Si je me trompe pas, il n'y a pas de Radiohead ici, alors je vais combler le manque
Radiohead c'est anglais, ça s'entend. C'est en partie Thom Yorke (au chant reconnaissable, qu'on adore ou qu'on déteste, mais dont on ne peut nier l'intensité et la fragilité) et Jonny Greenwood (guitare, bidouillages sonores) qui font l'identité du groupe. Du reste il y a Phil Selway à la batterie, Colin Charles Greenwood à la basse et Edward "Ed" John O'Brien autre guitare.
Je ne vais pas trop parler de leur début parce que des choses comme
Pablo Honey ou
The Bends n'ont pas trop d'intérêt si ce n'est, comme les Beatles à leur début, d'attirer les minettes... Hum je m'égare ; du coup je vais passer direct à
Ok Computer qui représente un tournant dans leur style, abandonnant, dans une certaine mesure (No Surprise, Karma Police, Let Down), la gentille chansonnette, pour des choses avec plus de profondeur. Il y a notamment un chef d’œuvre qui, je crois, est bien connu :
Exit Music (for a film), commençant sur une guitare lointaine, avec une voix qui arrive, dépouillée, très fragile, plaintive quand elle commence monter en volume, qui plonge l'auditeur dans une sorte d'introspection, de vertige existentiel, puis tout devient intense, explose, jamais complètement, la voix fait des merveilles, et finit presque à l'agonie quand Thom Yorke gémit "We hope, that you choke, that you chooooooooooke" Bref, un chef d’œuvre de la musique, rien que ça, où tout est à son exact place. Schubert lui même aurait pleuré... je m'égare ; du coup y'a une autre musique dans cet album dont la tension est presque équivalente, bien qu'en deçà :
Climbing Up the Walls, très répétitive et qui, un peu de la même manière que Exit Music, mais pas de la même manière que... finit en explosant : solo de guitare saturé, bien méchant, très évocateur, orchestre, et Thom Yorke qui pousse un cri horrifiant décuplé par l’effet mit sur sa voix. Donc, autre chef d’œuvre.
Le reste est aussi très bon mais moins intense, on fait plus dans le "beau". Oh il y a
Paranoid Android qui est génial, intro de fou qui embarque sans qu'on l'est demandé, morceau complexe qui présente différents tableaux, ou
Fitter Happier bien sinistre, exprès dérangeant, qui montre un monde dystopique dont on voudrait détourner le regard.
Il y a ensuite pour moi ce que je considère comme leur apogée avec Hail to the Thief :
Kid A/Amnesiac. Je les accouple car il se ressemble pas mal, quoiqu'à force d'écoute on se rend bien compte que Kid A est moins gentil que Amnesiac, là où Amnesiac est plus "rond" que Kid A. Ici on est dans le vif du sujet, et je vais avoir de la peine à vous décrire ce qu'il se passe, tant le "pouvoir des mots s'arrête là où commence la musique", pour citer de travers un compositeur que je n'aime pas trop mais qui dit vrai.
Tout devient plus dépouillé et intimiste, la tristesse est maintenant présente à chaque morceau : tout devient névrose délicieuse. Ils n'hésitent pas à expérimenter, ces albums sont beaucoup plus synthétiques, la voix de Thom Yorke est souvent trafiquée, mais ça n'enlève rien à l'émotion qu'il peut communiquer (y'a qu'à voir
Kid A sur l'album du même nom : si le recroquevillement devait être une musique ce serait celle là).
Ces albums ne se dévoilent pas facilement, on peut les trouver au premier abord inintéressants : il n'y a pas de gros effets, de riffs pétés, une voix extraordinaire de puissance : tout est délicat, subtile, nuancé ; l'esprit est particulier, profondément désabusé.
Je peux faire ressortir quelques musiques sur Kid A d’abord : y'a l'égal (presque) d'Exit Music :
How to Disappear Completely, complètement bouleversante, orchestre, voix de Thom Yorke à vif, nonchalante ; un tourment nostalgique qui s’excite à la fin et devient confus, comme s'il s'évaporait. La dépression, la tristesse, l'impression de ne pas exister : ils sont dans leur domaine
Y'a l’enchaînement
Optimistic/In Limbo, terrible : ça passe d'un rock tendu et répétitif qui se résout à la fin (Optimistic), transition jazzy, et In Limbo commence : un truc d'une grande élégance, fin, répétitif et obsessionnel, moelleux, dense, fascinant, et la voix comme celle d'une femme de Thom Yorke qui vient voler au dessus de tout l'onirisme etc... Magique.
Morning Bell est une de mes chouchous : boite à rythme répétitive, un clavier et une voix délicate, la mélodie ambiguë. Tout s'amuse et transition. Le morceaux prend une tournure malsaine, s'empire et devient jouissif.
Pour Amnesiac je retiendrais
Pyramid Song, d'une beauté et d'une grâce à pleurer.
You And Whose Army est un shoot d'émotion : on passe de la douceur, trop douce pour être supportable, de la tristesse, à l'envie de crier de tout son cœur "We riiiiide Toniiiiight". Une autre aussi qui ne paye pas de mine c'est
Knives Out : très simple, monotone, douce, d'une tristesse que voile l'élégance : délicieusement automnal.
Après ces deux chefs d’œuvre qui ne font qu'un, Radiohead réussit à aller encore plus loin, en changeant d'approche :
Hail to The Thief.
Absolument toutes les musiques de cet album sont des concentrés d'émotion, des grandes histoires en pas plus de cinq minutes ; rien de trop, on va à l’essentiel. C'est très varié, et pourtant l'album forme un bloc cohérent. Aucune se détache particulièrement, et chacune a son monde. Tout s’enchaîne à la perfection ; je crois que les transitions d'un morceau à l'autre ont autant d'intérêt que les morceaux eux mêmes. Encore une fois on hésite pas à expérimenter, les trouvailles de Jonny Greenwood ont vraiment une couleur particulière unique que je ne peux définir.
Je vais quand même détailler quelques morceaux pour rendre compte de la diversité.
Y'a
2+2=5 à l'intro bien sombre et rythmé, ça débouche sur un rock direct et sauvage, mais d'une finesse dont peu de rockeux sont capables ; puis la voix en transe et survoltée.
Sail to the Moon d'une grande beauté, une contemplation rêveuse, arrangement et voix irréel.
Where i End and You Begin un gros tube nostalgique (?). La batterie pressante, les arrangements fantomatique, la voix plaintive...
We Suck Young Blood, j'ai nommé la musique la plus malsaine jamais composée, sans exagéré. On ne peut pas écouter ça sans être prit d'un malaise. Le piano est sinistre, le "clap" des mains moites, lenteur exagérée, la voix affreusement nue et difforme, suraiguë, douloureuse, éraillée, les chœurs qui évoquent des morts : la grosse fête ! Au milieu gros break inattendu de pétage de câble, rythme haletant, on a envie que ça dure et se défouler et Hop ! On revient à la lenteur, monstrueuse, au silence, au dépouillement, c'est totalement contre-intuitif ! On y repart de plus belle, encore plus profond, dans la misère ; la guitare résonne, fait des tourbillons, évoque une fièvre, la voix est ignoble, trop nue, on dirait qu'elle peut lâcher à tous moments. Ce morceau c'est du grand art, d'une puissance ! ça prend les tripes !
I Will, deux minutes d'une grande émotion, presque a capela ; bouleversé en deux minutes, qui dit mieux ?
Et un dernier pour la route car celui là est terrible :
Myxomatosis, qui déboule sans prévenir, batterie hystérique, son de clavier ultra lourd... On dirait que Thom Yorke a pleuré avant de chanter, dans la voix : il chante comme s'il ne ressentait plus rien, indifférent, vide, tandis que les claviers derrière sont à pleurer ; un chaos se déchaîne et il se trouve au milieu, inerte, et parle presque "I don't know why I feel so tongue tied, Don't know why I feel so skinned alive". C'est douloureux à souhait, truc qui retourne un homme.
Sur les albums suivant leur musique perd en ampleur selon moi, elle est agréable (
In Raimbows, The King Of The Limbs) mais du coup je n'en parlerais pas ici. Je me focalise sur ce qui me tient à cœur.
Voilà c'était ma déclaration d'amour à Radiohead !
Que pensez vous de ce groupe ? J'suis quand même pas le seul à écouter ?