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29 mars 2024 à 07:04:15
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Auteur Sujet: L'automate  (Lu 678 fois)

Hors ligne Julien-Gracq

  • Aède
  • Messages: 163
L'automate
« le: 19 septembre 2021 à 14:56:31 »
Bonjour,
je vous poste ce texte un peu bigarré qui contient beaucoup d'intentions diverses. J'ai d'abord voulu faire un conte chaleureux, puis  plonger un peu dans certaines représentations de l'enfance... J'ai voulu parler de la famille et de la faiblesse inhérente à chacun des membres, et j'ai aussi croisé tout cela avec quelques impressions profondes et observations qui se sont imposées à des instants où j'ai perdu des proches, ou bien me préparais à dire au revoir à l'un d'eux...
Bref, je voulais savoir si cet air de "pot pourri" rend plutôt bien ou non.
:)



La première fois qu'il a bougé, il n'avait pas de nom. Son premier mouvement fut la difficile rotation de son bras unique, les jointures raides comme les articulations grinçantes d'un grabataire. Le premier son qu'il émit fut un craquement sec, le bruit des branches d'arbres qui ploient sous le vent de l'hiver. A son commencement il n'avait qu'une fonction, qu'un objectif qui le faisait se mouvoir, la recherche d'un cube vert et ocre à l'autre bout d'une table. Le premier râle que l'on entendit ne fut pas le sien. Il en fut de même du premier cri enthousiaste, à demi étouffé, maladroitement jailli de la bouche d'une petite fille...

Palette n'était alors qu'un bras mécanique avec des composantes en bois. Il effectuait une rotation à 90° avant de revenir à son point d'origine. Il n'avait rien pour conscience ou pour existence. Il se saisissait d'un carré quand on le lui indiquait par la pression d'un bouton rouge et gris, et voilà. Sa venue au monde avait toutefois nécessité des semaines d'un labeur harassant, et sa présence dessinait déjà des rêves et un horizon mirifique dans les prunelles de ce vieillard aux mains usés, de cette fillette à la bouche grande ouverte. Lui l'avait créé, elle avait assisté à sa confection, l'un comme l'autre allaient nouer un lien précieux entre un grand-père et une petite-fille, dont le socle serait l'automate dont la construction était à poursuivre.

Les mercredis après-midi et les dimanches, parce que Pauline n'allait plus à la piscine et parce que la petite famille rendait visite aux grands-parents, les deux compères s'enfermaient dans l'atelier où ils agençaient « Palette » à petits pas. On discutait de revoir son socle et son circuit mécanique pour qu'il puisse effectuer une rotation sommaire, mais totale. Puis on changea du tout au tout son membre, lui ajouta deux articulations supplémentaires afin qu'il puisse effectuer un mouvement plus complexe. On graissa les jointures, polit le membre, et voici Palette devenu un grand bras  capable de déplacer un objet de poids léger d'une surface plane à une autre, sans risquer de le faire tomber. Devant ce premier succès en commun, les deux amis bondirent de joie, ils s'enlacèrent vivement et se promirent de poursuivre la réalisation de Palette. Cette nuit-là, ils s'endormirent des rêves pleins la tête, le vieillard comme la fillette, tous deux avaient hâte d'être à demain pour pouvoir réfléchir à tête reposé aux améliorations à fournir dimanche prochain.

Ils poursuivirent cette routine un petit moment. C'était l'occasion pour Bertrand, longuement retraité, de ne pas perdre le pied avec les jeunes générations et, partant, avec le monde ; c'était l'occasion d'offrir toute la tendresse et toute l'affection qu'il n'avait su donner à quiconque pendant toutes ses années de labeur où il s'était oublié dans le travail à la chaîne. Quant à Pauline, c'était tout un tas de choses qui la faisaient venir : la chaleur du chauffage dans la maison de pépé, en hiver, l'odeur de planche et de cambouis dans l'atelier, l'éclairage ternie des vieilles ampoules jaunes, le discret son de Palette qui ronronnait quand on appuyait sur le bouton, le visage et les histoires gaies de pépé, sa bouille de petit papa noël, son timbre si doux et ses mots maladroits, son sourire d'enfant émerveillé quand il bricolait et lui expliquait le fonctionnement de deux-trois mécanismes, son sourire quand il la voyait se mettre elle-même au travail, quand elle lui proposait des idées farfelues et qu'il buvait ses paroles, ému...

« Et tu sais ce qui serait super, papy ? fit-elle un jour. Ce serait d'en faire un gigantesque garçon géant,  gros cooooome ça ! » Elle mimait la largeur du robot de ses rêves avec ses petits bras étirés à leur maximum. Bertrand trouva cela charmant et lui proposa d'abord de donner une main à Palette, de changer la pince qui terminait son bras mécanique en quelque chose à cinq doigts, quelque chose « d'anthropique », prélude à la création d'un gigantesque garçon de bois. Ils s'y attelèrent les week-ends et les mercredis suivants, Pauline dessinant, mesurant, son papy taillant le bois avec peu de succès au début...

Un soir où l'on regardait la télévision, Pauline descendit dans le salon pour trouver ses parents apeurés devant un film de science-fiction bouleversant. Il y avait des robots sanguinaires, une humanité déchirée, une guerre harassante qui les opposait et la victoire qui se profilait pour les êtres de ferraille qui singeaient leurs créateurs en tous points, qui avaient développés une conscience leur permettant de se rebeller contre le joug de leurs dieux. Voyant cela, Pauline fut terrorisée. Elle pressa ses parents de questions tandis qu'eux s'offusquèrent qu'elle ne fût pas au lit, mais, comprenant que rien n'y ferait, que la fillette était apeurée, qu'il fallait la rassurer, ils lui tinrent de tendres propos apaisants avant de lui souhaiter la bonne nuit. Pauline n'en était pas moins profondément angoissée ; elle les entendit plus tard, dans la soirée, tandis qu'elle furetait derrière la porte du salon, partager leurs craintes quant à la technologie à venir en règle générale : les puces électroniques, les implants sous la peau, les machines productives et déjà les machines de guerre. Demain, les androïdes accompliraient toutes les tâches subalternes, et l'algorithme des intelligences artificielles régentant le monde d'internet et de la finance allait se développer croissant. A les entendre, 1984 ou le Meilleur des mondes devait advenir d'une manière ou d'une autre, crainte toute contemporaine et peu justifiée si l'on s'en tient aux thématiques fortes des deux ouvrages (le totalitarisme et, en fait, le principe même d'un pouvoir parvenu à son paroxysme ; l'eugénisme et la hiérarchie sociale fixée par la manipulation génétique) qui n'ont pas grand-chose à voir avec la technologie robotique.

Pauline avait de toute urgence besoin de l'avis de l'un de ses pairs, car à l'inverse des adultes, eux, ils ne mâchaient pas leur mots. Mais une angoisse plus grande encore la saisit : elle fut obligée de se rendre compte qu'elle n'avait personne de son âge à qui s'ouvrir, personne qui ne la comprendrait ; les filles jouaient à la marelle et parlaient des garçons, de la maîtresse, de ce qui passait à la télévision sur W9 ou NRJ12, de vidéos et de clips uploadés sur youtube... Quant aux garçons, elle ne parlait vraiment à aucun d'entre eux. Il lui semblait que, passé la maternelle, un gouffre les avait toujours soigneusement tenus à distance, elle et eux. Mais la vérité était plus funeste encore : Pauline n'était pas aimée pour tout un tas de raisons, elle sociabilisait peu avec ses camarades et, le temps allant, elle s'éloignait du monde et se réfugiait dans ses livres et dans ses dessins, dans son imagination.
Au total, Pauline bouda la visite chez ses grands-parents le dimanche suivant. Au retour de son père, il lui fut dit que c'était dommage, que ce n'était pas bien de s'enfermer toute une journée sans rien faire alors qu'apparemment, d'après les propos de papy, Pauline et lui avaient tout un programme prévu pour aujourd'hui... Pauline imagina son grand-père déçu, seul avec Palette dans son atelier et n'osant toucher à rien. Elle se le reprocha et faillit en pleurer, mais une même question la tiraillait toujours : avaient-ils le droit de risquer la destruction de l'humanité en poursuivant leur rêve ?

Toute la nuit elle y réfléchit, se disant d'abord qu'ils avaient été inconscients, qu'ils n'avaient pas le droit de menacer l'Homme ainsi. Mais, tout compte fait, qu'est-ce que c'était que l'Homme, que l'humanité ? C'étaient tous ses camarades de classes et leurs idiots de parents ? Ces vilaines filles qui avaient toujours leur vilain mot à dire ou refusaient de lui parler ? Peu lui en coûtait de voir cette humanité-la disparaître ! Mais tout de même, ces filles ne méritaient pas ça, et puis, aussi, son père, sa mère, ses grands-parents, ils faisaient partis de l'humanité... Elle mena ainsi de longs raisonnements moraux basés sur une peur enfantine jusqu'au mercredi suivant. Ce jour-là, elle se décida à retrouver son grand-père, convaincue qu'une discussion honnête résoudrait tous les problèmes.

Quand son papy la vit sur le seuil, il s'en réjouit ; lorsqu'elle eut fini de lui confesser ses craintes, il ria fort et, sans comprendre l'origine de ses chimères, il lui assura que rien de tel ne pouvait advenir par la simple confection d'un automate rudimentaire. Elle reprit vie, ils reprirent leur activité avec une ferveur décuplé, Palette eut une main de grand garçon avant le début de soirée.


C'était bientôt la fin de l'année scolaire quand la maîtresse annonça un grand projet : d'ici le dernier jour de classe, ils devaient tous avoir achevé la construction ou la création d'un objet ou d'une œuvre, et la présenter devant la classe ; les dernières heures seraient consacrés à cela. Pauline, qui redoutait fort toute prise de parole, angoissait au point de vouloir sécher la classe ce jour-là. Elle ne put cacher longtemps le projet de la maîtresse à ses parents, et bientôt son papy l'apprit et lui dit tout de go : « Mais ta création, tu l'as ! C'est l'automate qu'on a créé ! » Ces deux mots furent libérateurs. La fierté qu'elle avait d'avoir créé Palette, l'orgueil qu'elle en retirerait à le présenter devant sa classe et, surtout, ce moyen inespéré de pouvoir communiquer sa personnalité, ses émotions, son vécu, à tous ses camarades qu'elle n'avait pas mais aurait voulu fréquenter, toutes ces émotions et cette perspective étaient plus puissantes que toutes ses appréhensions farouches ; le jeudi 07 juillet, Pauline allait montrer Palette aux enfants de sa classe, elle en était certaine. 

Bertrand, heureux de l'enthousiasme de sa petite-fille, lui proposa de voir encore plus loin, de poser d'ici là une série d'améliorations supplémentaires afin que Palette ressemble à un véritable grand garçon !

Le matin de ce jeudi tant attendu, Pauline poussait sur une planche à roulette le robot devenu grand jusqu'à son école. La réaction des élèves ne se fit pas attendre. Avant même l'entrée en classe,  nombres d'entre eux s'attroupèrent autour d'elle pour la presser de questions. Certains passionnés, d'autres incrédules, la plupart tout simplement curieux de ce que ce grand bonhomme de bois était capable de faire. 

Le suspens ne dura pas. Une fois tous installés, la majorité exhorta Pauline à présenter son œuvre en première. Elle s'exécuta et, quand ils virent les rotations des deux bras dont l'automate était maintenant capable, la précision et la vitesse du mouvement, ils poussèrent des clameurs admiratives. D'autres, moins impressionnés par la technique, appréciaient davantage l'apparence de Palette, sorte de sculpture en bois de la taille d'un adulte, d'apparence humaine, ayant pour visage celui d'un personnage de cartoon, avec ses gros yeux amicaux qui inspiraient la joie. On lui posa toute une série de questions auxquelles elle répondit avec grand plaisir ; elle était si heureuse qu'elle en oubliait sa timidité. Au terme d'un petit quart d'heure, plus personne n'ignorait les loisirs et la sensibilité de Pauline, tous la trouvaient intéressante, et peut-être quelques garçons commençaient à l'aimer.
Toutefois, une gêne provisoire s'installa par la suite, car ceux qui devaient prendre la suite des présentations se sentaient bien ridicules en comparaison, avec leurs petites maquettes et dessins... Mais nul sentiment jaloux ne naquit de trop, c'est certain, puisqu'à l'heure de midi on déplora pour la première fois le fait que Pauline fut externe, ne pouvant par conséquent pas se joindre à une table au réfectoire scolaire ; qu'elle fut entouré d'un groupe d'enfants à la récréation, qui déplorèrent aussi que c'était déjà la fin de l'année et qu'ils n'avaient pas assez joués ensemble, tout ce temps. Enfin, quand la dernière heure sonna et que Pauline se dirigea vers le portail où l'attendait sa mère, toujours en poussant Palette sur sa planche à roulette, plusieurs camarades vinrent la trouver et lui dirent plusieurs choses : bonnes vacances et à l'année prochaine, ça va de soi, mais aussi que tout l'été on pourrait se voir au parc de la Citadelle, le matin, qu'on pouvait aussi s'appeler à ce numéro de téléphone, laissé sur un bout de feuille, que Marion habitait au 15 rue Liautey, ce n'était pas loin, qu'elle pouvait appeler, passer à l'improviste l'après-midi, si ça lui disait... Pauline en était toute émue, elle voyait s'ouvrir les portes d'un monde qu'elle n'avait jamais cru pouvoir arpenter. Elle raconta tout cela à son papy, et ce dernier, qui dans le fond s'était toujours inquiété de la sociabilité de la fillette, lui fit part de ses meilleurs vœux pour l'été qui s'ouvrait, non pas plein de santé mais plein de soleil et d'amitiés !

Pauline, dès le lendemain, fit ceci dans l'ordre : elle alla au parc le matin, téléphona à une nouvelle copine en début d'après-midi – chez laquelle elle se rendit aussitôt – téléphona chez une autre fille le soir, avec qui elle avait sympathisé au parc, plus tôt... Les meilleurs vœux d'été de Bertrand se réalisaient lors d'un mois de juillet brûlant comme on n'en vit peu. Pauline était constamment à l'extérieur, si bien que sa mère dut se résoudre à lui acheter un téléphone portable, pour  la contacter où qu'elle fût. En une semaine déjà elle avait un répertoire pleins d'amis, et deux garçons rivalisaient pour lui plaire. Au début du mois d'août elle partit deux semaines en vacances avec ses parents ; rentrée le 15, elle renoua rapidement avec la fille de la rue Liautey, avec les copains du parc, et elle fit la promesse, à deux autres filles, de s'inscrire avec elles à la gymnastique en septembre prochain.

Entre-temps, ses visites chez les grands-parents s'étaient naturellement espacées. A l'origine régulières, elle devinrent irrégulières, puis rares. A titre d'exemple, dès le mois d'août, elle n'était allé les voir que deux fois, et n'était entré dans l'atelier qu'une seule fois, pour retrouver Palette qui n'avait pas changé depuis le début de juillet. Ce jour-là, elle avait promis de revenir plus souvent, au moment d'embrasser chaleureusement son papy mais, Bertrand n'étant pas naïf, bien qu'il ne doutait pas que la fillette fut sincère, il présageait que la vie qu'elle s'était forgée loin de l'atelier et de leur passion commune allait accaparer le gros de ses préoccupations et de son temps, que cela irait grandissant puisqu'elle entamait sa dernière année de primaire ; dans douze mois elle entrerait au collège, entamerait sa puberté, des changements importants allaient se faire qui la conduiraient toujours davantage vers les autres de son âge. La petite fille oublierait vite ce qui n'avait été qu'un instant de son enfance. De toute manière, c'était écrit : pour tous les deux, le temps devait courir de manière différente et les éloigner à jamais. Pour Pauline, chaque journée équivaudrait au changement d'une année entière chez l'adulte –  révolution constante des sens, des attentes, de la mémoire, des aspirations –  ; pour Bertrand, dix ans passeraient que les changements se résumeraient à la désagrégation physico-cognitive... Elle au printemps, lui en hiver, dit la chanson, et il est vrai que les grives chantaient, vivaient et  ne s'épandaient librement dans l'air que dans un paysage printanier. C'était inimaginable qu'ils en firent de même avec un plumage chargé de flocons de neige. Elles fuyaient l'hiver comme les jeunes oiseaux regorgeant de vie...


La dynamique suivie par Pauline ne s'interrompit pas au collège. Elle travaillait comme jamais pour  se maintenir à 18 de moyenne générale, prenait des cours de chant, le soir, en plus de la gymnastique du mercredi après-midi ;sortait avec ses copines après les cours, puis avec son copain le samedi... Elle ne venait plus voir ses grands-parents que quand ses parents s'y rendaient eux-même, ne pénétrait plus dans l'atelier, ne prononçait plus le nom de Palette et, pour être plus juste, il nous aurait plutôt fallu dire ceci : Pauline ne se rendait chez ses grands-parents que quand son père, presque toujours seul autrement, s'y rendait lui-même. Sa mère, qui toujours avait eu une attitude distante et des propos mesurés en compagnie de ses beaux-parents, ne les voyait plus qu'une à deux fois dans l'année.

Ce qui surprenait Pauline, parfois, c'était que ce comportement n'entraînait jamais de disputes entre ses parents. Ils préféraient, comme ça arrive souvent, s'engueuler pour des broutilles, laisser éclater une frustration longuement contenue pour des choses anodines, des troubles du quotidien, comme l'ouverture d'une porte de couloir en hiver, la fermeture ou non d'un pot de cornichon, le choix du programme télévisuel... Ce comportement absurde et apparemment indigne d'un adulte peut être considéré comme un moyen de survie : moyen de faire survivre le couple, la famille, l'institution de toute une vie alors que tout bat de l'aile. Le mécanisme est très simple : il arrive tout d'abord que le temps a raison des beaux sentiments, le couple entre dans le quotidien et la neurasthénie, cela engendre des frustrations que les individus tentent de rationaliser. Ce faisant, le souvenir des fautes du conjoint se manifeste incessamment pour expliquer le désenchantement présent, et sa charge émotionnelle devient radicale. Il est alors reproché au conjoint, entre autres, de ne jamais nous avoir défendu quand nous faisions face aux propos et sous-entendus vexants de notre belle-maman, des années auparavant. Et le quotidien nous enlisant, et les souvenirs nous irritants, nous oublions les engagements et nous ne tolérons plus le passé, nous laissons jaillir par moments notre ressentiment. Seulement, il jaillit d'une telle manière que la rupture consommée dans le coeur n'est jamais trop visible, elle n'éclate qu'à des moments inopportuns au sujet de problèmes anodins...

Ainsi, quand la mère hurlait contre le père, ce n'est pas parce qu'il avait laissé trop longtemps un mauvais courant d'air dans le salon, non, c'est parce que la frustration ressentie au quotidien et les mauvais souvenirs qu'elle ressassait lui avaient fait haïr son mari ; elle gueulait en apparence pour un courant d'air et, de cette manière, se délestait de sa charge émotionnelle sans qu'il n'y eut eu de conséquence. En effet, qu'en aurait-il été si, au lieu de cela, elle lui avait gueulé toute la réalité, à savoir qu'elle ne l'aimait ni ne le supportait plus, les matins, quand il venait lui prendre les lèvres pour lui dire bonjour ?

Arrivé au stade où ils en étaient, le désengagement d'un des deux conjoints s'ensuivit rapidement de celui du second. Madame ne venait plus voir beau-papa et belle-maman, ne servait plus que des plats réchauffés le soir ? Très bien, je n'irai plus jamais voir la belle-mère !

Et au milieu de tout cela, l'enfant en pleine puberté se sentait rejeté dans un monde lâche et froid, il ne comprenait plus son père et sa mère et se refusait petit à petit à communiquer avec eux ; voici Pauline, 13 ans, qui avait pour quotidien de famille la torpeur douloureuse ou le remue-ménage constants. Elle apprit à garder sa langue en présence des deux, de peur de déclencher une dispute entre ces deux sans coeur dont elle se sentirait injustement coupable ; elle apprit à chérir ses amies et à cultiver constamment son cercle social afin de ne jamais se retrouver seule, comme cela, tout un week-end avec ses parents sans personne de son âge avec qui sortir. Depuis longtemps elle ne pensait plus à la maison de papy et à l'atelier pour se réfugier.

Un jour, tout sembla changer du tout au tout. Pauline eut la surprise de trouver sa mère enjouée. Celle-ci lui parla de bien des choses, lui en demanda autant d'autres, lui proposa toute une série d'activités à faire entre mère et fille, pour renouer leur lien elle disait... Son père ne mit pas longtemps à emboîter le pas de sa femme, lui aussi se révéla exagérément tendre et attentif, disponible... Ils avaient tous deux pris conscience de ce qui importait le plus, ils étaient entrés en compétition pour, la question du divorce venait d'être posée une première fois. Pauline souffrait de cette attention nouvelle après des mois d'un climat froid et grinçant. Les griffes ! c'étaient bien des griffes qu'ils avaient ! Ses parents étaient de vicieux rapaces qui l'utilisaient pour blesser l'autre dans leur lutte de pouvoir, voilà ce qu'elle voyait elle !... Elle renouait un peu avec ses souvenirs d'enfance et se dit tout d'abord comme ça avait été bon... Et puis non. La grisaille du présent imprimant sa marque sur la relecture du passé, Pauline se dit que peut-être elle avait été idiote, que tout n'avait été que supercherie, hypocrisie, que les adultes avaient cachés dans leur apparente tendresse des motifs au moins aussi dégoûtant que ceux qu'elle découvrait à présent : la compétition pour l'affection de leur fille, sans égard pour ses sentiments à elle... Pauline décida de tirer un trait sur ses souvenirs et sa famille, elle s'impliqua encore davantage dans son travail.


L'affaire fut réglée avant la fin de l'année. Comme il arrive à peu près toujours, c'est à madame qu'échut la garde de l'enfant. Pauline dit au revoir à son quartier moyen en périphérie urbaine pour s'installer en plein centre-ville d'une ville éloignée, un petit appartement croulant sous le poids des années et des travaux qui n'avaient pas été fait. Pas une seconde Pauline rechigna ou reprocha quoi que ce fût ouvertement à ses parents, elle conserva une attitude apathique vis-à-vis d'eux deux pendant quelques années, construisit sa vie de jeune fille le cœur très loin du leur... Il lui fallut cheminer longtemps avant de comprendre les faiblesses de ses parents, de pardonner leur trahison, de reconsidérer la chose et de comprendre qu'il n'y avait en fait jamais eu trahison, juste le tourbillon des sentiments, le tourbillon de la vie et, définitivement, les faiblesses qui font que l'Homme ne peut pas toujours se targuer d'avoir le comportement d'un adulte, même à quarante ans passés...

Pauline avait dix-neuf ans quand elle fixa irrémédiablement toutes ces considérations matures qui avaient progressivement émergées entre sa treizième et sa dix-neuvième année ; elle se dirigeait dans un restaurant où son père, de passage, l'avait invitée. Bien qu'ils se voyaient plusieurs fois dans le trimestre et des semaines entières pendant les vacances, Pauline avait l'impression que ce jour-la serait décisif, qu'enfin ils renoueraient réellement, tous les deux ; lui avait considérablement vieilli et elle mûrie, lui avait besoin d'affection et elle besoin de donner la sienne. En entrant dans le restaurant où son père était attablé, elle se pencha sur lui et l'enlaça chaudement. Ils discutèrent  d'énormément de sujet à cœur ouvert, on parla même de maman en bons termes et des choses du passé. Ils rirent tendrement un moment encore, avant que son père ne prit un ton plus sérieux servant à masquer quelque émotion forte ; la gêne, le désarroi, la tristesse, quelque ton dans ces registres-la.

« Te souviens-tu de pépé ? qu'on allait voir près d'Illkirch ? »
Il était pour elle une brume, un de ses souvenirs décomposé en fragments qui semblaient éclairés par une lumière rendant le tout flou, mais si chaleureux.
« Bien sûr, répondit-elle, il jouait beaucoup avec moi quand j'avais huit ans ».
Quelque chose à quoi elle n'avait plus songé depuis longtemps était sur le point de lui revenir... ça y était : papy, mamy, la maison, l'école primaire et ses premiers amis dont elle avait conservé quelques-uns...
« J'ai hésité à te le dire car il ne souhaitait pas que tu le saches, mais il est en très mauvaise santé, il n'en a sans doute plus pour longtemps. »

Les soubresauts de son père et le tremblement dans sa voix avaient interrompu le fil des réminiscences de Pauline...Papy, oui, elle n'était pas venue le voir depuis près de deux ans, et avant cela elle ne l'avait revu qu'une à deux fois l'an... Elle fixa son père dont le regard était vague, vit toute sa douleur et crut partager les mêmes pensées : affligées. Il s'ensuivit un bref silence qui parut long, terriblement long du point de vue de Pauline qui passa par toute une gamme d'émotions : la surprise, la terreur, la crainte et la honte de réaliser qu'elle ne l'avait pas revu depuis si longtemps, la crainte que son père ne lui en voulut pour son comportement et la condamna dans son cœur, l'envie de fuir, là, tout de suite... la tristesse, enfin, sincère, à un certain degré, de savoir ce brave homme de son enfance dans un si piteux état...

Elle prit la main de son père qui tremblait depuis la révélation, et, heureuse, elle sentit cette dernière lui serrer tendrement la sienne en réponse et, en paix, elle contempla le visage dévasté mais souriant de son père et sentit une larme lui couler des paupières à ses joues... Pauline, en pleurs, recevait comme qui dirait l'absolution par ses proches, son père, ses émotions tendres et sincères que le divorce et la longue apathie n'avaient fait qu'enfouir ; elle s'était reproché depuis des mois d'avoir été cruelle avec son entourage familial.
Ils se dirent des mots simples mais tendres à voix basse, puis ils convinrent d'une visite à l'hôpital.


Cette après-midi-la il y avait du soleil. Contraste avec la grisaille habituelle, la vie de famille de Pauline, contraste monstrueux ou non avec ce qu'elle allait vivre... Toute la visite durant et les jours suivant – bien des années après également – Pauline ne parvint pas à fixer la teneur tragique ou heureuse de l'instant ; tout fut si ambigu, si franchement vivant tout compte fait, qu'il était difficile d'incliner vers un pôle. Pauline avait franchi le hall en compagnie de son père, décliné vaguement son identité à l'accueil, fendu les houles de blouses blanches et de lit à roulettes, atteint une chambre de la dernière aile consacrée aux patients qualifiés d'« instables » et, dans le cas de son grand-père : en phase terminale.

Avant même que la porte ne s'ouvrit, Pauline ressentit un frisson ; l'appréhension de la mort lui suggéra une curieuse fascination. A son entrée dans la pièce, Pauline embrassa toute la scène du regard, et  crut véritablement qu'un souffle la gelait sur place tant la vue l'impressionnait, tant tout l'avait conditionné à éprouver quelque trouble sentiment. Dans la chambre, il y avait une vieillarde au chevet d'un vieillard alité. Des poches de liquides pendaient aux côtés du lit, des tuyaux transparents étaient plantés dans le bras du patient, deux autres  glissés sous son nez... Voici Bertrand, le vieil homme avec qui Pauline jouait et riait dans son enfance, malade, léssivé, l'expression aussi étrangère et absente que celle qui conviendrait à un être éthéré.

Pauline suivit son père qui alla embrasser la grand-mère puis le grand-père, en apparence nonchalamment, peut-être fut-ce l'habitude de toutes ses visites dont il n'avait pas dit un mot à sa fille... Pauline se dirigea vers les bras de ses grands-parents comme elle signerait de la croix, munie d'un goupillon imbibé d'eau bénite, le cercueil de son grand-père déjà en terre dans quelques semaines : le pas chancelant mais inarrêtable, les jambes et l'esprit comme ensorcelés.

Elle reçut un accueil des plus chaleureux, la bonhomie de grand-mère qu'elle avait presque oubliée, l'enfantine gaieté de grand-père qui avait levé les bras comme un nouveau-né vers sa mère. On ne reprocha à Pauline strictement rien, on parla tout aussi gaiement de sa mère en en demandant des nouvelles – c'est à peine si l'on évoqua le temps passé sans s'être vu, mais pépé ne disait presque pas  un mot...

C'était sous l'apparent bonheur qui régnait ici la rude vérité : Bertrand était une épave. Bertrand le sachant, avait imposé à son fils le silence afin que Pauline ne le vît pas dans cet état qui s'était considérablement aggravé depuis l'année dernière. Encore ces dernières semaines, il avait des scrupules à l'idée de la revoir, dans ses rares instants de lucidité où il comprenait que Pauline avait grandi, que ce presque quinquagénaire n'était pas un vieil ami revenu de la côte d'Ambre, mais son fils, que sa femme, aussi désirable par le passé, était bien devenu cette carcasse de peau plissé et d'odeurs puantes masquées sous les couches de parfum...

Dans cette chambre impersonnelle et  peuplée de carcasses, carcasses de la chair, carcasses du cœur et du souvenir, fragilité de l'être et de la famille sous tous leurs aspects, Pauline admira chacun des personnages et crut grandir de douze ans. Tout était exemplaire après tout : l'apparente gaieté de sa grand-mère et de son père, qui cachaient autant d'amour que de dévotion, l'apparente sérénité du grand-père qui, fatigué et convaincu de ne pouvoir plus dire que des inepties, se taisait le gros du temps mais rendait en sourires tout ce qui était dit, toutes les tentatives pour lui signifier qu'on était là, gai, qu'on se souviendrait de lui et ne s'offusquerait jamais de son cerveau ramollo, qu'on demeurerait à ses côtés jusqu'au dernier instant et après...
Pauline elle-même se jugea belle, belle et coupable au passé de ne pas avoir demandé d'elle-même des nouvelles du grand-père, belle et sage à présent d'avoir su grandir et rouvrir son cœur.

En sortant de l'hôpital, à chaque petit pas, c'est comme une bille de souvenir qui toquait gentiment aux parois de sa mémoire : pépé, mémé, leur maison dans le petit village excentré, encore composé de vieilles maisons croulantes et de vastes friches agricoles...


C'est par un temps pluvieux, plus convenable, que Bertrand fut enterré. L'église paroissiale du petit village, une incomplète famille et une quinzaine d'amis, de simples voisins, un caveau familial dans l'angle nord-est du cimetière communal... Rendue avec son père et sa grand-mère, Pauline se dirigeait à pas vacillants vers le parvis de l'église, comme si une fois encore son corps ne lui appartenait plus et était la proie d'un quelconque esprit. Elle avait banalement appris le décès de son grand-père : un message vocal de son père laissé sur son répondeur téléphonique, pendant qu'elle était en cours. Le soir, après le message, elle alla à son cours de danse comme si de rien n'était,  ria avec ses amis de façade, rentra sans un mot, sans un pleur, se déshabilla, se doucha, mangea un morceau puis se coucha dans le lit double de son petit studio... Elle était complément pantoise, les larmes ne lui venaient pas, une curieuse impression la figea longtemps avant qu'elle ne trouva le sommeil. Elle avait eu raison d'aller à la danse plus tôt, autrement elle n'aurait su que faire et serait resté là, débile, assise sur le bord de son lit sans rien dire ni faire, pendant des heures ; il est bon dans ces instants-la de suivre le mouvement d'un groupe, de se remettre, littéralement, aux mains des autres.

Engourdie par ce souvenir d'il y a trois jours, Pauline arriva devant les marches de l'église pour découvrir un spectacle qui la stupéfia. Des hommes en noirs, quatre, attendaient autour d'un meuble à roulettes sur lequel était étendu un drap violet. Pauline, ébahie, était effrayée : elle crut que ce meuble fut le cercueil où reposait son grand-père, posé là, comme ça, presque à l'air libre à la vue de tous.  Elle n'avait jamais réfléchi à la matérialité de la mort et encore moins aux rites catholiques l'entourant, mais il lui apparut soudain que c'était impur et irrespectueux de laisser une dépouille, même dans sa boîte, à l'extérieur d'un édifice... Elle trouverait plus tard, au grès de ses lectures, des parallèles troublants à établir entre ce qu'elle avait si naturellement éprouvée et ce que les civilisations hellènes, puis romaines, disaient de la mort, des miasmes, etc.

Elle salua quelques proches éloignés et reçut timidement des mots de réconforts. On entra dans le temple, s'assit à un banc, un officiant en robe blanche s'avança, suivi d'une femme pour les chants, l'orgue se fit entendre un instant et puis tout se tut, le silence avant le discours du curé ponctué de psaumes qui acheva de jeter une atmosphère si profondément solennelle que Pauline ressentit d'emblée ce que pouvait être la foi : un profond élancement du cœur, de la ferveur, l'intuition profonde que quelque chose de très haut préside aux phénomènes, à ceux de la vie et de la mort. Au moment de sortir des rangs et d'avancer un cierge près du cercueil du défunt, ce sentiment se renforça ; après qu'on lui eut tendu le goupillon dans le cimetière, devant la fosse non encore recouverte où le cercueil de son grand-père était déjà en place, l'intensité des émotions fut telle au moment de faire son signe de croix et de verser des goûtes d'eau bénite, qu'elle crut véritablement à Dieu, à la magie, à l'ésotérisme ; tout de transcendant dans les domaines du fantastique et du mythologique lui agréait : le ciel crachant franchement sa pluie devait être une entité vivante et supérieure, son caractère évoluer au grès des âmes qui lui étaient envoyées, des vivants qui restaient en bas...
C'est troublée par ces illusions folles qu'elle devait encore mener sa journée jusqu'à son paroxysme mémorable, dont elle se souviendrait toute sa vie.

Le rituel achevé, les mots de circonstances adressés au personnel de l'église, des pompes funèbres,  aux ouvriers chargés d'enterrer les morts, on se rendit chez la veuve de Bertrand Dufour, l'une des rares maisons construite dans les années soixante-dix, un gros carré de crépis où Pauline avait passé la plupart de ses dimanches et de ses mercredis après-midi, du temps où elle était en CM1. Nostalgique, assurément, goûte à goûte des détails insignifiants, auxquels elle accordait une grande importance maintenant, lui revenaient à la diable : les entrées et desserts que servait sa grand-mère, les grandes discussions qui partaient parfois en désaccord entre le père et le fils, à l'heure du café, le jeux de baby foot, qui réconciliait ou agaçait tout le monde, au choix, l'atelier où papy n'avait pas cessé de bricoler ni d'émerveiller ceux qui venaient le voir...

Grand-mère et quelques convives évoquèrent tout cela à l'heure du goûter. Une fois le temps des pleurs, de la communion, des derniers adieux passés, c'était le temps de la réunion des vivants, la fin des afflictions, le temps où il nous faut revenir à la vie et songer à l'avenir. On y va tous de son souvenir éloquent du défunt, on trinque une dernière fois à sa mémoire avec n'importe quoi, on parle enfin un peu de soi, puis d'eux, de ces grands-oncles, grandes-tantes, cousins et grands-cousins, vieux amis qu'on n'a pas revu depuis long, qui ont tant ou si peu changés, dont on se sent soudain si proche et qu'on aime vraiment, à qui l'on promet très sincèrement et le cœur chaud de se revoir... Dans le deuil,il arrive fréquemment que les familles éprouvent le besoin de se ressouder. Mais, comme c'est souvent le cas, les émotions sincères et brûlantes d'un instant ne président pas à la trajectoire de l'avenir. Retour à la vie d'avant, enlisé dans cette neurasthénie du quotidien,  les bonnes résolutions ne sont pas suivies et ne demeure plus que le souvenir amer des promesses que l'on n'a pas tenu, que l'on croit ne plus pouvoir tenir alors qu'il n'en est rien, que l'on trouverait toujours le visage radieux de l'autre en réponse, en dépit des mois et des années s'étant écoulées...
Vint le tour de Pauline de faire son oraison funèbre de Bertrand. Elle évoqua bien sûr les âges d'enfance, la dernière visite à l'EPAHD... Elle parla de l'atelier sommairement en même temps qu'une idée lui venait en tête. Quand elle eut fini, sa grand-mère lui dit que l'atelier avait peu changé, que Bertrand y avait travaillé jusqu'à l'année dernière, jusqu'au moment où il fut jugé trop dangereux de le laisser manipuler le fer à souder, la scie, le marteau, avec sa cervelle pire que retombée en enfance... Depuis on avait fermé l'atelier à clé, grand-mère elle-même n'y était plus entrée, et si Pauline voulait y jeter un œil, eh bien ! voici la clé !...
Pauline, en sortant des toilettes, fit un détour dans le sous-sol avant de retourner au salon. Outre le garage, le bas de l'escalier en spirale, il y avait une vieille porte en bois, effectivement verrouillée. Pauline se souvint comme par le passé elle y était entrée à la dérobée et s'était cachée bien une heure dedans, le temps pour ses grands-parents de s'inquiéter et le temps pour elle de parfaire son exploration du monde.

Pauline inséra la clé dans la rude serrure, un clac se fit se fit ouïr et sitôt, dans un long grincement, la porte s'ouvrit sur un gouffre obscur suintant la poussière et le moisi. Pauline se souvint que l'on se gelait ici en hiver, que si l'on n'activait pas spécifiquement un petit radiateur électrique pour cette pièce-ci, tout le corps s'en allait en gerçures et éternuement ; si la grand-mère n'avait pas songé à activer une seule fois le radiateur au cours de l'hiver dernier, avec les infiltrations d'air évidentes qu'il y avait, tout ce qui était de miteux en texture comme en odeur dans les meubles et objets en bois avait dû se tuméfier... C'était bien le cas en effet, l'atmosphère était désagréable et il y manquait tout de la suie, de la simple poussière et de l'odeur de bois sec et brûlé, comme au temps de papi et du fer à souder, de la scie, de la lampe vétuste...

Avançant dans l'obscurité presque parfaite à tâtons, Pauline parvint à mettre la main sur une vieille lampe à pile qui dessina un faisceau orange dans le noir, révéla le complet débarras de cet atelier qui, Pauline se le figura bien, avait effectivement était le terrain de jeu d'un grand enfant de soixante -dix ans... Elle avait connu l'atelier mieux rangé, moins encombré du moins, et un vieil homme affairé de dos, ou de profil, toujours en contre-plongé, toujours la banane aux lèvres et des nébuleuses pleins les yeux... Elle visualisait à présent le fatras, et pire encore ! les folles humeurs d'un vieil alzheimer déambulant et laissant tous ses projets en place, et déréglant toutes les expérimentations passées, telle une fée attardée prisonnière d'une carcasse branlante.
Pauline dirigea le faisceau à droite et à gauche, dessinant de drôles de courbes autour d'elle, découvrant tous les coins, avant de découvrir un visage humain à deux pas de sa tête et de manquer de défaillir... Un temps. Le cri ne vint pas, le bon en arrière ne s'exécuta pas, la lampe ne heurta pas le sol et le faisceau continua d'être pointé à une hauteur d'épaule... Pauline, après un moment glaçant d'une stupeur mortelle, souffla, pouffa, puis rit franchement de bon cœur avant de pleurer, pleurer, véritablement pleurer pour la première fois depuis le décès de grand-père : devant elle, il y avait ce visage humain qu'elle avait imaginé, dont elle avait formé les traits à la colle et à la peinture, aux fins outils de rabotage, cette face si adorable qu'elle avait présentée devant une classe de primaire à la fin d'une année, cet être de bois gigantesque qu'ils avaient construits à deux, le défunt et elle, cette réalisation formidable et tout ce qui l'avait entourée, tout ce qu'elle avait longtemps oubliée à force de n'y plus songer, de s'en tenir loin et d'être demeurée rivée sur ses écrasants problèmes immédiats – les parents, le divorce, les amis, les garçons, les examens, les premières vraies larmes, les premiers rudes accrocs, les chocs durables, ceux qui marquent un caractère et une trogne à jamais...

Pauline se souvint de tout cela et en même temps qu'elle pleurait – contre elle, pour elle, pour papi, contre et pour les phases successives de son enfance à son adolescence et à son jeune âge adulte –, l'idée qui avait commencé à germer timidement depuis les conversations familiales, après l'enterrement, éclot tout à fait : ce qui s'était passé ici avait était déterminant. Plus qu'un instant de son passé, plus qu'un souvenir aigre et doux, ça avait été la conception de Palette et le développement de son imaginaire d'enfant ; les améliorations successives apportées à l'automate et la sensibilité que s'étaient forgés la fillette et le grand-père à deux ; la présentation de Palette devant une classe ébahie, qui avait marqué tout compte fait le début de sa transition vers le monde social, qu'elle n'avait jamais quitté depuis et où elle y avait trouvé tant de peines et de joies, d'instants douloureux mais si formateurs, d'instants si chaleureux où elle avait pu s'extraire de sa tristesse de sa vie de famille écorchée... Enfin, cette année d'élaboration du robot, ça avait été l'année où elle avait commencé à se cultiver déjà sérieusement en science mécanique. Désormais en première année de prépa ingénieur, caressant le bois humide et collant de Palette, elle inclinait à penser que ces moments dans l'atelier avaient hautement présidés à son avenir, que cette rêche bouille d'humain en bois était l'aboutissement d'un rêve entre un vieillard et une petite fille, tout petit rêve à la hauteur de leur être tout fragile mais si beau...







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Re : L'automate
« Réponse #1 le: 22 septembre 2021 à 09:28:07 »
Bonjour,

bon je t'avais un peu "ramassé" sur ton texte sur les chiens et les femmes. On n'est pas obligé de penser la même chose sur tout mais en l'occurrence, il m'a semblé normal que les types lambda su forum se parle entre eux pour se dire ce qu'ils acceptent ou  non.
Bref.
L'automate.
C'est un beau texte avec des très beaux passages.
Ma critique principale serait que : allége le un peu... dans le sens de resserrer et d'écarter ( resserrer la forme et écarter ce qui sort du propos)

Je t'ai mis d'autres infos au fil de la lecture.

B

[spoiler][Forme
question
orthographe ou temps


La première fois qu'il a bougé, il n'avait pas de nom. Son premier mouvement fut la difficile rotation de son bras unique, les jointures raides comme les articulations grinçantes d'un grabataire. Le premier son qu'il émit fut un craquement sec, le bruit des branches d'arbres qui ploient sous le vent de l'hiver. A son commencement il n'avait qu'une fonction, qu'un objectif qui le faisait se mouvoir, la recherche d'un cube vert et ocre à l'autre bout d'une table. Le premier râle que l'on entendit ne fut pas le sien. Il en fut de même du premier cri enthousiaste, à demi étouffé, maladroitement jailli de la bouche d'une petite fille...   ( d'où on ne sait pas à qui apartient le râle)

Palette n'était alors qu'un bras mécanique avec des composantes en bois. Il effectuait une rotation à 90° avant de revenir à son point d'origine. Il n'avait rien pour conscience ou pour existence. Il se saisissait d'un carré quand on le lui indiquait par la pression d'un bouton rouge et gris, et voilà. Sa venue au monde avait toutefois nécessité des semaines d'un labeur harassant, et sa présence dessinait déjà des rêves et un horizon mirifique dans les prunelles de ce vieillard aux mains usés, de cette fillette à la bouche grande ouverte. Lui l'avait créé, elle avait assisté à sa confection, l'un comme l'autre allaient nouer un lien précieux entre un grand-père et une petite-fille, dont le socle serait l'automate dont la construction était à poursuivre. ( un peu trop de rallonges dans cette phrase, pour moi bien sûr)

Les mercredis après-midi et les dimanches, parce que Pauline n'allait plus à la piscine et parce que la petite famille rendait visite aux grands-parents, les deux compères s'enfermaient dans l'atelier où ils agençaient « Palette » à petits pas. ( tu es sur que l'histoire de la piascine soit necessaire,... il y a d'autres passages peut-être qui pourrait être effacé sans qu'ils nous manquent vraiment dans ce texte)On discutait de revoir son socle et son circuit mécanique pour qu'il puisse effectuer une rotation sommaire, mais totale. Puis on changea du tout au tout son membre, lui ajouta deux articulations supplémentaires afin qu'il puisse effectuer un mouvement plus complexe. On graissa les jointures, polit le membre, et voici Palette devenu un grand bras  capable de déplacer un objet de poids léger d'une surface plane à une autre, sans risquer de le faire tomber. Devant ce premier succès en commun, les deux amis bondirent de joie, ils s'enlacèrent vivement et se promirent de poursuivre la réalisation de Palette. Cette nuit-là, ils s'endormirent des rêves pleins la tête, le vieillard comme la fillette, tous deux avaient hâte d'être à demain pour pouvoir réfléchir à tête reposé aux améliorations à fournir dimanche prochain. ( généralement, je trouve l'utilisation des pronoms personnels assez interessante pour créer des décalages. Tu utililises le on, puis les deux amis, puis ils... alors je m'interroge sur ton choix de narration )

Ils poursuivirent cette routine un petit moment. C'était l'occasion pour Bertrand, longuement retraité, de ne pas perdre le pied avec les jeunes générations et, partant, avec le monde ; c'était l'occasion d'offrir toute la tendresse et toute l'affection qu'il n'avait su donner à quiconque pendant toutes ses années de labeur où il s'était oublié dans le travail à la chaîne. Quant à Pauline, c'était tout un tas de choses qui la faisaient venir : la chaleur du chauffage dans la maison de pépé, en hiver, l'odeur de planche et de cambouis dans l'atelier, l'éclairage ternie des vieilles ampoules jaunes, le discret son de Palette qui ronronnait quand on appuyait sur le bouton, le visage et les histoires gaies de pépé, sa bouille de petit papa noël, son timbre si doux et ses mots maladroits, son sourire d'enfant émerveillé quand il bricolait et lui expliquait le fonctionnement de deux-trois mécanismes, son sourire quand il la voyait se mettre elle-même au travail, quand elle lui proposait des idées farfelues et qu'il buvait ses paroles, ému... ( ces cinq derniers mots sont ils necessaires... l'énumération précédente est bien suffisante me semble t-il pour que l'on comprenne et saississse pleinement à qui on a affaire, je trouve que ça tire le portrait vers le pathos)

« Et tu sais ce qui serait super, papy ? fit-elle un jour. Ce serait d'en faire un gigantesque garçon géant,  gros cooooome ça ! » Elle mimait la largeur du robot de ses rêves avec ses petits bras étirés à leur maximum. Bertrand trouva cela charmant et lui proposa d'abord de donner une main à Palette, de changer la pince qui terminait son bras mécanique en quelque chose à cinq doigts, quelque chose « d'anthropique » ( si c'est le personnage qui parle ça peut le faire, si c'est le narrateur, je crois que le bon mot serait antropomorphique (, anthropique ça voudrait plutîot dire « Fait par un être humain ; dû à l'existence et à la présence d'humains. wiki), prélude à la création d'un gigantesque garçon de bois. Ils s'y attelèrent les week-ends et les mercredis suivants, Pauline dessinant, mesurant, son papy taillant le bois avec peu de succès au début...

Un soir où l'on regardait la télévision, Pauline descendit dans le salon pour trouver ses parents apeurés devant un film de science-fiction bouleversant. Il y avait des robots sanguinaires, une humanité déchirée, une guerre harassante qui les opposait et la victoire qui se profilait pour les êtres de ferraille qui singeaient leurs créateurs en tous points, qui avaient développés une conscience leur permettant de se rebeller contre le joug de leurs dieux. Voyant cela, Pauline fut terrorisée. Elle pressa ses parents de questions tandis qu'eux s'offusquèrent qu'elle ne fût pas au lit, mais, comprenant que rien n'y ferait, que la fillette était apeurée, qu'il fallait la rassurer, ils lui tinrent de tendres propos apaisants avant de lui souhaiter la bonne nuit. Pauline n'en était pas moins profondément angoissée ; elle les entendit plus tard, dans la soirée, tandis qu'elle furetait derrière la porte du salon, partager leurs craintes quant à la technologie à venir en règle générale : les puces électroniques, les implants sous la peau, les machines productives et déjà les machines de guerre. Demain, les androïdes accompliraient toutes les tâches subalternes, et l'algorithme des intelligences artificielles régentant le monde d'internet et de la finance allait se développer croissant. A les entendre, 1984 ou le Meilleur des mondes devait advenir d'une manière ou d'une autre, crainte toute contemporaine et peu justifiée si l'on s'en tient aux thématiques fortes des deux ouvrages (le totalitarisme et, en fait, le principe même d'un pouvoir parvenu à son paroxysme ; l'eugénisme et la hiérarchie sociale fixée par la manipulation génétique) qui n'ont pas grand-chose à voir avec la technologie robotique. ( je trouve ce passage plus faible que le reste)

Pauline avait de toute urgence besoin de l'avis de l'un de ses pairs, car à l'inverse des adultes, eux, ils ne mâchaient pas leur mots. Mais une angoisse plus grande encore la saisit : elle fut obligée de se rendre compte qu'elle n'avait personne de son âge à qui s'ouvrir, personne qui ne la comprendrait ; les filles jouaient à la marelle et parlaient des garçons, de la maîtresse, de ce qui passait à la télévision sur W9 ou NRJ12, de vidéos et de clips uploadés sur youtube... Quant aux garçons, elle ne parlait vraiment à aucun d'entre eux. Il lui semblait que, passé la maternelle, un gouffre les avait toujours soigneusement tenus à distance, elle et eux. Mais la vérité était plus funeste encore : Pauline n'était pas aimée pour tout un tas de raisons, elle sociabilisait peu avec ses camarades et, le temps allant, elle s'éloignait du monde et se réfugiait dans ses livres et dans ses dessins, dans son imagination.
Au total, Pauline bouda la visite chez ses grands-parents le dimanche suivant. Au retour de son père, il lui fut dit que c'était dommage, que ce n'était pas bien de s'enfermer toute une journée sans rien faire alors qu'apparemment, d'après les propos de papy, Pauline et lui avaient tout un programme prévu pour aujourd'hui... Pauline imagina son grand-père déçu, seul avec Palette dans son atelier et n'osant toucher à rien. Elle se le reprocha et faillit en pleurer, mais une même question la tiraillait toujours : avaient-ils le droit de risquer la destruction de l'humanité en poursuivant leur rêve ? ( celui ci aussi... Ca doit faire partie des éléments que tu pourrais élaguer, éclaircir à mon avis. Les deux paragraphes précédents)

Toute la nuit elle y réfléchit, se disant d'abord qu'ils avaient été inconscients, qu'ils n'avaient pas le droit de menacer l'Homme ainsi. Mais, tout compte fait, qu'est-ce que c'était que l'Homme, que l'humanité ? C'étaient tous ses camarades de classes et leurs idiots de parents ? Ces vilaines filles qui avaient toujours leur vilain mot à dire ou refusaient de lui parler ? Peu lui en coûtait de voir cette humanité-la disparaître ! Mais tout de même, ces filles ne méritaient pas ça, et puis, aussi, son père, sa mère, ses grands-parents, ils faisaient partis de l'humanité... Elle mena ainsi de longs raisonnements moraux basés sur une peur enfantine jusqu'au mercredi suivant. Ce jour-là, elle se décida à retrouver son grand-père, convaincue qu'une discussion honnête résoudrait tous les problèmes. ( étrange cette introspection. Je me demande si la narration doit s'insérer si profondément dans les pensées, ou rester dans le factuel et la description avec parfois quelques petits aperçus d'affect)

Quand son papy la vit sur le seuil, il s'en réjouit ; lorsqu'elle eut fini de lui confesser ses craintes, il ria fort et, sans comprendre l'origine de ses chimères, il lui assura que rien de tel ne pouvait advenir par la simple confection d'un automate rudimentaire. Elle reprit vie, ils reprirent leur activité avec une ferveur décuplé, Palette eut une main de grand garçon avant le début de soirée.


C'était bientôt la fin de l'année scolaire quand la maîtresse annonça un grand projet : d'ici le dernier jour de classe, ils devaient tous avoir achevé la construction ou la création d'un objet ou d'une œuvre, et la présenter devant la classe ; les dernières heures seraient consacrés à cela. Pauline, qui redoutait fort toute prise de parole, angoissait au point de vouloir sécher la classe ce jour-là. Elle ne put cacher longtemps le projet de la maîtresse à ses parents, et bientôt son papy l'apprit et lui dit tout de go : « Mais ta création, tu l'as ! C'est l'automate qu'on a créé ! » Ces deux mots furent libérateurs. La fierté qu'elle avait d'avoir créé Palette, l'orgueil ( orgueil ou fierté , on se pose toujours la question. Je pencherais pour fierté)qu'elle en retirerait à le présenter devant sa classe et, surtout, ce moyen inespéré de pouvoir communiquer sa personnalité, ses émotions, son vécu, à tous ses camarades qu'elle n'avait pas mais aurait voulu fréquenter, toutes ces émotions et cette perspective étaient plus puissantes que toutes ses appréhensions farouches ( farouches, necessaire?); le jeudi 07 juillet, Pauline allait montrer Palette aux enfants de sa classe, elle en était certaine. 

Bertrand, heureux de l'enthousiasme de sa petite-fille, lui proposa de voir encore plus loin, de poser d'ici là une série d'améliorations supplémentaires afin que Palette ressemble à un véritable grand garçon !

Le matin de ce jeudi tant attendu, Pauline poussait (poussa, je pense) sur une planche à roulette le robot devenu grand jusqu'à son école. La réaction des élèves ne se fit pas attendre. Avant même l'entrée en classe,  nombres d'entre eux s'attroupèrent autour d'elle pour la presser de questions. Certains passionnés, d'autres incrédules, la plupart tout simplement curieux de ce que ce grand bonhomme de bois était capable de faire. 

Le suspens ne dura pas. Une fois tous installés, la majorité exhorta Pauline à présenter son œuvre en première. Elle s'exécuta et, quand ils virent les rotations des deux bras dont l'automate était maintenant capable, la précision et la vitesse du mouvement, ils poussèrent des clameurs admiratives. D'autres, moins impressionnés par la technique, appréciaient davantage l'apparence de Palette, sorte de sculpture en bois de la taille d'un adulte, d'apparence humaine, ayant pour visage celui d'un personnage de cartoon, avec ses gros yeux amicaux qui inspiraient la joie. On lui posa toute une série de questions auxquelles elle répondit avec grand plaisir ; elle était si heureuse qu'elle en oubliait sa timidité. Au terme d'un petit quart d'heure, plus personne n'ignorait les loisirs et la sensibilité de Pauline, tous la trouvaient intéressante, et peut-être quelques garçons commençaient à l'aimer.
Toutefois, une gêne provisoire s'installa par la suite, car ceux qui devaient prendre la suite des présentations se sentaient bien ridicules en comparaison, avec leurs petites maquettes et dessins... Mais nul sentiment jaloux ne naquit de trop, c'est certain, puisqu'à l'heure de midi on déplora pour la première fois le fait que Pauline fut externe, ne pouvant par conséquent pas se joindre à une table au réfectoire scolaire ; qu'elle fut entouré d'un groupe d'enfants à la récréation, qui déplorèrent aussi que c'était déjà la fin de l'année et qu'ils n'avaient pas assez joués ensemble, tout ce temps. Enfin, quand la dernière heure sonna et que Pauline se dirigea vers le portail où l'attendait sa mère, toujours en poussant Palette sur sa planche à roulette, plusieurs camarades vinrent la trouver et lui dirent plusieurs choses : bonnes vacances et à l'année prochaine, ça va de soi, mais aussi que tout l'été on pourrait se voir au parc de la Citadelle, le matin, qu'on pouvait aussi s'appeler à ce numéro de téléphone, laissé sur un bout de feuille, que Marion habitait au 15 rue Liautey, ce n'était pas loin, qu'elle pouvait appeler, passer à l'improviste l'après-midi, si ça lui disait... Pauline en était toute émue, elle voyait s'ouvrir les portes d'un monde qu'elle n'avait jamais cru pouvoir arpenter. Elle raconta tout cela à son papy, et ce dernier, qui dans le fond s'était toujours inquiété de la sociabilité de la fillette, lui fit part de ses meilleurs vœux pour l'été qui s'ouvrait, non pas plein de santé mais plein de soleil et d'amitiés !

Pauline, dès le lendemain, fit ceci dans l'ordre : elle alla au parc le matin, téléphona à une nouvelle copine en début d'après-midi – chez laquelle elle se rendit aussitôt – téléphona chez une autre fille le soir, avec qui elle avait sympathisé au parc, plus tôt... Les meilleurs vœux d'été de Bertrand se réalisaient lors d'un mois de juillet brûlant comme on n'en vit peu. Pauline était constamment à l'extérieur, si bien que sa mère dut se résoudre à lui acheter un téléphone portable, pour  la contacter où qu'elle fût. En une semaine déjà elle avait un répertoire pleins d'amis, et deux garçons rivalisaient pour lui plaire. Au début du mois d'août elle partit deux semaines en vacances avec ses parents ; rentrée le 15, elle renoua rapidement avec la fille de la rue Liautey, avec les copains du parc, et elle fit la promesse, à deux autres filles, de s'inscrire avec elles à la gymnastique en septembre prochain. ( pareil, ce passage me semble trop long, trop détaillé. Les deux paragraphes précédents)

Entre-temps, ses visites chez les grands-parents s'étaient naturellement espacées. A l'origine régulières, elle devinrent irrégulières, puis rares. A titre d'exemple, dès le mois d'août, elle n'était allé les voir que deux fois, et n'était entré dans l'atelier qu'une seule fois, pour retrouver Palette qui n'avait pas changé depuis le début de juillet ( tu dois pouvoir ramasser ces quatre lignes en moins mais plus « intense » au niveau dramatique). Ce jour-là, elle avait promis de revenir plus souvent, au moment d'embrasser chaleureusement son papy mais, Bertrand n'étant pas naïf, bien qu'il ne doutait pas que la fillette fut sincère, il présageait que la vie qu'elle s'était forgée loin de l'atelier et de leur passion commune allait accaparer le gros de ses préoccupations et de son temps, que cela irait grandissant puisqu'elle entamait sa dernière année de primaire ; dans douze mois elle entrerait au collège, entamerait sa puberté, des changements importants allaient se faire qui la conduiraient toujours davantage vers les autres de son âge. La petite fille oublierait vite ce qui n'avait été qu'un instant de son enfance. De toute manière, c'était écrit : pour tous les deux, le temps devait courir de manière différente et les éloigner à jamais. ( de même pour les lignes précedentes, trop d'explications à mon gout) Pour Pauline, chaque journée équivaudrait au changement d'une année entière chez l'adulte –  révolution constante des sens, des attentes, de la mémoire, des aspirations –  ; pour Bertrand, dix ans passeraient que les changements se résumeraient à la désagrégation physico-cognitive... Elle au printemps, lui en hiver, dit la chanson, et il est vrai que les grives chantaient, vivaient et  ne s'épandaient librement dans l'air que dans un paysage printanier. C'était inimaginable qu'ils en firent de même avec un plumage chargé de flocons de neige. Elles fuyaient l'hiver comme les jeunes oiseaux regorgeant de vie...  ( ton narrateur est peut- être ici trop présent, on ressent trop sa pensée et ses sentiments... bon, c'est peut-être ce que tu souhaites... mais ça nous éloigne des personnages)


La dynamique suivie par Pauline ne s'interrompit pas au collège. Elle travaillait comme jamais pour  se maintenir à 18 de moyenne générale, prenait des cours de chant, le soir, en plus de la gymnastique du mercredi après-midi ;sortait avec ses copines après les cours, puis avec son copain le samedi... Elle ne venait plus voir ses grands-parents que quand ses parents s'y rendaient eux-même, ne pénétrait plus dans l'atelier, ne prononçait plus le nom de Palette et, pour être plus juste, il nous aurait plutôt fallu dire ceci : Pauline ne se rendait chez ses grands-parents que quand son père, presque toujours seul autrement, s'y rendait lui-même. Sa mère, qui toujours avait eu une attitude distante et des propos mesurés en compagnie de ses beaux-parents, ne les voyait plus qu'une à deux fois dans l'année.

Ce qui surprenait Pauline, parfois, c'était que ce comportement n'entraînait jamais de disputes entre ses parents. Ils préféraient, comme ça arrive souvent, s'engueuler pour des broutilles, laisser éclater une frustration longuement contenue pour des choses anodines, des troubles du quotidien, comme l'ouverture d'une porte de couloir en hiver, la fermeture ou non d'un pot de cornichon, le choix du programme télévisuel... Ce comportement absurde et apparemment indigne d'un adulte peut être considéré comme un moyen de survie : moyen de faire survivre le couple, la famille, l'institution de toute une vie alors que tout bat de l'aile. Le mécanisme est très simple : il arrive tout d'abord que le temps a raison des beaux sentiments, le couple entre dans le quotidien et la neurasthénie, cela engendre des frustrations que les individus tentent de rationaliser. Ce faisant, le souvenir des fautes du conjoint se manifeste incessamment pour expliquer le désenchantement présent, et sa charge émotionnelle devient radicale. Il est alors reproché au conjoint, entre autres, de ne jamais nous avoir défendu quand nous faisions face aux propos et sous-entendus vexants de notre belle-maman, des années auparavant. Et le quotidien nous enlisant, et les souvenirs nous irritants, nous oublions les engagements et nous ne tolérons plus le passé, nous laissons jaillir par moments notre ressentiment. Seulement, il jaillit d'une telle manière que la rupture consommée dans le coeur n'est jamais trop visible, elle n'éclate qu'à des moments inopportuns au sujet de problèmes anodins...

Ainsi, quand la mère hurlait contre le père, ce n'est pas parce qu'il avait laissé trop longtemps un mauvais courant d'air dans le salon, non, c'est parce que la frustration ressentie au quotidien et les mauvais souvenirs qu'elle ressassait lui avaient fait haïr son mari ; elle gueulait en apparence pour un courant d'air et, de cette manière, se délestait de sa charge émotionnelle sans qu'il n'y eut eu de conséquence. En effet, qu'en aurait-il été si, au lieu de cela, elle lui avait gueulé toute la réalité, à savoir qu'elle ne l'aimait ni ne le supportait plus, les matins, quand il venait lui prendre les lèvres pour lui dire bonjour ?

Arrivé au stade où ils en étaient, le désengagement d'un des deux conjoints s'ensuivit rapidement de celui du second. Madame ne venait plus voir beau-papa et belle-maman, ne servait plus que des plats réchauffés le soir ? Très bien, je n'irai plus jamais voir la belle-mère !

Et au milieu de tout cela, l'enfant en pleine puberté se sentait rejeté dans un monde lâche et froid, il ne comprenait plus son père et sa mère et se refusait petit à petit à communiquer avec eux ; voici Pauline, 13 ans, qui avait pour quotidien de famille la torpeur douloureuse ou le remue-ménage constants. Elle apprit à garder sa langue en présence des deux, de peur de déclencher une dispute entre ces deux sans coeur dont elle se sentirait injustement coupable ; elle apprit à chérir ses amies et à cultiver constamment son cercle social afin de ne jamais se retrouver seule, comme cela, tout un week-end avec ses parents sans personne de son âge avec qui sortir. Depuis longtemps elle ne pensait plus à la maison de papy et à l'atelier pour se réfugier. (l'enfant, il, elle... ça géne un peu)

Un jour, tout sembla changer du tout au tout. Pauline eut la surprise de trouver sa mère enjouée. Celle-ci lui parla de bien des choses, lui en demanda autant d'autres, lui proposa toute une série d'activités à faire entre mère et fille, pour renouer leur lien elle disait... Son père ne mit pas longtemps à emboîter le pas de sa femme, lui aussi se révéla exagérément tendre et attentif, disponible... Ils avaient tous deux pris conscience de ce qui importait le plus, ils étaient entrés en compétition pour, la question du divorce venait d'être posée une première fois. Pauline souffrait de cette attention nouvelle après des mois d'un climat froid et grinçant. Les griffes ! c'étaient bien des griffes qu'ils avaient ! Ses parents étaient de vicieux rapaces qui l'utilisaient pour blesser l'autre dans leur lutte de pouvoir, voilà ce qu'elle voyait elle !... Elle renouait un peu avec ses souvenirs d'enfance et se dit tout d'abord comme ça avait été bon... Et puis non. La grisaille du présent imprimant sa marque sur la relecture du passé, Pauline se dit que peut-être elle avait été idiote, que tout n'avait été que supercherie, hypocrisie, que les adultes avaient cachés dans leur apparente tendresse des motifs au moins aussi dégoûtant que ceux qu'elle découvrait à présent : la compétition pour l'affection de leur fille, sans égard pour ses sentiments à elle... Pauline décida de tirer un trait sur ses souvenirs et sa famille, elle s'impliqua encore davantage dans son travail.


L'affaire fut réglée avant la fin de l'année. Comme il arrive à peu près toujours, c'est à madame qu'échut la garde de l'enfant. Pauline dit au revoir à son quartier moyen en périphérie urbaine pour s'installer en plein centre-ville d'une ville éloignée, un petit appartement croulant sous le poids des années et des travaux qui n'avaient pas été fait. Pas une seconde Pauline rechigna ou reprocha quoi que ce fût ouvertement à ses parents, elle conserva une attitude apathique vis-à-vis d'eux deux pendant quelques années, construisit sa vie de jeune fille le cœur très loin du leur... Il lui fallut cheminer longtemps avant de comprendre les faiblesses de ses parents, de pardonner leur trahison, de reconsidérer la chose et de comprendre qu'il n'y avait en fait jamais eu trahison, juste le tourbillon des sentiments, le tourbillon de la vie et, définitivement, les faiblesses qui font que l'Homme ne peut pas toujours se targuer d'avoir le comportement d'un adulte, même à quarante ans passés...
( bon... je ne sais pas si l'histoire du divorce des parents doit être aussi largement développée. C'est important dans l'histoire de la petite fille mais ce qui nous interesse tout particulièrement dans cette histoire, c'est la relation avec le grand père, cristallisée par Palette)

Pauline avait dix-neuf ans quand elle fixa irrémédiablement toutes ces considérations matures qui avaient progressivement émergées entre sa treizième et sa dix-neuvième année( pas trop compris cette phrase) ; elle se dirigeait dans un restaurant où son père, de passage, l'avait invitée. Bien qu'ils se voyaient plusieurs fois dans le trimestre et des semaines entières pendant les vacances, Pauline avait l'impression que ce jour-la serait décisif, qu'enfin ils renoueraient réellement, tous les deux ; lui avait considérablement vieilli et elle mûrie, lui avait besoin d'affection et elle besoin de donner la sienne. En entrant dans le restaurant où son père était attablé, elle se pencha sur lui et l'enlaça chaudement. Ils discutèrent  d'énormément de sujet à cœur ouvert, on parla même de maman en bons termes et des choses du passé. Ils rirent tendrement un moment encore, avant que son père ne prit un ton plus sérieux servant à masquer quelque émotion forte ; la gêne, le désarroi, la tristesse, quelque ton dans ces registres-la.

« Te souviens-tu de pépé ? qu'on allait voir près d'Illkirch ? »
Il était pour elle une brume, un de ses souvenirs décomposé en fragments qui semblaient éclairés par une lumière rendant le tout flou, mais si chaleureux.
« Bien sûr, répondit-elle, il jouait beaucoup avec moi quand j'avais huit ans ».
Quelque chose à quoi elle n'avait plus songé depuis longtemps était sur le point de lui revenir... ça y était : papy, mamy, la maison, l'école primaire et ses premiers amis dont elle avait conservé quelques-uns...
« J'ai hésité à te le dire car il ne souhaitait pas que tu le saches, mais il est en très mauvaise santé, il n'en a sans doute plus pour longtemps. »

Les soubresauts de son père et le tremblement dans sa voix avaient interrompu le fil des réminiscences de Pauline... ( des soubresauts, tu es sûr?) Papy, oui, elle n'était pas venue le voir depuis près de deux ans, et avant cela elle ne l'avait revu qu'une à deux fois l'an... Elle fixa son père dont le regard était vague, vit toute sa douleur et crut partager les mêmes pensées : affligées. Il s'ensuivit un bref silence qui parut long, terriblement long du point de vue de Pauline qui passa par toute une gamme d'émotions : la surprise, la terreur, la crainte et la honte de réaliser qu'elle ne l'avait pas revu depuis si longtemps, la crainte que son père ne lui en voulut pour son comportement et la condamna dans son cœur, l'envie de fuir, là, tout de suite... la tristesse, enfin, sincère, à un certain degré, de savoir ce brave homme de son enfance dans un si piteux état...

Elle prit la main de son père qui tremblait depuis la révélation, et, heureuse, elle sentit cette dernière lui serrer tendrement la sienne en réponse et, en paix, elle contempla le visage dévasté mais souriant de son père et sentit une larme lui couler des paupières à ses joues... ( faudrait que tu reprennes le « serrage de mains » à mon avis... ça mériterait un passage plus travaillé) Pauline, en pleurs, recevait comme qui dirait ( comme qui dirait, si ton narrateur avait employé des formules de ce type auparavant, ça serait dans l'ambiance, mais je ne crois pas... alors c'est un curieux surgissement d'un vocabulaire familier) l'absolution par ses proches, son père, ses émotions tendres et sincères que le divorce et la longue apathie n'avaient fait qu'enfouir ; elle s'était reproché depuis des mois d'avoir été cruelle avec son entourage familial.
Ils se dirent des mots simples mais tendres à voix basse, puis ils convinrent d'une visite à l'hôpital.


Cette après-midi-la il y avait du soleil. Contraste avec la grisaille habituelle, la vie de famille de Pauline, contraste monstrueux ou non avec ce qu'elle allait vivre... Toute la visite durant et les jours suivant – bien des années après également – Pauline ne parvint pas à fixer la teneur tragique ou heureuse de l'instant ; tout fut si ambigu, si franchement vivant tout compte fait, qu'il était difficile d'incliner vers un pôle. ( c'est un peu confus ces 4 lignes préécédentes) Pauline avait franchi le hall en compagnie de son père, décliné vaguement son identité à l'accueil, fendu les houles de blouses blanches et de lit à roulettes, atteint une chambre de la dernière aile consacrée aux patients qualifiés d'« instables » et, dans le cas de son grand-père : en phase terminale. ( Peut être plusieurs phrases pour toutes ces actions...)

Avant même que la porte ne s'ouvrit, Pauline ressentit un frisson ; l'appréhension de la mort lui suggéra une curieuse fascination . A son entrée dans la pièce, Pauline embrassa toute la scène du regard, et  crut véritablement qu'un souffle la gelait sur place tant la vue l'impressionnait, tant tout l'avait conditionné à éprouver quelque trouble sentiment. Dans la chambre, il y avait une vieillarde au chevet d'un vieillard alité. Des poches de liquides pendaient aux côtés du lit, des tuyaux transparents étaient plantés dans le bras du patient, deux autres  glissés sous son nez... Voici Bertrand, le vieil homme avec qui Pauline jouait et riait dans son enfance, malade, léssivé, l'expression aussi étrangère et absente que celle qui conviendrait à un être éthéré. ( je trouve l'idée du conditionnement très bonne... mais elle peine à passer)

Pauline suivit son père qui alla embrasser la grand-mère puis le grand-père, en apparence nonchalamment, peut-être fut-ce l'habitude de toutes ses visites dont il n'avait pas dit un mot à sa fille... Pauline se dirigea vers les bras de ses grands-parents comme elle signerait de la croix, munie d'un goupillon imbibé d'eau bénite, le cercueil de son grand-père déjà en terre dans quelques semaines : le pas chancelant mais inarrêtable, les jambes et l'esprit comme ensorcelés.

Elle reçut un accueil des plus chaleureux, la bonhomie de grand-mère qu'elle avait presque oubliée, l'enfantine gaieté de grand-père qui avait levé les bras comme un nouveau-né vers sa mère. On ne reprocha à Pauline strictement rien, on parla tout aussi gaiement de sa mère en en demandant des nouvelles – c'est à peine si l'on évoqua le temps passé sans s'être vu, mais pépé ne disait presque pas  un mot...

C'était sous l'apparent bonheur qui régnait ici la rude vérité : Bertrand était une épave. Bertrand le sachant, avait imposé à son fils le silence afin que Pauline ne le vît pas dans cet état qui s'était considérablement aggravé depuis l'année dernière. Encore ces dernières semaines, il avait des scrupules à l'idée de la revoir, dans ses rares instants de lucidité où il comprenait que Pauline avait grandi, que ce presque quinquagénaire n'était pas un vieil ami revenu de la côte d'Ambre, mais son fils, que sa femme, aussi désirable par le passé, était bien devenu cette carcasse de peau plissé et d'odeurs puantes masquées sous les couches de parfum... ( le glissement entre les pensées de Pauline et Bertrand est très important, peut être qu'il nous manque ici, un rien d'empathie, un rien d'engagement dans la narration pour qu'on ressente)

Dans cette chambre impersonnelle et  peuplée de carcasses, carcasses de la chair, carcasses du cœur et du souvenir, fragilité de l'être et de la famille sous tous leurs aspects, Pauline admira chacun des personnages et crut grandir de douze ans. Tout était exemplaire après tout : l'apparente gaieté de sa grand-mère et de son père, qui cachaient autant d'amour que de dévotion, l'apparente sérénité du grand-père qui, fatigué et convaincu de ne pouvoir plus dire que des inepties, se taisait le gros du temps mais rendait en sourires tout ce qui était dit, toutes les tentatives pour lui signifier qu'on était là, gai, qu'on se souviendrait de lui et ne s'offusquerait jamais de son cerveau ramollo, qu'on demeurerait à ses côtés jusqu'au dernier instant et après...
Pauline elle-même se jugea belle, belle et coupable au passé de ne pas avoir demandé d'elle-même des nouvelles du grand-père, belle et sage à présent d'avoir su grandir et rouvrir son cœur.
( par contre ce passage, ne me semble pas très utile... je pense que ça doit resserrer autoutour de pauline-Bertrand... mais c'est un avis essentiellement fondé sur l'histoire pas sur ce que tu ressens toi en tant qu'auteur)
En sortant de l'hôpital, à chaque petit pas, c'est comme une bille de souvenir qui toquait gentiment aux parois de sa mémoire : pépé, mémé, leur maison dans le petit village excentré, encore composé de vieilles maisons croulantes et de vastes friches agricoles... ( là c'est peut être aussi un lieu pour faire remonter d'autres images, d'autres sensations)


C'est par un temps pluvieux, plus convenable, que Bertrand fut enterré. L'église paroissiale du petit village, une incomplète famille et une quinzaine d'amis, de simples voisins, un caveau familial dans l'angle nord-est du cimetière communal... Rendue avec son père et sa grand-mère, Pauline se dirigeait à pas vacillants vers le parvis de l'église, comme si une fois encore son corps ne lui appartenait plus et était la proie d'un quelconque esprit. Elle avait banalement appris le décès de son grand-père : un message vocal de son père laissé sur son répondeur téléphonique, pendant qu'elle était en cours. Le soir, après le message, elle alla à son cours de danse comme si de rien n'était,  ria avec ses amis de façade, rentra sans un mot, sans un pleur, se déshabilla, se doucha, mangea un morceau puis se coucha dans le lit double de son petit studio... Elle était complément pantoise, les larmes ne lui venaient pas, une curieuse impression la figea longtemps avant qu'elle ne trouva le sommeil. Elle avait eu raison d'aller à la danse plus tôt, autrement elle n'aurait su que faire et serait resté là, débile, assise sur le bord de son lit sans rien dire ni faire, pendant des heures ; il est bon dans ces instants-la de suivre le mouvement d'un groupe, de se remettre, littéralement, aux mains des autres.

Engourdie par ce souvenir d'il y a trois jours, Pauline arriva devant les marches de l'église pour découvrir un spectacle qui la stupéfia. Des hommes en noirs, quatre, attendaient autour d'un meuble à roulettes sur lequel était étendu un drap violet. Pauline, ébahie, était effrayée : elle crut que ce meuble fut le cercueil où reposait son grand-père, posé là, comme ça, presque à l'air libre à la vue de tous.  Elle n'avait jamais réfléchi à la matérialité de la mort et encore moins aux rites catholiques l'entourant, mais il lui apparut soudain que c'était impur et irrespectueux de laisser une dépouille, même dans sa boîte, à l'extérieur d'un édifice... Elle trouverait plus tard, au grès de ses lectures, des parallèles troublants à établir entre ce qu'elle avait si naturellement éprouvée et ce que les civilisations hellènes, puis romaines, disaient de la mort, des miasmes, etc.

Elle salua quelques proches éloignés et reçut timidement des mots de réconforts. On entra dans le temple, s'assit à un banc, un officiant en robe blanche s'avança, suivi d'une femme pour les chants, l'orgue se fit entendre un instant et puis tout se tut, le silence avant le discours du curé ponctué de psaumes qui acheva de jeter une atmosphère si profondément solennelle que Pauline ressentit d'emblée ce que pouvait être la foi : un profond élancement du cœur, de la ferveur, l'intuition profonde que quelque chose de très haut préside aux phénomènes, à ceux de la vie et de la mort. Au moment de sortir des rangs et d'avancer un cierge près du cercueil du défunt, ce sentiment se renforça ; après qu'on lui eut tendu le goupillon dans le cimetière, devant la fosse non encore recouverte où le cercueil de son grand-père était déjà en place, l'intensité des émotions fut telle au moment de faire son signe de croix et de verser des goûtes d'eau bénite, qu'elle crut véritablement à Dieu, à la magie, à l'ésotérisme ; tout de transcendant dans les domaines du fantastique et du mythologique lui agréait : le ciel crachant franchement sa pluie devait être une entité vivante et supérieure, son caractère évoluer au grès des âmes qui lui étaient envoyées, des vivants qui restaient en bas...
C'est troublée par ces illusions folles qu'elle devait encore mener sa journée jusqu'à son paroxysme mémorable, dont elle se souviendrait toute sa vie.
( je suis sceptique quant à ce passage où s'entassent foule de propos : mystique, factuel, sentimental...)

Le rituel achevé, les mots de circonstances adressés au personnel de l'église, des pompes funèbres,  aux ouvriers chargés d'enterrer les morts, on se rendit chez la veuve de Bertrand Dufour, l'une des rares maisons construite dans les années soixante-dix, un gros carré de crépis où Pauline avait passé la plupart de ses dimanches et de ses mercredis après-midi, du temps où elle était en CM1. Nostalgique, assurément, goûte à goûte des détails insignifiants, auxquels elle accordait une grande importance maintenant, lui revenaient à la diable : les entrées et desserts que servait sa grand-mère, les grandes discussions qui partaient parfois en désaccord entre le père et le fils, à l'heure du café, le jeux de baby foot, qui réconciliait ou agaçait tout le monde, au choix, l'atelier où papy n'avait pas cessé de bricoler ni d'émerveiller ceux qui venaient le voir...

Grand-mère et quelques convives évoquèrent tout cela à l'heure du goûter. Une fois le temps des pleurs, de la communion, des derniers adieux passés, c'était le temps de la réunion des vivants, la fin des afflictions, le temps où il nous faut revenir à la vie et songer à l'avenir. On y va tous de son souvenir éloquent du défunt, on trinque une dernière fois à sa mémoire avec n'importe quoi, on parle enfin un peu de soi, puis d'eux, de ces grands-oncles, grandes-tantes, cousins et grands-cousins, vieux amis qu'on n'a pas revu depuis long, qui ont tant ou si peu changés, dont on se sent soudain si proche et qu'on aime vraiment, à qui l'on promet très sincèrement et le cœur chaud de se revoir... Dans le deuil,il arrive fréquemment que les familles éprouvent le besoin de se ressouder. Mais, comme c'est souvent le cas, les émotions sincères et brûlantes d'un instant ne président pas à la trajectoire de l'avenir. Retour à la vie d'avant, enlisé dans cette neurasthénie du quotidien,  les bonnes résolutions ne sont pas suivies et ne demeure plus que le souvenir amer des promesses que l'on n'a pas tenu, que l'on croit ne plus pouvoir tenir alors qu'il n'en est rien, que l'on trouverait toujours le visage radieux de l'autre en réponse, en dépit des mois et des années s'étant écoulées...
Vint le tour de Pauline de faire son oraison funèbre de Bertrand. Elle évoqua bien sûr les âges d'enfance, la dernière visite à l'EPAHD... Elle parla de l'atelier sommairement en même temps qu'une idée lui venait en tête. Quand elle eut fini, sa grand-mère lui dit que l'atelier avait peu changé, que Bertrand y avait travaillé jusqu'à l'année dernière, jusqu'au moment où il fut jugé trop dangereux de le laisser manipuler le fer à souder, la scie, le marteau, avec sa cervelle pire que retombée en enfance... Depuis on avait fermé l'atelier à clé, grand-mère elle-même n'y était plus entrée, et si Pauline voulait y jeter un œil, eh bien ! voici la clé !...
Pauline, en sortant des toilettes, fit un détour dans le sous-sol avant de retourner au salon. Outre le garage, le bas de l'escalier en spirale, il y avait une vieille porte en bois, effectivement verrouillée. Pauline se souvint comme par le passé elle y était entrée à la dérobée et s'était cachée bien une heure dedans, le temps pour ses grands-parents de s'inquiéter et le temps pour elle de parfaire son exploration du monde.
( ce passage est trop long, et nous disperse... il nous fait trainer devant le seuil de l'atelier, c'est là que nous savons qu'il va se passer des trucs... on attend et on espère ne pas être déçu)

Pauline inséra la clé dans la rude serrure, un clac se fit se fit ouïr et sitôt, dans un long grincement, la porte s'ouvrit sur un gouffre obscur suintant la poussière et le moisi. Pauline se souvint que l'on se gelait ici en hiver, que si l'on n'activait pas spécifiquement un petit radiateur électrique pour cette pièce-ci, tout le corps s'en allait en gerçures et éternuement ; si la grand-mère n'avait pas songé à activer une seule fois le radiateur au cours de l'hiver dernier, avec les infiltrations d'air évidentes qu'il y avait, tout ce qui était de miteux en texture comme en odeur dans les meubles et objets en bois avait dû se tuméfier... C'était bien le cas en effet, l'atmosphère était désagréable et il y manquait tout de la suie, de la simple poussière et de l'odeur de bois sec et brûlé, comme au temps de papi et du fer à souder, de la scie, de la lampe vétuste...
(première impression, on est un peu déçu mais cette deception nous surprend... c'est bien)
Avançant dans l'obscurité presque parfaite à tâtons, Pauline parvint à mettre la main sur une vieille lampe à pile qui dessina un faisceau orange dans le noir, révéla le complet débarras de cet atelier qui, Pauline se le figura bien, avait effectivement était le terrain de jeu d'un grand enfant de soixante -dix ans... Elle avait connu l'atelier mieux rangé, moins encombré du moins, et un vieil homme affairé de dos, ou de profil, toujours en contre-plongé, toujours la banane aux lèvres et des nébuleuses pleins les yeux... Elle visualisait à présent le fatras, et pire encore ! les folles humeurs d'un vieil alzheimer déambulant et laissant tous ses projets en place, et déréglant toutes les expérimentations passées, telle une fée attardée prisonnière d'une carcasse branlante.
( effectivement on est loin de ce que l'on pensait : de la remontée des souvenirs et de la nostalgie... on prend l'usure et la déchance en plein front)
Pauline dirigea le faisceau à droite et à gauche, dessinant de drôles de courbes autour d'elle, découvrant tous les coins, avant de découvrir un visage humain à deux pas de sa tête et de manquer de défaillir... Un temps. Le cri ne vint pas, le bon en arrière ne s'exécuta pas, la lampe ne heurta pas le sol et le faisceau continua d'être pointé à une hauteur d'épaule... Pauline, après un moment glaçant d'une stupeur mortelle, souffla, pouffa, puis rit franchement de bon cœur avant de pleurer, pleurer, véritablement pleurer pour la première fois depuis le décès de grand-père : devant elle, il y avait ce visage humain qu'elle avait imaginé, dont elle avait formé les traits à la colle et à la peinture, aux fins outils de rabotage, cette face si adorable qu'elle avait présentée devant une classe de primaire à la fin d'une année, cet être de bois gigantesque qu'ils avaient construits à deux, le défunt et elle, cette réalisation formidable et tout ce qui l'avait entourée, tout ce qu'elle avait longtemps oubliée à force de n'y plus songer, de s'en tenir loin et d'être demeurée rivée sur ses écrasants problèmes immédiats – les parents, le divorce, les amis, les garçons, les examens, les premières vraies larmes, les premiers rudes accrocs, les chocs durables, ceux qui marquent un caractère et une trogne à jamais... ( très bon ce passage... racourcir un poil les trois dernières lignes)

Pauline se souvint de tout cela et en même temps qu'elle pleurait – contre elle, pour elle, pour papi, contre et pour les phases successives de son enfance à son adolescence et à son jeune âge adulte –, l'idée qui avait commencé à germer timidement depuis les conversations familiales, après l'enterrement, éclot tout à fait : ce qui s'était passé ici avait était déterminant. Plus qu'un instant de son passé, plus qu'un souvenir aigre et doux, ça avait été la conception de Palette et le développement de son imaginaire d'enfant ; les améliorations successives apportées à l'automate et la sensibilité que s'étaient forgés la fillette et le grand-père à deux ; la présentation de Palette devant une classe ébahie, qui avait marqué tout compte fait le début de sa transition vers le monde social, qu'elle n'avait jamais quitté depuis et où elle y avait trouvé tant de peines et de joies, d'instants douloureux mais si formateurs, d'instants si chaleureux où elle avait pu s'extraire de sa tristesse de sa vie de famille écorchée... Enfin, cette année d'élaboration du robot, ça avait été l'année où elle avait commencé à se cultiver déjà sérieusement en science mécanique. Désormais en première année de prépa ingénieur, caressant le bois humide et collant de Palette, elle inclinait à penser que ces moments dans l'atelier avaient hautement présidés à son avenir, que cette rêche bouille d'humain en bois était l'aboutissement d'un rêve entre un vieillard et une petite fille, tout petit rêve à la hauteur de leur être tout fragile mais si beau... ( pareil, ce dernier passage mériterait d'être condensé)
/spoiler]
Tout a déjà été raconté, alors recommençons.

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Re : Re : L'automate
« Réponse #2 le: 24 septembre 2021 à 09:38:05 »
Basic :

Merci beaucoup pour ce retour, tu me confirmes une crainte que j'avais, et me fait découvrir un problème que je n'avais pas vu.  ;)

En somme, tu me conseilles de condenser un certain nombre d'aspects qui éloignent du récit principal (le passage sur la science-fiction et la peur enfantine, le passage sur les illusions mystiques autour de l'enterrement) ; comme je le craignais, ça fait trop bigarré et hors-propos (j'ai en fait mêlé beaucoup d'éléments autobiographiques au récit que je voulais écrire à la base).

Il faudra aussi que je sois plus rigoureux sur la distribution des pronoms, il y a effectivement de curieux enchevêtrements de pronoms dans certains paragraphes que tu as souligné.



PS : sans vouloir relancer la polémique, je ne comprends toujours pas ce que vous avez vu de si sérieusement choquant dans mon autre texte. Peut-être que le titre trop péremptoire vous a induit en erreur, mais franchement tout était parodique et bouffon au plus haut degré dedans. Mon narrateur répétait littéralement, à plusieurs reprises, "wouaf-wouaf" dans une gouaille toute célinienne.

En ligne Luna Psylle

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Re : L'automate
« Réponse #3 le: 30 novembre 2021 à 09:30:14 »
Salut,

Pour la forme :

Citer
« Te souviens-tu de pépé ? qu'on allait voir près d'Illkirch ? »
C'est le seul moment au cours de ma lecture où j'ai vraiment été sortie : "c'est où Illkirch ?"
Jusqu'ici, le cadre permettait qu'on s'y plonge sans se poser la question de où ils sont. Ils sont chez eux, dans une ville, avec les grands-parents pas trop loin. Je pouvais presque y superposer ma propre enfance, bien que différente (à chacun ses aléas, ses victoires et ses ratés, son havre aussi). De situer le lieu si loin dans le texte, ça a brisé ce charme instauré.

Autrement, il y a bien certaines réflexions où je me suis demandée si à son âge on réfléchissait vraiment à ces problématiques, pour l'exemple le paragraphe sur les robots sanguinaires, mais ça appuie l'idée suivante que ces dites réflexions l'isole des autres de son âge.

Sur le fond :

C'est purement subjectif, mais j'ai bien aimé ce côté "trop bigarré et hors-propos". Je me suis sentie dans la tête d'une petite fille, un peu bordélique mais ordonné, avec ces questionnements qui changent au gré des saisons. On voudrait se concentrer sur la relation qu'elle entretient avec son grand-père, mais la vie ne permet pas toujours ce genre de caprices. Et le final n'en a été que plus impactant pour moi.

En te souhaitant une bonne journée !
« Modifié: 30 novembre 2021 à 09:45:31 par Luna Psylle »
If the day comes that we are reborn once again,
It'd be nice to play with you, so I'll wait for you 'til then

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Re : L'automate
« Réponse #4 le: 05 décembre 2021 à 14:16:45 »
Bonjour,

J'ai bien aimé ton récit. On se sent suffisamment happé par l'histoire pour avoir envie de continuer et découvrir comment les choses vont tourner.

Pour moi le titre ne reflète pas vraiment ton texte. L'automate disparaît assez vite de l'histoire finalement. On commence par le récit d'une création complice. Et puis il y a la scène à l'école qui ouvre un vrai basculement, le fait que finalement la petite fille prend son envol. Et pendant toute cette phase de sa sortie d'enfance, son adolescence et son entrée dans le monde adulte, je n'ai pas senti la présence de l'automate d'une manière ou d'une autre.
Tu aurais pu davantage croiser le récit du vie du grand-père et de la petite pour que les étapes de construction de l'automate coïncident avec le récit de la vie de Pauline. Mais ça t'aurait je pense détourné de tes intentions.

Le coeur de cette histoire, pour moi, c'est l'ouverture progressive aux autres de Pauline. Et donc j'aurai plus vu un titre comme "La planche à roulette et la poupée/le robot" ; "Un robot pour ouvrir mon coeur".

J'ai trouvé d'abord que le texte souffre d'avoir été traversé par des intentions différentes que tu as toi même décrit dans un de tes posts. Il y a un peu de récit merveilleux sur la construction d'un automate, une intrigue biographique et beaucoup de considérations sur la vie. Ca fait à la fois qu'il y a des digressions et en même temps j'ai été un peu frustré sur le manque d'approfondissement de certains points.

De manière globale, j'ai trouvé que le récit était trop envahi par les réflexions après coup. Réflexions après coup à la fois du narrateur qui cherche à donner une explication de tout ce qui se passe. Et aussi des personnages où le narrateur est quand souvent en train de dire que Pauline a vécu un truc et qu'elle comprendra des choses bien plus tard en lisant des livres ou alors que Pauline déteste tout le monde en ce moment mais elle se rendra compte plus tard que les humains sont comme ça.
C'est trop lourd pour un récit qui me parait d'abord être le récit de l'intériorité psychique de Pauline. Et en même temps, s'il s'agissait de proposer d'abord et avant tout une analyse avec le temps d'une tranche de vie, à l'inverse tu es allé trop loin dans le romanesque.

Ensuite, je me suis senti frustré par la manière dont tu racontes les moments de sentiments et d'émotion. Quand la petite Pauline se sent coupable de contribuer à créer des robots qui détruisent le monde, quand la grande Pauline se sent blessée de comprendre que ses parents la manipulent, quand elle se sent coupable et cherche partout soit les signes de sa culpabilité ou son absolution... tous ces moments nous sont racontés.

Tout ton récit se lit très bien, on comprend tout. Mais c'est sans effusion ni lyrisme. J'aurai voulu ressentir la douleur presque physique d'une trahison, j'aurai voulu que le monde devienne noir tant Pauline se sent coupable... La puissance intérieure de ce qui est vécue nous échappe complètement. Jusqu'aux instants précédant le décès du grand-père. C'est un moment très particulier, les sensations que l'on ressent changent. L'angoisse disparaît, les sentiments négatifs disparaissent pour laisser la place à une intense sérénité et je n'ai pas ressenti tout cela suffisamment.

Donc pour moi c'est un texte très sympathique et qui m'a plu. Mais c'est une pierre qui reste à polir, à travailler pour qu'elle ait toute son ampleur. C'était agréable cela étant.

Bien, j'ai passé du temps sur ton texte et tu vas voir que dans le détail, je me suis franchement lâché. Tu vas en avoir pour un moment à lire tout ça... ;D
Parce que oui... Ce n'était que l'intro...


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La scène des robots et de la science-fiction me laisse perplexe. Tu as mis dans la bouche d'une petite fille un raisonnement hyper complexe d'adulte qui s'y connaît déjà un peu. Et à l'inverse, je n'ai pas vu une explosion enfantine d'émotions incontrôlable devant un phénomène qu'elle perçoit comme ultra-cataclysmique. il faut tout stopper ! L'intensité de son angoisse, sa détresse tellement puissante qu'il en parait irrésoluble, tout cela m'a manqué. Elle a fait quelque chose de terrible : elle a aidé à créer un des robots qui vont détruire le monde ! C'est horrible. Cette petite fille, je la verrai bien s'interdire de dîner pour se punir, se réfugier sous sa couette la nuit, trembler, avoir des crises de colère.
Tout cela m'a un peu manqué.
De même, la scène de la discussion avec le grand père va franchement vite en besogne. Il n'a rien compris, il lui dit "t'en fais pas" avec un argument sommaire et boum elle est rassurée... Il aurait pu dire qu'au contraire, c'est un gentil automate, ce n'est pas un vilain robot. On ne pénètre pas assez la psychologie enfantine de Pauline et on met trop de mots d'adultes sur ce qu'elle pense, je crois.

L'automate disparaît peut-être un peu rapidement de l'histoire de Pauline. C'est évoqué en quelques mots parce qu'elle va de moins en moins chez ses grands-parents. Et du coup, il manque peut-être un cheminement narratif : d'abord la voir venir une fois chez son grand-père et prendre des nouvelles de l'automate; puis les visites s'espacent; pendant ces périodes où elle n'y va pas elle repense un peu à l'automate et se demande comment il évolue; puis le souvenir fluctue; puis il disparaît. Ca mériterait peut-être quelques phrases de plus de ci de là.

Les scènes débordantes d'émotions manquent peut-être un peu d'effusion. La scène de la trahison des parents qui se font mielleux mais en fait utilisent leur fille pour se battre par exemple. Toutes ces scènes sont claires, tu les racontes bien. Mais justement, tu verbalises plus le récit de ce qui se passe en énonçant les sentiments ressentis que tu ne fais s'exprimer ces sentiments.
Et donc on passe rapidement sur le sentiment d'avoir le coeur transpercé d'être ainsi manipulée, sur le dégoût...

Je perçois surtout l'envie d'exprimer ses consultations d'adulte d'expérience sur ce qui est vécu. Et donc le côté, elle en veut à ses parents et elle mettra du temps à comprendre et à accepter, me laisse sur ma faim. On a vite fait de balayer l'importance des sentiments qu'elle exprime et qu'elle ressent au plus profond d'elle-même pour aller très vite dans les constats que c'est pas grave, les parents se comportent d'une manière très humaine, un jour tu comprendras.

Tiens, un exemple typique de récit sur les émotions : "Pauline ne parvint pas à fixer la teneur tragique ou heureuse de l'instant". Là encore, je ne ressens pas la puissance de ce qu'elle vit, cela aurait été l'occasion de raconter cela avec quelques effusions. Je la vois à la fois avec les yeux qui s'humidifient et en même temps une grosse envie de rire. Et ça me manque de ne pas le lire.

Je ne suis pas à l'aise avec la manière dont tu racontes le père qui a l'air d'un mort-vivant qui se moque complètement que le grand-père va mourir. il a les yeux vagues et inexpressifs quand il annonce la mort ; il s'avance nonchalamment vers lui. Je crois que l'intention, c'est justement qu'il est décomposé par cette mort, perpétuellement sous le choc et du coup c'est ça qui lui ôte toute vie. Il marche comme un zombie, on devrait ressentir la faille de l'homme détruit par cette nouvelle. Mais je ne retrouve pas ça.

"Elle reçut un accueil des plus chaleureux, la bonhomie de grand-mère qu'elle avait presque oubliée" : pareil, ça va trop vite. Moi j'aimerai voir la bouche plissée et ridée esquisser ce sourire, puis le visage s'animer pour exprimer une effusion de bonhomie et soudain Pauline se rappelle qu'elle a vu ça dans son enfance.

On est rapide aussi sur la culpabilité que Pauline ressent et sur les attitudes qu'elle voit qui la rassure : on ne lui reprochera rien. A chaque fois, c'est du récit. Allez hop, le père a une main douce et zou ça veut dire qu'il pardonne ; t'inquiète sur le lit de mort on ne parlera de rien. Mais si Pauline se sent aussi coupable, elle va chercher la trace de son jugement et de sa sanction partout. Je la vois entrer dans la chambre d'hôpital, voir que le grand père bouge très peu et se focuser sur sa bouche dnas la crainte qu'il ne lui reproche quelque chose. Heureusement, rien ne sort.

"sa femme, aussi désirable par le passé, était bien devenu cette carcasse de peau plissé et d'odeurs puantes masquées sous les couches de parfum..." : je vois l'idée mais franchement on ne nage pas dans la classe avec une imagerie pareille... C'est maladroit, cette façon de raconter que son fils et sa femme ne sont plus ceux qu'ils étaient par le passé, que tout le monde a vieilli et beaucoup souffert.

"Pauline admira chacun des personnages et crut grandir de douze ans" : Pauline est ravie et se sent du coup comme si elle avait pris 12 années de plus ??? Je ne comprends pas mais je trouve que tout le paragraphe est hors sol. Elle est dure à raconter cette scène où le grand mère exprime une sérénité silencieuse mais qui en dit beaucoup sur le fait qu'il accepte la mort. Je pense qu'elle est à retravailler.

"Pauline elle-même se jugea belle, belle et coupable au passé de " : Plus j'avance, moins je comprends. Objectivement, je ne suis pas du tout fan de cette façon de raconter l'approche du moment fatal de la mort. Comment les sentiments de chacun évoluent au fur et à mesure que le pire apparaît inévitable, se sent plus serein.

Les scènes relatives au retrait du corps, l'enterrement, la cérémonie, le goûter avec la famille, je les ai trouvées trop longues. Elles alourdissent beaucoup le récit et nous écartent du principal qui est vraiment constitué par les considérations intérieures de Pauline. J'évacuerai tout cela en quelques phrases pour aller au plus vite sur la scène finale.

La scène finale est l'occasion pour Pauline de se remémorer des souvenirs et des perceptions d'enfance. Elle a vécu pas mal de scènes difficiles et son basculement vers l'âge adulte a été l'occasion que pour les autres comme pour elle, c'est plus difficile de ressentir et d'exprimer ses sentiments.
Du coup ces souvenirs sont d'autant plus puissants qu'elle va redécouvrir des émotions intenses, sincères, des moments où elle s'engageait pleinement. Et pour moi, tu pourrais insister beaucoup plus sur ce côté : ah ouais, c'est là que je me cachais pour qu'on ne me retrouve pas. Je ricanais en entendant mes parents se demander où je suis...
Je raconte en poésie "la danse vaine"... mais l'est-elle vraiment ?

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