Medusa
C'est incontestablement le titre qui a capté mon attention dans la librairie. Médusa. Pas tant pour l'autrice, que je ne connais que de loin, principalement à travers ses passages sur France Inter. Mais cette semaine-là, j'avais justement discuté du rôle symbolique de la chevelure dans l'asservissement des femmes, et Méduse en est l'allégorie parfaite et la plus ancienne. Sans surprise, le roman aborde des thèmes féministes, avec une critique du patriarcat.
Je suis vite séduit par l'écriture : fluide, précise, direct. Il y a dans son style une richesse d'introspection et une vivacité dans les descriptions que j'aimerai avoir moi même. L'autrice parsème son texte d'idées qui rendent la lecture agréable, addictive dans mon cas. Mon seul bémol, et il est purement subjectif, concerne les répétitions. Si cette figure de style peut appuyer une idée, ici, elle m'a parfois semblé excessive et mécanique.
Medusa nous plonge dans l'histoire de Liam et des femmes qui gravitent autour de lui : sa soeur Marianne, la meilleure amie de cette dernière, Béatrix, sa mère Vanessa, et son père distant, Marcus. Tout bascule avec la mort de Marianne, survenue lors d'un jeu d'asphyxie érotique. Pas de coupable, du moins pas au sens habituel. Marianne avait une faiblesse cardiaque ignorée de tous, et cette pratique l'a tuée. Un drame absurde, qui laisse chaque personnage face à une question et ces contradictions : comment vivre avec cela ? Qu'elle est ma culpabilité dans ce drame ?
Le roman explore avant tout le deuil. Ce deuil multiple et fragmenté, vécu différemment par chacun. Mais derrière le drame individuel, une question plus vaste se dessine : quel rôle les normes patriarcales ont-elles joué dans ce drame ? Comment les femmes sont-elles conditionnées par ces attentes sociales ? Et, de manière plus subtile, comment les hommes en sont-ils aussi prisonniers ?
La dynamique hommes/femmes peut paraître caricaturale, en phase avec une tendance actuelle : des femmes fortes et assumées, des hommes plus passifs, presque en retrait. Cette simplification sert le propos bien que je le trouve un peu facile. On apprend à connaître Marianne à travers les souvenirs des autres. Ses lectures de contes et de la mythologie, son plaisir à en renverser les sens, sa jeunesse passionnée et sans nuance. Marianne théorise que, pour qu'une femme puisse réellement être elle-même, elle doit devenir un monstre. Soit elle se conforme aux attentes sociales et devient une potiche (« sois belle et tais-toi »), soit elle revendique sa liberté, mais au prix d'être monstrueuse. Ce qui m'a fait penser à la chanson Monstrueuse de Solann :
"Jamais j'oserai devenir un cauchemar
Une abomination, et faire fuir les regards
Rassurez-vous
C'est pas mon genre d'être monstrueuse"
Je pense qu' il y aurait tout une analyse croisé à faire de l'ep Monstrueuse de Solann et ce roman Médusa, tellement ces deux créations se répondent.
Cette vision binaire de la belle ou la bête, typique de la jeunesse, m'a parfois fait lever les yeux au ciel. J'aime penser en nuances de gris, et il m'a été difficile de suivre cette analyse, particulièrement dans le passage où le mythe de Méduse est revisité sous le prisme des normes actuelles. Pour être honnête, c'est le seul moment du roman que j'ai trouvé faible. Paradoxalement, ce passage est sans doute central dans l'inspiration de l'oeuvre, mais il m'a semblé maladroit, poussif.
L'originalité du roman réside aussi dans le rôle de la narratrice, qui n'est autre que l'autrice elle-même. J'étais d'abord sceptique face à ce procédé, que je craignais relevé de Narcisse face à son reflet, une sorte d'égotrip d'artiste torturé où l'écrivain s'écoute parlé dans une autocongratulation malsaine. Mais, ces réflexions sur l'écriture, ces doutes constants sur les orientations du récit, enrichissent l'histoire. Elles ajoutent une profondeur inattendue, autant au texte qu'aux personnages, bien que je n'ai jamais vraiment pu me faire au personnage de la muse.
En conclusion, j'ai globalement beaucoup aimé Medusa. L'écriture est belle, fluide, souvent poignante. La plupart du temps, je n'avais qu'une envie : tourner les pages pour découvrir la suite. Sur le plan des idées, le roman propose des réflexions intéressantes, même si, parfois, elles m'ont semblé manquer de nuance. Malgré tout, l'ensemble tient, et la sincérité de l'autrice donne à ce livre une véritable profondeur.