Pour cette cinquante-cinquième contribution, écrite sur fond du mythique The girl is mine, je partage avec vous les diverses joies d’un événement désormais incontournable en cas de grossesse : le gender reveal. Pour ceux qui l’ignorent, c’est-à-dire la moitié la plus âgée de la population, il s’agit de la mise en scène de l’annonce du sexe du bébé à naître. L’angle est celui d’un homme bientôt grand-père, qui découvre en même temps que le genre du bébé, cette coutume importée d’outre-Atlantique. Peu importe, il est sain de vouloir se réunir autour d’un événement heureux, tant les moins heureux imposent leurs dates et leur poids. Je découvrirai vos avis, teintés de bleu ou de rose, au tout dernier moment…
L’annonce de la grossesse avait déjà été dûment documentée, filmée, mise en scène : c’est désormais la marque de la génération dite millenium et des suivantes, qui sont digitales dès l’enfance, lorsqu’elles annoncent aux proches un heureux événement. A l’annonce de la mise en place d’un gender reveal, toutes les personnes de plus de quarante ans avaient invariablement répondu « Un quoi ??? ». « Un gender reveal !!! », répondent exaspérés, les jeunes, comme si la répétition allait en éclairer le sens.
C’est simple, mais il y faut des préparatifs, des gadgets qui se trouvent dans les magasins de décorations de fête, un scenario et surtout : des complicités. Car même le corps médical contribue : lors de l’échographie révélatrice, si les parents ne veulent pas connaitre à l’avance le sexe du bébé, le médecin leur confie une enveloppe scellée contenant l’information, qu’ils remettent à leur tour et visiblement sans chercher à la lire au travers de l’enveloppe, au magasin de décorations. Le vendeur ouvre discrètement l’enveloppe et donne aux futurs parents un fumigène de la couleur appropriée, qui ne porte aucune indication.
En attendant la mise en place des parents et amis devant l’autel, car l’ambiance est presque religieuse même si la célébration est laïque, chacun a été invité à faire son pronostic : collage d’étoiles bleue ou rose sur un tableau, puis a renseigné une fiche indiquant son avis concernant la taille, le poids, la couleur des cheveux, des yeux, le prénom … et chacun arbore enfin un badge bleu ou rose. On remarque au passage que les pronostics féminins, issus à la fois de l’expérience et de la mémoire infaillible des femmes, sont médicalement plus crédibles que les prédictions masculines, qui tiennent plutôt, quant à elles, d’un savant cocktail de fierté, de boutade et d’ignorance, car on voit très peu de bébés faire 70 cm et 5 kg à la naissance… Chaque fiche est, par la suite, attentivement relue par un aréopage de femmes, une fois le résultat connu, lesquelles regardent toutes silencieusement et très attentivement l’auteur de la fiche en plissant les yeux…
Il faut faire plusieurs rappels aux moins aguerris : non, le B ne signifie pas Bébé mais Boy, c’est-à-dire Garçon et le G ne signifie pas Garçon mais Girl, c’est-à-dire fille… De leur temps, rappellent-ils, on avait juste des garçons ou des filles, mais ils se prêtent gentiment au jeu, même s’ils prédisent que ce sera un Garçon en prenant un badge G et en moquant, avec panache, le fait que le bleu aurait justement été mieux indiqué que le rose sur ce badge…
Le moment attendu arrive : chacun est à sa place, sous l’objectif de plusieurs caméras, auxquelles rien, malheureusement, n’échappe. Une longue guirlande lumineuse, qui change de couleurs régulièrement, encadre la scène où prendront place les futurs parents. La glace carbonique, disposée dans une large vasque, est délicatement arrosée d’eau chaude. Elle diffuse immédiatement sa voluptueuse vapeur glacée, d’un blanc très pur et soyeux, tandis que les futurs parents, allument en tremblant la mèche du fumigène et le plongent à son tour dans la vasque. On ne sait pas bien si ça va exploser ou faire long feu. Le futur père place une main protectrice devant le ventre arrondi de sa petite épouse et tout le monde aime bien ça. Le fumigène émet à son tour une fumée blanche qui se love, c’est le cas de le dire, dans la neige carbonique pendant quelques interminables secondes et diffuse enfin, très généreusement, sa couleur, qui devient un épais nuage bleu envahissant dans toute la pièce et noyant d’un même élan les doutes et les premiers rangs, aussitôt accueilli par des hourras de toutes les générations. La couleur eût été rose, les chose se seraient déroulées exactement de la même façon.
Les plus âgés sont les premiers rapidement évacués ; ils toussent en cœur, pleurant de joie et d’irritation des yeux et de la gorge. Suivent les jeunes, qu’on a presque dissuadés de ne pas manger les bâtonnets de glace à - 73 degrés sous peine d’y laisser leurs dents, mais que ne ferait-on pas à vingt ans pour une bonne blague... Les porteurs des badges gagnants prennent des allures de millionnaires, les autres sont contents comme s’ils avaient deviné, le futur papa n’en finit pas de faire ses célébrations comme un footballeur ayant marqué un but, félicité par tous, de ce que le mariage des gênes a en fait décidé seul.
On essaie de calmer le nouveau grand père qui, l’œil lubrique, tout content de son jeu de mot dit à la désormais jeune grand-mère : « je vais t’en montrer moi du gender reveal… ». Elle est heureuse, partagée entre ses souvenirs et l’avenir, mais pense que ce nouveau statut va lui donner de nouvelles rides. Elle veut être rassurée : « Si je suis grand-mère, tu vas quand même m’aimer ? » Et lui, pas inquiet : « Mais bien sûr que tu vas mémé !!! ».
On champagnise l’instant, on joue de loin avec la glace carbonique, on craque un second fumigène, on fait éclater des ballons et sursauter les mamies, des voix incroyablement haut perchées commentant la nouvelle semblent venir du coin où les jeunes cachent une bonbonne d’hélium. On essuie discrètement ses larmes, songeant un instant à ceux qui ne sont plus, dont on regrette l’absence et dont on excuse presque le départ, simplement parce qu’il y a une arrivée. Certains rappellent à tous ceux qu’ils croisent qu’ils avaient prédit le sexe depuis longtemps et même avant la conception ! Et on passe à autre chose, en l’occurrence le repas, ce qui réconcilie enfin les anciens avec le déroulé de la fête telle qu’ils l’imaginaient.
Mais la jeune génération prolonge la magie : les futurs parents envoient « à tous », peu après l’événement, les vidéos témoins intransigeants du moment. « A tous » est exagéré : les anciens ne sont pas plus digitaux qu’avant la fête. Mais quelle surprise ! Visionnant justement pour la énième fois la video du gender reveal, on voit nettement qu’à la seconde même où le futur père allume la mèche de son fumigène, qui sera bleu, la guirlande lumineuse est elle-même passée au bleu, imputant volontiers la troublante coïncidence à ceux qu’on croyait absents.