Et voilà une version améliorée (j'espère du moins !) de la nouvelle ! Bonne lecture !
Je peux les entendre vivre
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On vient juste tout juste de s'installer. Le restaurant n'est pas aussi luxueux qu'il en avait l'air, mais il n'est pas à jeter non plus. Je sens encore l'air frais sur le bout de mon nez et mes lobes d'oreilles, je commence à imprégner l'ambiance de cet endroit chaleureux et exotique. Leur musique s'adapte bien à l'atmosphère tropicale du lieu, même si elle est aussi ringarde et clichée que dans la plupart des autres.
Nous sommes confortablement assis à cette table, au-milieu d'une vingtaines d'autres peuplées. En attendant que le serveur vienne nous offrir ses services habituels, mes compagnons engagent une conversation artificielle. Toujours les mêmes...
Tandis que moi je suis assis là, à la même table, à essayer de les écouter en espérant me fondre dans leurs échanges. Parfois, je me demande pourquoi je suis avec eux. Je suis toujours ignoré quoi que je dise, alors j'arrête de parler. Je suis inutile, je m'ennuie en leurs présences et ils s'amusent entre eux. Pas très divertissant de jouer le rôle d'un objet.
Depuis un certain temps, je m'ennuie en leur compagnie. Jusqu'au jour où je m'effacerai en silence, ils me demanderont pourquoi je pars, je leur balancerai la vérité en plein visage.
Ces braves personnes parlent sans cesse de sujets qui ne m'intéressent pas. Ils le savent d'ailleurs j'en suis sûr, mais ils continuent. Qu'est-ce qui me retient de partir au final ?
Je pense à notre passé, aux aventures que nous avons vécus ensemble. De beaux souvenirs.
Mais quelque chose a changé.
Jim est plutôt du genre : conformiste ordinaire.
Gentil, sympathique et généreux. Il se donne parfois des airs de connards narcissiques qui m'agace très facilement. Mise à part ça, Jim n'a rien de très spécial.
Donc nous n'avons pas vraiment de discussion intéressante. Dommage.
Philip est presque pareil, sauf qu'il est plus drôle, je dirai même plus osé et détendu.
Ça reste une personne avec qui on ne peut pas parler de grand chose, mais avec qui on peut rire un minimum. Rien qu'à sa manière de s'exprimer on en rigole.
Sophie, la femme de Jim, est comme son mari au final. Elle est juste moins intéressante. Je me dis qu'ils vont bien ensemble, et que je suis bien heureux de ne pas être à la place de Jim. Je me demande encore comment il peut maintenir une relation avec si peu de conversations constructives. Un secret que je ne comprendrai probablement jamais.
Et Anna elle, n'est qu'une suiveuse à mes yeux. Un mouton de plus à cette table. Elle rit sans arrêt aux blagues de Philip, son meilleur ami. J'ai le sentiment qu'elle n'a pas de personnalité.
C'est probablement la personne que j'apprécie le moins parmi eux, et je suppose qu'elle ne m'apprécie pas non plus.
Donc voilà l'équipe avec laquelle je m'apprête à passer une soirée. Ça fait longtemps que nous avons prévu ce dîner. Personnellement, l'idée ne m'enchantait pas. Je suis venu à contre cœur. Je me demande encore ce que je fais là alors que j'aurai pu continuer mon autobiographie. Au moins j'aurai un truc à raconter.
La serveuse arrive à notre table. Nous demandant si nous avons fait notre choix.
Évidemment, c'est Jim qui se lance en premier, comme assez souvent. Ensuite sa femme, Philip, Anna et enfin moi, le larbin du groupe. Leurs menus n'ont rien d'exceptionnels, je ne m'attend pas à une explosion de saveurs. Ce sera comme 90% des restaurants que j'ai fais jusqu'à présent : sans intérêt. Le plat semble alléchant, ce qui n'est qu'une apparence malheureusement. Je me sens d'ailleurs coupable face à cette question étrange que me pose le serveur après chaque repas :
Ça a été ?
D'un agréable ton hypocrite, je leur réponds sans arrêt la même réponse que les autres. Je ne trouverai probablement jamais le culot de leur dire :
C'était infect, je m'en doutais un peu en fait. Un restaurant merdique de plus sur cette planète, avec des serveurs toujours aussi incapables. Pourquoi je reste ici d'ailleurs, je sais très bien comment ça se passe à chaque fois. Autant allé bouffer dans un putain de McDonald !
Eric, magne-toi un peu
Ces paroles détestables proviennent de la bouche de Jim. Il me cause parfois de cette manière là. Durant ces instants, la seule chose que j'ai envie de faire, c'est de le l'attraper par le col et lui hurler mes violentes pensées, en espérant qu'après ça, il soit au bord des larmes.
Qu'est-ce qui me retient ?
Ah oui, le fait que ce soit un ami. Et que je suis un lâche.
Je vais vous prendre la bavette et les pommes de terre à la vapeur
On est dans un restaurant espagnol Eric, tu vas pas commander une bavette ?
C'est le seul plat qui m'attire dans le menu
C'est surtout le moins cher hein ! Dit Philip en riant. Je lui réponds d'un ton ferme.
Peut-être, mais ce n'est pas pour ça.
Ok Eric. Réponds Jim d'un ton neutre.
Mais qu'est-ce que je fous avec ces crétins. Je ne suis même pas un ami à leurs yeux, juste une saloperie de valet. Ils reprennent leurs conversations sans intérêts. Moi je me met à admirer l'intérieur du restaurant, m'acharnant sur des petits détails.
Comme les motifs abstraits sur les serviettes bordeaux, les tableaux d'arts contemporains chauds et paradisiaques, les chandeliers fragiles suspendus au plafond soigneusement décorés. Mais pas grand chose sur quoi s'attarder. Je jette mes yeux sur les autres gens.
La plupart n'ont rien d'exceptionnels. Vieux, moches et ordinaires. Mais une personne à une table un peu plus loin avait attirée mon attention. Une jeune femme blonde, portant un carré très glamour, est assise sur une table peuplée de minables. Le rouge de sa robe élégante s'associe à celui de ses lèvres pulpeuses. Une splendeur brille chez cette femme. Ce ne sont pas que ses yeux revolver, son sourire lumineux ou sa coiffure soignée paraissant presque artificielle, mais un visage éblouissant et angélique. Elle dégage un charme assez rare de nos jours. Je ne peux pas l'entendre parler, mais je la vois sourire à chaque fois que l'un d'eux finit de parler. Je suis hypnotisé par cette créature tandis que mes compagnons dialoguent. Elle sent le poids insistant de mon regard. Et un miracle se produit, elle détourne ses yeux vers les miens et me montre à quel point ils étaient dangereux pour un homme comme moi. Je ne me sens pas méritant de son attention, mais elle continue de me fixer et me transporte dans des pensées enviables. Puis les deux diamants rejoignent le groupe d'hommes en costumes. Je réalise que nous sommes, elle et moi, dans la même situation. Si seulement j'avais le courage de me lever et venir lui parler.
Tu peux toujours rêver Eric, elle est probablement déjà mariée avec l'un de ces connards armé de lourdes liasses de billets.
Le repas était comme je l'attendais : effroyablement ordinaire.
Pour les autres il était : copieux, appétissant, délicieux et frais. L'opposé de mes pensées. Je n'ai pas sorti un mot durant le dîner. Je n'ai fais qu'essayer d'échanger des regards avec la femme en rouge. Dommage qu'elle soit partie si tôt. On a plus qu'à attendre que la serveuse revienne pour nous débarrasser de nos assiettes sales.
Anna fait tombée sa fourchette à mes pieds, je me baisse pour la saisir. Soudain, un fracas sec et osseux perce l'atmosphère bruyante lorsque je m'exécute. Je n'ai pas entendu ce genre de son depuis des lustres, surtout pas aussi assourdissant. Je crois que ça provenait de mon dos.
Vous avez entendu ça ? Leur ai-je demandé
Entendu quoi ?
Mon dos, il a craqué, c'était tellement bruyant. Vous n'avez rien entendu ?
Non désolé Eric. Ils continuent de parler.
Alors je poursuis mon geste entièrement. Le vacarme qui s'en suit est très désagréable et déchirant, c'est comme si toutes mes vertèbres se faisaient broyées. Mais étrangement, je ne ressens absolument rien, aucune douleur. Je ne fais qu'entendre.
Et là, vous n'avez rien entendu ? Anna me répond d'un ton déplaisant.
Rien du tout.
Ils me regardent comme si j'étais un enfant qui racontait des salades.
Ils sont sourds ou ils se foutent de moi ?
Ils continuent leur routine. Tandis que moi j'essaie de trouver une réponse à cette question. Je tourne la tête afin de voir si les gens ont entendus. Un enchaînement de craquements monstrueux recommence, je me suis arrêté dés que je m'en suis rendu compte. J'ai à nouveau tourné la tête vers mes superbes amis, mêmes sons, aucune réactions...Je suis le seul à les percevoir. Des intonations similaires, plus fines et grinçantes se répètent. Je baisse les yeux et me rend compte que ce ne sont pas mes doigts tapotant sur la table, mais mes phalanges remuant sous ma chair. Tout est tellement détaillé et décomposé que je peux associer un bruissement à chaque type de geste. Je commence à me faire du soucis à ce sujet. Chacun de mes mouvements produit un son sec affreusement réaliste et désagréable. C'est comme si j'entendais mes os suivre mes gestes. Le pire dans tout ça, c'est que je suis apparemment le seul à pouvoir percevoir tout ce brouhaha. Par curiosité, je tente discrètement d'autres mouvements.
Je commence par lever doucement mon bras. Le résultat est malheureusement celui auquel je m'attendais. Les frottements squelettiques contre ma chair, le soulèvement saccadé de ma clavicule et les articulations creuses de mon coude et mon poignet étaient affreusement audibles. Je cesse immédiatement de m'infliger ça, alors je le ramène à sa position initiale.
Mes amis s'en fichent royalement. Anna me fusille du regard d'un air interrogateur pendant un court instant, puis les rejoint.
Quant à moi, je retourne dans mon investigation en solitaire. Je commence vraiment à m'inquiéter. Comment je peux percevoir ça ? Est-ce que je deviens fou ?
Un son humide et régulier surgit progressivement. J'entends une lourde pulsation toutes les secondes. Accompagnée d'une vague de fluide se répandant à l'intérieur de mes membres et ma tête avec quelques centièmes de secondes de décalage.
Mon cœur.
J'entends le flux qu'il fait passer à travers tous mes vaisseaux. Je perçois si nettement ces sons, que je peux sentir le sang partant de mon cœur et montant jusqu'à ma tête.
Je commence à en avoir des sueurs froides. Je ne vais pas tenir longtemps si ça continue.
Dés que quelqu'un mêle organes, opérations ou blessures lors d'une conversation, je blanchit. Cette fois c'est bien différent, c'est pire. Je les entends, de plus en plus, c'est horrible et insupportable. Il faut que j'arrive à combler ce vacarme, concentre-toi sur autre chose.
J'essaie de retourner dans la conversation, je les écoute. Ils ont changés de sujet avec le temps, qui ne m'intéresse toujours en aucun point : Les élections présidentielles à venir.
Shhhhh...Shhhhhh...Shhhhhh
Reste calme...Oublies ton corps. Ils parlent de la campagne de Bayrou.
Peng-peng...peng-peng..peng-peng.peng-peng
Je ne peux pas...Je n'y arrive pas...Ils sont toujours là.
Je peux entendre le rythme mon cœur s’accélérer. C'est horrible.
Je m'agite d'avant en arrière comme un attardé tellement je ne peux plus les supporter. J'entends d'ailleurs mes os craquer et se frotter à l'intérieur de tout mon corps, MON corps.
L'un d'eux grince presque comme une vieille chaise, mon genou défaillant probablement.
Je respire bruyamment. J'entends comme un sac, un sac organique se remplir et s'agiter à chaque insufflation.
Mes Poumons. J'entends mes poumons se remplir d'air chaud !
Mes oreilles commencent bourdonner. J'entends à peine la conversation et l'atmosphère autour de moi. L'ensemble est remplacé par tous ces sons organiques, liquide et osseux.
Je n'en peux plus, je ne vais pas tenir. Il faut que je leur dise.
Je...Je me sens p...pas bien....
J'entends mes paupières se fermer en un éclair, le même son qu'une mamie qui mâche énergiquement sa nourriture. Ma mâchoire grince et craque comme un cou. J'entends à présent le suc gastrique liquéfier la bavette et les pommes de terre que j'ai dégusté il y a quelques minutes. Baignant dorénavant dans un amas d’ébullition et d'acide.
Eric qu'est-ce qui t'arrive ?
Le poids de leur regard me met encore moins à l'aise. Ma tête se met à tourner, je ne perçois plus mes mouvements. Je suis levé mais appuyé contre quelque chose, la table probablement. J'entends les couverts se cogner contre la porcelaine. Ils commencent à se lever eux aussi.
Mes os ne cessent de grésiller dans mes tympans, comme ces vagues de sang montant dans ma tête, les pulsations ascendantes de mon cœur, mes poumons se remplissant et se vidant, mes paupières humides, ma mâchoire s'ouvrant, le repas fondant dans mon estomac.
Tout s'éteint brusquement.
À mon réveil, j'étais allongé par-terre. Le carrelage était presque chaud. Anna, Philip, Jim et quelques visages distincts étaient au-dessus de moi. Ils me fixaient comme si j'étais mort. Jim était le plus proche de moi, il me tenait plus au moins et ne cessait de répéter mon nom en espérant me réveiller. Ce qui a visiblement marché.
Tu nous a foutu la trouille Eric ! Qu'est-ce qui t'es arrivé ?
Je ne sais pas trop quoi répondre. Je n'ai que des questions flottantes dans mon esprit.
Où suis-je ? Comment je suis arrivé là ? Depuis combien de temps je suis par-terre ?
Qu'est-ce qui s'est passé pour que je me retrouve comme ça ?
Je me sens encore plus confus que lorsque je me réveille d'un rêve profond. Mais après quelques secondes de constat et réflexion, j'ai fini par réussir à répondre à toutes ces questions.
Tout m'est revenu.
J'ai d'ailleurs remarqué un détail :
C'est calme.
Je n'entends plus mon corps. Mes os, mon cœur, mes poumons, mon estomac, la circulation de mon sang, mes muscles, mes paupières, ma mâchoire et tout ce qui s'en suit, sont redevenus aussi muets que dans la réalité.
Je souris inconsciemment.
Eric ?
J'ai oublié qu'ils me parlaient. Ça me fait bizarre d'être attendu et écouté au sein de ce groupe. C'est l'une des premières fois que je suis le cœur de la conversation.
Oui oui, ça va...ça va mieux...Je ne sais pas ce qui s'est passé. Je vais me rasseoir.
On va t'aider. Dit Philip
Les deux gars m'ont effectivement aidés à me lever et me rasseoir à cette chaise chaude. Anna me tend son verre d'eau.
Tiens Eric, bois, ça va te faire du bien
Je le prend et le vide comme un shooter, ma gorge asséchée est à présent ravivée.
Merci.
Tu nous a vraiment fais peur, t'es sûr que ça va mieux ?
Oui oui...Tout va bien. J'ai dû avoir un coup de chaud ou un truc comme ça.
J'ai un mal de crâne, ce qui doit être lié au malaise.
Il te faut du sucre, une limonade ça te va ?
Tout le monde reprend tranquillement sa routine habituelle, le restaurant se met à nouveau à vivre.
Oui...Oui pourquoi pas
Jim s'adresse au serveur au loin, qui avait reprît le service après ce petit événement.
Garçon ! Apportez lui une limonade s'il vous plaît !
Jim lève le bras et claque des doigts pour l'appeler.
Je peux entendre ses os se mouvoir et ses phalanges déchirer l'atmosphère du restaurant.