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12 mai 2024 à 00:29:32
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Le Monde de L'Écriture » Coin écriture » Textes courts (Modérateur: Claudius) » La mélancolie de Rosemonde

Auteur Sujet: La mélancolie de Rosemonde  (Lu 171 fois)

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La mélancolie de Rosemonde
« le: 16 mars 2024 à 08:48:02 »
                                                         

                                                            La mélancolie de Rosemonde

Ce matin Rosemonde est mélancolique. Son chevalier cherche la source de cette mélancolie. Lui-même est submergé par la vague d’un état dont il ignore où il commence et où il se termine. Le chevalier ne peut pas vraiment partager la mélancolie de Rosemonde. Pourtant il est triste. Rosemonde ne dit rien. Son silence est la fenêtre ouverte à toutes les suppositions.

Et voici que point dans le cœur du chevalier une sensation qui lui est familière. Elle résulte de l’état d’âme de Rosemonde. Une sensation que le chevalier pourrait nommer de cette appellation personnelle ; la Kulmanobie. Elle remonte à la surface d'une profondeur sans fond. Elle s’installe dans les gestes et la tête du chevalier. Elle est pesante la Kulmanobie en vous. Si Rosemonde est malheureuse, la Kulmanobie aigue surgit chez le chevalier. Si Rosemonde souffre, si elle est contrariée, agacée, chagrinée, embêtée, même irritée ou en colère, la Kulmanobie aussitôt déploie sa toile dans la poitrine du chevalier.

Et lui ne comprend pas. D’où vient-elle ? Elle se manifeste toujours dans les mêmes circonstances. Le chevalier interroge son passé. Mais l’enfance d’un chevalier est compliquée. Il pense mettre des noms sur des causes, mais la cause appelle toujours une autre cause. Un cocon filandreux et pâteux s’enracine dans le for intérieur du chevalier. La Kulmanobie en est la manifestation. Elle l’empêche de parler à Rosemonde. De lui adresser la formule « pourquoi-pourquoi ? », sésame qui pourrait dissiper l’obscurité.

La Kulmanobie est la cuirasse qui protège et paralyse le chevalier. Elle en est aussi le heaume. A travers la fente, le chevalier regarde le monde. Et Rosemonde, sa tristesse, ses colères, ses embêtements, dont elle n’est pas responsable. C’est la Kulmanobie du chevalier qui le dit, le hèle, dans la caisse de résonnance de son heaume et cuirasse. Et le sésame « pourquoi- pourquoi ? » le chevalier se l’adresse misérablement. Sans retour.

La Kulmanobie, c’est comme une institution, une loi, dont on ne connaît pas les législateurs. Ils sont muets, enfouis, enterrés, mais leur règle demeure. Elle produit ses effets. Le chevalier  ne peut embrasser sa Rosemonde. Guérir sa Rosemonde, puisque c’est lui qui est malade. Le chevalier est mauvais troubadour. Sa chanson ou son poème reste coincé dans la barrière de ses dents. S’il se met à genoux devant sa Rosemonde, c’est pour libérer une cafouilleuse plainte.

Un jour, il faudra que le chevalier parte en guerre contre la Kulmanobie, étrange pays de lacs où les brouillards recouvrent le rivage. La Kulmanobie vient d’une déesse. Elle a donné naissance à un enfant, sans lui enseigner l’art du combat. La déesse était occupée ailleurs. Les servantes ont élevé l’enfant comme des servantes s’acquittent d’un ouvrage, sans passion ni ferveur. L’enfant s’est retrouvé chevalier sans arme. Il exprime sa flamme, mais il n’en maîtrise pas le feu qui le brûle. Il se croit être l’incendiaire. C’est là que la Kulmanobie fait ses ravages. Le chevalier endosse tous les maux de sa belle. Il ne lui procure aucune épée. Il n’en possède pas. Dans la lice, le tournoi est ouvert. Le chevalier doit combattre un adversaire, la Kulmanobie. Mais les heaumes sont baissés. Et aucun ne voit le visage de l’autre. Rosemonde assiste au tournoi, elle ignore ce qui anime son chevalier. Le vainqueur pourtant serait celui qui lui déclarerait une flamme sans condition. Sauf que le chevalier vainqueur assumera en lui secrètement les effets dévastateurs de la Kulmanobie. Le poids, la charge, la blessure, la faiblesse.

Puis un soir, le chevalier enfourche une autre monture. Un destrier, qu’il talonne de ses étriers. Le cheval s’appelle Détermination. Il saute tous les obstacles, dont celui de la Kulmanobie. Il atteint le poteau de l’arrivée. Le cœur de Rosemonde. Le chevalier ôte son armure. Il parle de vive voix. Et ses mots sont une solution. La Kulmanobie n’est plus qu’un ruisseau derrière, stagnant, franchi par le galop aveugle du destrier.

La mélancolie de Rosemonde s’épanouit comme une fleur. Chaque pétale s’étiole dans la paume du chevalier. Les pétales de Rosemonde et non plus la corolle corrodée, putride, de la Kulmanobie. Chaque pétale est l’objet d’une attention. Celle du chevalier au service de la réparation.
« Modifié: 16 mars 2024 à 09:34:52 par LOF »
Lof

Hors ligne Marie Czarnecki

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Re : La mélancolie de Rosemonde
« Réponse #1 le: 17 mars 2024 à 19:14:35 »
C'est un beau texte sur l'empathie.
J'avoue que j'ai cherché le mot "Kulmanobie" me demandant s'il existait vraiment.
Tu rends bien compte de la difficulté à se connaître, à assumer, à oser. Heureusement, c'est un conte, et ça finit bien.
Les mots, "ces passants mystérieux de l'âme", sont de grands magiciens et de redoutables entraîneurs de foules. (Raymond Poincaré)

Hors ligne LOF

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Re : La mélancolie de Rosemonde
« Réponse #2 le: 20 mars 2024 à 09:17:29 »

 Dans le néologisme "Kulmanobie", il y a le préfixe "culpabilité".
 Merci pour votre commentaire.
Lof

 


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