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Le Monde de L'Écriture » Coin écriture » Textes courts (Modérateur: Claudius) » Les déambulations de Batholomé Marlouf

Auteur Sujet: Les déambulations de Batholomé Marlouf  (Lu 484 fois)

Hors ligne Fried

  • Calame Supersonique
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Les déambulations de Batholomé Marlouf
« le: 27 juillet 2021 à 08:42:42 »
J'avais déja mis ce texte ici et il me restait à écrire la 3ème partie...

I L’odeur des amis.

Bartholomé faisait ses courses et ne passait pas inaperçu dans ce magasin d’alimentation. On entendait le martèlement de ses chaussures à semelle de bois, (tchique clic tchic clac, tchique clic tchic clac) Il parcourait les allées à la recherche de chamallows et était suivi par Fulgur son chat.

Cet après-midi il avait délaissé son quartier, il n’était plus en odeur de sainteté dans sa boutique habituelle, Fulgur avait eu la mauvaise idée d’y laisser une petite crotte à l’entrée. Il avait sans doute commis ce forfait par contrariété, Bartholomé s’était brouillé avec le marchand, un ami de longue date.

Alléché par un doux parfum de chamallows à la vanille il était entré ici. Arrivé à la caisse, quand enfin ce fut son tour, il déposa ses emplettes et fut de suite subjuguée par la caissière, l’odeur de vanille c’était elle. Dans sa tête, une boite à musique parfumée venait de s’ouvrir, il imagina la caissière en ballerine esquissant quelques gracieux pas de danse sur la mélodie du « Carnaval des animaux ». Cette femme était d’une beauté…

Elle avait un chien fou !

Bizarrement l’animal qui était sagement assis derrière elle prit la parole, sans demander la permission à sa maitresse il s’adressa à Fulgur en le regardant droit dans les yeux :

— Chaperlipopette ! Comment se nomme la théorie qui explique qu’une particule peut traverser l’univers quasiment Instantanément ?

Tout en léchant délicatement ses coussinets Fulgur s’abstint de lui répondre « Et ma petite crotte tu la veux ? » Cependant, il le renvoya dans ses cordes et lui dit : — Pour moi ce sera une boite de croquettes et une bonne sieste sur le bureau de mon maitre près de sa machine à bisous.

La caissière prénommée Philomena était elle-même troublée par l’élégance de son client au chat bien élevé. Il est vrai que Bartholomé avait une jolie moustache si finement dessinée. Philomena estima que cela lui donnait un air de Don Quichotte.

Alors qu’elle scannait les articles elle se vit en sa compagnie parcourant la Mancha à dos d’âne au milieu de champs d’orangers.

Elle se saisit du paquet chamallows et ne put résister à la tentation d’appuyer sur chacune de ces guimauves, elle testait ainsi leur élasticité.

— Ils sont à points vous allez vous régaler.

— Oui je les préfère comme ça pour la fondue au chocolat chaud.

Leurs regards se croisaient, virevoltaient et se croisaient à nouveau, on aurait pu entendre chaque note de la boite à musique rythmée au pas des ânes suivis par les éléphants du carnaval mais finalement Bartholomé se présenta :

— Bonjour mademoiselle, mon prénom c’est Bartholomé, je suis grand amateur de chamallows et chercheur en innovation humaine.

— Mademoiselle Philomena à votre service, croqueuse de chamallows à la vanille et caissière en alimentation gourmande.

Il paya ses achats et proposa une soirée repas chocolat à Philomena. Le rendez-vous fut pris pour le samedi dans deux jours.

Tchique clic tchic clac, tchique clic tchic clac, Bartholomé quittait le magasin.

Dans la rue, les pas de Bartholomé sur son petit nuage étaient cependant sonores : Tchique plouf plaf, tchique plouf plaf, c’est que la pluie s’était mise à tomber de haut. Ce temps était tout à fait au goût de Fulgur qui bondissait gaîment en évitant les gouttes et les flaques.

Ils s’engagèrent sur le pont des dames fait en bois de flamboyant entièrement fleuri de pourpre, Bartholomé fit un bouquet qui allait lui servir pour la confection d’une invitation parfumée dans les formes à l’attention de ce phénomène de Philomena. Il flottait sur la rivière comme le parfum d’un petit bonheur. Alors, Bartholomé se mit à chanter dans la douce lumière bleu et humide de cette fin de journée :

« Moi mes souliers ont beaucoup voyagé, moi, mes souliers ont passé dans les prés, moi, mes souliers ont piétiné la lune, puis mes souliers ont couché chez les fées et fait danser plus d’une. » (La chanson « Moi mes souliers » de Félix Leclerc)

Fulgur qui devait pour le suivre accélérer les pas pattes, s’amusait de ce que son maître en souliers le prenne pour un chat botté. Ils s’engagèrent dans la rue pavée de Notre-Dame des philosophes, ils croisèrent une procession de professeurs en toques à la recherche d’un esprit supérieur, ils tournaient en rond depuis quelques jours dans le quartier, ce soir on ne distinguait plus qui tournait après l’autre.

Rue des harmoniques Bartholomé et Fulgur dépassèrent la maison du facteur de piano, ils s’arrêtèrent une minute devant le joueur d’orgue de barbarie, c’était un Semnopithecus à clochettes venu tout droit des Indes, il s’était spécialisé en musique langureuse. Dans la rue, des couples s’étaient formés et dansaient langoureusement en faisant des mouvements complètements impossibles avec les mains. Fulgur reconnu ce singe Langur et musicien, ils s’étaient rencontrés lors d’une soirée dansante, Fulgur avait une maîtrise en cha cha cha.

Bartholomé devait aller saluer un groupe d’amies, une joyeuse bande de jeunes femmes dans une rue du centre-ville remplie de restaurants. C’était la rue des rousses-pêteuses où les restaurateurs proposaient tous des menus gratuits d’haricots en grains et autres fèves pour les rousses. Elles étaient reconnues pour cette particularité, la ville prenait en charge le prix des repas et ces dames repartaient avec une petite bouteille de gaz à remplir. Le méthane servait par la suite à alimenter les loupiotes.

Tchique plouf plaf, tchique plouf plaf, après les salutations ils arrivèrent à temps place de la grimpette pour le funiculaire de dix-huit heures vingt-trois minutes, Fulgur se percha sur le bord d’une fenêtre et son maître s’installa à l’étage aménagé en canopée de bambous. De temps en temps, Bartholomé passait la tête à travers le feuillage. Malgré le spectacle intermittent de la pluie, il pouvait, façon de parler, se mettre au parfum et voir passer les loupiotes volantes, elles parcouraient la ville comme des feux follets en pétaradant. Elles avaient remplacé depuis quelques années les lampadaires.

II Là-haut sur la colline

La maison de Bartholomé était perchée au sommet d’une colline qui dominait la ville.

Chaque rue et habitation s’étageaient en terrasses colorées par des portes et volets aux couleurs pastel. Les lierres et buissons fleuris y ajoutaient une touche de chlorophylle rafraîchissante.

Bartholomé retrouva sa maison, le lieu de toutes ses expériences de chercheur au sommet de la ville. En dehors de quelques expérimentations amusantes avec sa machine à bisous, il s’était spécialisé dans l’amélioration du toi. Non pas de vous, d’eux, de nous, de il ou elle, mais de toi. Il va sans dire qu’aujourd’hui, toi s’appelait Philomena.

Fulgur tout en se dirigeant vers la terrasse qui leur servait de toit se dit que son maître « du toi » comme un cordonnier mal chaussé aurait bien besoin de Philomena. Il se faufila dans l’entrebâillement de la porte et se figea. Sur la crête du muret qui entourait la terrasse, Crocro était là, lugubre avec sa bande de volatiles éclairés par les lumières de la ville.

Crocro : Croâ

Jax : Croâ, Croâ

Yvan : Croâ, Croâ, Croâ

Tel : Croâ, Croâ.

Les trois corbeaux regardaient Tel d’un air mécontent. Tel se tourna vers eux d’un air surpris et haussa les épaules.

Crocro reprenant : Croâ

Jax : Croâ, Croâ

Yvan : Croâ, Croâ, Croâ

Tel : Croâ, Croâ, Croâ, Croâ ?

Les quatre corbeaux se regardaient en souriant. Ils hochaient délicatement leur tête noire d’un air profondément satisfait.

Au sol, Fulgur aperçu une petite musaraigne qui trottinait insouciante. Approchant silencieusement il se glissa dans l’ombre, seules ses moustaches frémissaient, il levait lentement ses pattes de velours et gagnait insidieusement du terrain sur sa proie. Les corbeaux ne croissaient plus mais regardaient la scène d’un œil gourmand. Cacahuète, car c’était son nom trottinait vers la gamelle du maître de ces lieux, il restait là quelques croquettes à grignoter. Fulgur bondit à la vitesse de l’éclair et s’empara du petit rongeur en découvrant ses dents pointues. Il commença à mordiller cacahuète puis s’amusa à la lancer d’une patte pour la rattraper de l’autre comme un jongleur.

Crocro l’encouragea :

— Vas-y ne te gêne pas épluche la toute crue cette cacahuète.

Cacahuète qui elle, se démenait et se tortillait s’écria :

— Lache moi Fulgur, tu me chatouilles !

Il répondit :

— Misérable souriceau pour ce soir je me contenterai de croquettes, je vais donc t’épargner.

— Allez espèce de goujat, tu m’en laisses une, j’ai une grande famille à nourrir moi.

— Trêve de bêtises mes amis que s’est-il passé aujourd’hui dans le quartier ?

Pendant que Fulgur écoutait les nouvelles, Bartholomé bricolait tout en préparant le repas. La cuisine était encombrée par son laboratoire à côté de l’évier. Sur une table rustique trônait la machine à bisous une sorte d’usine à gaz en miniature. Son fonctionnement reposait sur la technologie de l’empreinte, cette machine sensible était empreinte d’une humanité profonde. Bartholomé avait recouru à une série de moulages, toute la bande des rousses-pêteuses s’y était prêtée. Ce soir il lui fallait faire son propre moulage puis ajouter les ingrédients. Il hésitait entre faire une bouche en cœur ou un simple sourire, Fulgur qui était rentré discrètement, le regardait faire en se léchant le museau.

Bartholomé utilisa ensuite différentes sortes de fleurs, la rose fonctionnait bien mais il déversa des pétales de frangipanier pour la consistance et ceux d’un flamboyant pour la circonstance.

Le lendemain aux premières lueurs de l’aube, la machine à bisous délivra une série de chapelets de bises volantes, elles dévalèrent les pentes de la ville et arrivèrent sur les joues de Philomena comme un alizé parfumé à la frangipane. « Un cadeau en forme d’invitation de la part de Monsieur Marlouf sur la colline. » La collègue de Philomena s’amusait à chantonner :

L’amour, l’amour, c’est le poivre du temps. Une rafale de vent, une feuillée de lune. (M Mouloudji)

III Le rendez-vous

Cet après-midi le patron de Philomena, monsieur Abélard Filoutin n’allait venir que peu avant la fermeture. Elle s’installa à la caisse. Les premiers clients ne tardèrent pas à arriver, elle avait un peu de mal à se concentrer sur son travail, elle repensait à l’agréable surprise de la matinée. Un délicat chapelet de bisous était venu la surprendre et lui rappeler l’invitation de Bartholomé. Elle en avait rougi et depuis elle était distraite et émue pour un rien. C’est ainsi qu’au lieu d’encaisser les clients elle décaissa, non seulement les clients ne payaient pas, mais elle leur donnait le montant de leurs achats en argent liquide. À l’arrivée de Monsieur Abélard Filoutin, la caisse était vide.
Le patron était à la limite de la crise cardiaque, le visage rouge de colère, il vociférait encore au sujet de Philomena quand on toqua à la porte du magasin. Quelle ne fut pas la surprise d’Abélard, une multitude de corbeaux s’étaient perchés sur les fils électriques dans la rue et sur les toits des maisons alentour. Crocro, Jax, Yvan et Tel se tenaient devant la porte. Crocro prit la parole :
— Croâyez moi monsieur, nous avons pris connaissance de vos déboires, les amis de nos amis sont nos amis et Philomena en fait partie. Nous sommes venus vous proposer un dédommagement incroâ-yable. Ce que nous vous proposons, c’est d’assurer gracieusement le transport du click et collecte de vos clients durant une semaine. Filoutin comprit que cette méthode de ravitaillement allait faire fureur et ferait une belle publicité au magasin, l’accord fut rapidement conclu.


Philomena pu enfin quitter son lieu de travail et se rendre à son rendez-vous.
Le dîner amoureusement préparé par Bartholomé commençait à refroidir, il était assis seul à la table qu’il avait dressée pour deux avec chandelles et comme dans le film de Charlot « les lumières de la ville » Bartholomé révisait la danse des petits pains en s’amusant à les faire danser sur la table. Fulgur qui habituellement était incroyablement patient commençait à s’inquiéter, ses yeux fendus couleur de pistache semblaient perdus, il maitrisait l'élasticité du temps comme un maitre, mais ce soir elle lui semblait proche de la rupture.

Alors que son maitre finissait son numéro en chantonnant Philomena arriva, elle fut toute attendrie sous le charme de cette scène, elle s’approcha et de mémoire de chat on ne vit plus tendre baisé.

Fulgur se retira discrètement sur la terrasse et vint retrouver ses amis les corbeaux, Crocro avait lancé des paris sur les amours de Philomèna et Bartholomé.



lien de la première partie avec les commentaires d'alors : http://monde-ecriture.com/forum/index.php/topic,26294.0.html
lien de la deuxième partie avec commentaires : http://monde-ecriture.com/forum/index.php/topic,26385.msg413226.html#msg413226
« Modifié: 29 juillet 2021 à 07:39:52 par Fried »

Hors ligne Delnatja

  • Grand Encrier Cosmique
  • Messages: 1 130
  • Ailleurs et au-delà
Re : Les déambulations de Batholomé Marlouf
« Réponse #1 le: 27 juillet 2021 à 09:32:22 »
Bonjour Fried, je vient de découvrir ces textes et j'aime beaucoup.
Je les trouve très bien écrit et facile à lire.
J'aime aussi beaucoup le côté absurde plein de poésie.
Ils permettent de s'évader en faisant travailler son imagination.
Bonne journée.
Michèle

Hors ligne Fried

  • Calame Supersonique
  • Messages: 2 040
Re : Les déambulations de Batholomé Marlouf
« Réponse #2 le: 28 juillet 2021 à 07:29:05 »
Merci pour ton appréciation Delnatja :-)

Hors ligne Laura CRD

  • Aède
  • Messages: 159
Re : Les déambulations de Batholomé Marlouf
« Réponse #3 le: 28 juillet 2021 à 16:59:01 »
Bonjour,

Que c'est joli ! Un véritable petit plaisir ! J'aime beaucoup ton style absurde, poétique et drôle. Un autre lecteur l'a relevé avant moi, je trouve qu'il y a un peu de Boris Vian dans toute cette fantaisie. C'est rafraichissant ! Il y a seulement quelques formulations que j'ai trouvées un peu bancales mais cela ne m'a pas empêché de voyager car ton texte est aussi très visuel.
Merci.

Hors ligne Fried

  • Calame Supersonique
  • Messages: 2 040
Re : Les déambulations de Batholomé Marlouf
« Réponse #4 le: 31 juillet 2021 à 07:42:03 »
Un grand merci à vous Laura d'être venue me lire et commenter.
J'ai été sans doute été marqué par l'écriture de Boris Vian, j'ai beaucoup aimé les petites souris qui jouaient avec les rayons de soleil.

 


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