Le Monde de L'Écriture – Forum d'entraide littéraire

12 Mai 2025 à 04:31:44
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Le Monde de L'Écriture » Coin écriture » Textes mi-longs » Guerre froide

Auteur Sujet: Guerre froide  (Lu 1307 fois)

Hors ligne Impa Dhacor

  • Tabellion
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Guerre froide
« le: 10 Juin 2024 à 13:10:45 »
Guerre froide
   
- Je ne dis pas que tu cherches à me tuer, je prétends simplement que ma mort t’arrangerait bien.
    - Comment peux-tu insinuer une chose pareille ? Je fais tout pour te satisfaire ! s’emporta-t-il en claquant ses couverts dans son assiette et repoussant l’ensemble vers le centre de la table, en entraînant la nappe blanche amidonnée blessée dans son orgueil.
    - D’abord, respecte le linge et la vaisselle qui viennent de maman, s’offusqua-t-elle.
    - Si tu veux qu’il ne leur arrive rien, ne les utilise pas, riposta-t-il.
    - Arrête ta pédagogie à deux balles ! Et toi aussi, tu m’attaques, avec des piques beaucoup plus blessantes !

Il ouvrait la bouche tout en tournant la manivelle à remonter le temps, afin de dénicher au fond de sa mémoire le seau rempli des reproches qu’il aurait pu lui jeter au visage quand soudain, comme un poisson hors de l’eau constate qu’il est inutile de se fatiguer à respirer, il la referma et se leva pour servir le dessert.
« Maman… Maman… Maman ! » depuis qu’ils étaient mariés, elle n’avait que ce mot à la bouche, comme une petite fille de deux ans qui s’accroche à un rocher pour éviter d’être charriée par le tsunami de la vie. Quand la vieille mégère était allée rejoindre celui qui avait eu l’idée saugrenue de la créer, Philippe avait cru que son épouse desserrerait enfin son étreinte sur l’étoc garant de son salut et qu’il pourrait ainsi obtenir sa place de conjoint dans le couple. Mais elle continuait à tout ramener à « Maman » : la vaisselle et le linge de « Maman » qu’elle dorlotait, les bijoux de « Maman » qu’elle arborait avec ostentation, les amis de « Maman », qui fréquentaient encore régulièrement l’héritière deux ans après le décès de sa mère, les avis de « Maman », sur tous les sujets, sans cesse et perpétuellement dans l’optique de démolir ses choix à lui.
Quand elle s’en était allée – ou plutôt, quand une force supérieure avait décidé de la rappeler à ses côtés, car la vieille bique ne serait jamais partie si elle avait été seule à la manœuvre ! – Philippe avait cru qu’ils allaient se reposer en vacances ensemble. Pas en amoureux, mais en couple. Ils s’étaient envolés pour Miami. Une quinzaine de jours entre l’éther de l’azur et les vagues froufroutantes, à paresser à l’abri d’un des multiples parasols piquetant de taches turquoise les étendues infinies de sable blanc. Elle avait mandaté un proche de sa mère pour se rendre au cimetière tous les deux jours afin de vérifier l’état de la tombe, changer l’eau des fleurs et réciter des prières, avec le corollaire de l’appeler pour lui rendre compte de chacune de ces délicates missions… Quand, en mars dernier, ils s’étaient offert deux semaines d’émerveillement au Costa-Rica, elle avait désigné un deuxième proche de sa mère, ravi d’endosser la responsabilité de « dead-sitter». 

Dans sa robe en stretch vert anis, elle ressemblait à une granny smith tombée de l’arbre depuis trop longtemps. Sa peau, tannée par le soleil et les UV, arborait un vert olive inquiétant s’harmonisant avec les remontées acides de son estomac qui formaient un halo kaki autour d’elle dès qu’elle s’exprimait, comme dans les bulles de Tullius Detritus, personnage abject qu’il avait détesté dans ses bandes dessinées d’enfance. Un nuancier sur une page unique. Son visage renfrogné lui rappelait la tête d’un bouledogue, mais Philippe concédait que ce n’était guère gentil pour la charmante bête. Elle avait atteint l’âge où la gravité revendique tous ses droits, au coin de sa bouche peinturlurée de rouge criard et sur ses paupières bleues plissées comme un tissu d’Issey Miyake. Quand ils s’étaient connus, il l’avait aussitôt baptisée « Fanny », « Françoise » lui paraissant trop solennel pour une jeune femme amène qui s’esclaffait à la plus plate de ses interventions. Il grimaça en songeant que désormais, il serait avisé de la nommer « fanée ». Il avait compris depuis belle lurette que ses rires d’alors étaient dictés par la nécessité de se caser : à la fin du siècle – et aussi du millénaire ! - précédent, une célibataire de trente-trois ans était une handicapée sociale. Mais il avait été victime d’un sortilège : la jeune fille affable, cultivée et coquine qui avait choisi de l’appeler « Phil » parce qu’il n’y avait pas de raison qu’elle seule ait un surnom et surtout parce qu’elle était fan de Phil Collins, était devenue une mégère râleuse et éternellement insatisfaite dès le lendemain des noces. S’il avait encore été de ce monde, son beau-père lui aurait confié que c’était une malédiction qui pesait sur toutes les femmes de la famille, sans exception, depuis de nombreuses générations. Ce ver qu’il avait vite repéré dans le fruit l’avait incité à ne pas procréer, à l'encontre de ses fantasmes adolescents de fils unique, de son rêve idyllique d’être le pasteur de toute une marmaille le visage barbouillé de confiture de fraises cuite par leur maman et les vêtements souillés par la terre labourée et ratissée avec leur papa, dans les parterres colorés autour de leur nid vibrant d’amour.
Chaque matin, il se réveillait au son de I’ve got you Babe, s’attendant à percuter, de l’autre côté de la rue, un ancien camarade de lycée vendant aujourd’hui des assurances de tout acabit. Il savait que chacun de ses projets allait foirer. Particulièrement celui d’éradiquer le maléfice inclus dans le contrat de mariage. S’il y avait une action à entreprendre pour briser ce cercle infernal... Philippe avait tout tenté : être plus réfléchi en toute circonstance pour empêcher les conséquences qu’il refusait d’assumer, plus sévère pour ne pas se sentir le paillasson sur lequel son épouse essuyait ses escarpins vernis, plus travailleur pour être moins souvent à la maison, il s’était résolu à s’inscrire au squash pour évacuer son agressivité contre la balle et les murs reflétant la lumière des lampes criardes… La solution existait peut-être, dissimulée dans un grimoire recouvert en peau de chauve-souris, sur une page jaunie écrite en sanscrit avec une plume de dodo…

Philippe débarrassa les reliefs du repas. Le samedi, elle remplissait le lave-vaisselle et essuyait la table ; le dimanche, c’était son tour. Pour ce qui était de l’emmener au septième ciel, c’était le jour du Seigneur également. Et le Seigneur en question exauçait les souhaits profonds de Philippe quand elle souffrait d’une migraine ou d’une mycose, diplomatiques ou pas.
 Elle s’était installée dans le jardin pour feuilleter un magazine. Elle ne lisait que ça dorénavant, elle avait même souhaité participer à une braderie organisée par la bibliothèque municipale pour évacuer les ouvrages ne venant pas de « Maman », mais Les faux-monnayeurs, Le baron perché,  Le Lys dans la Vallée et autres classiques d’antan ne faisaient pas le poids face aux mangas plébiscités par les adolescents. Les vieux, quant à eux, ont lu tous les livres… qui les intéressaient. Philippe avait transporté trois lourdes caisses prêtes à régurgiter la quintessence de la création littéraire classique française et étrangère jusqu’à l’endroit réservé pour Françoise au jardin public un dimanche matin, puis à quatorze heures, il avait rembarqué dans le coffre de la voiture les trois caisses alourdies de vieux magazines qu’elle avait achetés en souvenir de sa mère… Elle souriait maintenant à la lecture d’un article. S’il était capable de lire à distance, grâce à une compétence de sorcier ou à un œil bionique, il saurait ce qui l’amuse ; cela pourrait améliorer leurs relations orageuses comme un soir d’avril trop chaud.

Iddy dormait à ses pieds. Le brave toutou n’était pas rancunier... ou il profitait simplement du soleil. Philippe adorait le chien joueur et intrépide. Après le décès de sa mère, elle avait accepté qu’il prenne un animal domestique, à condition qu’il soit petit et qu’il s’en occupe intégralement. Jamais elle ne lui remplissait la gamelle d’eau, ne cuisait un légume ou un petit morceau de viande qui lui fût destiné, n’ ouvrait la porte pour qu’il puisse sortir, ne le promenait ni le cajolait. Elle autorisait toutefois le cabot à les accompagner dans les randonnées qu’ils avaient coutume de réaliser dans la campagne giboyeuse des environs ;  elle raillait sans répit la taille insignifiante de la créature qui leur interdisait d’allonger leurs foulées comme autrefois et tempêtait sans cesse au prétexte qu’elle se prenait les pieds dans la laisse. Quant aux cumulus neigeux que sa mue formait inévitablement dans chaque pièce où Iddy séjournait, la femme de ménage les aspirait trois fois par semaine. Les autres jours, Philippe s’y collait, l’expression radieuse de celui qui aime animant ses lèvres sèches.
Son acceptation de cette minuscule boule d’amour entre leurs murs était assortie d’exigences supplémentaires : qu’elle se cantonne au rez-de-chaussée, pour ne pas salir ni infester de son odeur fétide les chambres et la salle de cinéma de l’étage ; qu’il s’agisse d’un mâle, pour ne pas risquer d’avoir à gérer une grossesse non désirée ; qu’elle n’implique aucun changement dans leur mode de vie. Ils continueraient à voyager régulièrement à l’étranger. Philippe avait dû dégoter un dog-sitter trois étoiles digne de confiance. Il s’était informé auprès de la référence en la matière. Édith, la directrice du service marketing, possédait trois loulous et pratiquait la plongée sous-marine aux Fidji ou en Égypte. Elle lui communiqua l’adresse d’une perle rare, en précisant que Philippe ne devrait jamais prendre ses vacances en même temps qu’elle car ses bébés exigeaient l’attention entière du garçon parfait qui les gardait.
Françoise avait insisté pour être présente quand il choisirait le bâtard, non qu’elle y portât un quelconque intérêt, mais elle tenait à verrouiller l’opération, façon FBI, déjouer le moindre imprévu ou le débordement prévisible d’un Philippe enthousiaste qui aurait adopté tous les laissés- pour- compte du refuge. En effet, il n’avait pas consenti à se rendre dans un élevage de bichons que Françoise avait repéré. Pas pour la contrarier dans son besoin impérieux d’excellence, ni pour contrecarrer son irrésistible manie de tout contrôler. Juste pour accueillir un corniaud battu ou abandonné et le transformer en sphinx régnant sur le salon, dans la mesure de l’autonomie que Françoise accordait à son époux. Tenter de réduire son insatisfaction de couple, en formant un vrai duo d’amour réciproque.

Quand un diablotin blanc s’était précipité pour poser ses pattes immaculées sur les barreaux grossiers de la cage en jappant moult formules de bienvenue, Philippe s’était esclaffé et avait spéculé sur le nombre de races différentes responsables de cette fourrure neigeuse, de ces pattes courtes, de cette truffe proéminente et surtout de ses deux oreilles tachetées de noir à l’extrémité. La bénévole présenta cette tornade prénommée Pluto. Philippe avait immédiatement compris que cette comète blanche serait le compagnon de sa vie à venir et méritait un nom approprié à ce curieux cocktail canin sémillant, qui sautait maintenant en glapissant bruyamment, dans une séance de négociation décisive dont le sujet n’échappait à personne.
    - Tu ne peux pas l’appeler Idéfix, voyons, répliqua Françoise devant sa proposition, comme une mère sensée explique à son fils que dans la vraie vie, les ours ne chantent pas qu’« il en faut peu pour être heureux » et que les éponges ne servent pas de pâtés de crabe dans des fast-food sous-marins.
    - Pourquoi ?
    - C’est un nom que donnerait un gosse.
    - Non, les adultes aussi lisent Astérix. Comme Tintin, de sept à soixante-dix-sept ans !
    - C’est ce que choisirait un gamin, voyons. Réfléchis, il est impossible de prétexter que c’est un de nos enfants qui a choisi, nous n’en avons pas.

 Ahuri, Philippe s’était tu. Après les innombrables conditions qu’elle avait édictées avant de l’accepter, il fallait qu’elle intervienne dans le choix de son nom ! Il n’avait pas la fibre patriarcale violente d’un machiste invétéré, ni les convictions archaïques des misogynes ordinaires. Il était un homme d’aujourd’hui, né au siècle précédent et comme beaucoup de ses congénères, il estimait que la femme était son égale. Égale, pas supérieure. Il se remémorait la voix chevrotante de sa grand-mère, qui serinait des conseils à son fils se plaignant d’une supposée extravagance de son épouse. « Tu ne dois pas abdiquer tes prérogatives, mon chéri. Remets-la à sa place, c’est toi le chef de famille ! » Philippe s’était dit que son aïeule jouait contre son camp et en avait déduit qu’elle détestait sa mère ; il avait saisi qu’elle était juste une femme de son époque, aujourd’hui révolue, en découvrant en grandissant qu’elle sollicitait son conjoint afin de savoir pour qui elle devait voter. Elle estimait que seuls les mâles possédaient une opinion politique qu’ils pouvaient exprimer et elle renonça à ce droit durant son veuvage. Philippe respectait toutes les femmes, la sienne la première, mais il n’était pas question qu’elle le mène par le bout du nez. Il concéda cependant qu’Idéfix, c’était un peu trop long. Deux syllabes, ça sonne mieux pour appeler un chien.
La croisade de Françoise contre le meilleur pote de son mari ne s’était pas arrêtée là. Après une défense passive constituée de récriminations contre les poils blancs quasi invisibles qui l’indisposaient dans le salon, de reproches au premier aboiement, d’insinuations venimeuses quand il le promenait matin et soir, Philippe s’était organisé et quittait la maison après le départ de sa femme pour son atelier de modiste, se pressant de revenir avant qu’elle ne rentre, éreintée mais heureuse d’avoir dessiné, fabriqué et vendu ses chapeaux. Elle avait lancé l’attaque, un dimanche matin où Philippe avait dormi plus longtemps que de coutume et d’un sommeil si profond qu’il s’était persuadé par la suite qu’elle lui avait administré un somnifère à son insu. C’était le bruit du moteur de son cabriolet qui l’avait réveillé. En constatant l’heure avancée sur son réveil, il avait aussitôt dévalé l’escalier pour ouvrir la porte à Iddy. Si elle repérait une flaque d’urine sur le carrelage à son retour, ce serait l’offense ultime et le déclenchement des hostilités à l’arme lourde. Philippe se demandait d’ailleurs si ce n’était pas le bon moment pour entamer une procédure de divorce. Il l’avait parfois évoquée, elle avait toujours refusé. Difficile de libérer un malheureux qu’on adore tourmenter. Et il avait depuis trop longtemps supporté l’intolérable qu’il avait fini par admettre l’immuabilité de leur situation administrative. En bas, pas de flaque. Pas d’Iddy non plus, se précipitant avec Freeze, son jouet préféré fermement maintenu entre ses deux minuscules mâchoires d’acier, puis posant ses pattes griffues sur les mollets musclés de son maître pour le saluer. Après avoir rapidement inspecté les pièces de la maison et appelé « Iddy » d’un ton grimpant dans les aigus, il se tourna vers Françoise, raide sur le seuil.

    - Bonjour chérie – s’il ne la saluait pas convenablement le matin, quelles que soient les circonstances, elle ne lui adressait pas un mot pendant une semaine –, tu as vu Iddy ?
    - Non, j’étais à la boulangerie.

Philippe ne releva pas l’anomalie, c’était lui qui s’y rendait régulièrement, avec Iddy qu’il attachait pour quelques secondes à la devanture du magasin, pendant qu’il payait la commande effectuée par téléphone.

    - Il était là quand tu es partie ?
    - Je suppose, je ne surveille pas ton clebs.

Philippe avait gravi les escaliers, avalant les marches trois par trois, pour revêtir le pantalon et les chaussettes de la veille puis était redescendu en cavalcade, avait attrapé son blouson et ses clefs puis couru dans le jardin en appelant Iddy. Évidemment, sans succès. Au volant, à la fois pressé de parcourir la distance nécessaire pour récupérer son chien et anxieux d’observer au mieux les alentours sans risquer d’écraser l’animal ou de renverser quiconque, il scrutait les environs et l’horizon du même œil fiévreux, sans autre pensée en tête que la hâte de retrouver sa petite bête innocente, incapable de se débrouiller dans la rue d’un village animé par le marché hebdomadaire. Sans compter qu’Iddy pouvait aussi s’être enfui dans la direction opposée… Il approchait du village, il maintint sa direction puis s’engagea dans la rue principale. Un coup de klaxon soudain l’arracha à ses réflexions désespérées et il expulsa un juron tonitruant dans l’habitacle confiné. Il ralentit et remarqua sur sa gauche une automobile rouge, dont il ne reconnût pas le conducteur qui exécutait pourtant à son intention un signe obscur, voulant dire de stopper ou de dégager de là, ou… Il devait ramener Iddy, pas le temps de jouer aux devinettes ! Derrière la voiture, un type âgé qu’il croisait habituellement devant les étals, gesticulait en articulant des mots que Philippe n’entendait pas, mais la scène lui sembla suffisamment troublante pour qu’il s’arrête. L’homme disparût derrière la berline rouge, comme la marionnette d’un guignol désuet préparant une mauvaise blague, pendant que Philippe, grossièrement garé en bordure de trottoir, baissait la vitre électrique. Quand Guignol émergea du paravent que constituait la Renault cerise, il brandissait à bout de bras une petite boule de poils frétillant comme un poisson hors son bocal qui hésite sur son avenir : allait-on le replonger dans la formidable mare qu’il commençait juste à explorer ou l’extraire définitivement de son élément naturel ? Apercevant son Iddy fringant, Philippe poussa la portière d’un coup, provoquant l’avertisseur retentissant et les interjections expressives d’une dame qui avait dû appuyer brutalement sur la pédale de frein de son coupé décapotable.

Les deux compères s’étaient félicité, Philippe avait serré son protégé contre lui pendant que la peluche reconnaissante lui avait léché abondamment front, joues et lèvres dans une démonstration d’amour éperdu. Philippe avait sans doute été davantage traumatisé par l’aventure que le chien ébahi devant cette liberté nouvelle et divaguant, la truffe frémissante, parmi les jambes et les sacs des chalands chargés de nourriture alléchante. Le bon samaritain avait expliqué avoir découvert le fugitif devant la boulangerie. Inquiet de le voir sans son maître et sans laisse, le monsieur avait saisi l’égaré et interrogé le commerçant et les passants puis avait aisément ôté un des lacets de ses chaussures pour l’accrocher de façon précaire au mince collier de cuir. Philippe, soulagé, avait remercié le villageois et insisté pour lui fourrer deux billets de cinquante euros dans la main. Puis il avait placé l’animal innocent sur le siège passager et ressassé ses griefs contre Cruella sur le chemin du retour.

Bien sûr qu’elle avait essayé de se débarrasser de l’inestimable bijou inoffensif, pour mettre fin aux petits inconvénients qu’elle exagérait, mais surtout pour indisposer son mari, le fâcher, le blesser, le meurtrir. Elle refusa obstinément de lui fournir une explication. D’après elle, Iddy avait filé sans qu’elle le voie et elle ne l’avait pas dépassé sur son trajet. Il savait qu’elle était responsable de l’incident qui aurait pu se muer en tragédie pour son compagnon et lui. Son épouse ne possédait pas la beauté pulpeuse de Kathleen Turner, mais son esprit dérangé ne devait rien au machiavélisme de Barbara Rose.


Il vérifia que Françoise, paressant au jardin, pianotait sur son ordinateur portable puis il extirpa de la poche de son pantalon un petit tube en plastique, qu’il dévissa prestement avant d’en verser l’équivalent d’une cuillère à café dans le liquide brûlant et amer. Incolore, inodore, sans saveur et… sans traces résiduelles. Il allait reboucher l’éprouvette quand, d’un coup d’œil à Iddy alangui au soleil, il rajouta quelques grammes de poudre et plaça deux sucres dans une soucoupe, à côté de la tasse, sur le plateau d’argent de « Maman ». Enfant harcelé à l’école parce que maigre comme le yaourt d’une anorexique et trop brillant en classe, Philippe rêvait de fabriquer la potion magique de Panoramix pour devenir invincible. Logiquement, il avait poursuivi des études de chimie. Comme le serinait Monsieur Labbée, son prof de chimie analytique à l’université, « la chimie, ça mène à tout ». Il sortit en sifflotant, le plateau garni dans ses mains fermes.

Françoise se tourna vers la porte qui s’animait. Son majordome lui apportait son sempiternel arabica. Elle en était friande, son mari réussissait à dompter l’amertume du café pour en sublimer l’arôme. C’était uniquement quand elle goûtait ce nectar qu’il réussissait à la faire jouir. Elle tapa sur la touche « entrée » pour envoyer son message. Elle avait eu raison de participer à ce stage organisé par la médiathèque. Enzo, l’intervenant, était mignon, sympa, serviable. Il posait une paluche baguée de têtes de mort sur sa main fragile pour lui montrer où elle devait cliquer. Ce n’était pas indispensable, mais ça devait l’amuser de flirter avec une couguar. Surfer sur la toile pour commander sur les meilleurs sites, payer sans risque, gérer avec aisance sa box télé/téléphone/Internet ne représentaient désormais aucune difficulté pour elle. Ils avaient pris un verre, un soir, après la deuxième séance. Il lui avait raconté des contes de fées à propos du Darknet et du Deep web, ces endroits merveilleux peuplés de licornes et de démons, où l’on achetait des chaussures et de la musique, mais aussi des bitcoins et de la drogue, des armes, embauchait un tueur à gage et s’autorisait des tas de choses horribles qui arrachaient des frissons d’épouvante aux lecteurs de Franck Thilliez et aux spectateurs des thrillers de Netflix. Les indénombrables activités qui n’étaient pas indexées sur les moteurs habituels... Pas forcément illégales, mais parfois… C’était ainsi qu’Enzo la faisait jouir. Et beaucoup mieux que Philippe, forcément. Il lui avait ensuite procuré Tor, pour qu’elle puisse appliquer ses connaissances nouvelles. Elle avait alors contacté Héraklès, pour lui proposer un contrat inédit pour elle, mais pas pour lui. Elle venait de confirmer en versant la moitié du paiement. Elle lui avait demandé d’être diligent. Si tout se passait comme prévu, dans moins de quinze jours, elle chercherait une nouvelle façon de jouir.
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« Modifié: 12 Juin 2024 à 20:49:26 par Impa Dhacor »

Hors ligne Impa Dhacor

  • Tabellion
  • Messages: 58
Re : Guerre froide
« Réponse #1 le: 10 Juin 2024 à 20:50:14 »
Je crains m'être trompée de catégorie, il me semble que ce texte est trop long pour être ici. Désolée !

Hors ligne Béatrice M

  • Grand Encrier Cosmique
  • Messages: 1 037
    • beatricepassionnementpoesies.
Re : Guerre froide
« Réponse #2 le: 10 Juin 2024 à 22:09:43 »
Coucou Impa, je repasserai te lire et oui il est long, douce nuit à bientôt

Hors ligne Basic

  • Palimpseste Astral
  • Messages: 3 732
Re : Guerre froide
« Réponse #3 le: 11 Juin 2024 à 06:43:16 »
Oui, ton texte dépasse les 2500 mots. Il est désormais dan les textes mi longs.

Ton traitement de texte te permet-il de connaitre le nombre de mots ?

B
Tout a déjà été raconté, alors recommençons.

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Hors ligne Impa Dhacor

  • Tabellion
  • Messages: 58
Re : Guerre froide
« Réponse #4 le: 11 Juin 2024 à 13:04:45 »
À bientôt, Béatrice !

Hors ligne Impa Dhacor

  • Tabellion
  • Messages: 58
Re : Guerre froide
« Réponse #5 le: 11 Juin 2024 à 13:07:57 »
Bonjour Basic,
Je connaissais le nombre de mots, j'avais l'intention de le poster dans la catégorie des textes mi-longs - j'ai même vérifié car il me semblait que je devais même le mettre dans la catégorie des textes longs ! - et j'ai cliqué sur le mauvais lien !
Je serai plus vigilante la prochaine fois. Merci pour la rectification.

Hors ligne Basic

  • Palimpseste Astral
  • Messages: 3 732
Re : Guerre froide
« Réponse #6 le: 11 Juin 2024 à 14:14:22 »
Pas de problème
B
Tout a déjà été raconté, alors recommençons.

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Hors ligne Lune

  • Troubadour
  • Messages: 258
    • Conquête de l'espace
Re : Guerre froide
« Réponse #7 le: 11 Juin 2024 à 18:36:17 »
Bonjour,

Quelle méchante histoire ! C'est triste d'en arriver à s'entretuer.  :o

Merci pour ton texte bien écrit et intéressant  ;)
Ecoute le vent, il chante
Ecoute le silence, il parle
Ecoute ton coeur, il sait
Proverbe Amérindien

Hors ligne Impa Dhacor

  • Tabellion
  • Messages: 58
Re : Guerre froide
« Réponse #8 le: 11 Juin 2024 à 21:12:21 »
Bonsoir Lune,
Merci et heureusement, ce n'est qu'une histoire !

Hors ligne Basic

  • Palimpseste Astral
  • Messages: 3 732
Re : Guerre froide
« Réponse #9 le: 12 Juin 2024 à 07:43:34 »
Très bon moment de lecture, humour grinçant, références diverses, clin d'oeil... ils sont terribles

Un commentaire sur ce texte, dans le cadre du travail du texte et de l'entraide, bien entendu sans plus de légitimité que celle d'un lecteur.

Désolé, vous n'êtes pas autorisé à afficher le contenu du spoiler.


B
Tout a déjà été raconté, alors recommençons.

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Hors ligne Impa Dhacor

  • Tabellion
  • Messages: 58
Re : Guerre froide
« Réponse #10 le: 12 Juin 2024 à 14:50:03 »
Bonjour Basic,
Je suis contente que ce texte t'ai amusé et je te remercie pour le commentaire détaillé.
Désolée pour le "e" de "plissées", qui manque évidemment ainsi que pour le "s" de "sèches", ces fautes ont échappé à un contrôle que je croyais exhaustif, ainsi que le "l" surnuméraire qui aurait permis à Philippe de s'envoler de ce nid de vipères ! J'ignore comment corriger le texte posté, mais je corrige mon original.
C'est la nappe qui est blessée, ce symbole de "l'art de vivre à la française" se trouvant brusquement humilié par le geste brusque de Philippe.
Le Costa Rica est juste évoqué, Dans le paragraphe suivant, on suit le cheminement de la pensée de Philippe qui observe sa femme pendant qu'il range la cuisine. J'ajouterai un espace supplémentaire entre les deux paragraphes.
Je suis d'accord avec toi pour le passage avec la grand-mère, j'ai hésité à le supprimer mais je l'ai laissé pour montrer le schéma de pensée de Philippe.
Philippe "observe" et "scrute", c'est redondant, mais c'est aussi l'expression de son état d'inquiétude extrême du moment.
Belle journée à toi.


Hors ligne Basic

  • Palimpseste Astral
  • Messages: 3 732
Re : Guerre froide
« Réponse #11 le: 12 Juin 2024 à 15:44:59 »
De rien Impa,

pour modifier ton texte, tu reviens sur le message en question et tu cliques en haut à droite sur le bouton "modifier"

B
Tout a déjà été raconté, alors recommençons.

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Hors ligne Impa Dhacor

  • Tabellion
  • Messages: 58
Re : Guerre froide
« Réponse #12 le: 12 Juin 2024 à 20:50:12 »
Merci pour le renseignement.
À bientôt.

Hors ligne Robert-Henri D

  • Palimpseste Astral
  • Messages: 2 796
  • Pelleteur de Nuages
Re : Guerre froide
« Réponse #13 le: 03 Juillet 2024 à 19:21:17 »
Bonjour Impa Dhacor,

Passant là, tout à fait par hasard... j'ai pu apprécier quelques lignes... et puis, l'attractivité du texte faisant acte, j'ai goulument lu le reste (un peu comme on s'imprègne des romans d'Agatha Christie).

J'y suis même allé de ma p'tite larme en abordant ce passage :

 
Citer
Quand Guignol émergea du paravent que constituait la Renault cerise, il brandissait à bout de bras une petite boule de poils frétillant comme un poisson hors son bocal qui hésite sur son avenir :

Excellente soirée.

 
« Modifié: 03 Juillet 2024 à 19:22:53 par Robert-Henri D »

Hors ligne Impa Dhacor

  • Tabellion
  • Messages: 58
Re : Guerre froide
« Réponse #14 le: 22 Juillet 2024 à 15:59:46 »
Merci pour ce gentil commentaire.
Bonne journée ensoleillée.

 


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