Les responsables de l’humanité et les médias martelaient sans cesse : « vous êtes trop nombreux ». Pour réduire l’impact écologique de l’humanité, le programme – Slim down – avait été imposé à tous les peuples.
Certains avaient souffert plus que d’autres. Les Tongiens plus que les Peules, les sumos plus que les escrimeurs. L’égalité entre tous, objectif suprême, était en voie de réalisation. Il s’agissait d’éviter un tirage au sort pour alléger la biomasse humaine, repousser les massacres envisagés.
Le Parlement Mondial Associé avait annoncé une énième réforme. Des slogans aidaient les peuples à obéir : « Tendre vers la deuxième dimension », « Moins épais = plus écolo », « Peser moins sur l’environnement »…
Les industries pharmaceutiques, la reproduction assistée, l‘ingénierie sur l’adn, les salles de sport et les psychiatres avaient mis les bouchées doubles. Une fois aplatis, on pouvait conserver tous ces milliards d’individus, plus ou moins nécessaires.
La première génération s’était allégée.
La deuxième un peu aplatie.
La troisième devait viser la ligne extra fluette.
Le programme s’était d’abord appliqué sur les personnes en surpoids, puis aux rondouillards et finalement sur tous, jusqu’aux anorexiques. Le résultat avait été spectaculaire et assez bien accepté. Le budget nourriture avait fondu, on pouvait monter à huit sur un simple scooter, à seize dans une petite voiture familiale, à trois mille dans un long courrier, avec seulement un minuscule sac à la main. La terre commençait à respirer.
C’était pour le bien commun ; mais, contre toute attente, réticences et mises en garde se transformèrent en oppositions, puis en manifestations. Des cris pouvaient encore être poussés : « Stop aux aplatissements », « Ils veulent notre peau’, « Après ils nous rapetisseront », « un simple coup de vent peut m’emporter »… La chasse aux politiques et aux élites un tout petit peu grasses commença. Apeurés, ils essayaient de cacher leur léger embonpoint, où ils se terraient.
Le grand rassemblement eu lieu un 1er mai. Face aux ribambelles de contestataires, les forces de l’ordre attendaient. Tout en avançant les gens hurlaient : « Ça suffit, on est arrivés aux os. »
Le commandant Plisson était abasourdi par l’ampleur de la manifestation. Il cria à ses troupes :
« Dépliez-vous, formez-moi une ligne infranchissable. »
Les manifestants, collés les uns aux autres, pliés en deux, s’organisaient en de multiples formations en triangles, prêts à déchirer les rangs des policiers.
« Pompes à eaux au maximum », aboya Plisson.
***
Au deuxième étage du Parlement, un des deux grands députés se lamentait :
« Ah, on a la solution et ils font toujours des difficultés pour s’adapter.
— Lançons un grand débat, promettons une taille minimum de 1m20, acceptons un poids de 5 kilos, créons un comité étique multiethnique. Lui suggéra son collègue.
— Comme vous y allez !
— Attendez, c’est nous l’opposition, résistez un peu, que diable ! Un peu de théâtre et d’émotions, voilà ce qu’il leur faut »
Ils se courbèrent pour entrer dans le restaurant panoramique. D’un commun accord, d’une seule voix, ils dirent :
« Garçon deux Tournedos Rossini, bleus ».