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« J’agrémente la kyrielle de joie de temps en temps. C’est tout. Rien ne me sert de la surcharger. C’est un collier de perles de petits pois en porcelaine : on a sculpté la joie pour en faire un bijou sacré qui ne se porte pas… qui n’est pas fini, d’ailleurs ; aussi suis-je toujours en train d’apporter une pierre ronde à l’édifice. On ne dirait pas mais on toque au plafond. Or, le plafond n’est pas une porte. Donc je n’ouvre pas. Mais c’est le signe pour moi d’arrondir un petit pois pour l’accrocher à la suite »
Le mage sirote une limonade saumâtre assis sur un vaste nénufar oblong situé au Théâtre du Géant Droséro. Les confins de la pièce où les clapotis de l’eau moribonde ricochent en échos se perdent dans une variété de brume non encore répertoriée. De la mousseline kaki constitue le nénufar ; le popotin du mage s’y creuse à mesure que le temps passe, imprimant à la surface de l’eau un léger trou. Le mage remue à peine. Les perles de joie qu’il enfile ne lui rapportent guère de plaisir, non pas qu’il le cherche tant. Le Théâtre du Géant Droséro, noyé, lui apporte l’ambiance aqueuse un brin puante qu’il affectionne au plus haut point. Le mage est seul. Entre les gradins de fauteuils rouges sang et la scène qui ne sert à rien stagne un marais. Nulle fenêtre environnante ; le palace sent le renfermé. Un long fil serpente entre des plantes aquatiques telles que nuphar lutea, hydrocharis morsus-ranae, uronium natans, potamogeton, ranunculus, myriophyllum, azolla filiculoïdes, Phragmites australis,… il y passe une perle quand un quidam toque au plafond.
Il flotte dans l’atmosphère des bancs de petites vagues, les tildes, qui dispersent vaguement l’attention. Tlihuit Lipalxo pandicule dans les bas-fonds.
« Il faut que quelqu’un machouille un micro instant, qu’il en fasse une petite boule dans sa bouche, joue avec elle le long de sa langue, sans tâcher d’y adjoindre des mots, pour qu’ensuite entre mon pouce et mon indexe se forme le petit pois de joie en porcelaine… endéans ces deux actes, j’entends frapper au-dessus de ma tête… Le Bailleur ? »
Une toile de tente taupe vêt le corps oublié de Tlihuit Lipalxo. Il y a percé un trou pour y passer ses cheveux distraits ; le reste de la toile se perd en plis qui frôlent le sommet de vagues imaginaires. Les monologues se répercutent sur les murs du Théâtre du Géant Droséro. Parfois, il fait des ploufs avec les pieds ; s’érige acteur patibulaire des coulisses du monde, se prélassant sur tout le devant de la scène marécageuse. Tlihuit Lipalxo barbote gaiement. Mais les perles joyeuses ne se malaxent jamais de son propre chef – il ne les crée pas.
« Que quelqu’un planche sur une traduction originelle de la gestuelle inaudible du bon moment. Alors, rien n’y est dit. Mais les yeux se plissent, les épaules se relâchent, les doigts se promènent, le dos s’affaisse, les sourires s’étirent. Je les prononce faussement. Il y a matière à écrire un articulet à ce propos. Mon collier s’égrènerait d’autant plus »
Les fantômes des plantes aquatiques le chatouillent. Une tige, une feuille, un pétale lui vole un rire étouffé. Il arrive que ces plantes ne supportent pas leur existence et se noient, sous le halo imperceptible de projecteurs endormis, aux feux somnolant. Une fumerole d’un antique vert pomme les remplace et vient taquiner les centimètres de peau du mage que la tente n’abrite pas. Puis son nénufar s’éloigne.
« Néanmoins j’ai une faim de recevoir l’inconnu dans mon enceinte close »
Même au Théâtre du Géant Droséro ne se remarquent pas des racines tentaculaires dans les recoins au bois pourri ou dans la fange du velours agglutiné des sièges rouges. Pourtant, elles sont bien présentes. Tlihuit Lipalxo ne s’en sourcile guère. Il rit un peu ; un roseau a frôlé sa plante de pied jusque-là suspendu dans l’air moite.
« Ce sur quoi donne les fenêtres immergées n’est qu’oasis de boue. Jamais ouï-dire à leur sujet »
Il cueille des brochettes de prunes séchées, ses péchés mignonnes. Elles émergent entre deux roseau. Il les gobe goulument puis se sent de nouveau seul. Sa voisine, la brume sauvage et muette, ne dit rien à l’écho de la turpitude du mage. Tout juste, par humeur de mauvais temps, aperçoit-elle le puits de Chute. Le mage est trop distrait que pour s’y engouffrer noirement.
« Une tranche de prune séchée cristallise mes rides en vaguelettes tildes.
Le mage élucubre… son aêtre tient de la maison sur pilotis, de couleur pastel, sur une rivière-jungle penchée. Ses colombages distraitement parallèles évoquent des bras ballants ; et la buée des vitres, la rosée d’un profil paysager en mourrance de petit matin. C’est avec ce caractère de cheminée éplorée que le mage décroche des notes d’une joyeuseté pie aux moments qu’il ne vit pas lui-même par ailleurs.
Tlihuit Lipalxo n’arrivera pas au bout de ses envies de prunelles sur lesquelles l’indolence des micro instants heureux courbe le dos.Il rêve de se faire les dents sur un noyau de malhure.