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11 octobre 2024 à 23:54:23
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Le Monde de L'Écriture » Coin écriture » Textes courts (Modérateur: Claudius) » La vérité est dans la gorge du chien

Auteur Sujet: La vérité est dans la gorge du chien  (Lu 117 fois)

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La vérité est dans la gorge du chien
« le: 28 septembre 2024 à 08:59:01 »
(Ce texte peut paraître un peu long, mais nécessaire pour moi afin d'aboutir à l'inattendu du dénouement)                                     

                                                                  La vérité est dans la gorge du chien

Dans l’onde claire d’une rivière nous avions décidé de nous baigner. Nous avions couru longtemps dans la forêt et la chaleur réclamait que notre corps trouve repos et ressource par les bienfaits d’une cascade et son plan d’eau qu’elle offrait à notre besoin de nous rafraîchir.

Une grotte immédiate nous permettrait de préserver notre pudeur dans le cas où un danger viendrait troubler l’euphorie de la baignade. Shorts, chaussures de running, casquettes débardeurs, sous-vêtements, très vite, constituèrent un tas bigarré qui recouvrait les rochers moussus de la grotte.

Dans notre simplicité toute nue nous plongeâmes dans l’eau avec une gaité enfantine. L’eau glacée et limpide nous aspergeait le corps, des cris de joie explosaient de notre gorge.

Lorsque soudain dans cette liesse, une inquiétude me traversa. Les bosquets touffus autour de nous formaient comme un rempart de verdure. Il me sembla percevoir un frémissement qui frétillait d’arbre en arbre. Mes compagnes autour de moi s’égayaient de la plus libre façon et demeuraient sourdes à cette présence menaçante dans les feuillages.

Tout à coup je surpris un visage au-milieu des buissons. Celui d’un homme coiffé d’une casquette. Il nous observait. Comme j’étais la plus imposante du groupe, il posait son regard sur moi. Je poussai un cri de frayeur si aigu que toutes les autres filles se figèrent et découvrirent les yeux de l’homme incapables de se détacher de la scène qui le statufiait. Toutes les filles se pressèrent contre moi comme pour me protéger ou espérer une protection de ma part.

Combien de temps dura cette situation ? Je ne peux le dire. Je me souviens seulement avoir hurlé à l’homme toute ma colère avec cette phrase bizarre du genre : « Tu vas aller chanter sur tous les toits que tu as vu la plus célèbre des actrices, complétement à poil, en train de faire la teuf dans la rivière, c’est ça ? », et je ponctuais mes paroles de projections d’eau vers le bonhomme, comme si ces jets étaient ma dernière défense.

Ce qui suivit, je ne peux le dire. Je perdis connaissance sans doute. Lorsque je me réveillai, j’étais étendue sur un rocher, les jambes ouvertes. Mes compagnes avaient disparu. Mes vêtements étaient éparpillés, sans doute avaient-ils fait l’objet d’une malsaine curiosité. Lorsque je passai une main sur mon corps, je le sentis brûlant et en proie à une immense fatigue.

La cascade coulait toujours dispensant son écume intarissable. Les feuillages autour avaient retrouvé leur immobilité. Je les scrutais pensivement les considérant comme seuls témoins de l’épisode que je venais de subir.

*

Depuis l’aube nous étions sur les traces du daguet, ses jeunes bois et son pelage roux avaient séduit tout l’équipage. Mais l’animal était rusé. Il semblait avoir sorti de la zone de chasse. Il nous était difficile de lancer les chiens sur un territoire non réglementé.

Les hommes et les chevaux avaient besoin de faire une pause. Dans une clairière on s’est regroupé et chacun ouvrit son sac pour profiter de ses provisions de viande, charcuterie et fromages bien gras du pays ; crémeux de Bourgogne ou chaource un peu moisi. Quelques bouteilles de Gamay circulaient de gosier en gosier, mais je conseillais de ne pas en abuser. Les chiens se rassasiaient d’une portion de croquettes savamment équilibrée de viande et légume. On déboutonnait les vestes, posait les chapeaux, mais chacun conservait ses bottes dans la callasse crayeuse de la clairière. Les bonnes blagues commençaient à friser les moustaches, les plus loquaces ne manquaient pas de narrer leurs exploits de tueurs de gibiers  les plus fantasques.

Le soleil de l’après-midi tapait bien sur les pierres et les caboches rubicondes des veneurs. L’envie me prit de m’écarter de cette dinette un peu rustaude et je longeais un sentier de mûres sauvages qui me conduisait vers les sous-bois. Les éclats de voix des chasseurs s’estompaient, je perçus le bruissement des lézards qui se sauvaient sous mes pas, quand ce n’était pas la stridulation des insectes dans les mûriers. Je demeurais attentif aux bosquets et taillis environnant dans l’espoir peut-être d’y voir surgir notre daguet véloce ou un chevreuil aux allures de ballerine.

Je musardais ainsi sans tracas, sans me soucier du temps. Dans l’accalmie végétale pointait au loin un grondement. Le chemin m’invitait à m’y conduire. M’approchant, le bruit ressemblait à un roulement, comme celui de grands orgues dans une cathédrale de verdure. Bien vite je distinguais au milieu des feuillages une nappe blanche vertigineuse à la verticale. C’était une cascade, la région en offrait de splendides dans l’escarpement des forêts. Parfois les animaux venaient s’y rafraichir. Le sentier était de plus en plus accidenté.

Parvenu au bout de celui-ci, j’accédais alors à une vue complète sur la chute d’eau. Elle formait une vasque à ses pieds, tranquille, d’un bleu azurin, reflétant le ciel. Dans cette vasque bougeaient des formes, trop blanches et déliées pour être celles d’animaux. Elles s’agitaient projetant des gerbes d’eau lumineuses. Dans le grondement de la cascade, des bruits au timbre aigu jaillissaient telles des gouttelettes sonores.

Avec prudence j’avançais davantage, je reconnus un agglomérat d’individus qui gesticulaient sans retenus sous les éclaboussures au-milieu de la vasque. Des femmes. Elles étaient entièrement nues, et la pâleur de leur peau donnait une animation fragile et douce dans l’espace ombragé de la forêt et l’enrochement sombre d’une grotte qui semblait se tenir là.

Je restai stupéfait par le spectacle, bouche bée devant tant de gaité, d’insouciance qui émanait de ces corps graciles ou d’autres plus plantureux. L’eau les faisait briller, étinceler quand un rayon de soleil perçait la couverture des arbres. Parmi ce groupe de nymphes émancipées, une silhouette dominait par sa stature, sa beauté. Elle fédérait toute cette vitalité autour d’elle, son aura dirigeait le batifolage aquatique que chaque fille rendait plus éclatant et jouissif. La blondeur de sa crinière l’auréolait d’une fierté magnifique.

Mon attention ne pouvait se départir de cette créature. J’en oubliais ma discrétion. Derrière les branches je ne prenais plus la peine de me dissimuler. Sans doute le remarqua-t-elle, ainsi que les autres filles. J’avais conservé ma casquette de chasseur et mon fusil en bandoulière. Mon regard de traqueur avait laissé place à celui plus énamouré de l’admirateur.

J’étais plongé dans les délices de cette scène, quand un cri terrible retentit, en même temps qu’il se confondait à la sonnerie d’une trompe, celle des veneurs dans la clairière qui m’appelaient. Je revins alors à la réalité.

J’abandonnais l’ambiance charmante des femmes pour rejoindre celle de mes collègues de chasse. Ce que je fis, l’esprit passablement chaviré. A mon retour, les hommes m’accueillirent en m’assaillant de questions, inquiets qu’ils étaient par ma disparition prolongée. J’ai dû fournir une vague réponse du genre ; « J’étais parti faire un petit tour dans les bois à la recherche du gibier ». On m’offrit un verre de Gamay, avec force plaisanteries, tandis que tout l’équipage de vènerie déjà se préparait à reprendre la traque du cerf. La meute des chiens était nerveuse d’impatience.

*

Au commissariat de police de Lons-le-Saulnier, le cinq octobre 2022, madame Leroy Claudine, comédienne de profession, porte plainte contre x, pour agression sexuelle et viol sur sa personne. Le délit s’est déroulé en la forêt domaniale de Chaux, vers 16h, le deux octobre 2022. Une enquête est ouverte par le parquet de Besançon.

*

Je leurs avait bien dit aux veneurs de ne pas s’obstiner à chasser le daguet, ce jeune cerf en pleine croissance. Mais ils comptaient sur l’inexpérience de l’animal pour le traquer et le mener à l’hallali. Si bien que quelques temps après la première battue infructueuse, je me retrouvais sur les traces du daguet, devant accompagner les veneurs en ma qualité de maître d’équipage.

Très vite le chien limier nous amena sur le sentier où je m’étais promené en solitaire lors de la chasse précédente. Ce ne fut pas sans émotion, pour moi qui me souvenait du spectacle inattendu où cette promenade m’avait conduit.

Il était probable que le daguet se sentant en danger recherchait les abords de l’eau qui rendraient son odeur moins repérable. Et en effet le jeune cerf apparut proche de la cascade. Celle-ci se refermait sur lui, tel un piège. L’eau de la vasque était immobile et déserte, libérée des filles nues que j’avais vues s’y ébrouer en compagnie de leur blonde amie impériale. Aujourd’hui c’était le daguet, apeuré, avec ses bois encore naissants autour de la tête qui s’y blottissait. L’écume de la cascade l’inondait. Je me dirigeais vers lui, poussé par je ne sais quel motif.

Ce fut alors que Mélampus émit un grondement bizarre. Mélampus, c’était le nom du chien dominant dans la meute. Il s’avança vers moi. Je m’écartai pensant qu’il irait en direction du daguet. Mais ce ne fut pas le cas. Il me suivait, grondant, de plus en plus menaçant, ses crocs à quelques centimètres de moi. Je demandai au piqueur de rappeler son chien. Mais il n’en fit rien. Les autres chasseurs observaient la scène, impassibles. Puis un autre chien, Pamphagos, suivi d’Arcade, puis de Nébrophon et Théron plus sauvage, et Leucon aux poils blancs et Lachné hirsute, vinrent rejoindre Mélampus. Je fus rapidement cerné par la meute, immobile, tous les yeux étincelants braqués sur moi. Un grondement des plus sinistres fusant des mâchoires, bien plus puissant que celui de la cascade.

Puis Mélampus vint lentement me flairer, sa truffe humide sur mes mains. Il me lécha généreusement. Et d’un coup il referma sa mâchoire. Je hurlai. La main arrachée, je tentai de fuir. Mais le cercle des chiens se resserra et je ne pouvais plus bouger. Un chien sauta me mordant à l’épaule, tandis qu’un autre me broya la cuisse. Je compris que j’étais devenu le cerf et la proie d’une horde enragée.

J’appelai les hommes pour qu’ils interviennent. Mais leur silence passif et leurs regards montraient qu’ils espéraient se repaître de ce moment sauvage. D’autres bêtes me visaient au ventre, l’une d’elles emportant mes organes génitaux comme un trophée. Je n’étais plus qu’une cascade de sang et la vasque si azurine et tranquille, en un instant devint rouge, couverte de mon sang dégoulinant. Je tentais d’utiliser mon fusil, mais un animal furieusement me le mit hors de portée. Si de ma dague de chasse je perforai une tête, mon dernier bras valide fût aussitôt dévoré par un triumvirat de Braque allemands qui n’attendait que cette occasion.

Leur stratégie était redoutable. Mon crâne et ma faculté de voir furent épargnées un long instant, de sorte que je restai témoin et observateur de mon démembrement progressif. Je constatai que mes viscères firent les délices d’un groupe de canidés qui se les disputait éparpillées sur un rocher. Mes pieds déchiquetés devinrent des balles de foot que les animaux excités se renvoyaient rageusement entre leurs pattes. Ma paire de fesses pantelante était léchée langoureusement par un épagneul gourmet. Un morceau de cuisse disparut sous les crocs incisifs d’un Setter. Déjà l’ossature de mes vertèbres attirait une association de chiens qui faisait craquer mes os sans ménagement. Et que dire de mon œsophage dont les sucs abreuvèrent les plus voraces des carnassiers. Ainsi jusqu’aux derniers de mes organes, j’assistai à leur dispersion et dévoration par la meute. Les lambeaux flottaient à la surface de l’eau et plus rien ne pouvait arrêter le carnage.

Ce fut alors que dans un ultime effort de conscience, je compris ce qu’on pouvait faire d’un corps humain et la douleur indescriptible qu’il devait supporter. J’entendis vaguement dans un brouillard funeste quelqu’un s’approcher au bord de la vasque et devant mes restes flottants déclarer « Quand on pense que cet homme était le petit-fils du grand Cadmus, ce héros qui a combattu si vaillamment les ennemis de notre pays, c’est triste ». Je fermais alors les yeux et me laissais engloutir, tandis qu’un chien sortant de la grotte tenait dans sa gueule des morceaux de vêtements féminins, sous la risée et l’œil goguenard des chasseurs.

Le daguet malicieux, lui, s’était sauvé depuis belle lurette.
« Modifié: 28 septembre 2024 à 09:00:34 par LOF »
Lof

Hors ligne Murex

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Re : La vérité est dans la gorge du chien
« Réponse #1 le: 29 septembre 2024 à 09:52:18 »

  Merci LOF pour ce texte, comme d'habitude, bien écrit, et que j'ai pris plaisir à lire. Cependant je n'ai pas bien compris le rapport qu'il y a entre le viol de la baigneuse et le massacre du chasseur par la horde de chien. Peut-on  y voir une sorte de châtiment infligé par les chiens au chasseur en supposant que ce dernier dans son récit ment en cachant son viol ?
 En tout cas quel luxe de détails dans le déchiquetage de ce dernier. Je ne suis pas certain que cela est plu à tout le monde !

 Bien à toi
 
 Murex

Hors ligne Lune

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Re : La vérité est dans la gorge du chien
« Réponse #2 le: 29 septembre 2024 à 19:10:05 »
Bonjour,

Lorsque l'on clique sur un de tes textes, il faut se dire "attention ça va saigner"  :D
Ici, la punition pour le viol est terrible, le trophée aurait été suffisant  ;)
Ecoute le vent, il chante
Ecoute le silence, il parle
Ecoute ton coeur, il sait
Proverbe Amérindien

Hors ligne LOF

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Re : La vérité est dans la gorge du chien
« Réponse #3 le: 30 septembre 2024 à 18:09:35 »

 Tu as vu juste Murex, c'est la question que je pose dans ce texte. Je n'ai pas de réponse précise.
 C'est selon l'interprétation du lecteur.  (le titre donne une piste)
 Je relate ainsi le chasseur Actéon, dévoré par ses chiens, parce qu'il vu Diane se baigner toute nue.
 (Les Métamorphoses d'Ovide)

 Un viol n'est pas représentable. (encore moins que la dévoration)
 
 Merci à vous pour votre lecture. 
Lof

 


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