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Auteur Sujet: Notre malformation [explicite violent]  (Lu 4541 fois)

Hors ligne derrierelemiroir

  • Calame Supersonique
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Notre malformation [explicite violent]
« le: 01 octobre 2019 à 16:56:33 »
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Notre malformation



  Je t’aime.

  Il y a une part de moi qui t’adore absolument, qui aimerait déchirer ta peau, t’entrer dans le corps et refermer derrière.
Et puis aussi, je t’abhorre. En superposition de mon amour, ou en parallèle. Parfois, tu rentres après le travail, et je ne sais encore laquelle, entre ces deux maladies, prendra le dessus. Ça se joue probablement à un électron près, spin spin je t’embrasse, spin spin je t’attaque. Je ne sais prédire mes humeurs. L’autre fois, par exemple, tu rentrais et tu sentais la cigarette. Ça m’a rappelé ces vacances à Londres où on n’avait fait que fumer, par challenge et rébellion. Je suis venue tout près de toi, me suis frottée à ton cou, j’ai caressé tes cheveux, t’ai emmené dans le salon, t’ai assis, me suis assise sur toi, mon nid ma tanière. C’était doux. J’ai chuchoté, tu as murmuré, mélodieux ronronnements de chats lovés. Puis cette autre fois. Tu rentrais et tu sentais la cigarette aussi. Mais pas de ronrons. L’électron a bondi de l’autre côté de la barrière. Dans mon cœur, toute odeur de nid oblitérée, à la place, ma rage-ouragan. Je t’ai donné des coups de pieds.

  Dans ces moments-là, ma seule idée est de te corriger, comme si tu étais un dessin déformé, et qu’à force de coups, je pouvais en réaligner les traits. Tu n’es pas ce que tu es sensé être. Tu débordes de mon idéal, ça dégouline t’en fous partout. Il arrive, parfois, qu’en même temps que je te frappe, ma haine fasse volte-face, et alors mes coups se perdent, je m’arrête et je pleure. Toi, la peau rouge et gonflée, tu me prends dans tes bras comme si c’était moi la victime, ta malformée. Je sanglote, et terrifiée, essaie de te persuader de me dénoncer. Tu ris doucement – amèrement ?

  Je sais que j’aurais dû être différente aussi. Quelque chose comme une artiste, pour barbouiller des tableaux de toutes ces émotions qui sinon m'avalent. Ou chanteuse. Oh, j’aurais été divine. J’imagine les visages en pleurs d’adolescentes au bas de la scène, et toute ma haine, mon énergie, je la leur aurais jetée à la figure, et elles en auraient redemandé. Ou alors, j’aurais pu écrire un de ces grands livres qui ouvrent le cœur des lecteurs, y déversent toutes les blessures du monde, puis le referme, transformé pour toujours.

  Mais en fait je n’ai rien fait. Ma seule chance malchance a été de te rencontrer. Tu étais étudiant en psychologie, moi en littérature. Tu m’as sans doute trouvée intéressante, une sorte de patchwork de contradictions, de sensibilité et d’intuitions géniales. Tu m’as longuement écoutée parler de tout et taire mon enfance. Tu m’as fait l’amour comme si notre histoire importait, comme si quelqu’un la lisait. Tu as brodé de nuit en nuit un tissu de rêves qui dans les premiers mois m’ont fait planer. Nous étions tout ce que je n’avais jamais osé espérer.

  Et puis rien. Tu as fini tes études, commencé puis achevé ton doctorat – Summa cum laude
– et moi je t’ai regardé de loin en faisant du surplace. La littérature m’a écœurée, à quoi bon ? J’ai quitté l’uni, me suis enfermée chez nous, j’ai menti j’ai dit que j’allais faire des choses. Et alors j’ai commencé à te détester. À force de perfections je n’ai vu plus que tes défauts, j’ai tapé dessus, et toi tu n’as rien dit. Quel putain de comble quand même pour toi Dr. Psychologue !

  Tu devrais me dénoncer. Si j’avais ton sexe et toi le mien, peut-être l’aurais-tu fait, mais peut-être aussi que tu serais morte. Du haut de tes dix années de psychologie, tu espères comme un enfant ma guérison, mais on ne guérit pas de la violence. Elle s’est insinuée dans mon sang – j’avais cinq ans – et depuis étouffe à tout moment toutes mes cellules.

  Tu devais me quitter. Déployer ces ailes que je massacre et t’envoler. Te reposer ailleurs, reconstruire ton aire, et puis oublier tes ecchymoses, me sortir de ton corps. Tu dis que ça nous tuerait, que sans moi tu n’existes pas, qu’il y a pire que mes coups, tout ça tout ça. Et parfois tu oses parler de bébé, de l’idée de créer quelque chose en moi qui n’est pas que chaos et explosion. Tu ne comprends pas. Abruti sous mes baisers et mes gifles.

  Je t’aime je te hais, mais je t’en supplie ne t'en vas pas.


« Modifié: 01 octobre 2019 à 22:35:02 par derrierelemiroir »
"[...] alors le seul fait d'être au monde
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  Nicolas Bouvier

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Re : La violence d'une brune [explicite violent]
« Réponse #1 le: 01 octobre 2019 à 17:24:18 »
Yo !

Citer
Ça se joue probablement à un électron près spin spin je t’embrasse spin spin je t’attaque.
private joke de physicien ^^
(en vrai, je pense que pas mal de lecteurs vont passer à côté ; moi j'aime bien)

Citer
Mais pas de ronrons. L’électron a bondi de l’autre côté de la barrière.
du coup, c'est cool, tu explicites :)

Citer
Dans mon cœur, toute odeur de nid oblitérée, à la place, ma rage-ouragan. Je t’ai donné des coups de pieds.
j'aime bien ce rythme (et rage-ouragan)

Citer
Il arrive, parfois, qu’en même temps que je te frappe, ma haine fait volte-face,
fasse
(et c'est cool, ça fait "fasse / volte-face")

J'ai pas relevé les passages vraiment chouettes, y en a plusieurs, pas mal en fait :)
Tu as vraiment joliment mis en scène cette torture intérieure de ta narratrice et le crescendo est bien réussi. J'aime bien le passage "j'aurais pu être..." qui donne du recul et j'aime bien aussi comment tu as réussi à placer l'historique des deux amoureux sans que ça fasse artificiel, "plaqué dessus".
Bref, un très chouette (triste) texte, l'émotion passe bien sans faire dans le pathos. Pas évident, parce que la construction est au final assez classique et que bien sûr tu n'avais qu'une heure ^^

Merci pour la lecture,

Rémi
Le paysage de mes jours semble se composer, comme les régions de montagne, de matériaux divers entassés pêle-mêle. J'y rencontre ma nature, déjà composite, formée en parties égales d'instinct et de culture. Çà et là, affleurent les granits de l'inévitable ; partout les éboulements du hasard. M.Your.

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Re : La violence d'une brune [explicite violent]
« Réponse #2 le: 01 octobre 2019 à 19:24:06 »
Bonsoir

Un texte interessant ! :)

Quand j ai vu le pave sur mon ecran j ai hesite a me lancer et j ai eu du mal a ne pas perdre le fil...........

Tu devrais penser a aerer un peu ? ;D
Je ne crains pas d etre paranoiaque

"Le traducteur kleptomane : bijoux, candelabres et objets de valeur disparaissaient du texte qu il traduisait. " Jean Baudrillard

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Re : La violence d'une brune [explicite violent]
« Réponse #3 le: 01 octobre 2019 à 21:14:51 »
@Remi

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private joke de physicien ^^
(en vrai, je pense que pas mal de lecteurs vont passer à côté ; moi j'aime bien)
à mon tour: je savais que t'allais aimer^^(pis ça me dérange pas si tout le monde ne comprends pas)

Citer
fasse
ah ben oui, merci!

Citer
J'ai pas relevé les passages vraiment chouettes, y en a plusieurs, pas mal en fait :)
:)

Citer
Tu as vraiment joliment mis en scène cette torture intérieure de ta narratrice et le crescendo est bien réussi. J'aime bien le passage "j'aurais pu être..." qui donne du recul et j'aime bien aussi comment tu as réussi à placer l'historique des deux amoureux sans que ça fasse artificiel, "plaqué dessus".
Bref, un très chouette (triste) texte, l'émotion passe bien sans faire dans le pathos. Pas évident, parce que la construction est au final assez classique et que bien sûr tu n'avais qu'une heure ^^
Merci!! En vrai, j'aimerais bien l'allonger et l'inclure dans mon recueil de nouvelles (qui prendra forme pendant le nano). Là j'ai essayé l'idée et les émotions, et je suis très contente de voir que tu trouves que c'est bien fait!

Merci pour ton passage et ce tic-tac!  :)

@txuku

Citer
Un texte interessant ! :)
merci  :)

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Quand j ai vu le pave sur mon ecran j ai hesite a me lancer et j ai eu du mal a ne pas perdre le fil...........

Tu devrais penser a aerer un peu ? ;D
C'est fait!!

Merci pour ton passage :)
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  Nicolas Bouvier

Hors ligne txuku

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Re : La violence d'une brune [explicite violent]
« Réponse #4 le: 01 octobre 2019 à 22:10:17 »
Merci

Petit coup d oeil : c est bien plus agreable ! ;D
Je ne crains pas d etre paranoiaque

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Re : Notre malformation [explicite violent]
« Réponse #5 le: 06 octobre 2019 à 08:37:14 »
Premier texte que j'ai lu en arrivant ici. Comme c'est beau et quelle qualité pour un texte écrit seulement en une heure ! Je trouve ton texte très poétique et j'apprécie beaucoup la manière dont le thème de la violence conjugale et de cet écartèlement intérieur est traité !

Est-ce qu'on peut avoir l'explication détaillée de la référence au spin de l'électron et du passage de la barrière ? Mes cours de mécanique quantique remontent un peu haha

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Re : Notre malformation [explicite violent]
« Réponse #6 le: 24 mars 2021 à 04:12:45 »
salut dlm
petite nosomnie et me voilà à parcourir ce texte sans trop m'effriter la concentration

j'aime beaucoup la complexité de ta prose en général et l'ambiance blessée/pacifique que tu lui insuffles en général ; c'est ultra prenant pour un peu qu'on essaye de comprendre les douleurs que tu sais exprimer comme j'ai jamais vu ; le fait est que pourtant pour ce personnage, je ne ressens aucune empathie ; j'en ai marre de ces répétitions presque trop socio-convenues, que tu introduis sans que ce personnage sache gérer oui, comme dit, ses contradictions, ses ambiguités ; freud en majeur incident des formations en psychologie, appuie bien sur le phénomène de déni, que les psychologues ni personne, ne peuvent dépasser ; or le déni des binarités conceptuelles comme peut l'être l'intensité du sentiment amour/haine, cette attirance qui n'est bonheur que chez les licornes, est malheureusement trop peu souvent remis en question socialement pour que j'apprécie ton intro en tant qu'elle pose un personnage qui doit probablement espérer une relation où tout n'est que le sourire qui lui manque... c'est vrai que la douleur emphasée n'est aucunement moteur de la joie et au contraire l'empêche, mais c'est ainsi qu'il faut articuler les contradictions afin de construire une cohérence ; je plains autant les psychologues qui portent des secrets niés par le phénomène naturel d'évitement, que ceux qui les prennent pour d'odieux incompétents...

pour la prose, désolé je n'ai rien à redire, c'est parfait pour ma petite perception de lecteur amateur, et en tant que commentateur non formé, j'ose qmm dire mon avis même si je le conçois singulier et n'appartenant qu'à moi

pour le fond, je sais pas jusqu'où tu t'émancipes de tes personnages, mais j'ai pas trop aimé ce qui m'apparait comme l'éternel problème que tu formules pourtant comme personne oui... ce truc de l'espoir romantique comme quoi quand on est sous le balcon c'est avec une rose sans épine... mais qu'esst-ce qu'une rose sans épines ?

un peu navré pour le coup, j'ai l'impression que la qualité de tes écrits sert une cause noble, par des moyens extrêmemnt pertinents, et franchement même, pour un fond honorable ; mais c'plus mon pain ces trucs de binaires, dsl :/

bon après je vois que c't'un vieux texte, je sais pas comment tu t'es transformée grâce à lui depuis...

respectueusement
"i don't care if your world is ending today
because i wasn't invited to it anyway
you said i tasted famous, so i drew you a heart
but now i'm not an artist i'm a fucking work of art"

(s)AINT - marilyn manson

 


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