Hello !
je suis très heureux de partager avec vous un texte pour commentaires, critiques, ou, même, qui sait, éloges dithyrambiques !
Bonne lecture, dans la joie de lire vos retours !
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Dans le bus, le couple se laissait bousculer au rythme des virages, des arrêts et des redémarrages aux feux, leur regard perdu dans le vague reflet des vitres. Ça faisait deux ans qu’ils étaient ensemble, et la routine de leur relation, comme l’habitude de ne pas être seul, leur semblaient tout naturelI. Il aurait pourtant fait envie à l’immense peuple usé par la solitude et tout ce qui s’en suivait. Ils s’étaient lancés dans la vie à deux, juste après les études, et le spectacle du monde en fin de course apparaissait d’autant plus étrange à Jacques que son amour était simple et évident. Mathilde quant à elle, moins sûre de ce bonheur, était un peu frustrée par l’ennui du travail salarié qu’elle découvrait dans un bureau. Le silence des mails, compagnon des frustrations, ou de la motivation quotidienne, ou des moments de rush, faisait sentir sa pesanteur au quotidien. Alors être invité pour une grande fête dans un bel appartement haussmannien des beaux quartiers était une distraction qui la réjouissait, mais, en même temps, la renvoyait au constat d’un quotidien usant. Certains s’y rendirent en voiture, d’autres en taxi, et eux traversaient la moitié de Paris en bus. Jacques ne s’était pas spécialement fringué, mais elle avait tenu à porter une robe qui pouvait paraître un peu chic.
Les grands sourires de bienvenue, les embrassades entre filles, les salutations souriantes entre mecs laissèrent la place à l’ivresse inépuisable du champagne dont la baignoire était pleine. Certains mecs portaient des vestes, la plupart du monde était cadre après être sorti d’écoles de commerce plus ou moins prestigieuses. Jacques et Mathilde avaient des métiers où on leur demandait de produire au quotidien, c’était des chevilles ouvrières indispensables, mais n’ayant pas vocation à gouverner les hommes, avec le vertige que cela pouvait donner. Cela pouvait expliquer l’assurance incroyable de la tribu qui s’agitait au son de la musique, et l’indifférence de Jacques, et la curiosité et la convoitise de Mathilde.
Un type avait été invité pour faire plaisir à sa mère, et ne connaissait personne. Sa propension à s’intéresser à toutes les jolies filles, en couple ou pas, ainsi qu’à abuser des joints sur lesquels il tirait plus fort que les autres, sans parler de son ennui lors des conversations calmes et posées, lui fit vite se sentir de trop. Et le groupe, comme un banc de poisson ayant repéré un intrus qui ne se pliait pas aux codes, finit par lui faire comprendre qu'il était de trop. Finalement, le maitre de maison lui montra la porte de sortie. Un impondérable bien banal. Mathilde eut pourtant l’occasion d’apprécier son énergie, sa drôlerie et son innocence, mais elles n’étaient pas de mises ici. Elle avait particulièrement aimé ses blagues de collégien un peu débiles, qu’il avait racontées dans un état d’exaltation anormal et fiévreux.
Mathilde et Jacques discutaient avec un manager qui parlait de « grands comptes », de bluff avec des partenaires commerciaux, de petits règlements de compte vite expédiés et réglés aux dépens de ses rivaux. Jacques s’ennuyait à mourir. Toute cette tourbe, cette terre grossière et stérile, et utile uniquement à l’élaboration du whisky quotidien qui faisait oublier la journée. Parce que quoiqu’il en dise, ce mec s’exposait à un stress que le succès faisait peut-être oublier de temps en temps, mais qui le rongeait avec autant d’assurance que la caissière se fatiguait à force de déplacer des courses d’un côté à l’autre d’une caisse. Mais le manager, déjà passablement saoul, tout ravi de s’entendre parler à une fille intéressée, alla dans la cuisine et revint avec de la poudre qu’il sortit de petits bouts de papier. Et Jacques n’était pas d’accord, il avait eu une amie détruite par cette drogue, progressivement, irrésistiblement, perdant travail et ayant des grossesses avortées à répétition. Il fit non du doigt au type. Etonné, il comprit qu’ils n’en avaient jamais pris, et sur le même ton euphorique que celui qu’il avait employé pour raconter comment il avait décrédibilisé un collègue auprès de la hiérarchie de son entreprise, il entreprit d’expliquer que cette drogue était sans dépendance, clean ; de raconter en définitive le baratin des dealers qui, eux au moins, ne croyaient plus depuis longtemps à leurs mensonges. Mais c’était un mec inséré, visiblement bien dans sa peau qui servait le baratin. Ce mec, qui aurait pu finir VRP à une autre époque, finit par déballer la marchandise répartie en grossiers traits obèses sur un plateau d’argent qu’il tendit à Mathilde, qui était restée silencieuse. Jacques renversa le plateau en l’air, et se leva pour toiser le mec. « Putain qu’est ce que tu as, toi ? ». L’autre s’était aussi levé et avait dit ça en hurlant. La musique couvrait leur échange, mais les gens autour s’étaient retournés, des femmes en jupe noire un verre de champagne à la main, des mecs en chemise bien nette et cheveux ras, une main dans la poche ; le DJ quant à lui, un casque sur la tête, et habitué des fêtes, s’en foutait pas mal, se demandait avec une curiosité gourmande comment cela allait tourner. Les DJ, c’est sympa, mais c’est traître, habitués à exprimer la coolitude, ils sont blasés par l’effet qu’ils produisent sur les autres.
Un personnage pittoresque, grand et habillé d’une salopette jaune et d’un bleu de travail, intervint, au milieu du scandale. Il rigolait de manière un peu nerveuse, le regard vif et un sourire au lèvre. Il dit à Jacques qu’il le comprenait, mais que ici, ça se faisait. Ils parlèrent dix secondes, et, Jacques raccompagna Mathilde à la porte au grand soulagement de tout le monde.
Ils prirent un taxi pour le chemin du retour. Mathilde se tenait rêveuse contre l’épaule de Jacques. Ils restèrent silencieux, jusqu’à ce qu’elle lâcha, quand le taxi s’engagea dans leur rue, : « tu as bien fait ». Jacques repensa à cette copine, cocaïnomane, qui lui en voulait à mort depuis leur rupture, pour des raisons qu’il ignorait. Et puis son souvenir s’évanouit quand ils se couchèrent dans leur lit, l’un à côté de l’autre, se tenant simplement la main jusqu’à ce qu’ils s’endormirent.
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