Je vais citer un passage de la préface du Pays de neige de Kawabata, c'est écrit par le traducteur.
"Car la poésie naît toujours de cet accord profond entre l'esprit d'une oeuvre (la direction de l'entreprise, si l'on veut) et le génie propre de la langue, le coeur même de la civilisation, l'âme de la race qui l'ont fait naître. Et rien ne saurait être plus japonaisement orienté, au point même que la chose resterait presque impensable dans l'une quelconque de nos langues occidentales, que l'art diaphane, le charme impalpable, l'ironie splendide de la transparence, l'architecture invisible de ce "roman" où tout se passe ailleurs, sensiblement, que dans ce qui est dit. Comme tous les poètes, M. Kawabata sait que l'essentiel est ce dont on ne parle jamais ; mais parce qu'il est Japonais, il a pu choisir comme méthode le respect absolu de cet axiome. Il ne parle jamais de ce qu'il veut dire et parvient infailliblement, par une juxtaposition de sensations, de notes piquées ou de trilles nerveux, à nous le faire sentir avec une magnificence et une ampleur dont il faut presque affirmer qu'elles ridiculisent la méthode inverse, quand elle prétend verser dans l'évidence de l'écriture et rendre par l'emphase de la description les mouvements intérieurs du drame.
Au point où nous en sommes, les uns les autres, dans nos civilisations exténuées et forcenées à la fois, jetées avec férocité dans les plus immédiates apparences, on ne peut plus guère articuler une vérité authentique sans avoir l'air de professer un paradoxe. Et c'est ainsi que le pur réalisme japonais, ce grain concret que ne quitte jamais l'esprit japonais, aboutit concrètement au plus efficace démenti du prétendu "réalisme" littéraire qui infeste nos littératures : ce réalisme n'étant, à tout prendre, qu'une abstraction de plus, un simulacre conventionnel, une optique de l'effet à produire sur le papier. Aux antipodes de la réalité charnelle ou spirituelle. Sur le papier seulement.
C'est le respect de la réalité, de la réalité réelle qui ne peut-être que cela et n'a pas d'autre monde pour l'être ; c'est le respect de la vérité dans sa vérité même, que cet effort constant de les laisser où elles sont, sans chercher par une tricherie à les faire paraître et apparaître par des mensonges concertés, sous des masques et des travestis. Le poète se contente de disposer son lecteur à les recevoir elles-mêmes, et ne requiert de lui que son honnêteté. C'est en cela qu'il anoblit l'humanité, au lieu de l'avilir. Et il n'y a que lui."