Le Monde de L'Écriture – Forum d'entraide littéraire

29 mars 2024 à 05:47:49
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Le Monde de L'Écriture » Coin écriture » Poésie (Modérateur: Claudius) » Vagabondage

Auteur Sujet: Vagabondage  (Lu 618 fois)

Hors ligne Vesper

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Vagabondage
« le: 29 septembre 2020 à 12:58:35 »
« Jamais je n’ai décidé d’écrire ou de ne pas écrire. Jamais, si peu que ce fut, il ne m’a été donné de choisir. Je n’ai fait qu’obéir. Pourtant il n’y avait aucun maître. »

Un écrivain local, rencontré il y a peu dans le bas de l'étagère « poésie » de la bibliothèque du coin, a écrit ces mots que j'aimerais pouvoir faire miens (puisque je le cite, je dois le nommer : Joël Vernet). Je dis local, parce que nous sommes voisins, d'une part, et parce qu'il a cette qualité qui me fascine, tant j'y suis étranger : il est de quelque part. Il est issu d'un terroir, d'où peut-être, cette voix qui est la sienne, inimitable, particulière, cette voix qui est la sienne et qui est la voix de la terre, qui l'accompagne où qu'il aille, qui lui permet de se sentir chez lui dans les pays lointains ; c'est un grand voyageur. Immobile, le plus souvent. Sa plume est à mon goût : ferme, douce, habitée.

« J’ai écrit durant plus de trente ans sans m’appuyer sur la culture, la raison, le savoir, les connaissances, la philosophie. J’ai fait table rase, laissant manœuvrer l’intuition riche de tout ce qui précède et qui serait une épure de la connaissance. Mais j’ai lu aussi tous les livres du monde. »

« Se sentir si libre dans le pays de l’étranger. Pourtant privé de langue. Sans langue, éprouvé la liberté comme jamais. »

(Carnets du lent chemin)


C'est une voix qui d'une manière inexplicable, fait se sentir chez lui, là où il est, où qu'il soit, qui la lit, même et surtout s'il n'est de nulle-part. C'est une voix qui réconcilie.

Peut-être qu'il est des façons d'être de quelque part, des racines qui ne sont pas affaire de géographie, ni même étonnamment, d'histoires. Des racines qui poussent en dedans sans que ça gêne, qu'on emporte aux portes des départs, tranquille : elles s'opposent à l'exil. Peut-être sont-ce ces racines à l'intérieur, qui font les voix incarnées ?

« Une passante me visite chaque jour, frappant doucement à la fenêtre sans s'arrêter jamais. Elle ne cesse d'être là, de s'absenter aussi, d'aller infiniment. Son nom est lumière. Elle est une mendiante qui ne réclame rien mais qui donne tout. Je lui suis redevable des trésors que la vie m'apporte. Mon bien est maigre : un étroit jardin sous un pan de ciel, quelques arbres, des essaims d'oiseaux, une solitude inépuisable. Il conviendrait de jouir de plusieurs vies pour venir à bout de cette immense chose qui ne s'attarde pas : la grâce, la grâce est une épée de lumière. Souvent, je m'en vais très loin, emportant son visage avec moi. »

« C’est une conviction profonde. Tous, le plus souvent, allons à côté de notre vie. Nous la laissons filer comme de la pluie sur les vitres, comme la lumière dans les feuillages de l’arbre veillant sur notre propre vie. De plus en plus, j’ignore ce que veulent les humains, quelles sont leurs espérances. Ils marchent à tâtons dans la brume. Déroutés, ils vont en aveugles par les rues de villes immenses où la nature se raréfie. La plupart ont perdu leur chemin. »
(Rumeur du silence)


Ce qui m'amène incidemment, au détour d'une pensée volontiers vagabonde, à ce constat personnel, quant à ces personnages croisés sur des chemins, dans les temps présents ou plus anciens, qui pour des raisons très diverses m'ont inspiré. Ils ont un point commun :

Ils sont inrangeables.
Hors-cadre.
(C'est un problème de dimensions, il y a toujours des bouts qui dépassent.)
Grâces leurs soient rendues pour cela.

Grâces leurs soient rendues pour leur conformation inhabituelle, qui les préserva des petites boîtes bien proprettes qui leurs étaient destinées, qui les en préserva même une fois portés en terre, quand tant d’autres, au nom de leur foi en Léviathan, supplièrent pour y être enfermés de leur vivant.

Ceux-ci refusèrent d'être statufiés, dans des honneurs, ou des chaires d'université. Enterrés debout dans des pléiades, des panthéons, des assemblées. Papillons d'une seule nuit brute, voués à l'inaccessible étoile, ils ont compissé les médailles qui prétendaient les épingler ; l'aube où tout se rejoint, dans son ciel de traîne, aura été leur seule voile de mariés.

Orage ou grand bleu, qu'importe qu'il soit changeant, peu importe le lieu, peut-être est-ce là finalement, la grande vertu des racines qui puisent à l'eau claire : sous n'importe quel ciel, on se sent à sa place, exactement, à l'abri. Au chaud.

À la maison.

« J'ai pour seul bagage la lumière du soleil et le cœur enluminé des miens, tout petit peuple œuvrant dans l'invisible. On nous a tout pris, nous qui n'avions rien. Mais que peut-on enlever, en vérité, à qui est dépossédé ?

Ils ne seront jamais assez pauvres ; leur cœur parlera dans le noir. Et le cœur, c'est l'amour qui gronde dans le sang. La pauvreté est une amoureuse inégalable. »
(Rumeur du silence)

Hors ligne Eivor

  • Aède
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Re : Vagabondage
« Réponse #1 le: 29 septembre 2020 à 17:23:40 »
Mais....Christian Bobin a un frère ?

Bonjour Vesper,

Ce Joël Vernet, merci de m'en avoir fait partager la lecture. Les grands voyageurs immobiles sont ceux avec qui je préfère voyager. (C'est moins foulant).

Les voyageurs immobiles sont de nulle part et de partout à la fois, et pourtant, peut-être que quelque part, ils sont de quelque part. Ce n'est pas incompatible. Ce "quelque part" n'a pas matière ou frontière. Il ne peut. Ce "quelque part" traverse matières et limites.

Merci pour ça.
Mon roman --> La traverse des âmes : https://monde-ecriture.com/forum/index.php?topic=34995.

Hors ligne Eivor

  • Aède
  • Messages: 195
Re : Vagabondage
« Réponse #2 le: 29 septembre 2020 à 18:18:06 »
Citer
Exactement : c’est le style de Christian Bobin, et les mêmes idées ; le même genre d’émotion.  8) :)

Ah ! Un connaisseur  :)
Mon roman --> La traverse des âmes : https://monde-ecriture.com/forum/index.php?topic=34995.

Hors ligne Vesper

  • Scribe
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Re : Vagabondage
« Réponse #3 le: 30 septembre 2020 à 03:27:48 »
Vous avez raison, son style fait beaucoup penser à Christian Bobin. Ça a été ma première impression, presque gênante. Pour autant, ce n'est pas du "sous-Bobin". Cet auteur a sa patte, son univers. En quelques extraits, difficiles d'en rendre compte il est vrai.

Voilà, j'ai aimé la douceur de sa voix, et voulu lui consacrer ce petit texte que je vous livre sans complexes :).

Merci à tous les deux, à la revoyure!

EDIT: Ma fille a dit: il a son cœur à lui, qui bat sur sa musique à lui, ça participe peut-être à la ressemblance avec Bobin?
« Modifié: 30 septembre 2020 à 12:09:28 par Vesper »

Hors ligne HELLIAN

  • Prophète
  • Messages: 943
Re : Vagabondage
« Réponse #4 le: 30 septembre 2020 à 11:43:25 »
Que voilà un beau, très beau texte !

Je parle ici tant de l'extrait cité que du commentaire qui lui fait suite. Il s'agit là d'une réflexion profonde, riche et généreuse dans laquelle ces bonheurs de se glisser.
cent fois sur le métier...

Hors ligne Vesper

  • Scribe
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Re : Vagabondage
« Réponse #5 le: 30 septembre 2020 à 11:58:10 »
Je suis bien d'accord! Mais c'est mieux si c'est un autre qui le dit :D.

Que telle réflexion soit venue de toi ne m'étonne guère. Il faut dire aussi tu triches, tu es moins qu'un autre distrait de l'essentiel.

Merci Hellian, merci beaucoup.

 


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