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Auteur Sujet: Journal d'une Disparition  (Lu 4642 fois)

Hors ligne kokox

  • Grand Encrier Cosmique
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Journal d'une Disparition
« le: 29 mars 2016 à 01:04:16 »
   

Journal d'une disparition



   
Mercredi 30 septembre 2015 – 17h30
Jour 1.





   Au sortir de la chambre 33, tes bras de roseaux se jettent dans nos bras. Soudain, ton barrage de pudeur explose. Tes larmes éperdues se mêlent aux nôtres dans une effusion de regards affolés, de brûlure, de vagues salées. Les secondes nous sont comptées. Et elles sont sans pitié. Tu t'accroches à nos habits, nous enserres tous deux avec les ultimes forces qu'il te reste. Tu enlaces ce paquet de mère et de père tordus de douleur. Nos chagrins font si mal à cet instant que nous peinons à respirer. Je sais déjà que nos cœurs ne battront plus jamais comme avant, puisqu'ils sont en train d'éprouver ce qu’est la pure détresse. Cela laissera forcément des plaies béantes, une foule de regrets acides. Mais nous n'avons pas d'autre choix que d'avaler la pilule. Nous ne vivons pas un petit drame bourgeois qui se fane dans la naphtaline. Non ! C'est une tragédie où rien ne manque, ni les passions, ni la pitié, ni la terreur. Une tragédie anonyme où d'illustres inconnus, dénués de tout héroïsme, tentent de combattre la fatalité avec la tête vide et des bras impuissants.
   Comme disent certains soldats estropiés, hébétés, livrés à eux-même sur les ruines fumantes : c’est un jour à marquer d’un pierre noire ! Cette expression qui date de l’antiquité reflue d’un coup dans ma mémoire. Les grecs avaient institué des jurys représentant le peuple tout entier, lesquels avaient à charge de rendre la justice. Ils disposaient devant eux deux cailloux, un blanc et un noir. Selon qu’ils considéraient l’inculpé coupable ou innocent, ils devaient trancher : le caillou noir ou blanc.
   Est-ce le fruit de mon imagination déglinguée, un débris de mon repentir ? Il me semble qu'une pierre noire se trouve à mes pieds et que son rire narquois me désigne : coupable de n'avoir rien su faire ! Alors je la ramasse discrètement, et la dissimule dans le bourbier de ma honte.
   
   Atteindre ce stupide deuxième étage fut pour toi comme de gravir l'Everest, tant chaque marche grimpée te coûtait d'efforts. Pourtant, bon gré mal gré, tu semblais résignée à rejoindre ce havre de réparation, mon tendre amour. Tu étais parvenue au bout de tes limites humaines. Tu avais tout fait pour survivre jusqu'à la porte de sortie de ton enfer. Vu ta maigreur à faire peur, un jour de plus et tu n'aurais même pas pu escalader ces maudites marches. Un jour de plus, et je t’aurais sans doute soulevé dans mes bras avec cette sensation atroce de porter ma petite morte-vivante au tombeau. Tu as eu ce courage transcendant de le faire seule, mais je ne sais toujours pas comment. Et je t'en remercie.
   
   Tous les trois agglutinés, soudés par le désespoir, nous ne formons plus qu'un bloc glaiseux. Pathétique tableau de deux Rodin en miettes tentant de consoler le filiforme Giacometti au milieu.
   Secouée de sanglots, ta mère s’efface graduellement dans son étreinte. À mesure, elle semble devenir opalescente comme une goutte de vapeur. On dirait que le parfum de son amour veut se fondre en toi.
   Elle pleure sans interruption depuis tôt ce matin. D'après ses dires, elle s’est même entendue pleurer durant son sommeil. À son réveil, son oreiller était mouillé. Ses larmes étaient donc surnaturelles et tangibles à la fois.
   Pas un mot ne sort de sa bouche. Elle balbutie le vide, mais c'est encore trop pour elle. Cette souffrance-là ne se hurle pas, elle vous sidère les cordes vocales. Difficile pour une mère de bredouiller l'indicible. De lâcher comme un vulgaire ballot cette chair d'amour qu'elle a mis au monde voici 17 ans. 17 ans d’amour pour une mère ce n'est rien, c'était encore hier, c'est ce matin.
   Pour un spectateur étranger, cet embrassement de dernière minute aurait pu lui paraître sublime, digne d’une scène déchirante d’un film d’Almodovar. Mais là, pour moi, il est affreux à voir. Ne dirait-on pas que ta mère comprime une abstraction, une coque insaisissable. Ton infime tête de cygne disparaît d'un coup au creux de ses seins. Et soudain, je songe au lait, je supplie : « Donne-lui ton lait ! Nourris-la encore ! Presse ce lait, bon Dieu, qu'elle puisse s'en abreuver à satiété ! Sait-on jamais ! ».
   C'est à mon tour. J'appelle ma délicatesse qui ne vient pas. Je me sens d'un coup comme une bête qui se sent bête. Alors, je plante mon regard fou et larmoyant dans le tien, puis je t'étreins. Nul au revoir, nul adieu dans cet élan. Je t'étreins avec juste cet espoir de t'insuffler toute ma vigueur. Quitte à te briser comme du verre, je veux que mes ondes de vie fouissent, percent, décrassent au plus profond les tuyaux carbonisés de ton mal-être. Je veux que mon cœur frappe le silence de ton cœur. J’aimerais étouffer ta noirceur. Dévorer à pleines dents ta bestiole. Et la recracher à sa place, dans les chaudrons du pandémonium. J’aimerais te dire que je t'aime à la folie. Pourtant, je sais que cela ne suffira pas. Je sais que cette grandiloquence serait vaine. Alors au  mensonge, je préfère l’honnêteté de me dire qu’il est trop tard, que j’ai failli dans mon rôle de père. Que je ne suis pas un protecteur, un bouclier, mais une nullité de l’amour filial.
   Faute de mots, je te serre, je te serre, et te serre encore, et je crois bien, en relâchant soudain tous mes muscles, que tu as quand même absorbé un peu le fortifiant de ma douloureuse étreinte.
   Ô Nina ! Ô, ma fille ! Ô ma petite chose fragile en guenille ! Mon chagrin commence à me rendre cinglé. Je me mets à souhaiter des choses insensées. À maudire la félicité. Je me dis qu'il faudrait abolir le bonheur. Oui, le résilier, le bannir de cette terre. Il faudrait qu’un dieu clément et téméraire le détruise à tout jamais. Comme cela tu ne gâcherais plus tes forces vives à tenter de l'atteindre. Tu serais juste une grande malheureuse perdue dans un monde malheureux, engourdi, dénué d'inspiration. Tu n'aurais plus aucune référence à laquelle t’accrocher, plus aucune notion du bien et du mal. Autour de toi, la cruauté pullulerait. Tout ne serait que flammes, anxiété, dégoût de soi. Chaque être humain souffrirait son martyr mais ne le saurait pas, ne le discernerait pas. Revenue au sein de son terrier infernal, ta bestiole te laisserait sans doute tranquille. Et tu te sentirais peut-être enfin sereine au milieu de cet insensible effroi.
   
   De ta chambre au sas de sécurité, il y a une vingtaine de pas. Nous les rampons debout au ralenti, étayés, conglutinés l'un à l'autre. D'évidence, nous ne sommes plus sur la terre. Nos jambes sont molles sur un sol spongieux. On dirait des cosmonautes oubliés par la NASA, sans masque à oxygène, foulant le marécage d'une lune étrange.
   Poupées de chiffon, deux garçons efflanqués et quelques filles à l’aspect squelettiques errent autour du forum. Ils font une valse lente et concentrique autour de l’immense pièce. Mû par je ne sais quoi - quelques nerfs de balsa ? - ils frôlent à pas de menus chaussons le meuble bar, la table de ping-pong, le baby-foot. Ici et là trônent de hautes sculptures en papier mâché, d'où se dégagent telle une obsession le rouge écarlate et le noir goudron. L’œil est immédiatement saisi par leur regard halluciné, leurs membres difformes, leur posture disloquée. Elles possèdent toutes un air de totem primitif mâtiné de monstruosité mythologique. Tout ce qu'elles laissent apparaître en surface, coulures, plissements, entailles, accrocs, déchiquetures, semble le reflet d'une psyché en souffrance. Elles ont sans doute été façonnées par ces mêmes spectres qui les contournent à présent de façon révérencieuse. Ce qui explique peut-être cela.
   Dans le coin salon, une vieille télévision broie du noir. Les turpitudes de ce monde n'ont pas l'air d'avoir leur place dans cette thébaïde. Pour ces malades ultra sensibles, le monde est devenu leur tête : ce capharnaüm de rouages grippés, de hantises, d'idées fixes, de court-circuits inopinés !
   Ici, le silence décore les murs. Tout est feutré. De rares murmures s’échappent parfois de petites bouches exsangues, aussitôt ravalés comme une excuse. Ici, cela ne sent pas le sang, l’eau de javel, la Bétadine. Cela suinte l’odeur fiévreuse de l’introspection, les relents du fond de l’âme. C’est l'arôme  de l’endroit où les rachitiques se sentent un peu chez eux et les psychiatres utiles.
   Certaines filles ont une sonde nutritive qui traverse leur narine et vient se perdre derrière l'oreille dans les replis de cheveux gras. Je ne peux m’empêcher de songer : le sébum aime déguster la mort lente. Cette substance huileuse est un film lipidique sécrété par les glandes sébacées. C’est aussi l’une des sources de nourriture du biome cutané humain. Je songe encore que sur toi, ma fille, elle doit sucer tes restes, t’aider à t'émietter pour que tu puisses rejoindre cet espace limbique, où l'esprit s'éteint, où le corps, délivré de son tyran, s'abandonne aux joies délirantes de la liberté.

   Ces garçons et ces filles te lancent parfois d'intrigués et doux regards, que tu ne vois pas. Ils aimeraient s'approcher de toi, mais notre présence ralentit leur progression. Je devine aussitôt leurs intentions. Ils viennent renifler le parfum de la nouvelle, l'odeur de la triomphante, ce V de la victoire de celle qui n'a pas encore trébuché, qui ne s'est pas décomposée en voyant dégringoler inexorablement les chiffres sur la balance.
   Plus pudiques, les garçons stoppent leurs pas à distance d'amoureux transi. Seuls leurs yeux sombres de cernes continuent d'avancer pour admirer ce joli petit cadavre qui est venu jusqu'à eux. Mais les filles, moins farouches, persistent dans leur volonté d'abordage. Frêles mendiantes de menues données, elles semblent brûler d'envie de connaître ton prénom, ton niveau de lucidité, où tu en es de ta chute calorique. Je sais qu'elles ne te demanderont pas pourquoi tu viens de les rejoindre. Elles ne le savent que trop. N'aie crainte, Nina, elles ne te jugeront pas. Elles ne te mangeront pas non plus. Leurs dents, elles n'ont pas l'air de s'en servir beaucoup. Elles ne font que se sustenter de l'air du temps.
   Mais comme elles te ressemblent, mon Dieu, comme elles te ressemblent. Cette pâleur suprême ! Ces minuscules mentons en pain de sucre, ces jambes de héron, ces mains étiques ! Ce narcissisme mis à nu ! Ces mêmes traits figés du doute et de l'égarement ! Et, au fond de leurs pupilles enhardies, cette impression qu'elles savent qu'elles seront là pour très longtemps.
   Ce sont en vérité de gentilles filles très intelligentes, des reines écorchées vives qui ont décidé de survivre ou de mourir à leur rythme, comme bon leur semble, en plein cœur de Paris. Qui ont décidé un beau matin de brûler toutes leurs calories et leurs rêves d'existence.
   - N'oublie pas, Nina ! Promets-moi d'aller vers les plus combattantes !
   - Oui ! me réponds-tu dans un filet de voix.
   Ce oui sera ton dernier mot que nous parviendrons à voler au ciel. Et pour moi, l’ultime conseil d’un père complètement dépassé par les événements.
   Vers les plus combattantes ! Comment ai-je pu te proférer pareille exhortation ? Moi, le pacifiste impénitent ? Moi, qui ai manqué crever lorsque j'avais dix-huit ans en m'empoisonnant le sang avec des neuroleptiques pour éviter d'aller faire mon service militaire. Comment ai-je pu t'envoyer ainsi à la guerre ? Et entrevoir que tu pourrais y mourir ?
   Mais qu'aurais-je pu te dire d'autre pour stimuler ton esprit évaporé d'oiselet ?
   « Tu verras, tout se passera bien ? »
   «  N'oublie pas ton humour, c'est le meilleur des antidépresseurs ? »
   Je t'ai déjà dit tant de choses absurdes qui n'ont servi à rien. Désarmé, j'ai tenté l'empathie par le biais du mimétisme. J'ai osé te dire « tel père telle fille » comme un nigaud irresponsable. Je t'ai dit que ta douleur était un peu la mienne, parce que je l'avais connu jadis. Je t'ai appris qu'à vingt-cinq ans, je pouvais rester des heures durant les yeux rivés sur les pavés Napoléon de ma courette, depuis ma fenêtre du sixième étage. Je t'ai dit que j'avais passé des nuits blanches à fixer le mur de ma chambre de bonne, la bouche bée, le front collé au crépis. Je t'ai parlé de ce couteau que je tenais en apesanteur juste au-dessus de mon cœur, durant d'infernales minutes. En finir, en finir disait alors une voix dans ma tête, que j'avais baptisé la bestiole. En finir avec la douleur qui ronge, qui sape, qui engloutit, avec cette douleur sans nom. Je t'ai dit que ce n'était pas la vie que je souhaitais fuir alors, que ce n'était pas le temps que je voulais arrêter. Non, ce que je voulais c'était cogner, assommer, martyriser cette douleur insupportable jusqu'à ce qu'elle éprouve à son tour d'épouvantables douleurs, et qu'elle finisse par en crever.
   Je t'ai dit comme un débile que parfois il n'y avait pas de moyen plus efficace que la mortification pour dévier son supplice psychique. Si la douleur de vivre te torture jusqu'au calvaire, frappe-toi, gifle-toi, jusqu'à ce que tu éprouves des douleurs plus insupportables encore ! Offre ton corps à ta colère, embrase-le pour que le feu en sorte, bande tes nerfs et serre tes poings comme pour tout casser alentour, comme pour massacrer le soleil, les étoiles !
   
   La porte vitrée s'ouvre soudain. Une main invisible la referme aussitôt à clef.
   Ce qui vient de changer sur l'instant, c'est que nous sommes maintenant d'un côté et toi de l'autre.
   Nous apprendrons plus tard que cette porte est sécurisée afin d’éviter les fugues et autres lubies d’évasion.
   Voilà, c'est fini ! Dans une poignée de secondes, ce sera fini.
   Nous ne te reverrons plus !
   Tes yeux ruissellent de larmes. Tu tends ta main contre la vitre. Tu écartes tes doigts. Nous posons les nôtres dessus comme on a vu faire cela cent fois au cinéma dans les parloirs pour prisonniers. Mais là le film, c'est nous. La prisonnière, c'est toi ! Notre  détresse n'est pas fictive. C'est un malheur qui nous arrive à nous. Pas aux autres. Pas aux personnages d'un film à la con des frères Dardenne qui aurait pu s'appeler :  « La disparition de Nina ».
   Abruti à l'extrême, je repense à ces paroles idéalistes de poète de comptoir que je te disais à Saint-Restitut dans l'espoir de te redonner de l'espoir lorsque ton petit ami t'avait quitté parce qu'il ne pouvait plus t'aimer comme cela : « Qu'importe les chagrins. Il faut aimer toujours Nina, et être aimé, à déraisonner. Il faut brûler de passion, détester l'eau calme qui croupit. Sinon, à quoi te servirait de vivre ? ».
   Mais comment, bon Dieu, avais-tu pu entendre de telles conneries, alors que tu souffrais déjà en silence ce martyre de bête blessée au fond de ton âme ?
   Sur deux étages, l'escalier est en colimaçon pour rejoindre le hall de l'HP. Et là subitement, en plein milieu de ces marches, c'est l'impression gigantesque d'avoir reçu un troupeau de mammouths sur la tête. Tous mes circuits d'intelligence viennent d'exploser. Je me sens réduit à l'état d'un lombric au bord d'une route détrempée. Entre terre et ciel, je flotte hors gravitation, plus rien ne soutient mon corps. Le fil d'argent censé retenir ma vie à la tienne vient d'être glacialement rompu. Notre pont fraternel s'est brisé d'un coup, a plongé dans le vide sidéral. Un noir vachard, intempestif, vient d'envahir soudain l'écran, et je reste seul dans mon fauteuil de cinéma, la gorge nouée, comme à la fin d'un film dramatique. Juste du noir, sans musique. Oui, la guillotine vient de trancher les jours radieux, les joies de l'insouciance, les souvenirs de bains moussants et de cache-cache qui déclenchaient tes jolis rires en cascade. La tête de l'amour filial vient de tomber de mes épaules. Elle dégringole les dernières marches, cahote, se stabilise. Ses yeux me fixent. Mais ils sont morts.
   Cette envie de hurler qui ne vient pas !
   Alors, je ferme les poings. J'insulte Dieu.  Je l'ensevelis d'injures. Il n'existe pas, mais je lui dit quand même : nous ne méritions pas cette épreuve. Nous ne la méritions pas ! Je suis perdu, à la rue. Vidé de toute substance. Infiniment maigre. Je blasphème, mais le cœur n'y est plus. Où est donc ce putain de manuel ? Comment fait-on pour vivre le plus triste jour de sa vie ?
   La mort de mon père était triste, bien sûr. J'ai beaucoup pleurer. Sida à 59 ans, cobaye de l'AZT, et à peine quelques mois de sursis entre l'annonce de son test positif et son trépas. La mort de mon beau-père aussi était bien triste. Sept ans d'Alzheimer, d'inexorable déclin, avant d'agoniser durant trois jours avec la mâchoire bloquée, la bouche grande ouverte, les yeux suppliants, presque horrifiés. Mais nos pères étaient voués à cela, car leurs corps avaient vécu et leur mémoire était saturée de souvenirs. Leur départ était précoce mais s'inscrivait dans l'ordre naturel des choses. Les vieilles badernes avant, comme on dit ! Mais les jeunes pousses pourquoi ? Pourquoi si tôt ? Au nom de quoi les supplicier ainsi ?
   Ah, nous les aurons bien connu les maladies les plus pourries du siècle. Est-ce que le diable n'aurait pas pu en filer un peu aux autres pour équilibrer les statistiques ?
   Est-ce que l'heure ne serait pas venue de reconnaître les vertus de la philosophie de Malthus, lequel préconisait de freiner en conscience la croissance démographique ? Remettre au goût du jour l'avortement, la camisole chimique, le contrôle des naissances, donner une prime d'humanisme à tout célibataire, voilà qui pourrait mettre fin à l'absurdité de ces crimes contre l'enfance.
   
   Voilà, c'est fini !
   Il nous faut faire avec à présent, avaler tout cru cette loi cruelle : tu es encore bien vivante, mais disparue. Tu viens de partir, Nina, dans un pays si lointain qu'il semble en dehors du planisphère.
   Comment, où, quand, retrouve t-on les enfants qui n'ont plus toute leur tête et dépérissent sous vos yeux à vue d’œil ? Y a t-il une compagnie, un avion spécial qui transporte les pères angoissés jusqu'à l'os pour rejoindre leur fille au-delà du monde réel ? Combien coûterait un tel billet ? Une fortune ? Mais ce n'est rien une fortune. Moi je la donne cette fortune pour sauver la vie d'un seul enfant sur la terre.
   
   Où es-tu Nina, à présent ?
   Dis, quand reviendras-tu ?
   Quand reverrons-nous ton visage adoré de petite fille si triste brisée en chemin ?
   
   Dans le hall d'accueil, ta mère et moi sommes pris d'un mal de crâne synchrone. Nous nous regardons, mais nous ne nous voyons plus. Nos yeux sont trop embués de larmes. Tout vacille alentour, tout est flou. Et à travers ce flou, l'implacable blancheur des murs irradie notre peine. Si tu étais rentrée pour une appendicite, je me serais sans doute exclamé : quel palace ! Mais là, je pense : saloperie d’hôpital, refait absurdement à neuf ! Putain de prison immaculée qui va enchaîner ma fille ad vitam æternam ! ».
   Mille questions me tourmentent. T'avons-nous seulement mis au monde ? Avons-nous juste rêvé ta naissance, tes premiers biberons, tes premiers pas ? Pantins d’hébétude, macaques aux bras ballants, nous titubons au bord du vide. Trouver appui ! S'asseoir, vite ! Mais vite ne veut plus rien dire puisqu'à présent tout tourne au ralenti. Sur la banquette noire, nous attendons avec ta mère docilement notre tour. Nous sommes assis côte à côte, mais chacun est seul face à sa détresse. Tout est désert.  Les sept milliards de terriens semblent avoir disparu du monde. Tu les as tous emporté dans ton sillage de pauvre libellule blessée.
   Oui, nous sommes collés côte à côte, mais nous ne nous enlaçons pas. Nous ne nous rassurons pas. Parce que nous n'avons plus aucune force. Parce que la pudeur nous immobilise. Parce que nous soutenir l'un l'autre serait malsain, indigne de ta solitude et de l'énorme volonté qu'il te faudra dorénavant puiser au fond de toi pour remonter courageusement la pente.
   Notre tour arrive enfin.
   C'est les jambes amputées que nous nous rendons jusqu'à cette place qui vient de se libérer au bureau des admissions. Nous n'avons que cinq pauvres mètres à faire. Nous les faisons en lévitant comme deux stupides pop-corns bringuebalés dans l'air chaud de la souffleuse.
   Face à l'employée des admissions, je pose un coude sur la table et soutiens immédiatement ma tête avec ma main. Ma tête est lourde comme une enclume, et complètement essorée à l'intérieur. Non pas de ton prénom, mon tendre amour, mais des atomes de ta frêle et diaphane silhouette. Ton corps, pardonne-moi, est en train de disparaître de ma mémoire.
   J'aimerais que cette brave femme ne nous demande pas tes papiers d'identité, ta carte vitale, toutes ces garanties stupides qui rassurent la sécurité sociale. J'aimerais plutôt qu'elle lance un appel pour retrouver les morceaux de nos cœurs en vrac. J'aimerais qu'un dialogue humain s'instaure entre nous, qu'elle nous soutienne, se répande en compassion :         
   - Bonjour. Je me présente : Mireille ! Je suis l'oreille apaisante des parents déboussolées. C'est un nouveau service que nous sommes en train de mettre en place à l'IMM, à l'instar des cellules d'aide psychologique après un attentat. Vous pouvez vous épanchez tout à loisir, j'ai tout mon temps.
   - Oh, merci du fond du cœur.
   - Je vous écoute.
   - Comme vous pouvez le voir, nous sommes sans dessus dessous. Excusez-moi, j'ai beaucoup de mal à parler...
   - Ne parlez que si vous le sentez.
   - Ce... ce qui s'est tramé cet après-midi à l'Institut Mutualiste Montsouris est épouvantable à admettre.
   - Que s'est-il passé ?
   - Nous venons de livrer notre fille...
   - Oui ?
   - Nous venons de la livrer comme un vulgaire paquet d'os aux autorités compétentes parce que... parce que nous n'avons pas été à la hauteur pour la guérir nous-mêmes.
   - Hum, je vois, auto-ressentiment !
   - En quelque sorte !
   - Cette anxiété qui vous dévore la poitrine, ce sentiment nauséeux d'avoir échoué sur toute la ligne au niveau de son éducation !
   - C'est tout à fait ça ! Incapables ! Lamentables ! Égoïstes ! Pensez-vous qu'il existe des médicaments pour supprimer ce genre d'infectes émotions morales ?
   - Malheureusement non. Par contre, nous avons un stage novateur, prochaine séance lundi en huit, qui pourrait peut-être vous libérer de ce poids infernal.
   - Au point où nous en sommes. De quoi s'agit t-il ?
   - Par le biais d'improvisations théâtrales, il s'agit d'amener les parents trop sensibles à se mettre dans la peau d'un psychopathe. Les psychopathes, c'est bien connu, manquent totalement de culpabilité et de remords pour les blessures et les souffrances qu'ils infligent aux autres. À la place, ils rationalisent leur comportement, accusent autrui, ou refusent d'admettre leur fautes. Pour les psychologues, il s'agit d'un mauvais raisonnement moral, une incapacité à évaluer les situations d'un point de vue moral, et une incapacité à développer de l'empathie vis-à-vis des autres. Bref, vous allez apprendre à devenir froids comme des serpents, comme la plupart des gens aujourd'hui.
   - Et ça marche ?
   - Vous voyez ce couple là-bas. Le monsieur gai comme un pinson ? La dame avec le manteau rouge qui n'arrête pas de le bécoter ?
   - Oui.
   - Ils ont commencé le stage il y a trois mois, juste après nous avoir déposé leur petite anorexique. Ils sont chou, non ? Ne dirait t-on pas des tourtereaux en partance pour leur lune de miel ?
   - C'est assez incroyable ! Écoutez, nous allons nous inscrire. Vous êtes notre bon ange ? Merci infiniment, Mireille.
   J'ai beau tenter de me raccrocher à la bouée de l'humour caustique, toutes mes pensées me ramènent à toi.
   Mais pourquoi toi, ma fille ?    Pourquoi toi, Nina ?
   Ma fille ? Mais que dis-je ? Était-ce encore toi, Nina, quand tu préparais avec ta mère cette petite valise ridicule à la va-vite ? Était-ce encore toi à l'arrière de la voiture, toi ce fantôme, se laissant promener sans broncher sur le périphérique ignoble ? Était-ce encore toi qui découvrais ton lit de nonne, inouïe d'indifférence, cette minuscule cellule - une table, une chaise, une étagère - où tu allais passer des mois, peut-être le reste de ta vie ? Était-ce encore toi qui nous a dit : je ne suis pas déçue, je m'imaginais ça !
   Une étreinte déchirante. Quelques pas dans le forum. La porte vitrée qui se referme, claque, nous sépare. Et puis soudain, plus rien. Plus de valise et plus de fille. Plus tes yeux bleus dans mes yeux bleus. Perdus dans la vase temporelle nos regards d'amoureux. Du balais les vieux croulants indignes, du balais les parents pathétiques et dérisoires !
   Une bombe au napalm est tombée ce jour en plein cœur de Paris qui t'a éparpillée aux quatre vents.
   Comment allons-nous faire pour tenir le coup face à cette parodie d'absence ? Deux à trois mois nous a averti l'aimable psychiatre avant la levée potentielle de séparation.
Nous n'aurons droit ni à une visite, ni à un appel. Nous ne pourrons pas t'écrire, te dire que nous pensons follement à toi. Il n'y aura aucune possibilité de te toucher, même la main à travers une vitre comme en ont le droit les taulards les plus sanguinaires.
   Mais que s'est-il passé, putain ?
   Que s'est il passé, mon Dieu ?
   Pourquoi n'avons-nous rien vu venir ? Rien ?
   Six mois d'inexorable dégringolade qui ont filé comme trois minutes à travers le sablier ! Cette grève inopinée des calories, du jour au lendemain, sans préavis ! Cette chute mortelle dans le gouffre de l'anorexie ! Et nos bras aimants qui ne pouvaient pas te retenir, et nos mains qui glissaient sur le savon de ton naufrage, et ton visage éploré qui plongeait dans l'inconnu, qui se transformait jour après jour en tête d'épingle. Cette figure que vers les derniers jours je n'osais même plus regarder. Ma fille, en train de devenir sous mes yeux une rescapée oubliée de Buchenwald. Ma fille que les Russes et les Américains n'avaient même pas remarqué au fond de son châlit, tant elle était dénutrie, au bord de la morbidité, et qu'ils ont laissée pourrir là-bas toute seule dans les camps de la mort, au milieu du typhus, de la vermine et de la fumée des charniers.

   Le hall est tout blanc, d'une étrange sérénité. On se croirait un peu dans une maquette de l'antichambre de l'Olympe. Les visiteurs, les malades semblent se déplacer au ralenti eux aussi. Les uns retournent au dehors vers la vie, les autres s'apprêtent à rejoindre leur chambre pour résoudre avec des médicaments leur empêchement de vivre. Mais pour toi, Nina, il n'y aura pas de médicaments ! Il te faudra faire sans. Pour le moment les pouvoirs de la médecine sont impuissants face à cette monstrueuse maladie. Les chiffres font froid dans le dos. 85 % de malades s'en sortent. 15 % en meurent de mort lente, d'infarctus, ou se suicident. Il nous faudra prier à s'en écorcher les genoux pour que ton destin se rallie au pourcentage le plus élevé.
   Est-ce un mauvais rêve, tout ça ? Un pur cauchemar ? Qui a bien pu t'emmener là-bas dans cette affable prison psychiatrique ? Nous ? Nous aurions fait cela, en toute lucidité, et tu nous aurais laissé faire ?
   JE N'ARRIVE PAS À Y CROIRE !

   Soudain, les larmes reviennent dans les yeux de ta mère. Elle ne vont pas s'arrêter de couler durant six interminables heures.
   Nous ne sommes pas une famille qui a pour habitude de s'épancher, la pudeur nous cimente, mais là nous en profitons pour rattraper un retard lacrymal considérable. Moi, je suis encore trop sonné pour sangloter, je pleure comme un cadavre, à l'intérieur de mon squelette. C'est la première fois de ma vie que je me sens aussi futile, infécond, mauvais. C'est la première fois de ma vie que je me dégoûte autant.
   Nous sortons enfin de cet enfer maquillé en paradis.
   Nous rejoignons la voiture bleue, celle qui rend les fous heureux, sous les rayons cyniques d'un beau soleil. Je pense : drôle d'été indien qui nous a déplumé notre fille !
   Je démarre. Je ne sais pas trop qui conduit.
   Il y a trois petites heures tu étais encore assise sur la banquette arrière, répétant muettement ton rôle de future prisonnière consentante. Tripes nouées, aucun de nous trois ne pouvaient parler. Pour dire quoi ? « Tu verras, tout va bien se passer. Ce n’est qu’une petite opération bénigne. Tout se soigne si bien aujourd’hui ».
   Avons-nous bien entendu ? Des bribes de l'entretien d'accueil me reviennent. 47 kilos, putain ! Ton poids de sortie ! 12 kgs à prendre ! Nous avons dû batailler bec et ongles pour gagner un kilo. Ils voulaient 48, ils n'en démordaient pas ! 15 minutes d'âpre et laborieuse argumentation, pour un kilo. Comme de cupides touristes dans les souks de Tataouine. Un marchandage de malade pour une maladie de malade.
   12 kilos à prendre, mon Dieu ! Et zéro kilo d'espoir dans ma tête à cet instant ! L’affaire semble pliée. Nous ne te reverrons pas avant un siècle. Et ta mère et moi avons signé aveuglément, en trois coups de cuillère à pot, ce contrat moral diabolique. Mais avions-nous seulement un autre choix ? Il était vraiment temps que nous déguerpissions de l'IMM, sinon ils nous auraient fait dire amen au quintal ou à la tonne, histoire de ne pas te revoir avant une éternité.
   Sur la route, il y a un grand embouteillage. Nous roulons cul à cul. Dans l'auto-radio, j'enclenche le CD de Benjamin Clementine, mais ta mère me demande gentiment d'arrêter la musique. Trop mélancolique, trop cafardeux, pas de circonstance. J'insiste pourtant, car à l'aller tu m'a fait part soudain de l'intérêt que tu portais à la voix chaude et bouleversante de ce chanteur black. Pour l'instant, sa voix magnifique et profonde est le seul lien sensuel qui me relie encore à toi. J'ai un grand besoin de l'entendre, de me laisser bercer par elle, si tant est qu'une chanson puisse bercer l'inconsolable.
   Devant nous une voiture de pompier, sirène hurlante, peine à se frayer un passage à travers le trafic. Je repense alors à nos parties de Mille Bornes de cet été aux Saintes-Maries-de-la-Mer où tu étais en état de grâce, où tu gagnais tout, où aucun feu rouge ne pouvait t'arrêter car tu possédais presque à chaque fois les bottes des véhicules prioritaires. Et tu fonçais vers la victoire Nina, le temps et les distances n'avaient plus de prises sur toi, tu fonçais vers la victoire et moi, qui suis plutôt mauvais perdant, j'étais éminemment heureux pour toi.
   Ma fille, je t'aime plus que la Vie, plus que ma vie, plus que mes yeux, plus que mes jambes, plus que mon cœur.
   Demande-moi d'entamer une grève de la faim, d'étendre mes chairs indignes sur un parterre de chaux pour que tu puisses encore vivre cent ans et, sur l'instant, je le ferai.
   Mais par pitié, reviens-moi vite, mon bel amour, pour que je t'offre à nouveau la lune, les cheveux d'or des étoiles, tous les bonbons du Ciel, tous les baisers dont tu auras besoin pour marcher à nouveau sur ton sentier de gloire.
               
                                                                                                                                                               
                                                                                                                                                                                  Papa



« Modifié: 18 janvier 2020 à 20:53:56 par kokox »

Hors ligne Karinet

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Re : Journal d'une Disparition
« Réponse #1 le: 29 mars 2016 à 03:50:09 »
Que dire? Le texte est très bien écrit, poignant. Il atteint son but et frappe droit au cœur. On souffre avec ce pauvre homme et sa famille. C'est très fort et franchement poignant.
"L’usine avec son fracas s’évanouissait. J’étais heureux…. J’écrivais." (Maurice Leblanc)

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Re : Journal d'une Disparition
« Réponse #2 le: 29 mars 2016 à 14:11:58 »
Merci bien pour ta lecture et ton touchant commentaire Karinet !

Bien à toi !

Hors ligne Champdefaye

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Re : Journal d'une Disparition
« Réponse #3 le: 29 mars 2016 à 14:43:38 »
Absolument terrifiant en tant que témoignage, absolument magnifique en tant que texte. Par ces deux caractéristiques, il ravale nos petites histoires habituelles au rang de velléités littéraires ou de bluettes égocentriques.
Je suppose, j’espère qu’il t’a fait du bien.

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Re : Journal d'une Disparition
« Réponse #4 le: 29 mars 2016 à 17:11:59 »
Merci bien cher Champdefaye pour ton indéfectible et très humain soutien.
Je l'avoue, j'ai longtemps hésité à partager ce témoignage des plus intimes. Et puis, je me suis dit que ma pudicité serait bien ridicule de vouloir taire aux autres mon amour pour ma propre fille, alors que je n'ai aucun complexe pour tenter de sensibiliser les lecteurs potentiels aux secousses dramatiques de destins purement fictionnels.
Avec les ondes de chocs des multiples crises contemporaines actuelles, il faut savoir que de plus en plus d'adolescents à fleur de peau sont touchés par cette pathologie et se retrouvent pris dans la toile de cette bouleversante brisure et curiosité mentale qui laisse bien impuissant et désarmé tout l'entourage. Si donc, ce petit texte pouvait donner un peu de force et de courage à ces enfants-là, à ces familles-là, alors je serais très heureux, à travers ces quelques larmes d'espoir, de montrer les premiers arpents qui mènent sur le chemin de la résistance, de la compassion et de l'empathie.

Bien à toi !

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Re : Journal d'une Disparition
« Réponse #5 le: 29 mars 2016 à 17:14:32 »
Nota bene :
Pour répondre à ta dernière question, oui, mille fois oui, l'écriture de ce texte m'a bien aidé à surnager dans mon naufrage.

Hors ligne kokox

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Re : Journal d'une Disparition (Version remaniée)
« Réponse #6 le: 24 mai 2016 à 20:10:03 »
Up pour version remaniée !

Aube

  • Invité
Re : Journal d'une Disparition (Version remaniée)
« Réponse #7 le: 26 mai 2016 à 14:57:16 »
Eh bien, dire que je n'avais pas vu passé ce texte. Mes visites sont trop éparses, heureusement que tu l'as remonté.

Que dire. Que voir cette épreuve qui m'est si familière écrit avec le talent des mots que je t'ai vu employé à d'autres fins fut l'une des expérience les plus indéfinissables de ma vie. L'émotion que tu me communiques là est très rare. Sur le texte, rien à dire, car il est écrit avec l'amour des mots et la sublime impudeur du témoignage, qu'il s'agit d'un de ces texte vitaux qui purgent les esprits des indicibles et les punaiseront au mur des souvenirs. Que tu es bien généreux de le partager.

Certains vécus, dont j'aurais bien été incapable de lisser le souvenir pour en faire des mots, tu viens de me les dérouler ici, avec les mots que tu as choisis. Notamment les paradoxes et la perte de sens de ce qu'on prenait pour acquis. L'actualisation brutale de nos convictions qui paraissent déplacées, soudain.

Je t'ai vu sur un autre texte proposer une écoute secourable à une jeune fille qui semblait vivre quelque chose de semblable à Nina. A mon tour, je te propose humblement d'ouvrir le dialogue par mp sur ce que tu veux. Les souvenirs. Les expériences, similaires et différentes. L'échange. Le recul aussi, ce qu'il reste de tout ça. C'est juste une porte ouverte :)

Je passerai sur l'autre texte dès que j'en trouve le temps ! ;)

Amitiés.
« Modifié: 26 mai 2016 à 15:00:02 par Aube »

Hors ligne Kwak'

  • Prophète
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Re : Journal d'une Disparition (Version remaniée)
« Réponse #8 le: 26 mai 2016 à 15:16:35 »
... Je ne vais pas le commenter normalement. Tu me mets dans des positions contraires, kokox : j'aime pas être juste "client", comme ils disent les jeunes.

Il y a quelques tournures qui sont un peu étranges, mais elles sortent tellement du coeur qu'elles passent bien quand même. Si tu veux savoir ce qui m'a - un tout petit peu - sorti de ma lecture, je me tiens là. On doit être à 0.2% du texte.

Parce que le reste, fiou... de tête, j'suis encore un peu trop secoué pour le lire parce qu'il touche exactement l'essence inverse chez moi : j'aurais du y aller, j'ai tout fait pour esquiver, jusqu'à violent... et c'est mon père qui a fini par craquer, et y séjourner. J'aurai surement dû, et je retrouve dans ton texte l'espèce de pendule psychologique qui oscille entre des sentiments contradictoires qui n'ont qu'un point commun : celui de compresser la poitrine et de vriller le coeur, les uns après les autres, comme un manège horrifique.

"je pleurais comme pleurent les morts : à l'intérieur de soi"
le passage sur les autres filles, les jambes de hérons, toutes ces images distillées avec une plume qui oscille entre la justesse poétique (c'est assez déconcertant l'aisance qu'on ressent chez toi) et cette colère violente et froide, cet effroi, qu'on ressent derrière ton geste. On ressent jusqu'à un paradoxe dans le style, et je crois que c'est ce qui m'a le plus touché : c'est un cri du coeur, et c'est un coeur de poète.

On croirait presque que c'est une rage  que tu as maquillé pour la rendre superbe. C'est... c'est assez fort comme procédé.

Ces questionnements contradictoires mais toujours présents qui reviennent en labyrinthe, sur les grands coups de blues qu'on a cru pouvoir faire passer du revers de la main et qui ont pris beaucoup plus d'importance et qui nous ont doublé... c'est retransmis avec une justesse folle - je la crois presque inconsciente - tant le texte oscille entre fatalité, interrogation de responsabilité, désemparement, impuissance, et espoir... Comme un tic-tac avec des poles, le tout agrémenté - je me répète - de figures de style assez ahurissantes.

"Nous nous regardons, mais nous ne nous voyons pas."
"que je t'offre la lune, les cheveux d'or des étoiles, tous les bonbons du Ciel, et tous les baisers dont tu auras besoin pour marcher à nouveau sur ton sentier de gloire."

Courage mon pote, merci beaucoup : quand la plume sert avec autant de superbe un sujet si primordial pour son auteur, pour le lecteur que je suis, c'est une énorme tarte poétique, et un grand recul sur ce que peut vivre et penser un confrère qui ne fait pas semblant de ressentir. J'suis resté bloqué de longues minutes sur le bas de l'écran avant de pouvoir entamer ce commentaire...

Merci, j'ai pas trop les mots :'
« Modifié: 26 mai 2016 à 15:21:58 par Jef »
Bout de poussière d'étoile,
Qu'attends-tu pour briller ?

Hors ligne kokox

  • Grand Encrier Cosmique
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Re : Journal d'une Disparition (Version remaniée)
« Réponse #9 le: 26 mai 2016 à 16:57:18 »
Aube et Jef ! Que vous dire à mon tour ? Vous m'avez bien retourné la paillasse et appelé les larmes, mes petits salauds ! Pas la paillasse de l'écrivain, oh que non, mais celle du père ! Encore une fois, je ne souhaitais pas sombrer dans l'exhibitionnisme chochotto-compassionnel en postant ce "cri du coeur", mais simplement témoigner auprès de quelques uns que, par delà nos presque banales tragédies, l'amour pour nos proches, en cas de vacillement, pouvait se transformer en rage et la rage en formidable espoir. L’humanisme, à mes yeux, signifie que nous, êtres humains, ne sommes rien d’autre que ce que nous sommes. Pour certains, il n’y a pas de Dieu, pas de vie après la mort, pas de religion par laquelle nous serons sauvés. Pour moi, grand croyant devant l'Eternel, mais farouchement non religieux, il n'y a pas de Dieu non plus autre que mes soliloques absurdes, voire presque pitoyables, avec "L'invisible". Dans ces états de fragilité suprême, nous sommes seuls, depuis l'Alpha jusqu'à l'Oméga du Cosmos. Tant est si bien qu'il n'y a pas d'autres solutions que de nous sauver les uns les autres, avoir de la compassion les uns pour les autres, car personne ne prendra soin de nous, si ce n'est nous-mêmes ! Plus cyniquement, mais tout en agréant à ce principe immunitaire, je pense encore que la détresse humaine des uns est peut être le médicament miracle des bien portants. Ne lève t-on pas un peu le pied dès que l'on croise un épouvantable accident sur l'autoroute ? Dans son "Dialogues des Carmélites" Georges Bernanos n'a t-il pas eu cette phrase superbe : "On ne meurt pas chacun pour soi, mais les uns pour les autres" !
Presque désolé que ce petit journal ait réveillé en vous un tel charivari ! Mais très heureux de voir que des coeurs vibrent encore !

Bien à vous !

« Modifié: 26 mai 2016 à 16:58:51 par kokox »

Hors ligne manael

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Re : Journal d'une Disparition
« Réponse #10 le: 06 juin 2018 à 19:08:52 »
Hello c'est Manon
Très beau texte émouvant et criant de vérité... Il me rappelle "lettre à l'absente"


Hors ligne Alopex

  • Tabellion
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Re : Journal d'une Disparition
« Réponse #11 le: 08 juin 2018 à 18:14:18 »
Très beau… très poignant, très poétique et très aimant. La violence de la détresse ressort.

Mon seul conseil serait celui de la simplicité.

En tout cas le texte est magnifique ! :)
"Ceux-là mêmes qui, subtils, écoutent les poèmes étrangers sans écrire leurs propres poèmes, jouissent de l'oasis sans la vivifier." Antoine de Saint-Exupéry

Hors ligne kokox

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Re : Journal d'une Disparition
« Réponse #12 le: 10 juin 2018 à 19:49:19 »
Un grand merci pour votre lecture, Manael et Alopex !

Hors ligne kokox

  • Grand Encrier Cosmique
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Re : Journal d'une Disparition
« Réponse #13 le: 17 janvier 2020 à 07:51:14 »
Texte remanié !

Hors ligne txuku

  • Palimpseste Astral
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    • BEOCIEN
Re : Journal d'une Disparition
« Réponse #14 le: 18 janvier 2020 à 20:13:16 »
Bonsoir

J ai espere jusqu aux commentaires que ce texte touchant etait bien une fiction........... :'(


Une coquille cependant :
Citer
je t’aurais sans doute soulever
souleve.

Et des phrases qui m ont plu :
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Elle balbutie le vide
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Nous les rampons debout
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le silence décore les murs

Et deux autres qui me paraissent boiteuses :
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ils frôlent à pas de menus chaussons
Citer
sources de nourriture du biome cutané humain
j ai consulte le Ouebe - biotope ?
Je ne crains pas d etre paranoiaque

"Le traducteur kleptomane : bijoux, candelabres et objets de valeur disparaissaient du texte qu il traduisait. " Jean Baudrillard

 


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