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Le Monde de L'Écriture » Coin écriture » Textes courts (Modérateur: Claudius) » Tu n'es rien (L'offrande au déchu)

Auteur Sujet: Tu n'es rien (L'offrande au déchu)  (Lu 307 fois)

King

  • Invité
Tu n'es rien (L'offrande au déchu)
« le: 26 février 2021 à 15:43:49 »
Bonjour à tous !

Voici un texte que je viens de dépoussiérer rapidement.
Saurez-vous l'interpréter ? Le comprendre ? En déchiffrer le sens caché ? Personnellement, j'y travaille encore.  :D
Je me souviens que l'exercice avait été particulièrement intéressant, d'autant plus que je n'ai(me pas) pas cette habitude d'écrire au présent.

(Spéciale dédicace à LoupDesSteppes : Negory n'a donc pas le monopole de la prétention hypocrite ?!  :D )


Tu n'es rien.

Il y a tout un monde, en bas. Je l'observe du haut de
je ne sais quel balcon carrelé que le soleil faisait briller
d'éclat.

Mais alors que je contemple ce paysage abstrait, un
homme m'assène une sévère ruade, les deux talons
joints, entre les omoplates. Le coup est si violent qu'il
nous arrache à tous les deux une interjection brève. Un
souffle sonore. Le sien sentait méchamment la haine...
Je passe alors au travers d'une vitre que, malgré sa
teinte légèrement bleutée, je n'avais pas remarqué.
Probable qu'elle n'était pas là, avant l'agression.
Après une chute vertigineuse qui m'a semblé durer
une éternité, j'atterris sur le ventre.

De l'herbe... Ça fait du bien.

Je me relève sur un genou.

Il n'y a rien, derrière moi. Au-dessus non plus
d'ailleurs, sinon un plafond de nuages opaques de
mauvaise humeur. La pelouse s’étend vers l’infini,
dévorée par le ciel qui tombe à l’horizon.

Il pleut, maintenant. Je le sais parce qu'en général,
ces choses-là, on les remarque. On a les vêtements secs
comme des brindilles d'été, le vent n'a de vent que le
chant, et ce fracas humide ressemble au grésillement
d’un vieux téléviseur mal réglé.

Soudain, la nuit.

Un lampadaire déchire un cône blanc au cœur des
ténèbres pour éclairer ma portion d'herbe. Autour, un
brouillard s'épaissit et brille comme si la lune y était
cachée.

Il pleut, il faut s'abriter.

Je marche donc, incertain, appréhendant la
prochaine ruade, les oreilles désagréablement tendues.
Mon regard arpente le sol et devance mes pas sur
l’herbe sans fin.

Un cabanon en bois me darde tout à coup d'un regard
glacial, droit devant, les yeux bâillant d'une effroyable
béance. La porte tombe quand je m'en approche. Par
terre, elle n'est plus qu'un éventail de rondins
indisciplinés et de cordages rompus.
 
J’en franchis le seuil, m'enfonce dans l'obscurité et
l'inconnu. A l'intérieur, de petites bougies
s’évanouissent dans d’énormes paquets perlés de cire
blanche. La lueur jaune éclaire difficilement une
gouttière en bambou qui vomit des litres de pluie dans
un bac à sable, générant un bruit des plus disgracieux.

Dehors, il pleut.

Je resterai ici pendant la nuit.

Quelle nuit, d’ailleurs ? Le jour est si vif que l'on
pourrait s'asseoir sur les rayons de soleil que
permettent les fenêtres ouvertes.

Une paire de religieux cognent à la porte, tout à
coup.
"Nous vous apportons la vérité !" braille l'un d'entre
eux par-dessus le fracas de la pluie.

Sa voix sonne sourd, derrière l'épaisse porte en bois
qui, alors que j'avais le dos tourné, en a profité pour se
reconstituer.

J'ouvre à la troisième série de cognements. Le
quidam est accompagné d'une femme pieds nus sous
une robe madras, et tient un cactus. Il me tend la
plante, le regard jovial.

─ Bienvenue, me dit-il.
─ Bienvenue ? rétorqué-je. Mais tu es chez moi !
─ Chez vous ? Mais... chez vous, c'est où ?"

Cette question me pousse à une réflexion si
profonde que je titube et manque d'ouvrir
définitivement les yeux.

─ Chez moi... C'est là-haut, réponds-je finalement.
Quelqu’un m’a poussé.

L'homme sourit bêtement, immobile, la bible sous le
bras.

─ Qui n'a pas déjà rêvé d'être Dieu ? me dit-il.
─ Mais je ne rêve pas d'être Dieu ! Je ne suis pas
Dieu, je suis un roi !"

La femme agrippe le bras de l'homme. Le bras qui ne
tient pas de bible. Son visage se transforme soudain, se
fige derrière un masque d'inquiétude contagieuse, les
yeux écarquillés.

─ Mais alors, à quoi rêvez-vous ? me demande-t-elle,
presque abasourdie.

Je n'ai pas le temps d'y songer lorsque que le sol se
fissure et s'écroule sous mes pieds. Comme si cette
cabane n’avait été qu’une fragile chrysalide suspendue
au-dessus des nuages. En un rien de temps, je me
retrouve dans le vide de la stratosphère.

J'entame alors une nouvelle chute et me surprends à
hurler de toutes mes forces. Un hurlement de rage sans
bornes peu à peu noyé dans la terreur.

"Mon cactus !" cris-je comme la panique me gagne.

La descente est si rapide que j’ai l’impression de
fondre entre les traits de pluie. Les débris de parquet
m’accompagnent jusqu’à mi-chemin, puis je finis par
les semer dans les nuages.

Le sol apparait, verdoyant, courbe comme il épouse
la forme du globe terrestre. Il se rapproche à une
vitesse que je ne contrôle pas. Je sais pourtant à quel
point je ne risque rien.

Je parviens à redresser le menton : Droit devant,
mon cactus, mon offrande. Il est petit comme une main
d’homme et pourtant, il pique vers le monde à la même
vitesse que moi.

Je m’écrase enfin au pied d’un arbre gigantesque.
C’est un baobab. Cette fois-ci, je peine à me relever. Le
paysage court jusqu’à perte de vue.

Il pleut.

Je me laisse glisser par-dessus une énorme racine et
trébuche sur le sol recouvert d'une pelouse de trèfles
touffue. Là-bas, un vaste champ de fleurs colorées
qu'a su épargner la moisson des amoureux. Pas un
pétale ne manque, du moins, de ce que je vois.

J’avance timidement. Le sol mouillé fait chuinter la
pelouse. Je suis fatigué. Ereinté. C’est bientôt la fin. Je
sens l'étreinte glacée de la pluie. La charge mouillée de
l'eau imprégnant mes vêtements royaux. Ce n’est pas
normal.

Je m’ébroue, m’accorde encore une minute.
Soudain, je m’effondre à la lisière d’un carré de
roses, la tête enfoncée dans l’herbe mouillée. Je
succombe. Mes yeux vont s'ouvrir pour de bon et
je n'ai pas retrouvé mon cactus. Je contemple les
tiges épineuses en contreplongée. Ainsi observé,
le parterre de roses, ressemble à un sous-bois
dont les troncs sont crêtés de gigantesques fleurs
bigarrées.

J’ai perdu mon cactus...

Peu importe. Où qu'il soit, il est certainement très
heureux, tant cet endroit est merveilleux.

Une question surgit dans mon esprit, tout à coup.
Une question ayant survécu à ce monde dont la
singularité n’a d’égal que la beauté. Cette question
m’apparait aussi clairement que la lune au milieu d'un
ciel sans nuage. Elle m'est dictée par une voix agréable,
douce et élégante, et fait remuer mes lèvres alors que
je m'en vais vers la raison.

Une question simple et pourtant si importante...
"N'y avait-il pas assez de place pour deux, sur ce
balcon ?"

Il pleut.
« Modifié: 26 février 2021 à 15:52:31 par King »

 


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