[Exil]

La question que je pose dans ce film (Le Sacrifice) est à mon sens la plus aiguë : il s'agit de l'absence dans notre culture, d'un espace réservé à la vie spirituelle. Nous avons étendu l'espace des biens matériels, nous avons développé les expériences matérialistes sans nous rendre compte de la menace que cela faisait peser sur l'homme - en l'amputant de sa dimension spirituelle. Il en souffre et il ne sait pas de quoi il souffre. Il ressent un manque, une absence d'harmonie, et il en recherche la cause. J'ai eu envie de montrer qu'on peut renouer avec la vie en restaurant l'alliance avec soi-même, en retrouvant une source spirituelle. Et pour acquérir cette espèce d'autonomie morale où l'on cesse de considérer uniquement les valeurs matérielles, où l'on échappe au statut d'objet d'expérimentation entre les mains de la société, une voie - parmi d'autres - est la capacité de s'offrir en sacrifice. Voilà donc un homme qui se sacrifie pour quelqu'un, qui comprend que pour se sauver, même physiquement, il doit absolument s'oublier lui-même, trouver un espace pour sa vie spirituelle, accéder à un autre règne. Même si, dans le monde tel qu'il est, son acte paraît absurde, même s'il est une épreuve pour son entourage, c'est en l'accomplissant qu'il prouve sa propre liberté. Ce film est une parabole poétique. Chaque épisode peut s'interpréter de différentes façons. Je suis bien conscient qu'il va à contre-courant des idées communément admises aujourd'hui. C'est un film « à rebours ». Est-il nécessaire de préciser que je suis croyant, que je m'étonne de ce suicide spirituel (et pas seulement spirituel) vers lequel nous courons, même lorsqu'un Etat ne nous y contraint pas, et que je me sens plus proche de la pensée orientale: celle qui, au lieu d'engluer les hommes dans le bavardage universel, leur rappelle les Voies du Dedans.

Extrait d'un entretien d'Andrei Tarkovski,
avec Annie Epelboin, à Paris, le 15 mars 1986.

Ingmar Bergman à propos de Tarkovski :

« Quand je découvris les premiers films de Tarkovski, ce fut pour moi un miracle. Je me trouvais, soudain, devant la porte d’une chambre dont jusqu’alors la clef me manquait. Une chambre où j’avais toujours voulu pénétrer et où lui-même se mouvait pleinement à l’aise. Je me vis encouragé et stimulé : quelqu’un venait d’exprimer ce que j’avais toujours voulu dire sans savoir comment.

Si Tarkovski est pour moi le plus grand, c’est parce qu’il apporte au cinématographe – dans sa spécificité – un nouveau langage qui lui permet de saisir la vie comme apparence, la vie comme songe. »

Quelques témoignages d'acteurs :

Susan Fletwood à propos de son travail avec le cinéaste :

Je suis une comédienne très nerveuse, mais avec Andrei je me sens sûre et calme. Il ne parle pas beaucoup, refusant de dire ce qu'il pense ou quelles sont ces intentions. Mais tous les autres moyens de communication fonctionnent. L'ouïe des aveugles est particulièrement développée ; il en va de même quand on travaille avec Andrei. On entend davantage, on perçoit davantage, il y a un contact entre nous. Nous parvenons à une compréhension réciproque sans avoir recours aux mots.
Parfois, quand j'éprouve le besoin de mieux savoir ce que je dois faire, je ne lui demande pas le sens de la scène. Je lui demande simplement de m'aider. Et, sensible à cet appel, il soulève le voile et tout devient limpide.

Allan Edwall :

J'ai été formé dans la tradition de Stanislavski : l'analyse rationnelle d'un rôle avant son élaboration — sa psychologie et la mienne, sa sociologie et la mienne, mon propre passé. J'ai été formé à étudier mes mouvements en fonction des autres comédiens.
Tarkovski exige le contraire. D'un seul coup on se trouve jouer en face de chaises ou de rideaux.
Pour moi c'était étrange, très insolite, mais fascinant... En tant que comédien, on devient part intégrante de la substance...
Il stimule vos instincts primitifs, éveille des sentiments que nous n'avez plus connus — consciemment — depuis votre enfance. On en arrive à croire tout naturellement au surnaturel. La vie, la mort... Il n'y a plus de frontières. Tout, en fait, se fonde sur l'émotion seule. Dans ce contexte, le rationnel perd son importance.

Valérie Mairesse

J'avais l'impression d'avoir en face de moi un petit garçon de quarante-cinq ans, qui se sert de la caméra comme d'un train et du travelling comme des rails d'un train, et qui fait ça génialement. Quand il est sur sa caméra, avec son petit rire et son œil rusé, on a l'impression qu'il joue, et qu'en jouant il fait arriver des choses étonnantes.
Il avait choisi chaque acteur précisément pour ce qu'il voulait en obtenir, mais parfois on avait des surprises. Je l'ai vu se désintéresser d'un acteur pendant un an, ou même trois ou quatre jours, uniquement pour le mettre dans un état d'angoisse. Et, le jour où il fallait que cet acteur soit détendu et souriant, il était adorable avec lui.
Bien sûr, il cherche : quelquefois on n'a pas tourné pendant une journée parce qu'il cherchait la façon dont il allait faire son plan — il y a un plan-séquence de sept minutes dans le film ! Mais il trouvait toujours, sans recours à la facilité. Pour moi, c'est ça, un grand metteur en scène : savoir exactement où on veut aller, aussi bien sur le plan technique que sur le plan des acteurs. Il a complètement son film dans la tête. Je ne sais pas ce que donnera le film, mais j'ai vécu la plus grande expérience cinématographique de ma vie.

Extrait édifiant d'un article trouvé au hasard de mes recherches sur le cinéaste :

Lorsque dans Andreï Roublev il filme une gourde de lait se déverser dans une rivière, il ne faut pas comprendre cela comme un symbole, une allégorie à déchiffrer. La force de Tarkovski réside dans le fait que ses images nous touchent d’elles-mêmes ; on ne les comprend jamais totalement mais on ressent leur richesse. Au fond, le lait se mêlant à l’eau est une image déjà pleine de sens, pas besoin de trouver des sous-titre. Par sa maîtrise de la composition et par sa direction d’acteur et ses mouvements de caméra, les films de Tarkovski dégagent une atmosphère et une contemplation qu’on ne retrouve nulle part. Ils deviennent chacun un tout organique.
Alors oui, nous allions peut-être un peu fort en disant qu’il n’y avait rien à déchiffrer. Tarkovski a bien un système symbolique mais il se déploie au cours de chacun de ses films. Le sens d’une image n’est pas fixe, il se développe comme un être vivant. La chute dans la deuxième scène du Miroir a d’abord un rôle uniquement dramatique ; ce n’est que plus tard, par sa répétition que ce motif devient symbolique.
De la même façon que son cinéma cherche à retrouver la vie, ses personnages en crise cherchent un absolu, un temps perdu. Tous ses films se déroulent dans un monde après la catastrophe, dans les ruines d’un monde perdu, que ce soit dans son premier film où le jeune Ivan évolue sur le front de la Seconde Guerre mondiale ou dans Le Miroir où le personnage principal est en train de mourir. Les personnages qui peuplent ce monde sont en dérive, à la recherche d’un point d’accroche. Cette perte de repère peut se retrouver dans la séquence du Miroir où les cheveux de la mère cachent son visage, la transformant en monstre. Où trouver un sens ? Où trouver son identité ? Le cinéaste esquisse plusieurs réponses ; elles viennent le plus souvent des faibles, des enfants et des fous, et consistent en un acte de foi, d’amour. Cherchant une identité, Tarkovski réussit le pari fou de peindre la Russie toute entière à chaque film. Il représente la violence qui la déchire dans ses deux premiers films. Pour répondre à cette violence, Tarkovski conjure les traditions et la famille qui permettent le ressourcement. En un sens, il se détourne du cinéma soviétique pour retourner à la tradition intellectuelle russe, à la culture unificatrice.

Pourtant, ces interrogations métaphysiques ne plaisent pas au réalisme socialiste prôné par le régime soviétique qui ne cesse de l’empêcher de produire ses films. En 1982, après avoir réalisé seulement trois films en quinze ans, Tarkovski décide de s’exiler en Italie où  il réalise Nostalghia. Il part ensuite en Suède, invité par Bergman, où il tourne son dernier film, Le Sacrifice, avec Sven Nykvist. En décembre 1985 lui est diagnostiqué un cancer du poumon qui lui sera fatal. Il meurt le 29 décembre 1986 à 54 ans.

[Exil]

En bonus, une vidéo YouTube de ses plus beaux plans. Des choix auxquels j'adhère totalement, et dont la sélection se justifie d'elle-même par la force des images qui nous sont données à voir. La musique de Max Richter, aussi tendre que mélancolique, n'est là que pour ajouter encore plus de sublime à ce qui l'est déjà. Je crois que l'on est beaucoup à passer à côté de l'essence de ce qu'il a voulu dire, offrir. J'ai glané des citations, ai retapé à la main les témoignages des comédiens qui ont travaillé avec lui grâce aux feuillets dont je dispose... c'est qu'on ne connaît pas grand chose de l'homme, hormis ce qui figure déjà sur sa page Wikipedia. Il faut le voir si on ne l'a pas déjà vu, le revoir au moins une fois par an si on l'a déjà vu, s'en rappeler, toujours. https://youtu.be/hjPm8Ng-K5I

[RomainD]

Je ne suis pas étonné que tu apprécies Tarkovski Exil !

As-tu vu le documentaire sur lui "Mise en scène ?". Si non, je t'y encourage vivement ; je l'avais trouvé excellent.

https://www.senscritique.com/film/Mise_en_scene_Andrei_Tarkovski/494749

[Exil]

Mon intérêt pour les contemplatifs est si flagrant... ? xD

Je connais sans avoir vu. Je pense le regarder bientôt, je te livrerai mes impressions si tu veux. Merci pour le partage, et le retour !

[RomainD]

Mon intérêt pour les contemplatifs est si flagrant... ? xD

Je connais sans avoir vu. Je pense le regarder bientôt, je te livrerai mes impressions si tu veux. Merci pour te le partage, et le retour !

Avec plaisir,

Dans mes souvenirs il donnait une vision très précieuse du Tarkovski sur son lieu de travail, du maître durant son ouvrage. Tout en ayant une certaine érudition par rapport à son oeuvre, je crois que le documentaire était ponctué de passages de son livre "Le temps scellé" (lecture que je te recommande aussi chaudement au passage...).

[Basic]

Bonjour,

j'ai pris Tarkovski comme une immersion rapide dans la mer
une sorte de suffocation, de saisissement.
Je n'avais pas les clefs intellectuels pour tout saisir, maintenant non plus. J'ai juste été envahi par la forme et la pensée brute qui traversait l'œuvre que je découvrais alors, Stalker en l'occurrence.
A l'époque, je travaillais  pas mal avec des danseurs, des textes de scène ( que j'ai déposé sur le forum et qui ont eu un succès titanesque  je m'inquiétais de savoir si ces textes pouvaient survivre sans leur contexte de scène... bref, revenons à Tarko, même si en parlant de lui on parle de nous). Son travail m'a fait comprendre ce que pouvait être l'intuition dans la littérature, ce qu'on pouvait oser comme concept esthétique, ce que pouvait être la rencontre entre la science fiction et l'art, quelle forme la mémoire pourrait emprunter, que la poésie pouvait même imprégner un récit classé dans le mauvais genre.
Bref, je lui ai beaucoup volé sans rien en comprendre, juste en recevant sa créativité, ce foisonnement incroyable de propositions et de prises de risques narratives et esthétiques.
B

[Herclinze]

olala tarkovski ! mieux que l'asmr ! ça m'endort tout de suite
je suis acerbe mais mon formalisme me justifie. seule la littérature m'intéresse et des idées ne font guère un livre, détrompez-vous

[Exil]

Qu'appelles-tu ton "formalisme" ? J'ai eu l'occasion par plus d'une fois de lire tes interventions sur le forum. À ce niveau, j'appellerais plutôt cela du troll, dont la définition figure ci-dessous.  S'il te reste un minimum d'honnêteté envers toi-même tu n'auras aucun mal à t'y reconnaître. "Seule la littérature m'intéresse", grand bien te fasse, mais quel rapport avec cette publication ? Un spectre t'est-il apparu suite à ta venue en cette partie-là du forum, te soufflant "Pssst, ils sont en train de dire que tu t'intéresses à autre chose qu'à la littérature, on leur dit ou pas ?!" ? Ç'en est presque touchant ces interventions intempestives qui n'apportent pas grand chose si ce n'est une certaine animosité à ton égard, de réaction.
Le cinéma est autant un art que la littérature. Et si tu envisages, là maintenant, un argumentaire tout droit sorti du cul du purisme ou de l'élitisme maladroit, tu te trompes d'interlocuteur.

[Meilhac]

sans rien en comprendre,

faut jamais chercher à comprendre !

il n'y a que les mauvais films qu'on a besoin de "comprendre" pour avoir une chance de les aimer

ce que tu dis Baz' me donne envie de regarder du tarkowski

[txuku]

Bonjour

Pas convaincu...............

[orangina rouge]

@Exil

Lit moi je pense tu comprendras, ou pas. Est ce important ? réfléchit prends ton temps


    Aède
    Messages: 164
    sic transit !
        blog

Re : Tarkovski : hommage
« Réponse #6 le: 03 mars 2022 à 21:13:22 »
olala tarkovski ! mieux que l'asmr ! ça m'endort tout de suite
je suis acerbe mais mon formalisme me justifie. seule la littérature m'intéresse et des idées ne font guère un livre, détrompez-vous


 Moi je pense Herclinze tente de remuer non la merde mais nos esprits (je suis compté dedans ne lit pas vite) réfléchit et suis ce qui se passe ici sur le meud, on est agressif sectaire, pourquoi ? il nous manque un cadre, tous toi y compris je suppose le ressente, communiquons mieux respectons les avis des autres, tout le monde y est gagnant on s'ouvre l'esprit, et 3 secondes après on pourra s'engueuler, mais en prenant les différences en compte. Le gars remue notre carcan et notre égarement. Perso si j'ai souligné l'entrée de son texte au défloodoir, c'est pour que vous refléchissiez par pour le signaler, il y a un mauvais pli, il faut un remède, j'y pense comme d'autres, je vous lis et vous trouve cool, mais... le troll n'existe pas dixit Alan tréard (et de mémoire où je crois que c'est un sujet dans le haut de l’accueil, moi je vous étudie, vous vous faites de la divination, j'ai fait ainsi avec Georges Ionnatis, problème de communication, lui aussi devait être chouette pourtant, la mythologie du troll et autre...

C'est là il y a plusieurs posts en continuité
https://monde-ecriture.com/forum/index.php?topic=7341.msg623970#msg623970

on interagit trop vite, as-tu compris ce que je dis, je m'en fout.

[Basic]

Orangina,
je viens de te lire deux fois ce matin,
et véritablement, je pense ne pas avoir assez de neurone pour comprendre  :
ce que tu racontes
ce que tu cherches ?
Par exemple que viens faire le bobinage de phrases qui précédent dans un fil ouvert sur Tarkoski ?
B

[orangina rouge]

réfléchit c'est écrit et ouvre la bouche en donnant tes solutions, ton avis au lieu de faire ainsi, les gens ici partent vite, non.
va lire le lien !

[Basic]

Orangina,

ça fera trois échanges en 30 minutes, mais toujours tes facéties.
Donc j'arrête d'essayer la discut...
Passe de bons moments
B

[marécage désolé]

une excellente introduction à tarkovski est son livre Le temps scellé.

https://www.babelio.com/livres/Tarkovski-Le-Temps-scelle/166323

maintenant faut-il voir les films et lire le livre après, ou l'inverse ?

perso j'ai d'abord vu les films. (et surtout j'ai eu la chance de les voir en salle, lors d'une rétrospective.)