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Auteur Sujet: Ces petites situations du quotidien que seuls nous pouvons comprendre  (Lu 3291 fois)

Hors ligne Safrande

  • Troubadour
  • Messages: 336
Re : Ces petites situations du quotidien que seuls nous pouvons comprendre
« Réponse #15 le: 05 novembre 2021 à 23:07:56 »
La situation la plus malaisante qui me soit arrivé. J'ai besoin de l'extérioriser parce que je suis en train d'écrire dessus en ce moment, d'une manière détournée drôle et cruelle, et ça me plombe.

Le contexte est simple : j'errais dans mon village d'enfance, en même temps que d'écrire, comme d'hab. J'ai eu un délire avec des pâquerettes : si vous voulez je m'amusais à les effeuiller pétale par pétale, exercice délicat, qui rend délicat, qui ne sert à rien mais me détend, m'hypnotise en quelque sorte. Et si vous voulez je me suis dit "Ça serait génial d'avoir une preuve, sous la forme d'un objet, que j'effeuille un à un les pétales d'une pâquerette : un objet dont on pourra deviner, en l'observant, l'inévitable moyen appliqué pour l'obtenir – effeuiller un par un les pétales". Et donc je me suis mis à chercher un "spot" de pâquerette, pour m'assoir et, en pratiquant l'effeuillage, réfléchir à une solution.

Donc je trouve un spot autour de l'église de St Jean : un joli champ de pâquerette au pied d'un tombeau familiale entouré d'une grille. Je m'assoie tranquillou, je pose mon carnet, et je cueille des pâquerettes qu'ensuite j'effeuille avec la joie et l'inconscience d'un animal ou d'un enfant, et ça pendant plus d'une heure. Mais là tout à coup une voiture arrive par le chemin qui longe l'église, et fait une marche arrière au niveau de la tombe. Là j'me sent acculé, je me lève, avec mes pâquerettes dans la main. La voiture s'arrête, la porte s'ouvre et je vois une mamie sortir. On reste con quelque seconde, interminables, puis elle me dit Vous êtes charmant mais que faites-vous là ? J'ai presque pas de voix vu que depuis une heure j'suis en transe avec mes pâquerettes, et, comme si je venais d'être réveillé, je bredouille Heu j'écris... Puis là directe elle enchaine C'est un bel endroit n'est-ce pas ; voyez-vous, je suis veuve depuis deux ans, et ça fait un mois que j'ai enterré mon fils unique de 55 ans dans cette tombe (celle contre laquelle j'étais appuyé). Je capte l'étendu du truc, j'ai cru que mon cœur allait s'arrêter, avec mes pauvres pâquerettes dans les mains. Je lui dis Ah mince... je suis désolé... Elle va à son coffre en grommelant des choses, elle l'ouvre et attrape un arrosoir plein, puis là renverse un peu d'eau sur sa jambe. Et là elle dit cette chose terrible, elle dit Oh... je n'en suis plus à une bêtise près.

Sur ça j'ai senti les larmes monter, même là en l'écrivant, j'étais perdu, déboussolé par la tournure des événements, je ne savais pas quoi faire, j'ai esquissé quelques pas, et là elle me dit Vous pouvez rester là, ça ne me dérange pas vous savez. Je lui ai répondu Oui oui vous inquiétez pas, mais je dois y aller. Et là je sais pas pourquoi mais j'ai dit, et ça me semblais une bonne idée sur le coup, une bonne intention, j'ai dit Je vous laisse avec votre fils... Quel genre de connard dis ça, réagi comme ça, quel genre de connard ? Je regrette tellement... Ensuite je me suis assis sur un banc, je la voyais au loin, j'étais désespéré ; à chaque fois que je pense à elle j'ai envie de pleurer. Elle a toute sa tête, elle est lucide. Sa situation me fait penser au néant de la mort que je redoute. Et pendant un mois j'étais vide, inconsolable ; comment fait-elle pour vivre ?

C'est le truc le plus fou qui me soit arrivé, ça parait même invraisemblable... Depuis à chaque fois que je vais à St Jean j'espère la revoir, j'aimerais discuter avec elle, lui faire de la compagnie ; je regrette mon comportement, et j'aimerais me rattraper. Voilou !
Il regardait le verre non à sa portée d'une façon de reproche.

 


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