloir luisait faiblement,
la cuisine, en bas, et son châle
où le chien s’enroulait.
Là, tout va bien,
on pourrait s’endormir
tout comme jadis, le soir.
— Soudain le chauffeur
s’arrête dans un à-coup,
éteint ses phares.
Un orignal est sorti
de l’impénétrable forêt,
il se dresse, il émerge
au milieu de la route.
Il vient, flaire, tout près,
le capot brûlant du car.
Une tour, sans ramures,
haut comme une église,
simple, comme à la maison
(oui, comme des maisons tranquilles).
Une voix d’homme nous rassure
« Parfaitement inoffensif... »
Quelques passagers
poussent des chuchotis
doux, enfantins :
« Vrai, que c’est gros. »
« Rudement vilain. »
« Tiens ! c’est une femelle !
Elle prend son temps,
noble, d’un autre monde,
elle toise le car.
D’où naît alors, en nous,
la sensation (en nous tous)
d’une joie douce ?
« Drôles de créatures »
dit, roulant ses
r,
notre calme chauffeur.
« Hein, vous avez vu. »
Il passe la première.
Un moment de plus,
le cou tordu vers l’arrière,
on voit, sur le macadam,
l’original sous la lune ;
il reste une légère
odeur d’original, une âcre
odeur d’essence.
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CHEMIN DE FER
Seule sur la voie ferrée
je me promenais le cœur trépidant.
Les traverses étaient trop serrées
ou trop écartées peut-être.
Le paysage était appauvri
chêne et pin chétifs ; par-delà
leurs feuillages verts mêlés de gris
j’aperçus le petit étang
où vit l’ermite crasseux,
croupi comme une vieille larme
se cramponnant à ses blessures
lucidement année après année.
L’ermite tira avec son fusil de chasse
et l’arbre près de sa cabane fut secoué.
Une vague traversa l’étang.
En un pfout-pfout la poule sursauta.
« L’amour doit passer à l’acte ! »
hurla le vieil ermite.
Un écho à travers l’étang
tenta, retenta de prouver cela.
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