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Auteur Sujet: Platon et le surréalisme  (Lu 2858 fois)

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Platon et le surréalisme
« le: 21 février 2009 à 14:46:46 »
Il y a deux visions de l'art qui s'opposent mais qui se rejoignent en un point crucial, selon moi.

La première vision, du « divin » Platon, est l'idée que l'art est une imitation (imitation du sensible, imitation des Idées). Je place la littérature dans l'art, je précise. L'art est donc selon Platon quelque chose qui n'est absolument pas novateur, mais au contraire limite arriéré, réactionnaire puisque l'art ne fait que copier ce qui existe déjà, dans l'esprit ou dans le monde.

La deuxième conception, de Breton, c'est l'idée que l'art est absolument créateur, et donc qu'il ne recopie rien, que ce soit le réel (Breton détestait le réalisme), les convenances sociales et morales (Breton est un révolutionnaire), ou des normes esthétiques quelconques (Breton est, pour ainsi dire, un anti-artiste, la citation suivante va éclairer ceci).
Breton explique :
Citer
Surréalisme, n. m. Automatisme psychique pur par lequel on se propose d'exprimer, soit verbalement, soit par écrit, soit de toute autre manière, le fonctionnement réel de la pensée. Dictée de la pensée, en l'absence de tout contrôle exercé par la raison, en dehors de toute préoccupation esthétique ou morale.
(Manifeste du surréalisme)

L'art n'est donc pas non plus une conception scientifique du réel, puisque le scientifique contrôle rationnellement et expérimentalement ses observations, après avoir formulé des hypothèses sur le monde.

Voilà comment je vois les choses : Platon, plus de deux millénaires avant l'arrivée du surréalisme, aurait averti par avance André Breton : l'art n'est qu'imitation, il ne peut rien créer. Breton lui répond implicitement : Platon, je suis d'accord avec toi, (sed magis veritas...), l'art qui est imitation est une chose médiocre, inférieure. Mais, il existe un art créatif, que toi Platon tu n'as pas vu, puisque tu as méconnu les hypothèses sur l'inconscient (on sait ce que le surréalisme doit à la psychanalyse). L'art créatif, c'est la libre activité de l'inconscient qui s'exprime, l'automatisme psychique sans contrôle externe.

Or, l'une des caractéristiques principales de l'inconscient, c'est qu'il emmagasine et reformule des symboles. Les associations d'idées comme "pomme = rouge" ne valent rien pour un surréaliste, car ce sont des associations d'idées soit dictées par la conscience, soit par l'habitude, la convenance. Ce qui intéresse le surréaliste, ce sont les associations d'idées profondes, celles qui sont effectuées par l'inconscient sans être corrigées par une instance extérieure. Et il suffit d'ouvrir un recueil de poésie surréaliste pour se rendre compte que leurs associations d'idées échappent (partiellement ou totalement) à toute codification a priori des associations d'idées. Cet automatisme psychique dépasse les habitudes de style que j'aurais pu contracter.
Par exemple ces vers :

« Dans le salon de madame des Ricochets
Les miroirs sont en grains de rosée pressés
La console est faite d’un bras dans du lierre
Et le tapis meurt comme les vagues »

(A. Breton, Signe ascendant)

Platon, en lisant Breton soit l'aurait qualifié de « déchéance de l'art » (ainsi les porte-voix du classicisme d'origine platonicienne), soit il aurait remis en cause sa propre hiérarchie ontologique et reconnu que l'art n'était pas une simple imitation. Mais la pensée de Breton repose sur un postulat que ne partageait pas Platon, à savoir que la réalité n'existe pas, elle est créée par celui qui s'en donne la peine, notamment à l'aide du langage : le langage est créateur de la réalité. Alors que pour Platon le langage ne peut qu'imiter plus ou moins parfaitement les Idées (cf. Cratyle).

Mais la question qu'il aurait fallu poser à Platon, c'est la question de savoir ce qui se passe quand un artiste, au lieu de tenter de copier un arbre réel ou une Idée (par exemple l'Idée de la Vertu), tente de copier l'Idée du Beau, qui est une idée au-delà des idées, une idée au-delà de l'essence, non substantielle, non ontologique (cf. Banquet). Peut-être que le but des surréalistes est de copier ce qui ne peut pas être copié, de co-créer ce qui est à la base de toute création.
Quelques fois je cours
Je laisse mon âme errer
Qui a dit que Morphée
Ne vivait pas le jour ?

 


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