Les vieilles maisons, dit-on, ont une âme. Celle qui fait face à mon lieu de travail doit en avoir une bien triste. Abandonnée depuis quelques années, je ne connais d’elle que la fin de son histoire, de sa propre vie devrais-je dire.
Ses derniers occupants furent un vieux couple, elle encore vaillante, lui déjà un peu chancelant, visiblement malade. Puis un jour je ne vis plus que la vieille dame…il ne me fut pas difficile de comprendre.
Cette dame durant quelques étés en fit une maison d’hôte, lui redonnant pour un temps un regain de vie, puis un jour il y eut une chaîne au portail d’entrée et la maison tomba dès lors dans le silence.
Pour l’instant elle n’est pas à vendre, un jardinier (dépêché je ne sais par qui ?) vient de temps à autre débroussailler ou couper quelques branches. Parfois une porte ou une fenêtre s’ouvre et un ouvrier vient faire sans doute quelques travaux d’urgence. Malgré cela elle a toujours belle allure. Devant le perron, en haut des marches, se tiennent toujours impassibles, fidèles, et à vrai dire plutôt débonnaires, deux lions en marbre, les gardiens du lieu. Il y a aussi, toujours aussi majestueux, un mimosa (la fierté du jardin) qu’en fleur, au printemps, des passants admiratifs prennent en photo.
Abandonnée cette maison ? Non, pas tout à fait, sur son toit, aux beaux jours, viennent nicher des goélands. Les adultes imposants, d’un blanc de neige, avec des airs quelque peu arrogeants, et les oisillons, tout moches, tout gris, visiblement affolés à l’idée de devoir bientôt se lancer dans le vide pour un premier envol. Ils hésitent… c’est bien haut tout cela, on est si bien ici auprès de notre mère… Et puis un jour, l’instinct est le plus fort et ils s’élancent… c’est la vie, oui, c’est la vie, mais elle, la vieille maison, que lui reste-il a vivre ?
Un jour, inévitablement, s’arrêteront devant le portail des engins de chantiers et elle ne comprendra pas. Non, elle pensera que ce sont-là de braves gens venus la restaurer ou tout du moins lui tenir compagnie. Et ce sera la fin en gravats et poussière. Alors un immeuble fringant, tout neuf mais sans âme, un nouvel immeuble comme il y en a mille se dressera pour les estivants nantis. Et ce sera le bonheur…on est si bien ici à deux pas de la mer… comme c’est agréable de prendre l’apéro sur la terrasse…et le barbecue du dimanche… et les criailleries des gosses.
Ici autrefois n’y avait-il pas une villa charmante, s’interrogera un promeneur ?… Ce ne sera là qu’un souvenir fugace, vite effacé.
Ainsi vont les choses, le temps passe, la vieille dame est morte ou se trouve dans un EHPAD et les deux lions, les deux gardiens du temple disparaitront sous les gravats… et les goélands iront nicher ailleurs.