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Auteur Sujet: Tours et détours de la vilaine fille - Mario Vargas Llosa  (Lu 722 fois)

Hors ligne VertCarmin

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Tours et détours de la vilaine fille - Mario Vargas Llosa
« le: 16 Décembre 2024 à 11:49:41 »
Tours et détours de la vilaine fille
Mario Vargas Llosa - Nobel 2010

Le roman s’articule autour de la rencontre d’un homme (Ricardo) et d’une femme (la vilaine fille) à l’adolescence, un amour ébauché qui les liera à travers les années. Elle, c’est "la vilaine fille", figure ambiguë, fascinante et dérangeante. Elle préfère l’argent à l’amour, se sert de son physique comme d’une arme pour atteindre ses objectifs, séduisant les "bons partis" pour avancer sur l’échiquier de sa vie. Lui, c’est Ricardo, "le bon garçon", l’éternel amoureux transi, épris de cette femme depuis leur jeunesse, malgré les failles et les ombres de celle qu’il idéalise.

Le schéma narratif est répétitif : ils se retrouvent, s’aiment brièvement dans une fusion intime, puis elle disparaît. Toujours, cette disparition coïncide avec le démènagement ou la mort de l'ami du moment de Ricardo. Après trois cycles, le récit commence à tourner en rond. Heureusement, l’auteur parvient à introduire quelques nuances dans la dynamique répétée.

Mais sous la surface, si la "vilaine fille" porte bien son titre, Ricardo, surnommé "pitchounet", n’est-il pas lui aussi un "vilain garçon" ? On pourrait croire à une histoire où une femme manipulatrice écrase un homme vulnérable, mais il n’en est rien. Ricardo n’est pas la victime qu’il prétend être. Son obsession pour elle ne relève pas de l’amour mais du désir : un désir exclusif qui l’enferme dans une quête de possession charnelle. Ricardo ne cherche pas à aimer cette femme dans sa complexité ; il veut la capturer et posséder son corps, l’asservir à son besoin. Même lorsque "la vilaine fille" lui accorde ce qu’il souhaite, sans envie ni réciprocité, il persiste, incapable de s’interroger sur la violence implicite de son propre comportement.

Loin de l’idéalisme romantique, Ricardo est le prisonnier d’Éros, un amour incomplet, dévoyé. Ce qui est troublant dans ce roman, c’est que l’auteur ne semble jamais questionner réellement cette toxicité masculine. Ricardo est présenté comme un homme "malheureux", une vie gâchée à courir après une femme qui, pourtant, ne lui a jamais promis l’avenir qu’il espérait. Est-ce une tentative de dépeindre une masculinité toxique et dysfonctionnelle ? Ou sommes-nous face au fantasme désabusé d’un homme post crise de la quarantaine, qui transpose ses frustrations sur cette figure féminine à la fois désirable et insaisissable ? La vilaine fille devient alors une sorte d’incarnation des angoisses masculines : indépendante, insoumise, insaisissable, elle fascine autant qu’elle terrifie. Une muse pour les rêves érotiques d’hommes fatigués de la routine, ou d’une "bobonne" domestiquée par les enfants et les conventions sociales.

Mais "la vilaine fille" n’est pas qu’un fantasme. Si elle aime Ricardo, son amour est tout aussi fragmenté. Il s’apparente davantage aux notions de Philia (l’amitié) et d’Agapé (l’affection désintéressée) qu’à un amour véritable. Elle est une femme insaisissable, ambiguë, et parfois cruelle. Son titre, elle ne l’a pas volé : elle est une "vilaine fille", dans toutes les acceptions du terme, une "saloperie" même, diront certains.

Au final, c’est un roman où les deux protagonistes sont coupables. L’un par son égoïsme et son incapacité à distinguer le désir de l’amour, l’autre par son instrumentalisation froide des sentiments d’autrui. L’écriture fluide et maîtrisée de l’auteur rend la lecture agréable, mais le scénario cyclique, prévisible, et cette morale apparemment à sens unique, laissent un goût d’inachevé. Ce n’est ni un roman qui déconstruit, ni un roman qui exulte. C’est un portrait de l’échec amoureux.
« Modifié: 19 Décembre 2024 à 17:18:16 par VertCarmin »
Le spectateur s'arrête, la critique s'arrête : la poésie commence. Autrement dit, les mots s'arrêtent là où l'incommunicable est communiqué. Pierre Soulages

 


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