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Le Monde de L'Écriture » Coin écriture » Textes courts (Modérateur: Claudius) » Mon village dans le 51: Un discours sinon rien !

Auteur Sujet: Mon village dans le 51: Un discours sinon rien !  (Lu 699 fois)

En ligne Choumi

  • Calliopéen
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Mon village dans le 51: Un discours sinon rien !
« le: 20 novembre 2022 à 10:52:50 »
Bonjour je laisse tomber pour un temps mes détectives privés pour revenir à mon village et de la perception que j’en ai.
Toutes celles et ceux qui y laisseront un mot sont remerciés à l'avance et assurés que leur avis pris en compte.
Michel




Un discours sinon rien !

 Assis devant l'écran de son portable, les yeux rivés sur la page LibreOffice, Alibert Machepraux, 72 ans, réfléchit. Il réfléchit ! Enfin il essaye ! Il essaye de comprendre ce machin là, dont les touches semblent se défiler sous ses doigts boudinés. Toute sa carrière professionnelle il a conduit des engins de chantier, alors un clavier d'ordinateur et lui, ça fait deux.

   — Bonjour, tu as l'air de galérer ?
    — Hein !
    — Bé oui, c'est moi qui te parles.
   — Je n'vais pas t'avoir su'l'dos dès l'reveil ? Ronchonne Alibert Machepraux visiblement agacé.
   — Bé si et pour cause ! En ce moment tu n'en manques pas une. Hier tu t'es comporté comme un goujat à l'anniversaire de Léonie. Il y a des jours où je me demande à quoi je sers.
 
 Manifestement il y a de l'eau dans le gaz entre Alibert Machepraux et sa conscience. La semaine dernière au repas des anciens, il s'est soupesé les roublardises pendant le vin d'honneur sans se soucier de l'entourage, a roté à table en se tapotant sur le ventre et pour couronner le tout, a été pisser derrière un buisson dans l'enceinte même du parc qui longe la rivière. Il a eu beau avancer ses problèmes de prostate et le fait qu'il n'y avait pas grand monde qui se promenait dans les allées, sa conscience a pété les plombs et lui en a joué un air qui ne ressemblait en rien à une valse musette.

  — T'es toujours après moi, à me coller la honte sitôt que j'bouge. Merde ! C'est pas un coup d'état que d's'moucher avec ses doigts ou d's'gratter le c.. ! Lui a-t-il reproché amèrement.
  — Je te le concède mais pas en public, a-t-elle martelé.
  — C'est pas une raison pour me torturer avec ta moralité à quat'balles et de tes : Fais pas-ci, fais pas-ça, t'aurais pas dû !
  — Bé si justement, sans moi tu n'as pas de limite, alors  je veille au grain.

 En fait, le contentieux ne date pas d'hier. Au mois de Mai il a klaxonné Mélanie qui traversait hors des clous au risque de la faire chuter et a collé une torgnole à un mioche qui piétinait ses géraniums. Bon, c'est vrai qu'à défaut d'une taloche de bagnard, c'était plutôt une pichenette sur le haut du crâne, mais le moutard a pris peur et s'est mis à chougnier.
Ça l'a titillé toute la nuit cette affaire là, Alibert. Alors au petit matin, bourré de remords il a donné un bonbon au gamin pour se faire pardonner, non sans accuser sa voix intérieure d'y être, encore, pour quelque chose. Depuis le torchon brûle entre sa morale et lui. Du coup, mon copain a du mal a être en paix avec lui-même et Marguerite sa compagne ne le reconnaît plus.
                                                                                                  ~
 Ce n'est pourtant pas un mauvais bougre, le père Machepraux. Mais solitaire parmi les solitaires, il se comporte en société de la même façon qu'il se comportait dans la roselière où il passait son temps avec les grenouilles et les oiseaux. Les corneilles surtout dont il remettait au nid les oisillons qui loupaient leur premier envol. Il y restait des heures entières à regarder les arbres se demandant pourquoi les branches sont plus tordues que les racines. Il en était arrivé à la conclusion que Mr le curé a bien raison de dire que le royaume des cieux est impénétrable.

 Il fut un temps, où lui seul traînait dans cet espace humide que tout le monde prenait pour une poubelle à ciel ouvert et que lui, Alibert Machepraux nettoyait sous les quolibets des bien pensants. Son père qui y braconnait un peu pour améliorer les jours maigres savait plus que quiconque respecter les ressources naturelles de cette zone franche et lui disait souvent, quand ils allaient à la pêche tous les deux :  — tu vois petit, il ne faut pas leur en vouloir, ils ne savent pas. Mais toi, si tu veux retrouver une place propre la semaine prochaine, ramasse tes détritus avant de partir, la nature te remerciera en te donnant ses fruits.

 Aujourd'hui, écologie oblige. Repris par la politique et devenu un lieu protégé pour la bio-diversité, comme ils disent, on voudrait lui expliquer l'importance du lieu et lui en interdire l’accès. Par deux fois le garde-champêtre l'a surpris sur le site et, sans chercher à comprendre, lui a administré une amende.

 Une contravention à lui, Alibert l'écolo, comme l'appellent ceux qui se moquent derrière son dos. Lui qui, sans savoir ce que veut dire le mot « Ecologie » a toujours respecté la nature. Alors depuis cette altercation avec les autorités, pour se venger il devient exécrable en société quitte à être en bis-biz avec lui-même.
                                                                                  ~
 Dans le petit village où il habite, tous les ans  en fin d'année ou au tout début de l'autre, est remis un lot aux bénévoles qui se sont investis dans une bonne action envers leurs prochains ou dans la protection du milieu naturel. Au Noël dernier, il s'y était tellement goinfré de petits fours et de mignardises que Marguerite vexée jusqu'au trognon était partie avant la fin. Sur le chemin du retour, sa conscience n'avait pas été tendre à tel point qu'il avait promis de ne pas recommencer.
Mais cette fois ci, c'est différent, car à sa grande surprise il est invité à la fête pour bonne action au profit de village. Il ne demandait rien. Ce qu'il fait depuis des lustres dans l'indifférence générale, lui semblait tout à fait normal, et certainement pas de nature à le placer sous les feux de la rampe. Lui voulait seulement continuer à rendre visite aux animaux de la roselière et parler aux arbres.
Au départ, il a même pris ça comme une atteinte à sa vie privée. Marguerite l'a rassuré, lui expliquant que c'était une reconnaissance lui qui se trouve en ce moment à sa place nul part, et l'a même incité à préparer un petit discours de remerciement.

  — Bonjour !
  — Déjà levée !
 — C'est pour Samedi ? Je peux t'aider si tu veux, lui propose gentiment Marguerite
  — Si tu veux. J'ai du mal avec ce foutu machin.

Toujours happé par son écran de portable, Alibert baille. Le peu qu'il a tapé sur la page LibreOffice, touche après touche avec un seul doigt, toujours le même, ne lui convient qu'à moitié. Tous ces trucs modernes lui détraquent la tête et la peine qu'il se donne n'est pas  garantie de succès.

« MesdamE et Méssieurs A  tous, aus uns, aux unes ET aux Autres, à voUs tous en Même tempS. Je suiS tRés émU,  SNIF » etc...

  — Que tu sois ému je le comprends mais que tu prévois de verser une larme, ça fait un peu opérette, tu ne trouves pas ?
  — J'en sait rien moi ! Ca s'fait comme ça, dans toutes les r'mises de prix, regardes aux César.
  — Oui mais là, on est pas à l’académie des arts et techniques du cinéma français, nous nous sommes à la remise des lots pour les bénévoles du village.
  — C'est toujours la même histoire, j'suis toujours à contre-courant. Tu comprends j'suis pas un habitué des cérémonies.
                                                                                     ~
  Dernier samedi du mois de Décembre.
Debout devant sa glace d'armoire Alibert se prépare. Il récite son discours, écrit dans la douleur et imprimé non sans mal. Il n'y a jamais d'encre dans l'imprimante quant il en a besoin.
Attentive à ses moindres gestes, son hombre veille avec la crainte de louper un mouvement, d'être en retard dans une attitude, de ne pas reproduire fidèlement son look.

  — Tu vas t'habiller  comme ça pour ce soir?
  — Hein ?
  — Bé oui c'est moi qui te cause.
  — T'es là aussi ?
 — Tu sais bien qu’avec ou sans lumière, je te colle aux talons depuis que tu es au monde.
  — Oui je sais, et tu pourrais éviter de me plaquer au mur à l’état brut. Mes bourrelets, ma tignasse et mon froc à ressort n’intéressent personne. Tu pourrais être un peu plus discrète.
  — C’est pour les fois ou tu me fais marcher dans la boue et grimper aux arbres de la roselière.
  — Rancunière avec ça ! C'est vrai que t'as pas toujours l'air à l'aise. A croire que t'as le vertige.
  — Non, j'aime bien les balades dans la nature d'ailleurs je te fais remarquer que je te suis partout sans broncher. Mais tu ne m'a pas habituée à me vêtir de cette façon. Je me demande si j'ai ce genre de fringues dans ma garde robe.         
                                                                                    ~
 Nous sommes à l'avant veille de la veillée de noël où beaucoup de convives veilleront devant un bon repas, sans toujours savoir pourquoi exactement ils sont là, à veiller. veilleraient-ils devant une table vide ?
Les habitants du village ont été invités dans la salle du gymnase où le grand sapin semble protéger la crèche de Mr le curé qui n'attend plus que le petit Jésus. Certains sont surpris de ne pas le voir sur la litière entre l’âne et le bœuf. Aldebert aussi et pense à un oubli de l'enfant de chœur. De toute façon, il s'en fout un peu. Dans la roulotte qu'il partageait avec ses parents et sa sœur il ne fêtait pas Noël et refusait d'aller au patronage où Mr le curé distribuait des goûters. Il préférait déjà, passer de longues heures dans la zone où le croassement des grenouilles lui semblait plus amical malgré l’amoncellement organisé des bouteilles de verre et autres matières plastiques.   
                                                                                         ~
 Engoncé dans des habits trop stylés pour lui , Alibert Machepraux attend son tour et boit une coupe avec ses rares copains tous étonnés de le voir là, comme lui de les trouver ici.
 Il est là, un peu contre son gré, mais Marguerite a insisté et  a passé pour l'occasion une robe pailletée. Sa conscience   lui à prodigué les dernières recommandations et son ombre s'est mise, elle aussi, sur son trente-et-un, après être passée chez le coiffeur. Longtemps, bien avant     Marguerite, elle ont été ses seules amies, ses confidentes partageant en silence ses peines. Toutes se sont investies pour lui,  et ce soir  il ne veut pas les décevoir.

 Sont présents:
Mr le Maire, armé de son sourire chirurgical, les fidèles de ce genre de reception qui sont à Mr le Maire ce que sont les pleureuses à Mr le Curé et les futurs lauréats. La plupart des nominés vous diront qu'ils sont foutent. Mais, si on y regarde de plus prés, ils sont tous impatients et ils ont raison. Un petit moment de gloire ne fait de mal à personne.

 Monsieur le Maire de la commune est monté sur l'estrade, s'approche du micro et en appel à un peu de silence.
Alibert se raidit. Marguerite verse un larme, déjà. Sa conscience est sur ses gardes et son ombre figée au coin du mur, n'ose bouger de peur de claquer un jeans bien trop serré et de se meurtrir le cou avec un col renforcé d'un morceau de carton.

  — Mesdames et Messieurs je voudrais féliciter notre concitoyen Alibert Machepraux qui a compris avant tout le monde l’intérêt écologique de la roselière, la protection de sa faune et de la flore, quand la plupart d'entre nous, sans penser à mal, utilisait cette zone humide comme une poubelle à ciel ouvert. Alors que lui,  Alibert, souvent sous nos moqueries, partait avec sa brouette ramasser les détritus.

Que resterait-il à nos enfants pour se promener si des gars comme lui n'avait pas, contre tout le monde défendu ce qui nous a trop longtemps paru comme peu essentiel. Visionnaire n’était-il pas voué à l'incompréhension ! Progressiste n’était il pas, devenu par obligation un éternel hors la loi protégeant les animaux dits nuisibles qui peuplent la roselière.
Âpres délibération du conseil municipal sanctionnée par un vote à l'unanimité, nous déclarons Alibert Machepraux gardien d'honneur de la roselière.

 Alors, il est monté sur l'estrade sous les applaudissements, a posé son texte sur la table, et tout simplement leur à dit les larmes aux yeux : MERCI pour eux!

             Cette soirée là, mon ami s'est bien comporté.
« Modifié: 26 novembre 2022 à 06:42:58 par Choumi »

Hors ligne Mic Ester

  • Troubadour
  • Messages: 256
Re : Mon village dans le 51: Un discours sinon rien !
« Réponse #1 le: 20 novembre 2022 à 13:53:02 »
Salut Choumi
C’est la ruralité avec tous ses petits travers que tu nous racontes là, somme toute, il est bien sympa ce papy et écolo en plus.
La chute sur la préservation des zones humide est bien trouvée, c’est une cause nationale, et tu apportes ta pierre à l’édifice.
Sans ça, la conscience qui te colle au train, c’est un peu casse-casse quand même, il aurait de quoi s’énerver Alibert …

Bye
Mic

En ligne Choumi

  • Calliopéen
  • Messages: 583
Re : Mon village dans le 51: Un discours sinon rien !
« Réponse #2 le: 22 novembre 2022 à 09:12:20 »
Bonjour et merci Mic Ester pour ton passage et ton commentaire.
Hé oui, il arrive que cette petite voix énerve. Je me suis pris un peu les pieds dans le tapis. L'idée au démarrage était un peu marrante et voulait démontrer une personne en pleine réflexion avec l'image qu'il pensait donner.
Amicalement
Michel

Hors ligne Alan Tréard

  • Vortex Intertextuel
  • Messages: 7 282
  • Optimiste, je vais chaud devant.
    • Alan Tréard, c'est moi !
Re : Mon village dans le 51: Un discours sinon rien !
« Réponse #3 le: 25 novembre 2022 à 22:24:17 »
Bonjour Michel,


Voici un texte amusant avec quelques passages émouvants.

J'ai trouvé la situation comique, pas mal de péripéties dans ce petit monde. Des mots d'esprit, de l'humour, deux ou trois moments drolatiques. Tu sais toujours trouver le mot pour rire et l'idée qui amuse. Ça paye pas de mine, et c'est bon pour le moral. ^^


J'ai apprécié l'authenticité du village et des personnages d'Alibert et Marguerite Machepraux. Je ne sais pas s'ils sont inspirés de ta vie ou si c'est toi-même que tu nous présentes, mais ça ne m'a pas dérangé de ne pas savoir. Ça sonne vrai comme une cloche de bon matin dans un coin tranquille. Il y a de la créativité et de l'astuce dans ce récit.

Chacun joue son propre rôle et tout est à sa place du côté de chez toi.


Merci à toi pour cette lecture, donc, et au plaisir de découvrir la suite de tes aventures bientôt. :)
« Modifié: 25 novembre 2022 à 22:28:14 par Alan Tréard »
Mon carnet de bord avec un projet de fantasy.

Hors ligne Milou7806

  • Tabellion
  • Messages: 28
Re : Mon village dans le 51: Un discours sinon rien !
« Réponse #4 le: 26 novembre 2022 à 04:35:53 »
Bonjour Choumi.
Je ne sais pas si mes commentaires seront constructif, je ne suis pas un habitué de ça.. Mais il faut bien apprendre!

Très sympathique ce petit texte. Alibert est attachant malgré son côté ronchon.
Son combat, ses dialogues avec son ombre et sa conscience sont très intéressant.
En bref, j'ai bien aimé ce petit texte.

Je vois qu'à un moment, on passe de Alibert à Aldebert. C'est une erreur ou simplement moi qui n'ai pas compris?

Egalement, tu met Hombre, au lieu de Ombre.


Bonne continuation.

Milou

En ligne Choumi

  • Calliopéen
  • Messages: 583
Re : Mon village dans le 51: Un discours sinon rien !
« Réponse #5 le: 26 novembre 2022 à 12:39:59 »
Bonjour
Merci Messieurs pour vos commentaires encourageants

Alan
Non il n’est pas autobiographique même s’il y a toujours une part de moi dans mes écrits.  Dans la série : Mon village dans le 51 tous les personnages existent les récits sont juste romancés
Le plus proche de Madame et moi est sans nul doute Marcelle et Marcel

Milou7806
J’ai rectifié la faute : ombre je ne sais pas pourquoi je m’évertue à mettre un h à ombre.
C’est presque pathologique
Quant à Aldebert c’était le premier prénom retenu et deux oublis sont intervenus
Alibert met venu en regardant l’équipe de France de rugby
Amicalement
Michel
« Modifié: 26 novembre 2022 à 12:48:46 par Choumi »

Hors ligne Charivari

  • Aède
  • Messages: 159
    • site web créations
Re : Mon village dans le 51: Un discours sinon rien !
« Réponse #6 le: 26 novembre 2022 à 13:11:58 »
Salut.

Qu'il est sympathique ce Machepraux !  :D

Un petit texte qui trucule, bien écrit (attention faute d'orthographe, çà et là)... Ça fait plaisir, ça s lit comme du petit lait.  J'aime bien ces dialogues avec l'ombre, et cette fin, toute bête, toute simple, et justement, pour cette raison, touchante.

Bonen continuation

En ligne Choumi

  • Calliopéen
  • Messages: 583
Re : Mon village dans le 51: Un discours sinon rien !
« Réponse #7 le: 11 décembre 2022 à 10:39:50 »
Bonjour à toutes et tous
Pris dans le bricolage d'un nouveau polar avec mes détectives privés je suis passé à côté de vos commentaires encourageants.
Charivari
Merci aussi pour ton passage. Je vais essayer de corriger mais ce n'est pas gagner d'avance
Amicalement
Michel

 


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