« Sur la plage abandonnée… Coquillages et crustacés ».
Il roule sur cette route qui longe le littoral. La Grande Dune en point de mire et cette chanson en boucle sur le vieux lecteur de cassette de sa vieille carcasse rouillée. Il la revoit, belle, sa longue chevelure blonde descendant en boucle sur ses reins cambrés. Son deux pièces cachant à peine ses rondeurs féminines.
C’était un matin de juillet, le soleil chauffait à peine le sable fin au pied de la Dune, elle aimait s’y baigner avant l’arrivée des touristes. Tôt. L’eau de l’océan fouettait son corps avide de sensations.
Il la regardait du haut de la pente, sans jamais oser la rejoindre, sans s'attarder juste la voir. Belle, trop belle, trop libre pour lui.
Elle jouait avec les vagues, riait, nageait, s’enfonçait encore plus loin pour se laisser porter par le ressac et s’étendre sur la plage enivrée de bonheur. Puis elle dansait, sans s'arrêter, comme une enfant ivre de bonheur et d'insouciance.
Ce jour-là, alors qu’il grimpait vivement jusqu’au sommet, il se sentit défaillir. Un cri, un cri si strident qu’il en perdit l’équilibre, ses tympans explosés. Il reprit conscience quelques minutes plus tard. Combien ? Il ne savait pas. Il titubait, se relevant maladroitement, il tenta de reprendre sa progression. Petit à petit, le crâne en feu il y parvint enfin. Son regard balaya la grève, il ne la vit pas, mais il fut intrigué par une petite tâche rouge juste au pied de la descente. Il dévala à perdre haleine le versant vers les flots.
Quelques minutes plus tard, exténué et haletant, il atteignait l’ombre aperçue du sommet. Un morceau de tissus d’un rouge vif : son haut de bikini. C’est tout ce qu’il restait, un bout de toile écarlate. Il scruta l’horizon sans comprendre. Longtemps, jusqu’à la nuit.
Le lendemain, le surlendemain et durant toute une année, du lever du soleil au crépuscule il revient cherchant au loin l’ombre de celle qu’il admirait en silence. Jusqu’à ce jour de septembre ou dans l’eau bleue il la vit. Blonde, belle, la peau hâlée chevauchant un orque sous le soleil de l’automne.
Elle chantait : « coquillages et crustacés… » s’enfonça dans les vagues un bas de maillot rouge au bout de son bras tendu tel un caleçon en voile de radeau. Elle lui fit un signe et laissa au vent s’envoler le petit bout de tissu.
Il raconta son histoire en rentrant au village et des rires ingrats tonnèrent à ses oreilles, on le prenait pour un fou !
- Bourrique tu as eu des visions ! péroraient les perruches du quartier. Arrête de boire ou de fumer !
Il savait lui qu’il n’était pas cinglé, qu’il avait vu de ses propres yeux. Cette femme qui aimait tant l'océan, qu'elle fut emporté par les eaux et se transforma en sirène, au pied de la Grande Dune.
Depuis, chaque été, dès que l’aurore pointe son bout de nez, il roule sur la route le long du littoral, cette chanson en boucle sur son vieil autoradio à cassettes :
« sur la plage abandonnée… ».