[True Duc]

     C'était il y'a plus de trois mois. Je venais juste de commencer un roman racontant l'histoire d'un père et de son fils poussant un caddie dans un monde post-apocalyptique lorsque j'ai reçu un SMS de Chiara. Rien ne me détourne de mes lectures en général, le phone est sur silencieux. Mais bon, quand surgit de l'écran le prénom d'une personne qu'on n'a pas vue depuis plus de deux ans, il est difficile de résister.
     Chiara n'a jamais été très diplomate, pas loquace non plus ; et l’orthographe n'en parlons pas. Donc, on est rapidement passé du « CC sa va ? » au « à ton avis, je dois l'fair ou pas ?»

     Une de mes rares certitudes dans la vie si j'étais un autre, c'est que je ne serais pas ami avec moi ! Pas fiable ! Pas du tout. Que ce soit pour un déménagement, pour être à l'heure aux baptêmes, aux mariages ; l'allumage du barbecue n'en parlons pas (non plus). Par contre, et c'est peut-être ça mon seul rôle social : écouter les gens. Je porte à croire qu'ils aiment s'en remettre à mes esgourdes, y déposant leurs questionnements sur leur place dans ce monde, leurs inquiétudes après la dernière prise de sang et leurs tribulations charnelles. Et là, si subitement, Chiara, tapotant de ses phalanges brutales, a vidé un sac rempli de tout ça, à sec, entre mes deux oreilles.
     Avant de répondre à l'impossible question de Chiara, je me souviens avoir dû poser le bouquin, me faire une infusion camomille-houblon tout en rechargeant ma clope électronique d'un liquide mentholé. Comme si j'allais trouver SA réponse dans des volutes, dans des vapeurs, naïf romantique que je suis. Ça m'a fait juste fait pisser, juste tousser.
   
     En y repensant, au collège, Chiara se foutait pas mal de ma gueule quant à ma candeur. Plus de vingt ans que l'on se connaît. Et même si l'on se perd de vue aussi vite que l'on se retrouve, on est essentiel l'un pour l'autre, surtout quand, ce qu'on appelle nos lourdes existences de gens trop légers pèsent fort sur la charnière. On n'a jamais eu peur de se dire ce que peu de personne n'oseraient. Notre différence, c'est notre force, osons les poncifs. Elle voit un rectangle quand je vois une pie-qui-smurf. Nous sommes les deux pôles d'une même pile, tantôt le +, tantôt le -. Sûrement pour ça que l'énergie passe si bien entre nous. Mais là, j'exagère. C'est ce qu'elle me dirait d'ailleurs, t'en fais bôkou bôkou trop.
     Question avortement d'une amie, je n'étais pas prêt, aucune réponse, bien évidemment. Vous imaginez qu'une personne que vous n'avez pas vue depuis des années, même si c'est votre pote de berceau, et qui vous dit, comme ça, qu'il est à la boulangerie, qu'il hésite entre un éclair à la pistache et un flan pâtissier et qu'il veut une réponse rapide, il vous sera impossible de répondre à sa place, même si l'on est d'accord que tous les gens de bonne constitution mentale s'orienterait forcément, la langue pendante, vers le second choix.
     Ainsi, la question de Chiara doit être rhétorique, elle me connaît par cœur, on a déjà eu ce genre de discussion, elle connaît mes molles convictions politiques et sociales, et doit savoir que je ne peux que trancher seulement sur les sujets futiles. Exemple (pour rester dans le thème) : le flan coco, sans déc', faut l'interdire à la vente, et l'écrire dans la Constitution tiens... juste après le texte sur l'IVG, pourquoi pas... sans pour autant que ça dévalorise ce droit fondamental; la France premier pays sur le droit à l'avortement et l'interdiction de mettre de la noix de coco dans des flans pâtissiers... je m'enflamme... cocorico !
     Bref, après quelques minutes de réflexion mentholée, j'ai trouvé l'idéale pirouette : « Désolé ma Kiakia, mais je ne peux t'aider ici. Je te conseille (et t'oblige même) à en parler avec le géniteur, aussi tindérisé qu'il est, c'est important (primordial) qu'il sache. Tu me diras. Bon courage. Je t'embrasse ». Plutôt fier de cette réponse.

     Elle n'a jamais répondu. Depuis plus de trois mois donc. Je viens de repenser à elle, car j'ai enfin terminé ce roman faiblard au style lapidaire qui raconte l'histoire d'un père et de son mioche poussant un caddie dans un monde barbare et poussiéreux. Même si je le déconseille fortement, il m'a fait réfléchir sur la route vers laquelle j'orienterais ma partenaire (d'un soir ou d'une éternité) si elle était dans la même réflexion urgente que Chiara.
     Je n'ai pu résister à lui envoyer un petit message. Direct, sans filtre. Évitant l'acronyme et les majuscules, j'ai opté lourdement pour un léger « ivégé ? ». Elle vient de me répondre, tac au tac : « IvégéE avec un "e ", car c'est UNE Interruption Volontaire de Grossesse ». Je n'ai pas eu le temps de relever sa progression orthographique qu'elle m'a appelé.
     
     Je viens de raccrocher, bouche bée et content. Notre discussion a duré une bonne demi-heure. Trop intime et complexe de dévoiler ici sa mécanique de quatorze semaines de réflexion. Disons qu'il va me falloir quelques mois encore pour progresser en barbecue, apprendre à respecter le Fragile sur les cartons et faire des efforts pour ne plus jamais être en retard, ni aux baptêmes, ni aux mariages. Et il faut que j'anticipe l'achat d'une gourmette...

[Delnatja]

Bonjour True Duc, merci pour ton texte.
Je le trouve très bien et j'ai bien aimé.
Juste un petit truc...
Les deux pôles d'une même pile.
Belle journée.

[mercurielle]

Bonjour,

Sujet difficile traité avec pudeur. La légèreté du ton et l'humour en renforcent la gravité. J'aime bien le rappel orthographique.   

[Alan Tréard]

Bonjour True Duc,


Texte émouvant, tout plein de difficultés qui se présentent et une résolution concrète.

J'ai pris plaisir à parcourir ton texte mais je dois dire que j'ai eu quelques difficultés à bien cerner la conclusion en forme de morale à la fin. Je me demande si tu ne pourrais pas rendre ce dernier paragraphe pour le rendre un peu plus explicite.


Merci à toi pour cette lecture.

Et à bientôt sur le Monde de l'Écriture.

[rigolote]

Fidèle lectrice de True Duc, je réponds présente ici et prends plaisir à découvrir ce texte, comme à chaque fois.

J’ai bien aimé, en particulier la façon légère et ironique dont l’auteur se questionne sur sa façon d’être ou ne pas être pas un bon ami.
 
Ton texte m’a fait pensé à Gainsbourg (oui je t’ai comparé à Gainsbourg), dans sa période un peu misogyne pendant laquelle (suite a une rupture mal digérée  )  il pointait la mauvaise orthographe d’une fille dans une sarcastique chanson.

Le seul truc qui m’a un peu gênée, j’essaye d’imaginer la situation, et je vois une quasi illettrée, qui pour prendre une décision aussi importante, demande l’avis d’un ami dans un lapidaire message envoyé à l’arrache - on a presque envie qu’elle procède à l’IVG pour ne pas perpétuer son espèce.
Alors même en enrobant le tout avec des SMS, Tinder et une nouvelle Constitution, je sens un petit arrière-goût patriarcal, qu’il soit souhaité ou non, à la lecture de ton texte.

[BAGHOU]

Bonjour Monsieur le noctambule,

Bon, le héros du jour est toujours bourré de défauts assumés et parfois « bourré » au thé amélioré. C’est attendrissant, mais aussi horripilant ce côté tête à claques.

Bon, il est soumis à un cas de conscience au top de l’actualité, même maladroit, il s’en sort avec un peu de bon sens, mais sans courage.  Bah oui, il fallait l’appeler sa copine de collège et illico. Pas attendre trois mois plus tard pour envoyer un sms lapidaire et la laisser appeler. Non mais ! Encore un demi-héros pantouflard qui ouvre bien grand son parapluie « anti-emmerdes ».

Bon, encore un texte super bien écrit et une histoire qui coche toutes les cases de ce qu’on aime lire.  Quelques petits correctifs mineurs sont nécessaires pour améliorer la fluidité de la lecture. Mais je sais que l’auteur va les trouver tout seul.

Bon, concernant les desserts, aucun n’a ma préférence. La pistache c’est mieux pour les apéros et le flan c’est moyennement attirant gustativement.

Bon, côté héroïne, mon indice de sympathie est assez élevé, sa seule erreur est de s’être adressée à notre héros. J’aime à penser que la solidarité féminine a fonctionné à fond et que d’autres moins frileuses ou frileux ont apporté de la pertinence au débat pour que la décision finale soit la plus acceptable au regard de sa situation personnelle et surtout librement assumée.

Bon et c’est le dernier ! J’adore la vision sociétale de l’auteur, un régal cet humour au soupçon de vitriol qui fait mouche et touche nos consciences de lecteurs et lectrices. Même son livre de chevet pendant tout un trimestre est une perle de trouvaille. 

La femme est l’avenir de l’homme certes, mais elle doit encore se battre pour être libre. J’ai adoré le pique sur l’ivégéE. Merci pour elle.

[Basic]

Bonjour

alors c'est pas vrai... c'est lui qui ... Oh ! B'en m...

Un bon moment toujours avec un petit pli de sourire. J'ai juste tiqué sur " Je porte à croire qu'ils aiment " ça me fait bizarre.
Perso, j'ai lu l'histoire du père, du gosse et du caddy, ça m'avait fait comme un choc par contre, un truc électrique à l'inverse de ton narrateur.

B

[SablOrOr]

Bonjour tou'l'monde 

Alors  m'enfin, non Basic ! C'est pas forcément lui qui......il a juste parlé d'être ponctuel et de faire attention au côté 'fragile' des choses...

Merci pour ton texte True Duc, j'aime bien le 'coeur des hommes' que j'y lis en sous-jacence. Ce personnage est (pour moi) une peinture de l'époque actuelle, et elle sonne juste à mes compréhensions tout en me questionnant sur un devenir incertain.
...entre manque de responsabilités et leur déni, auto-critiques pudiques et recherches de progrès dans la relation..tout en demeurant authentique et fort, c'est une vrai reconquête que ce joli cheminement de pensées masculines !

Et ce 'cocorico' ....de toute beauté ! 
Bravo...encore !
SOo

[Joachès]

Merci pour ce texte toujours bien écrit malgré ton pseudo lol. J’apprécie ton ton sarcastique, et tes comparaisons toujours amusantes. J’apprécie la manière dont tu as d’aborder des sujets importants avec la dose d’humour qu’il convient. C’est pour ça que j’apprécie de lire tes textes.

Perso j’hésiterais plus entre un éclair café et une tartelette citron mais c’est une affaire de goût.

[Cendres]

Merci pour ton texte.

Il est plaisant à lire et tu racontes, comme toujours, sur un ton léger, les péripéties de ton héros. .Je n'ai peut-être pas compris, mais est ce qu'elle avorte ou pas Chiara ? Je pense que oui.

[Béatrice M]

Bonsoir.
Un sujet difficile abordé avec un brin d'humour et de la pudeur.
les précédents commentaire sont un peu mon ressenti.
j'ai apprécié te lire.
Douce soirée   

[ClaireC]

J'ai bien aimé ton texte, l'écriture est dynamique, et le sujet profond traité avec suffisamment de légèreté.
Par contre la fin laisse des doutes, ce que j'ai compris moi :

Désolé, vous n'êtes pas autorisé à afficher le contenu du spoiler.

[True Duc]

Merci pour vos retours,

Je viens de modifier et ajouter  "Nous sommes un peu comme les deux pôles d'une même pile, tantôt le +, tantôt le -". Bien vu Delnatja.. Merci également Mercurielle.

Pour la fin, comme tu le signales Alan Tréard, j'ai eu quelques difficultés. J'y pensais lors de a rédaction. Je voulais garder de l'implicite car l'explicite aurait rendu, je pense, la fin, trop happy end, voire gnian-gnian. Mais, je viens d'ajouter une phrase ultime qui, j'espère, éclairera les lecteurs.

Ahhhhh rigolote, j'apprécie ta fidélité. En lisant ton commentaire, j'ai failli brandir férocément mon arme "anti-patriarcale". Mais, en fait, à froid, je me dis que non. Je me dis que chaque lecteur peut y faire son analyse, le sujet étant intime, mais également un fait de société. Pour l'anecdote, sache que cette idée d'IVG traînait depuis plus d'un mois, que j'ai testé un récit dialogué entre deux femmes par exemple. J'ai eu du mal à le pondre celui-là, ne voulant jamais entrer dans essai philoso-socio-politico.... J'ai préféré faire parler MON narrateur léger qui fait moins de fautes d'orthographe que sa meilleure amie ...

... Bon ! si, Baghou aime mon personnage féminin, et ben, je le garde ! Parapluie "anti-emmerdes" j'adore ! Oui, encore un personnage lâche et tête à claques. A croire que j'ai fait exprès, à croire qu'il me ressemble..rait...un peu....ou pas.... 

Et non, Basic, c'est pas lui qui... Je viens juste de modifier la fin. Spoil : le narrateur n'a pas aimé La Route (Cormac Mc Carthy, pulitzer, 2006 de mémoire), mais l'auteur non plus n'a pas aimé. Apparemment, hasard complet, le roman vient d'être réédité, illustré par Manu Larcenet. Je ne mets pas de lien pour ne pas faire de pub !!!

J'apprécie beaucoup vos commentaires Sabloror et Béatrice M. Il me confirme que je suis sur la bonne route lorsque je dois ancrer des personnages dans la société. Idem Joachès même si j'ai envie de supprimer ce texte, car j'avais pas pensé à la tarte au citron meringuée Rahhh

Et non, Cendres, elle n'avorte pas. Je viens de modifier pour plus de clarté. Car oui, ClaireC, c'est très bien vu de ta part. Je viens d'ailleurs d'ajouter une phrase finale : "Et que j'anticipe pour l'achat d'une gourmette".

Les nombreux commentaires font plaisir. Je suis étonné car je pensais avoir plus de commentaires négatifs sur l'aspect digressif du texte, le véritable sujet de l'IVG étant vraiment "étouffé" dans les réflexions du narrateur. Je n'ai pas osé le faire de front. J'avais essayé plusieurs méthodes, plusieurs points de vue... et j'ai opté lâchement pour le narrateur relou . En tout cas, ça me donne quelques idées de recette pour réussir à écrire sur d'autres sujets de société tout en évitant l'essai. Merci

Je trouve toujours ce texte pas assez fignolé. Mais, je bloque. J'y reviendrai.

[Lune]

Merci pour cette histoire d'une longue amitié, essentielle l'un pour l'autre 
Comme Claire, la fin est peut être  ici :

Désolé, vous n'êtes pas autorisé à afficher le contenu du spoiler.

 

[True Duc]

Merci Lune.

[màj : je viens de me rendre compte que les phrases dites modifiées ne l'avaient pas été. J'ai dû oublier le "sauvegarder", fichtre. Donc ma réponse ne devait avoir aucun sens. Chose faite, sorry.]