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Le Monde de L'Écriture » Coin écriture » Textes courts (Modérateur: Claudius) » L'homme qui n'aimait pas l'Occident

Auteur Sujet: L'homme qui n'aimait pas l'Occident  (Lu 770 fois)

Hors ligne Thom

  • Troubadour
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L'homme qui n'aimait pas l'Occident
« le: 19 mars 2021 à 07:44:39 »
Pour cette treizième publication, écrite sur fond des chants népalais de Lama Tsering, Flapping Wings of the Garuda, nous nous transportons dans un pays imaginaire, que je situe entre la Mongolie et le Kirghizistan, et oui, il fallait au moins ça : paradoxalement, la distance nous aide à nous contempler avec plus de netteté et, partant, d’objectivité. Nous assistons au cours d’un religieux, qui entend démontrer à ses étudiants l’absurdité de l’Occident, sur la base de nos propres écrits. Finalement, [spoiler], le cours taira la lueur qui viendrait éclairer cette caricature de société plongée dans l’ignorance. Ce choix de censure peut cependant tout à fait être le bon, puisque personne ne sait si cette lueur est durable, ou si elle n’est qu’une éclaircie due à des contraintes passagères. J’attends vos avis, sages et étonnés …

Assis en tailleur dans une salle de classe ombragée, le vieux professeur se ressert un thé brûlant. Le temps que la salle se remplisse, il savoure chaque brève gorgée sucrée et repose lentement la tasse, dans un cérémonial éprouvé au long des années. Tout en lui est fait pour inspirer le respect dû aux anciens : la barbe longue et blanche, caressée avant chaque phrase, le regard perçant et toujours, à ses côtés, le livre saint qu’il connaît par cœur.

Ce matin, il donne un cours sur l’Occident et ses dérives. Ce n’est pas la partie la plus facile : son auditoire est jeune et forcément attiré par les mirages occidentaux, la technologie, la musique. Il peut pourtant démontrer sans effort la futilité de leurs habitudes, les errements de leurs chefs et surtout la disette spirituelle qui déshydrate leurs vies.

Les étudiants s’installent en arc de cercle : rien ne vient entre chaque étudiant et le professeur, comme si le cours était un cours particulier. Le silence se fait et le professeur prend une pile de journaux qu’il a lus le matin même ; il les fait passer en silence. Chaque étudiant en garde un et fait passer la pile. Le temps de lecture, dans des langues différentes, est long et studieux. Puis le sage invite trois étudiants à choisir un article, à partir duquel il improvisera son cours pour démontrer la décadence occidentale.
Le premier article est posé au centre par un étudiant, toujours le premier à répondre, un des meilleurs :

-   Mon Père, corrigez mon ignorance profonde et dites-nous ce qu’il en est de cet article sur l’agriculture subventionnée ?

-   Excellent choix, c’est un article de presse française sur les aides européennes aux paysans. Si ton ignorance est profonde, c’est qu’elle est faite pour être comblée d’autant de connaissances et de sagesse.

Les étudiants sourient à ce préambule bien rôdé.

-   Les occidentaux se sont éloignés de la Nature. Ils adoptent des lois pour protéger ce qu’ils appellent l’Environnement, mais n’en contrôlent pas l’application. Ils passent leur temps à bitumer les espaces et s’étonnent des inondations de pluie, qui ne peut plus rentrer en terre. Ils changent de législateur tous les cinq ans, aucune action de longue durée ne peut être faite, sans être défaite par le suivant. Ils réservent leurs surfaces agraires à la production de carburants non pétroliers pour véhicules. Cette réaffectation des terres raréfie la production alimentaire et augmente leurs parts d’importation, il faut bien nourrir la population. Les prix sont fixés non par les producteurs, mais par les intermédiaires qui les vendent à la population. Leurs paysans sont donc très pauvres et disparaissent les uns après les autres, dans une détresse totale. Plus grave, leur savoir disparaît avec eux : l’abattage des animaux se fait hors des fermes. Les animaux servent bien à nourrir la population, mais celle-ci, réfugiée dans les villes, ne veut surtout pas savoir comment on tue un animal. Leurs livres, leurs films, se plaisent à décrire de façon romantique cette agonie et cela affecte vraiment les gens, mais, comme tout chez eux : cela ne dure pas. Une union symbolique de leurs pays, l’Union européenne, leur verse, comme à des mendiants, de quoi survivre, mais elle interdit à leurs vaches de faire trop de lait !

Les étudiants rient. Le sage a marqué un point. Un second étudiant l’habitué des questions délicates s’avance et pose son journal ouvert aux pages de couleur rose-saumon.

-   Mon Père, corrigez mon ignorance abyssale et dites-nous ce qu’il en est de cet article sur l’industrie énergétique ?

-   Choix judicieux et riche de sens. On ne voit pas dans les abysses, il y a peut-être une foule de connaissances qui demeure interdite à la vue, on peut donc penser que ton esprit est sage bien qu’il ne le soit pas, personne ne s’en apercevra ! Vis ta journée sur ce malentendu et tu nous en diras les bons effets…
Les étudiants sont ravis du défi et se lancent des paris pour le mettre à l’épreuve dès le cours fini.

-   Ce journal, le Financial Times, est toujours fort bien renseigné. Cet article traite du même phénomène de disparition des compétences. Pour gagner plus d’argent, les industries ont fui les pays dont l’accumulation de taxes a renchéri les coûts de production, de façon déraisonnable. Ils ont déplacé leurs ateliers chez notre voisin chinois qui produit moins cher parce que sa main d’œuvre affiche un coût presque nul, celle-ci n’ayant aucun droit, comme vous le savez. Le produit manufacturé peut bien être transporté à l’autre bout de la planète, le coût demeure bas et il peut être revendu avec une marge importante à ceux qui ne savent plus le produire. Ces sociétés ont besoin d’énergie, mais ils ferment leurs mines et leurs centrales nucléaires sous la pression des naturalistes. Or, ils n’arrêtent pas de s’équiper en produits informatiques consommant toujours plus d’électricité. Il y a quelques années, chaque famille avait un téléphone et des téléphones étaient disposés sur les places publiques pour ceux qui n’en avaient pas. Aujourd’hui chaque membre de la famille a son téléphone, même les enfants, qui coûte cent fois plus cher qu’avant et il n’y en a plus sur les places publiques. Ceux qui n’ont pas de téléphone n’ont pas de droits. Ils s’échangent même des messages par téléphone au sein d’une même famille, sous le même toit !

Les étudiants s’interrogent du regard. Le sage précise, complice de ces regards :

-   Ils ne sont pas stupides : ils sont perdus. C’est différent, mais ça se manifeste par les mêmes symptômes…

Les étudiants rient à nouveau. Le troisième étudiant s’avance timidement et place au centre, des deux mains, un magazine féminin italien sur les relations au travail.

-   Mon Père, corrigez mon ignorance infinie et dites-nous ce qu’il en est de cet article sur la journée de travail des femmes ?

-   Ah, j’attendais ce sujet. Le désordre des occidentaux est lui aussi infini et se perpétue de générations en générations. Toi qui te sais ignorant sans limite, tu es le plus sage d’entre nous.

La classe regarde l’étudiant comme si elle le découvrait.

-   Il est normal d’être étonné : les adultes qui travaillent - car seuls les adultes travaillent - dans des bureaux passent tous, sans exception, leur journée face à un écran d’ordinateur. Cette position passive maltraite tout leur corps en quelques années : le dos, les poignets, les yeux et bien sûr le cerveau mais ça vous l’aviez compris... Ceux qui se préoccupent de leur santé payent pour faire du sport et le font souvent face à un autre écran ! Le matin, ils arrivent à leur bureau et s’embrassent tous, comme des enfants ! Oui, oui : ils s’embrassent ! Même les inconnus ! Ils commencent par prendre un café ensemble et discutent de choses futiles. Ils font une pause avant le travail ! Chacun cherche à se mettre en valeur auprès des autres. C’est, pour eux, un moment de détente, qui suit le stress du transport car ils y sont entassés comme du bétail, les uns contre les autres. Juste après, ils vont tous à leur chaise de torture écrire des mots, c’est ça leur travail. Ils s’envoient des messages, alors qu’ils se parlaient de vive voix juste avant. Et ils commencent leurs messages par « Bonjour ! ».

Les étudiants rient à nouveau de bon cœur et se saluent « Ciao - Ciao ! » en faisant semblant de s’embrasser.

-   Les femmes ne sont pas voilées, leur regard, qui est une fenêtre sur l’âme, perd toute importance puisque tout le visage est visible, par tout le monde ! Elles conduisent des voitures et travaillent aussi dans ces bureaux. Elles payent d’autres femmes pour s’occuper de leurs enfants. Elles ne le vivent évidemment pas toutes très bien et beaucoup restent avec leurs enfants un jour de la semaine. Elles encouragent même les hommes à le faire ! Les parents âgés ne gardent pas les petits-enfants : ils sont envoyés dans des maisons, très chères, où ils meurent en deux ans, privés de vie de famille. Et lorsqu’une femme accouche : le père de l’enfant va être obligé, par une loi, de prendre un congé !
Les étudiants ne rient plus du tout et écarquillent les yeux. Cette fois, c’est incompréhensible : sous prétexte qu’ils habitent de l’autre côté de la planète, toutes les valeurs sont inversées. Ça ne sera pas du tout facile à retenir pour l’examen. Ils quittent le cours en prolongeant les fausses embrassades et salutations à l’italienne. Alors que la salle de classe se vide, la pile de journaux va rejoindre dans la poubelle un article arraché à un journal juste avant le cours. On y lisait ceci :

« Covid : comment le virus a changé notre société.

Le virus planétaire a mis à mal notre système de santé, qui n’y était pas préparé. Il a stoppé nette toute production dans les industries et les services, les commerçants mettent la clef sous la porte les uns après les autres. Mais il a surtout pointé sans équivoque nos faiblesses, auxquelles il faudra apporter des remèdes et s’y tenir lorsque la vie d’avant reprendra son cours. Déjà dans les entreprises, des changements majeurs sont constatés par les salariés : fini les embrassades du matin ou la pause-café  compte tenu des gestes barrières. Les salariés se saluent à distance et vont directement à leur poste de travail. La population entière est désormais masquée, on apprend à déchiffrer un regard si on parvient à reconnaître la personne. L’économie n’est pas en reste : les circuits courts voient leur légitimité s’affirmer face à la prise de conscience de polluer par le transport. On relocalise en masse. Ce n’est plus la loi qui protège la planète : c’est le citoyen. S’y ajoute la priorité de posséder localement des compétences et produits de première nécessité. Les salariés souhaitent retrouver une vie proche de la nature, loin des transports en commun et s’orientent, notamment chez les cadres expérimentés, vers des formations débouchant sur des métiers manuels. Si personne ne peut dire quelle sera la vie d’après, il est très probable qu’elle sera, au quotidien, tout même bien différente de celle d’avant...
»
« Modifié: 15 décembre 2021 à 11:28:42 par Thom »

Hors ligne Manu

  • Calame Supersonique
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Re : L'homme qui n'aimait pas l'Occident
« Réponse #1 le: 08 décembre 2021 à 00:02:56 »
.
« Modifié: 10 juillet 2022 à 13:35:39 par Manu »

Hors ligne Delnatja

  • Grand Encrier Cosmique
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  • Ailleurs et au-delà
Re : L'homme qui n'aimait pas l'Occident
« Réponse #2 le: 08 décembre 2021 à 12:02:30 »
Bonjour Thom, je trouve ce texte excellent.
Tu aurais peut être pu aussi évoquer la publicités qui pullules afin de faire consommer toujours plus.
Bonne journée.
Michèle

Hors ligne Cendres

  • Comète Versifiante
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Re : L'homme qui n'aimait pas l'Occident
« Réponse #3 le: 08 décembre 2021 à 19:15:15 »
Merci pour ton texte.

Je partage pas toujours ton opinion et ici c'est un forum d'écriture.

Un chose qui me semble bizarre dans ton texte, c'est la connaissance qu'a le héros, le vieux professeur, des normes de l'occident.
Pour savoir aussi bien les choses, il a du y vivre de nombreuses année (vu qu'il connait l'évolution) et aussi s'intégrer vu qu'il connait les travers et les utilisations de nombreuses choses.
Pour moi, avant d'être "le vieux sage", il a vécu en occident  a l'occidentale pendant longtemps.

Sinon ton texte est bine écrit et il est plaisant a lire. Je ne pense pas que j'arriverais a faire un texte d'une telle qualité.

Hors ligne Thom

  • Troubadour
  • Messages: 261
Re : L'homme qui n'aimait pas l'Occident
« Réponse #4 le: 12 décembre 2021 à 11:14:17 »
Bonjour Manu,

Désolé d'avoir tardé à répondre; j'étais en déplacement. Covid et Brexit ne rendent pas les voyages au UK faciles...
Quelle surprise de revoir ce texte exhumé de la sédimentation MDéenne.... Curieux aussi que ce soit celui-là car ce n'est pas un des plus faciles, je le reconnais bien volontiers, mais je comprends que c'en est précisément la raison. Un peu comme ses enfants, on aime tous ses textes sans avoir de préférence, mais ils sont bien différents et seul un regard extérieur peut les voir tels qu'ils sont.

Il m'a été inspiré, sur le mode des Lettres Persanes sans prétendre en avoir la qualité, d'une mission au Népal qui remonte à quelques années. J'y avais croisé un sage qui m'avait impressionné par son savoir des choses occidentales, et je rejoins ici la fine observation de Cendres, et par surtout son humour !
Ma plus grande crainte est bien celle décrite : m'enfermer dans un intellectualisme stérile. Son pendant : celle, tout à fait concrète, de n'être pas assez précis ou de perdre le message que je veux faire passer. L'équilibre n'est pas simple, mais je vais y veiller.
Merci beaucoup pour cette remarque, née d'une lecture attentive, qui est la raison d'être de ma participation ici.

Hello Delnatja,

Voilà qui aurait tout à fait trouvé sa place dans le texte !
Merci de ce passage.

Bonjour Cendres,

Ta remarque est très juste : sans savoir si c'était effectivement le cas, je pense comme toi que le vieux sage rencontré avait une connaissance personnelle de l'Occident.
Tu mets toujours un petit mot te dévalorisant : c'est dommage car on ne te voit pas comme telle et tes interventions sont souvent pertinentes. La preuve !

Bon dimanche à tous,
Thom

Hors ligne Thomas57

  • Plumelette
  • Messages: 10
Re : L'homme qui n'aimait pas l'Occident
« Réponse #5 le: 12 décembre 2021 à 15:11:44 »
Le texte est agréable à lire, même si à première vue on pourrait croire que non. En effet, ce n'est pas toujours simple d'exprimer des idées et des points de vue sans avoir ce ton trop informatif et barbant.

Il y a par moment des idées un peu "houellebecquiennes": j'aime bien.

Merci pour ton texte vivant et très sympathique. :)

 


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