Quelque part dans la montagne de Surin
Les Échos rauques des voix des nains résonnaient à travers les cavernes ancestrales de la montagne. À l’aube du premier jour de la fête des Austrus, leurs chants se mêlaient aux grondements des pierres anciennes. Leurs harmonies profondes et rythmées, lourdes de traditions millénaires, s'élevaient comme une déclaration intemporelle. L'air était vibrant de mélodies qui semblaient faire danser les ombres, tandis que des aurores boréales, telles des voiles mystiques, ondulaient au-dessus des cimes enneigées, illuminant la nuit d’une lueur surnaturelle. Ces chants, empreints de nostalgie et de grandeur, enveloppaient les montagnes dans un manteau de ferveur et de lumière, unissant les cœurs des nains dans une célébration éternelle.
Pour célébrer la Fête des Austrus, le marché des nains s’épanouissait en une scène de grande animation et de richesse colorée. Les stands regorgeaient de tissus brodés, ornés de motifs ancestraux tissés avec une précision minutieuse, où des scènes de batailles épiques et de créatures légendaires semblaient prendre vie dans les éclats d’or et d’argent des fils. Les chopes de bière, robustes et ornées des inscriptions sacrées « Nibulis Anestantis », se faisaient porter avec fierté, répandant un parfum d’houblon et de malts parmi la foule.
Les artisans, dans leur empressement, interpellaient les passants d’une voix ferme et sonore, leur proposant des peaux d’agneaux,leurs cris se mêlant au tumulte des échanges. Les légumes, soigneusement disposés dans des brouettes en bois aux roues patinées par le temps, étincelaient sous les feux du marché. Non loin, des nappes drapées avec soin exhibaient des grappes de cassis, offrant leur éclat pour attirer les regards.
La place, vibrante de la vie quotidienne des nains, était enveloppée d’un bruit incessant de bousculades, de rires et de chants. Les délices de la fête et l’animation des étals constituaient un tableau vivant de la culture des nains, reflet de leur artisanat d’antan et de leur joie commune.
Altos, un nain assez imposant se jeta face contre terre pour récupérer une pièce au moment même où le passage des ânes dans la foule annonçait d’autres festivités, notamment celle du dîner dans la salle commune, la salle des armures.
Sous la grande voûte de pierre, la majestueuse horloge de la forteresse, complexe et ancienne, retentit, marquant l'heure du dernier coup de minuit. Son écho résonna dans les couloirs sombres, jusqu’à la grande salle où les nains du Clan d'Onyx se rassemblèrent en hâte. Ce soir-là, les compagnons de la guilde, Ores, Baclava, Léotord et Avaras, festoyaient autour de la table de chêne massif. L’odeur du gigot d’agneau rôti emplissait l’air, tandis que les nains saisissaient à pleines mains les os encore garnis de viande succulente, levant leurs chopes d'hydromel mousseux dans un toast bruyant. Ils célébraient la Fête des Austrus, une ancienne tradition en hommage aux glorieux combats des ancêtres contre les forces obscures des terres du Sud.
Ores, le plus réservé du groupe, baissait les yeux, ses doigts tremblants caressant machinalement l'anse de sa chope. Son silence pesait lourd, une malédiction l'ayant frappé, le privant de la parole depuis de longues années. Pourtant, son esprit restait vif, et son cœur battait au rythme de l'honneur du clan.
À l’opposé de la table, Baclava, le guerrier le plus redoutable et expérimenté, siégeait dans son armure étincelante. Jamais il ne se montrait sans elle, comme une carapace indéfectible face aux dangers constants du monde extérieur. Son regard perçant semblait scruter les ombres, toujours sur le qui-vive, prêt à dégainer sa hache à la moindre menace.
Léotord, quant à lui, se distinguait par sa chevelure dorée, chose rare parmi les nains. Il était l’âme rêveuse du groupe, souvent perdu dans ses pensées, les yeux rivés sur le jardin extérieur visible par les fenêtres. Son cœur battait au rythme des plantes qu'il chérissait, et sa passion pour la création de potions médicinales l’occupait plus que les festins guerriers. Sa main caressait distraitement une fleur de pâquerette qu'il avait cueillie avant de rejoindre la fête.
Enfin, Avaras, dont la présence imposante se faisait sentir même dans son silence, observait le groupe d’un œil attentif. Il avait toujours été le stratège, l’érudit parmi eux, préférant la réflexion aux démonstrations de force. Son regard voyageait entre ses compagnons, pesant chaque mot et chaque geste, conscient que la nuit ne serait pas seulement dédiée à la célébration. Une nouvelle quête se profilait à l’horizon, et chacun d’eux le savait au fond de son cœur de nain.
Ainsi, sous la lumière vacillante des torches, tandis que les rires fusaient et que la bière coulait à flots, les compagnons du devoir savouraient une dernière soirée de calme avant que l'appel du destin ne les emporte, une fois de plus, sur les chemins incertains des grandes aventures à venir.
Mais à peine quelques instants après que les rires et les toasts eurent rempli la salle, un changement brusque et sinistre survint. Des gouttes sombres, épaisses et visqueuses commencèrent à s'infiltrer par les pierres du plafond, tombant avec un bruit lourd sur les lourds manteaux en peau des nains. Ces gouttes, d'un noir d'encre, semblaient vivantes, animées d'une étrange volonté. Aussitôt qu'elles entraient en contact avec la peau ou le métal, une fumée fine s’élevait, marquant les tissus d’un sifflement acide, brûlant tout sur leur passage.
_ Cette chose est vivante ! S’écria Leotord
Tous brandis leurs épées et grimpèrent sur les rochers de leur caverne pour s’approcher de la créature. La voix lointaine résonnait dans toute la caverne, amplifiée par les parois de pierre comme un écho venant des tréfonds du monde. « Tenebrae redierunt », murmurait-elle, ses mots lourds de sens. Ores, Baclava, Léotord, et Avaras restèrent figés un instant, les yeux levés vers la voûte de la salle des armures. Le silence qui suivit était oppressant, seulement troublé par le crépitement des torches mourantes.
Puis, comme si les ténèbres elles-mêmes avaient pris vie, l’obscurité se mit à onduler. La lumière vacillante de leurs torches ne parvenait plus à percer cette masse qui se mouvait doucement, presque insidieusement, entre les ombres.
Avaras serra fermement le manche de son marteau, ses traits durcis par la détermination. "Préparez-vous! Ce n’est plus une simple créature que nous affrontons, c’est l’obscurité même."
Baclava, qui scrutait les ombres mouvantes, murmura à mi-voix : "Nous sommes revenus à une époque oubliée... une époque où les ténèbres marchaient aux côtés des vivants." Il tendit une main tremblante vers l'obscurité qui ondulait comme une mer agitée.
Soudain, une silhouette noire, formée d'une matière liquide mais dense, se détacha des ténèbres. Elle glissa silencieusement vers eux, une forme informe et menaçante. Le visage de Léotord se tordit de stupeur : "Elle n'a pas de corps, seulement une présence... une ombre vivante."
Ores, d'un geste rapide, dégaina son épée. "Peu importe ce qu'elle est, elle ne passera pas," grogna-t-il en frappant la masse noire de toutes ses forces. L'épée, pourtant forgée dans les flammes des montagnes, traversa la créature sans l’affecter, comme si elle frappait de la fumée.
Avaras regarda ses compagnons, l'inquiétude se lisant dans ses yeux. "Nous devons quitter cet endroit. La lumière est notre seule chance. Rassemblez-vous, nous devons trouver une issue avant que cette ombre ne nous engloutisse complètement."
Mais avant qu'ils ne puissent bouger, la pluie noire recommença à tomber, plus intense, comme si elle pleuvait directement du ciel de la caverne. Le sol se couvrait de flaques qui s’étendaient rapidement, transformant la salle des armures en un piège glissant et mortel. Les gouttes acides crépitaient sur les armures et sur le sol de pierre, et l'air se chargeait d'une odeur de métal brûlé.
"Il n'y a plus de retour possible," murmura Léotord. "Nous devons faire face."
Avaras hocha la tête, un sourire sombre apparaissant sur ses lèvres. "Alors, nous nous battrons dans les ténèbres."
Une lumière éclatante envahit soudainement la salle, brisant la noirceur oppressante. Elle explosa avec une force telle que les nains furent projetés contre les murs de pierre, leurs armures résonnant dans un fracas métallique. La pluie noire cessa instantanément de tomber.
Au centre de la salle, Altos se tenait debout, immobile et imposant, sa silhouette illuminée par l’éclat aveuglant qui jaillissait de la paume de sa main. Ses traits étaient marqués par une détermination nouvelle, son regard fixé sur l'obscurité qui reculait lentement. D'une simple main tendue, il semblait avoir invoqué une force ancienne, une puissance qu’aucun des autres nains n’avait jamais vue.
"Que fais-tu, Altos?" cria Avaras, encore sonné par l’explosion de lumière.
Altos, sans détourner les yeux de la masse noire qui se tordait dans les recoins de la salle, répondit d’une voix calme mais résonnante : "C'est la pièce que j’ai trouvé tout à l’heure, elle brillait."
La lumière qui s’échappait de sa main formait une barrière autour des nains, repoussant la créature des ombres. Les ténèbres, autrefois si dominantes, semblaient se contracter, cherchant à fuir cette source de pureté. La voix assourdissante qui avait proclamé le retour des ténèbres se mit à gémir, comme si elle ressentait la douleur.
"Tenebrae... non... lumen vetus...," murmura la voix, affaiblie, presque apeurée.
"Les ténèbres se souviennent de cette lumière," murmura Léotord, les yeux écarquillés, réalisant soudain ce qu’Altos avait invoqué. "C'est une force que même elles redoutent."
La lumière dans la main d'Altos commença à croître en intensité, pulsant avec une énergie brute. Il serra les dents, son visage se crispant sous l'effort. "Je ne peux pas la maintenir longtemps," avertit-il. "Cette puissance est trop grande... Elle m'épuise."
Avaras, reprenant ses esprits, se redressa et se tourna vers ses compagnons. "Alors nous devons frapper maintenant, pendant que la lumière les affaiblit ! Nains, à l'attaque !"
D'un seul cri de guerre, les nains brandirent leurs armes et se jetèrent sur les ténèbres restantes, leurs lames brillant sous l'éclat d'Altos. La bataille finale contre l’ombre venait de commencer, et la lumière, incarnée par Altos, donnait aux nains un dernier espoir dans cette nuit éternelle.
Dans la forêt du Luc Ansia
Dans les profondeurs de la forêt millénaire de Luc Ansia, où la végétation s'étendait dans une mer de vert éclatant, semblable à des pommes mûres sous le soleil, les arbres dansaient sous les caresses du vent frais venu de la vallée des Héros. Ce souffle ancestral, empreint de récits oubliés, apportait avec lui une magie subtile, éveillant les esprits et les créatures qui peuplaient cette terre vénérable.
Les renards à cinq pattes, connus sous le nom de Ha’Bas, filaient à travers les fougères, rapides comme des éclairs, débusquant les fraises des bois cachées sous le tapis de feuilles. Non loin de là, les Smo, des oiseaux aux plumages éclatants de mille couleurs, tels des aigles miniatures aux ailes d’arc-en-ciel, fondaient sur les ruches, volant le miel précieux sous le regard furieux des Dicto, des abeilles géantes, noires et venimeuses. Tout autour, la forêt vibrait de vie, ses ombres et lumières dansant au rythme d'une symphonie secrète.
Sur un sentier de terre caillouteux, bordé de pierres blanches usées par le temps, une silhouette avançait avec une grâce intemporelle. C’était une femme, drapée d’une longue robe blanche qui effleurait le sol, ses cheveux d’argent flottant derrière elle, mêlés à un voile transparent. Ses pas étaient légers, mais chaque mouvement semblait pesé avec sagesse et attention. Cette femme, connue sous le nom d'Elira, la Gardienne du Luc Ansia, portait en elle une mission sacrée : veiller sur la paix fragile de la forêt.
La veille, elle avait entendu le chant des nains résonner à travers les montagnes, un appel ancien venu de la terre elle-même. Suivant cet écho, elle se dirigeait vers la caverne des Anciens, où reposait Blé, une créature massive, un sanglier aux dimensions légendaires. Haut de quatre mètres, Blé était une force de la nature, à la fois monture et protecteur de la forêt. Elira grimpa sur son dos avec une aisance familière, et ensemble, ils entreprirent leur périple à travers les vastes bois du Luc Ansia.
Les yeux d'Elira, d'un bleu perçant, étaient marqués par le don de la vision prophétique. Elle percevait les ombres du futur comme personne d'autre, et son cœur était lourd de pressentiments. Alors qu'ils progressaient dans les profondeurs de la forêt, un frisson la parcourut. Ses yeux se posèrent sur un pommier dont les fruits, rouges comme le sang, suintaient lentement une liqueur sombre. Les pommes, autrefois sources de vie et de guérison, saignaient maintenant, un mauvais présage. Une inquiétude profonde naquit en elle.
« Quelque chose rôde dans ces bois », murmura-t-elle pour elle-même, son regard se perdant dans l'épaisseur des arbres. Une menace invisible, mais palpable, planait sur Luc Ansia.
Elira savait que l'équilibre fragile de la forêt était en danger. Ses pensées tourbillonnaient, cherchant des réponses, tandis que Blé, sensible à l’inquiétude de sa maîtresse, s’arrêtait un instant, reniflant l’air lourd de présages sombres. Le silence se fit pesant, et l’idée que l’obscurité s’étendait déjà sur cette terre, si pure, commençait à se glisser dans l’esprit d'Elira.
« Les ténèbres approchent », pensa-t-elle. Et cette pensée la hantait alors qu’elle avançait vers la caverne où les réponses, et peut-être la guerre, l’attendaient.
La lumière faiblissait alors qu'Elira et Blé pénétraient plus profondément dans les entrailles de la forêt du Luc Ansia. Les arbres, immenses et noueux, formaient un voile de ténèbres au-dessus de leur tête, leurs racines gigantesques enchevêtrées dans le sol comme autant de bras protecteurs ou menaçants. Elira sentait la magie des lieux pulser autour d'elle, un battement presque inaudible, mais constant, comme si la forêt elle-même respirait lentement, consciente de chaque mouvement en son sein.
Blé reniflait l'air, ses flancs massifs frémissant sous la tension qui semblait s'épaissir à mesure qu'ils approchaient de la caverne des Anciens. C'était un endroit sacré, inaccessible à la plupart des êtres vivants, mais Elira, la Gardienne, en connaissait le chemin comme une vieille amie. Pourtant, aujourd'hui, quelque chose d'autre se tapissait dans l'ombre.
Les premières pierres de la caverne apparurent à travers les troncs serrés, leurs parois luisant d'une lumière faible et bleutée, émanant d'une mousse qui ne poussait que sur les rochers les plus anciens de cette terre. Un calme oppressant régnait en maître, et seuls les pas lourds de Blé troublaient le silence.
Elira descendit de sa monture et posa une main délicate sur l'immense créature.
« Reste ici, mon fidèle ami. Ce que je vais affronter ne concerne que moi, » murmura-t-elle d'une voix douce, mais ferme.
Blé, d’ordinaire têtu, inclina la tête avec une obéissance inhabituelle, comme s'il ressentait la gravité de ce qui allait se passer. Elira s'avança seule vers l'entrée de la caverne. Là, une brume argentée flottait, s'enroulant autour de ses jambes comme un souffle éthéré. Elle sentait le poids du passé dans ces lieux — le poids des décisions prises ici par les esprits des Anciens, dont l'écho résonnait encore dans les tréfonds de la terre.
À l’intérieur de la caverne, le silence devint presque total, à l’exception d’un son distant, comme un battement d’aile. Soudain, un murmure s’éleva, d’abord imperceptible, puis de plus en plus distinct. C’était une voix, ou peut-être plusieurs voix, qui s’entrelacaient en une étrange harmonie. Elira savait ce que c’était : les Anciens parlaient à nouveau.
Elle s'agenouilla devant un grand autel de pierre, recouvert de runes anciennes et de glyphes oubliés. Leurs symboles luisaient faiblement, comme si la pierre elle-même détenait encore un fragment du pouvoir d’autrefois.
« Gardiens du Luc Ansia, esprits des anciens temps, j’en appelle à votre sagesse. Le mal se réveille sous nos cieux, et le sang des pommes sacrées coule. Quelles ombres se lèvent contre la paix de cette forêt ? » demanda Elira d'une voix solennelle.
Le murmure s’amplifia, et la lumière dans la caverne se fit plus vive, enveloppant Elira dans une brume dorée. Ses yeux se fermèrent alors que les visions s’emparaient d’elle, projetées par les Anciens. Elle voyait des flammes ronger les arbres majestueux, des créatures qu’elle n’avait jamais vues, des êtres noirs comme la nuit, aux yeux rouges comme des braises, traversant la forêt en semant la désolation. Au loin, une ombre plus grande encore s’élevait, une silhouette indistincte mais terrifiante, enveloppée de noirceur.
Le cœur d'Elira se serra.
« Le Néant approche. Le Faucheur des Mondes s'éveille. »
Les mots étaient chuchotés dans son esprit, mais leur portée était claire. Ce qui dormait sous le sol de cette terre s’éveillait enfin, et son pouvoir corrompait tout sur son passage. Les pommes saignantes n'étaient que le premier signe. La forêt, et bien plus encore, serait bientôt plongée dans les ténèbres éternelles si rien n'était fait pour arrêter cette menace.
Quand la vision prit fin, Elira reprit son souffle, les mains tremblantes. Ses yeux bleus, qui voyaient bien plus que la réalité immédiate, étaient désormais remplis d’une détermination nouvelle.
Elle se leva, frêle en apparence mais animée d’une force intérieure colossale.
« Je dois les avertir… les Royaumes doivent savoir », murmura-t-elle.
Sortant de la caverne, elle retrouva Blé, qui l'attendait patiemment. La créature sentait la gravité des nouvelles que portait sa maîtresse. Sans un mot, Elira remonta sur son dos, et ils se mirent en route.
Leur prochaine destination était la vallée des Haros, là où résidaient les grands sages et guerriers des royaumes environnants. Elira savait que seule une alliance de toutes les forces de la Lumière pourrait stopper le réveil du Faucheur des Mondes. Les peuples de cette terre, si longtemps divisés, devraient s'unir, ou périr ensemble sous l’ombre du Néant.
La route serait longue, et les dangers multiples. Mais Elira n’était pas seulement une Gardienne. Elle était la prophétesse des jours à venir, et le destin du Luc Ansia et des royaumes environnants reposait sur ses épaules.
Le vent soufflait avec une intensité nouvelle alors qu'Elira et Blé quittaient la forêt sacrée. Les bruits familiers des créatures enchantées, jadis réconfortants, semblaient désormais lointains, presque effacés par l'écho inquiétant des avertissements des Anciens. Le ciel, qui s’étendait au-dessus des arbres, s’assombrissait lentement, et la lumière du jour se retirait plus vite qu’elle ne l’aurait dû. Quelque chose rôdait dans l’air, une ombre insaisissable.
Blé avançait à grands pas, ses sabots massifs résonnant contre la terre. Elira, perchée sur son dos, laissait son esprit vagabonder à travers les visions qu’elle venait de recevoir. Le Faucheur des Mondes. Un nom que seuls les plus anciens des Anciens auraient osé prononcer. Une force oubliée, bannie depuis des éons, et qui pourtant revenait, menaçant de plonger le monde entier dans le chaos.
« Il me faut atteindre la vallée des Haros avant que le mal ne frappe ici », murmura-t-elle, comme pour elle-même.
La vallée des Haros, autrefois théâtre des grandes batailles des âges passés, abritait désormais les sages et les guerriers qui veillaient sur les terres des mortels. Mais elle savait que les temps avaient changé. Les alliances d’autrefois étaient fragiles, brisées par des siècles de méfiance et de disputes territoriales. Convaincre les peuples de s’unir à nouveau ne serait pas une tâche aisée.
Alors qu'ils longeaient un sentier escarpé, surplombant un ravin profond et rocailleux, Blé s'arrêta soudainement. Ses naseaux frémissaient, et ses yeux noirs, habituellement calmes, s’emplirent d’une alerte soudaine. Elira sentit son corps se raidir. Elle connaissait bien cette réaction chez son compagnon — un danger invisible se trouvait à proximité.
Elle descendit doucement de sa monture et posa une main rassurante sur son flanc. Ses doigts fins effleurèrent sa robe, et elle invoqua silencieusement un sort de protection, un léger halo de lumière émanant autour d’elle, à peine perceptible pour un œil non averti.
« Qui va là ? » appela-t-elle, sa voix résonnant dans l'air lourd.
Un mouvement dans les ombres attira son attention. Entre les arbres, une silhouette mince et rapide se faufila, disparaissant presque aussitôt. Un léger ricanement se fit entendre, comme un écho distant, suivi d’un bruit sourd de sabots frappant la terre. D’autres venaient, mais pas des amis.
Des brigands ? Non. Quelque chose de plus sinistre hantait ces bois.
Soudain, ils apparurent, surgissant de l’obscurité. Des créatures humanoïdes, couvertes de haillons noirs et pourvus d'yeux rouges perçants, approchaient rapidement, brandissant des armes grossières mais redoutables. Leur peau était grise, marbrée de noir, et une odeur de pourriture flottait autour d’eux. Les serviteurs des ténèbres, pensa Elira.
« Des Draïgs », souffla-t-elle, le cœur serré. Ces créatures étaient les précurseurs du Néant, de sombres messagers envoyés pour semer la terreur avant l’arrivée de leur maître.
Elira dégaina une petite dague d’argent dissimulée sous sa robe, mais elle savait que le combat ne tournerait pas en sa faveur si elle restait ici. Elle devait fuir, avertir les autres avant qu’il ne soit trop tard.
« Blé ! » cria-t-elle, sa voix coupant l’air.
La créature massive chargea en avant, ses défenses pointées vers les Draïgs, les dispersant d’un seul mouvement. Elira grimpa rapidement sur son dos, et ensemble, ils se mirent à galoper à travers la forêt. Le sol tremblait sous le poids de Blé, ses sabots broyant les feuilles et les branches sous eux.
Les Draïgs, plus rapides qu’elle ne l’aurait cru, les poursuivaient sans relâche. Leurs cris perçants résonnaient derrière eux, et Elira savait qu’ils ne renonceraient pas facilement. Elle jeta un regard derrière elle et leva une main en direction des créatures. Ses doigts s’illuminèrent d’un éclat bleu éthéré, et une vague de lumière jaillit de sa paume, frappant les Draïgs de plein fouet. Plusieurs d’entre eux hurlèrent en reculant, aveuglés par la lumière.
« Ils ne peuvent supporter la lumière pure, » se rappela-t-elle. Mais ils étaient nombreux, trop nombreux.
Blé galopait à toute vitesse, mais ils approchaient de la lisière de la forêt, là où la lumière du jour déclinant serait leur alliée. Soudain, un hurlement retentit à l’est, suivi d’un autre. Elira ne se retourna pas. Elle pouvait sentir que quelque chose d’encore plus grand approchait. Une force noire, ancienne et puissante.
Juste avant qu’ils ne franchissent les derniers arbres, une ombre immense se dressa devant eux, bloquant leur chemin. Un Draïg bien plus grand que les autres, monté sur une bête difforme aux crocs acérés, apparut au milieu du sentier. Ses yeux luisaient d'une haine ancienne et insondable.
« La Gardienne... » grogna-t-il d'une voix grondante. « Le maître saura ce que tu as vu. »
Elira, malgré la terreur qui l'envahissait, se redressa. Son pouvoir intérieur bouillonnait, prêt à éclater.
« Tu ne m'empêcheras pas d'accomplir ma mission, » dit-elle avec une froide détermination.
La bête bondit en avant, mais Elira, concentrant toute sa force, leva les bras et un cercle de lumière pure jaillit du sol autour d’elle et de Blé. L'ombre titanesque fut projetée en arrière avec un rugissement furieux.
Profitant de cet instant, Elira donna l’ordre à Blé de foncer. Ensemble, ils franchirent la frontière de la forêt, laissant derrière eux les cris des Draïgs qui se perdaient dans l’obscurité grandissante.
Ils étaient désormais hors de la forêt du Luc Ansia, mais le danger n'était pas écarté. La vallée des Haros était encore loin, et les ténèbres semblaient se refermer de plus en plus vite sur eux.
Elira inspira profondément, son esprit lourd des visions terrifiantes qu’elle avait reçues. Mais elle savait que la lumière pouvait encore vaincre, si elle trouvait les bons alliés.
« Nous devons aller plus vite », murmura-t-elle à Blé, tandis que l’horizon s’embrasait des derniers feux du crépuscule.
Sur la mer d’Igé
Sur la mer d’Igé, la Compagnie des Humains voguait silencieusement, leurs bateaux glissant sur les eaux calmes d’un fleuve tranquille. Leur mission était simple, mais périlleuse : retrouver les épaves perdues, vestiges d’une guerre ancienne entre les peuples d’Igé. À bord de leurs embarcations, les hommes scrutaient l’horizon, des harpons à la main, prêts à plonger dans les abysses pour récupérer les trésors engloutis. Leurs visages étaient fermés, marqués par la fatigue des jours passés en mer, mais leurs cœurs battaient encore avec l’espoir de découvrir ce qui avait été enfoui sous la surface.
Le capitaine Deran, un homme d’âge mûr, au visage buriné par les vents et le sel, observait le ciel d’un œil attentif. Les nuages, qui jusque-là avaient été cléments, commençaient à se rassembler, se formant en masses sombres et menaçantes. Il plissa les yeux, son instinct de marin, affûté par des années de navigation, l’avertissant d’un danger imminent. Mais ce n’était pas la tempête qui l’inquiétait.
Soudain, un cri s’éleva depuis la proue du bateau.
« Regardez ! Là-bas ! »
Tous les regards se tournèrent vers le ciel. Une lueur étrange, rougeoyante, fendait les nuages. Les hommes, incrédules, restèrent un instant pétrifiés par ce qu'ils voyaient. Des pierres de feu, venues des hauteurs célestes, déchiraient l’air, se dirigeant à une vitesse fulgurante vers la mer d’Igé.
« Des météores ! » cria un marin, sa voix tremblant d'effroi.
Les pierres, brûlant d’une lueur incandescente, descendaient rapidement, leur trajectoire évidente. Elles allaient frapper la mer. Deran, sentant l’urgence, s’élança vers la barre du navire.
« Tenez-vous prêts à l'impact ! » hurla-t-il. « Que tout le monde s’abrite sous les ponts ! »
Le chaos éclata à bord des embarcations. Les marins couraient dans tous les sens, s’agrippant aux cordages, cherchant refuge. Mais ils savaient que, quelle que soit leur préparation, l’impact serait dévastateur.
Les premières pierres s’écrasèrent dans l’eau avec une violence inouïe, soulevant des geysers d’écume et projetant des vagues titanesques qui secouèrent les navires comme des coquilles de noix. La mer, paisible quelques instants plus tôt, devint une furie déchaînée. Le ciel s’embrasa sous les chutes de feu, transformant la scène en une vision d’apocalypse.
Deran, les mains crispées sur la barre, luttait pour maintenir le navire à flot. Chaque impact rapprochait un peu plus la destruction, mais il tenait bon. À travers les éclats de lumière et les cris des marins, il sentit une certitude grandir en lui : ces pierres n’étaient pas des phénomènes naturels. Elles étaient dirigées, envoyées par une force mystérieuse.
Alors qu’une autre pierre s’écrasait tout près du navire, le faisant pencher dangereusement, Deran vit une silhouette se dessiner dans le ciel enflammé. Une forme massive et ailée, obscure, mais indéniablement vivante.
« Par les anciens dieux… » murmura-t-il, stupéfait.
La Compagnie des Humains ne faisait pas face à une simple tempête céleste. C’était le prélude d’une guerre céleste, une attaque des forces oubliées, dont la légende racontait qu'elles avaient autrefois régné sur le monde bien avant l'arrivée des hommes.
Les marins, terrifiés mais déterminés, comprirent à cet instant qu’ils ne cherchaient pas seulement des épaves, mais qu’ils avaient éveillé quelque chose de bien plus ancien et dangereux sous les eaux tranquilles de la mer d'Igé.
Deran, toujours agrippé à la barre, fixait la silhouette dans le ciel. Le vent hurlait à ses oreilles, le craquement du bois résonnait sous ses pieds alors que le navire luttait contre les vagues furieuses. La créature ailée, massive et obscure, planait au-dessus des navires comme une ombre menaçante, ses ailes battant dans un rythme lent mais puissant, déclenchant des bourrasques qui soulevaient les vagues encore plus haut.
« Capitaine ! » cria l’un des marins en se frayant un chemin vers Deran. C’était Valen, un jeune homme courageux mais encore peu aguerri aux dangers de la mer. « Nous devons fuir ! Ces pierres… et cette chose… c’est au-delà de nous ! »
Deran le regarda, les yeux brûlants de détermination. « Fuir ? Et où irions-nous ? Elle nous rattraperait en un instant. Non, nous devons tenir bon. »
La silhouette dans le ciel s’approchait lentement, ses contours devenant plus distincts. C’était un dragon. Mais pas un dragon comme ceux des légendes que racontaient les vieux marins autour des feux de camp. Celui-ci semblait fait d’ombre et de flammes, ses écailles brillaient d’une noirceur profonde, et ses yeux incandescents luisaient d’une intelligence malveillante.
« Tous à vos postes ! » hurla Deran. « Préparez les balistes ! Chargez les harpons ! »
Les hommes s’exécutèrent, bien que leurs mains tremblaient de peur. Les balistes géantes, habituellement destinées à percer les coques des navires ennemis, furent dirigées vers le ciel, prêtes à lancer leurs lourds projectiles vers le monstre ailé. Le navire se balançait dangereusement sous l'assaut des vagues, mais les marins, bien entraînés, tenaient bon.
Alors que la créature se rapprochait encore, ses yeux rouges plongèrent dans ceux de Deran. Un rire guttural résonna dans l’air, un son qui semblait venir des tréfonds de la terre. La créature ouvrit sa gueule béante, et un jet de flammes noires en jaillit, illuminant le ciel d’une lumière surnaturelle.
« Feu ! » ordonna Deran.
Les balistes tirèrent simultanément, les harpons volèrent dans les airs avec un sifflement perçant. Ils atteignirent le dragon, mais au lieu de s’enfoncer dans sa chair, ils passèrent à travers lui, comme s’il n’était qu’une ombre. La créature ne fut pas touchée.
« Ce n’est pas réel… » murmura Valen, horrifié.
Mais la menace l’était. Car même si le dragon semblait intangible, ses flammes étaient bien réelles. Elles s’abattirent sur le pont du navire voisin, le réduisant en cendres en quelques instants. Les cris des hommes résonnèrent dans l’air, terrifiés face à cette force imparable.
Deran serra les dents. « Ce n’est pas une créature de ce monde… » Il réalisa alors ce que signifiait cette apparition. Les épaves qu’ils recherchaient n’étaient pas simplement des vestiges d’une guerre passée, elles étaient les clefs d’un ancien pouvoir, et le dragon en était le gardien.
« Nous devons plonger ! » cria Deran à ses hommes, tandis qu’une autre volée de flammes approchait. « Les épaves sont notre seule chance ! »
Les marins hésitèrent. Plonger dans les profondeurs obscures de la mer d'Igé semblait être un pari fou. Mais face au dragon, il n’y avait plus de choix.
« Allez ! Vite ! »
Un à un, les hommes sautèrent par-dessus bord, disparaissant dans les vagues agitées. Deran fut le dernier à plonger, emportant avec lui une corde nouée autour de la barre pour ancrer le navire à un point sûr. L’eau glacée enveloppa son corps, et pendant un instant, le silence des profondeurs engloutit tout.
Sous l’eau, les vestiges des anciens navires se dévoilèrent à eux. Des coques brisées, des mâts tordus, mais surtout, des coffres mystérieux aux runes luminescentes étaient enfouis parmi les débris.
Le capitaine savait qu’ils n’avaient que peu de temps avant que le dragon ne les suive, même dans ces eaux. Il nagea vers un coffre, ses doigts glissant sur les symboles gravés. Une étrange énergie émanait de l’objet, comme une pulsation au rythme lent et profond.
« Ici ! » cria Deran, l’eau amortissant sa voix. « C’est ici que réside la clé pour arrêter cette chose. »
Valen et d’autres marins le rejoignirent, leurs yeux écarquillés face à la lueur qui émanait du coffre. Alors qu’ils tentaient de l’ouvrir, la mer commença à bouillonner au-dessus d’eux. Le dragon était descendu dans les profondeurs, ses yeux incandescents perçant les ténèbres de l’océan.
Le temps était compté.
Le loup d’Icar [/justify]