Le cahot du train me sort de ma somnolence. La lumière artificielle me brûle les yeux et le flou des silhouettes alentours persiste un moment sur mes rétines. L'agitation règne parmi les passagers dont les contours se redéfinissent. Je vois leurs lèvres remuer avec animosité et les mots indistincts se fraient un passage dans le silence de mon casque. Le hublot à ma droite, obstrué, ne me donne aucun indice et je m'aventure à libérer une oreille.
« … déjà dépassé Ushuaïa !
— Ça fait longtemps que ses quartiers sont surpeuplés, eux-aussi !
— Ils nous emmènent où alors ? J'ai pas tout quitté pour vivre dans un trou !
— T'excite pas, t'as d'jà vu un trou, toi, dernièrement »
Je remets l'écouteur en place en soupirant. L'impression de déjà-vu me saisit. Comme s'ils ignoraient tout des rumeurs. L'Homme est partout !
Il a bétonné autant que possible puis, les ressources manquant, il a trouvé de nouvelles idées en s'aventurant dans l'habitat vivant. Les OGM ont foisonné : murs plus épais, mieux isolés, une meilleure filtration de l'air... Chacun y est allé de son amélioration pour une cité tentaculaire qui recouvre désormais cinq continents. En son cœur, les anciennes villes subsistent, entre tourisme et taudis, dont la plupart des voyageurs du wagon s'est extrait.
Une annonce sur l'écran marque une pause parmi la foule.
Antarctique – Prochain arrêt
Arrivée prévue dans 10 minutes
Le vacarme reprend de plus belle. Tous se mettent en branle. Les maigres possessions récupérées, baluchons jetés dans le dos avant de se bousculer vers les issues.
Quels imbéciles...
Le sifflement des rails intervient plus tard, entraînant de nouvelles poussées. Pourquoi être si pressés ? Comme si un nouveau « rêve américain » existait quelque part. A l'arrêt, je dégage à nouveau une oreille pour guetter une éventuelle annonce. Les pas se précipitent dans un brouhaha pendant quelques minutes avant le silence. Un clac et le convoi se remet en marche sans paroles.
Où peut-on aller maintenant ?
Plus tard, une main me secoue. Sorti de mon sommeil, je met un moment à retirer mon casque.
« Monsieur, il faut descendre.
— On est où ? »
Malgré ma torpeur, je distingue un grand sourire sur les lèvres de l'hôtesse.
« Au bout du monde. Ou au début, comme vous préférez, venez. »
Devant le quai, une structure s'élève vers les cieux. Un escalier végétal dont je ne peux distinguer le sommet.
« Il faut continuer à pieds désormais, mais vous serez le premier là-haut... »