Le Monde de L'Écriture

Salon littéraire => Salle de lecture => Théâtre et poésie => Discussion démarrée par: Cyr le 31 mai 2020 à 11:19:42

Titre: [poésie] De la nature des choses - Lucrèce
Posté par: Cyr le 31 mai 2020 à 11:19:42
J’ai lu ce poème il y a longtemps. Je me souviens vaguement ce qui m’avait amené à le lire. J’avais entendu parlé de la théorie de l’atome et du vide de Démocrite décédé en 370 avant J.C. qui plus tard a beaucoup intéressé Épicure, le fondateur de l’épicurisme.

J’avais été fasciné à l’école par l’idée de l’atome et du vide composant la matière, comme si à l’échelle de l’infiniment petit la matière avait quelque peu les allures de l’espace dans la plus grande confidentialité. Et de penser que cela avait été imaginé, réfléchi dans des temps aussi reculés était terriblement troublant.
J’aimais par ailleurs, l’idée d’une approche plus « globale » de la connaissance comme elle était pratiquée par les sectes du monde antique mais je craignais que les textes des épicuriens ne me soient trop austère au premier abord.

Le poème de Lucrèce qui vise à faire découvrir l’épicurisme est une vraie cuillère de miel pour un amateur de poésie. On peut trouver je pense aussi, un caractère très moderne, troublant, à l’épicurisme qui prône l’étude de la nature et le recul des religions. J’ai eu du mal à rentrer pleinement dans ce texte pour cela, à m’y abandonner mais par la force des choses et l’écriture de Lucrèce, j’ai été ému et troublé par ce que toutes ces connaissances (cela va du cycle de l’eau, l’atomisme, la réflexion de la lumière à des sujets bien éloignés de la physique moderne) pouvaient peut-être représentées pour l’époque et même pour l’enfant qui découvre. Par ailleurs, la philosophie y est présentée comme un liant et un moteur de découverte. Belle idée qui pousse la curiosité pour les sciences ! La nature des choses est un « tout ».

J’ai découvert cette philosophie d’une vie dépourvue de confort ostentatoire tournée vers la connaissance de la nature. C’est mémorable.

«En marche, maintenant ; et puissent mes leçons
Éclairer pour toi l’ombre où nous nous enfonçons !
Il faudra, je le sais, disputer la victoire.
Mais, frappant ma poitrine, un grand espoir de gloire
De son thyrse magique a fait vibrer mon cœur.
Fort du suave amour des Muses, sans terreur
J’entre en ces régions que nul pied n’a foulées,
Fier de boire vos eaux, sources inviolées,
Heureux de vous cueillir, fleurs vierges qu’à mon front,
Je le sens, je le veux, les Muses suspendront,
Fleurs dont nul avant moi n’a couronné sa tête,
Digne prix des labeurs du sage et du poëte
Qui, des religions brisant les derniers nœuds,
Sur tant de nuit épanche un jour si lumineux !

Et qui nous blâmera, si par la poésie
Tout ce que nous touchons est frotté d’ambroisie ?
Je suis le médecin qui présente à l’enfant
Quelque breuvage amer, qu’il faut boire pourtant.
Les bords du vase, enduits d’un miel qui les parfume,
À cet âge léger dérobent l’amertume ;
L’enfant est dupe et non victime ; il boit sans peur,
Et dans le corps descend le suc réparateur,
Emportant avec lui les douleurs et les fièvres.
Le mensonge sauveur n’a trompé que les lèvres.
Ainsi je fais passer l’austère vérité,
Baume suspect à ceux qui ne l’ont pas goûté.
La foule, enfant qu’allèche une innocente ruse,
Cédant sans défiance au charme de la Muse,
Sous le couvert du miel boira les sucs amers.
Ainsi puissé-je, ami, te charmant de mes vers,
Dans ton âme surprise infuser la Nature ! »

https://fr.wikisource.org/wiki/De_la_nature_des_choses_(traduction_Lef%C3%A8vre)/Livre_I