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14 octobre 2024 à 01:49:39
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Auteur Sujet: Prologue au Cycle de l'Altaria : Un loup-garou au printemps (7368 mots)  (Lu 206 fois)

Hors ligne Altarien

  • Tabellion
  • Messages: 23
La principale difficulté que je rencontre en écriture concerne les prémices de l'œuvre. Si je sais où doit aller mon univers, je trouve assez difficile de mettre en place les éléments sans que ce soit trop lourd. Je veux éviter le début du Seigneur des Anneaux qui est très lourd à digérer pour un lecteur peu averti.

L'Altaria démarrera donc par des nouvelles prologues, sans grands enjeux.

Voici donc une nouvelle introductive à mon cycle. Celle-ci évoque la situation politique du pays, et met en place certains protagonistes.

En attente de retours sur la pertinence d'une telle introduction.


Texte :

 -Bordel ! Edrik ! Qu'est ce que tu attends pour te foutre a cul ? Tu vois pas que t'es le dernier qu'on attend pour décharger ?

Celui qui vociférait au milieu de la cohue sur la Grand Place de Palladia, c'était Roy Narthe, un marchand ouestrien dans la force de l'age, trapu, bourru et au langage fleuri. A grands coups de vociferations, celui-ci donnait la cadence à ses vingt-sept charettiers pour se mettre en position pour que la cargaison soit déchargée par les soins du client, la Compagnie Occidentale des Condiments et Aliments Ouestriens.

Lorsque Decken le rencontra à Rhodane, il fut quelque peu circonspect à l'idée d'accepter de travailler pour un tel rustre. Mais il s'avéra que durant les six jours que durèrent l'escorte du convoi de viande séchée et d'hydromel vers Palladia, le marchand s'était avéré être de très bonne compagnie. Il avait pris l'habitude de chevaucher en-tête de cortège aux côtés de Decken et discutait de tout et de rien, lançant des jurons à propos du monde entier. Sa compagnie avait rendu le voyage plus léger aux yeux de Decken. Sachant qu'en plus, rien de particulier ne vint troubler le voyage, hormis peut-être une brigade de six malandrins chétifs qui tentèrent d'intercepter le convoi en les menaçant de ce qui semblait être des gourdins, mais lorsque Decken s'approcha pour les corriger, il s'aperçut qu'il s'agissait en fait d'ustensiles de cuisine rouillés.

-Voila, voilà, on a tout ! Se félicitait Roy Narthe. Sire Decken ? Ce maudit client me fait toujours remplir toute une fournée de paperasses inutiles. Vous n'avez qu'à m'attendre à l'auberge juste en face. L'aubergiste est sympa. C'est un ami. Je viendrai vous régler quand j'aurai fini et si jamais on pourra se boire une bonne bière, qu'en pensez vous ?

-Ce sera parfait, approuva le Paladin dans un sourire.

Il traversa donc la grande place de Palladia pour s'installer à l'intérieur de la Taverne appelée "L de plafond, soutenue par des poutres disposées chaotiquement, le tavernier, un vieil homme bossu et édenté se tenait derrière le comptoir crasseux et s'affairait à essuyer des choppes avec un torchon si sale, qu'il déposait plus de crasse qu'il n'en enlevait. Les tables poussiéreuses de la taverne étaient inoccupées à l'exception d'une seule, dans l'angle, où un jeune homme roux, au visage frappé à moitié de taches de rousseur et de restes de vérole s'affairait à gratter un luth mal accordé.

"Quand le roi nous déclara,
Plus minables que des pariats,
Que l'or avait bouffé l'honneur,
Des maudits seigneurs Holger,

Le Dragon rouge s'est embrasé,
Pour tous les en... fourner !"

-C'est Borendir, un p'tit gars pas assez affûté pour rejoindre la brigade, alors il nous casse les oreilles avec son crincrin, expliqua le vieux tavernier en levant les yeux vers le Paladin qui s'était installé au comptoir.

-Les textes sont de lui ? demanda Decken amusé en jetant un œil au jeune homme.

-J'sais pas bien, répondit le tavernier, desfois il nous pond des ballades plus élaborées donc il se pourrait bien qu'il les aient pompées à des vrais troubadours, je pense pas qu'il soit bien talentueux.

Decken sourit aimablement tandis que l'apprenti troubadour continuait dans sa chanson paillarde.

"V'la qu'ils nous ont envahi,
Foutu au cul la caval'rie,
Pendant qu'Holger comptait ses sous,
Nous on crevait dans la gadoue,

Puis le dragon rouge s'est embrasé,
Pour tous les en ... fourner"

Le tavernier applaudit ironiquement le jeune ménestrel, joint rapidement par un Decken amusé.

-P'tit gars, laisse donc ton crincrin et goûte un peu cette gnôle de prune, je viens de la sortir de la cave, ça va éclaircir ta gorge et ta voix
sonnera un peu moins comme celle d'un p'tit puceau ! ricana le tavernier.

-A part des clodos et des catins, vous ne fréquentez personne dans ce trou à rat, vous ne savez pas vous mettre a la hauteur de la poésie, répliqua le jeune troubadour vexé.

-Ça c'est pas bien gentil pour le monsieur. Ça a pas l'air d'un clodo ou d'une catin, regarde un peu cette armure en plaques, ça doit coûter plus cher que l'établissement, le stock compris.

-Encore un barbare de mercenaire ! s'indigna le troubadour, ça vient juste après les clodos. Les clodos ils sentent mauvais mais ils ne massacrent personne, et les catins elles vendent leur cul mais pour faire du bien vous c'est pire, vous vendez votre épée pour trucider des gens.

-Vous avez tort, coupa Decken, j'ai beau vivre de mon épée, et je ne suis pas contre l'art, bien au contraire, j'aime beaucoup écouter les compositions locales lorsque je voyage, sur la vôtre j'apprécie la façon dont vous depeignez la Chute de la Maison Holger.

Les yeux du jeune barde s'illuminèrent :

-Vous connaissez cette histoire alors que vous ne venez même pas de chez nous ?

-C'est une belle histoire, repondit simplement Decken, Dovile Khuan face à la folie cupide de Lord Aeron Holger, vous tenez un bon morceau.

-C'est quand même un peu vulgaire, remarqua l'aubergiste.

-Justement, le vulgaire ou l'humour, correctement dosé, ça aide à faire retenir le message. Les jeunes connaîtront cette histoire en se souvenant du jeu de mot avec "en...fourner".

Le barde jouvenceau souriait d'un air méprisant en direction du tenancier.

-Jeune homme, continua le chevalier, il y a un autre détail avec votre luth. Vous permettez ?

Le jeune barde déposa son luth dans les mains tendues du chevalier.

-Voyez vous, expliqua Decken en manipulant l'instrument, il faudrait augmenter la tension des premières et quatrième cordes, le son sera plus harmonieux. Regardez, lui dit il en lui rendant l'instrument.

Le jeune Borendir claqua quelques accords et il fut également d'avis que le son était plus mélodieux.

-Merci beaucoup Chevalier ! Je vais devoir me retirer, la nuit va tomber et la Brigade va encore me passer un savon parce que j'ai pas respecté le couvre feu.

Le jeune homme prit ainsi congé du Chevalier et de l'aubergiste, il adressa un sourire radieux au Paladin, qui le lui rendit. A ce moment la, Decken ignorait que plusieurs décennies plus tard, nombre de personnes viendraient en pèlerinage au "Prospecteur Prospere" pour découvrir l'endroit où le Grand Borendir, le "poète au cachot", avait récité ses premières gammes. Mais ceci est une autre histoire.

Du côté du comptoir, donc, Le tavernier continuait de pester sur ce jeune ménestrel :

-Pas un mauvais bougre, mais tous les jours à me casser les rouleaux avec son crincrin, et puis c'est pas ce qu'il consomme qui va me faire le bout de gras, j'vous le dis mon bon seigneur.

-Les affaires ne vont pas bon train ? demanda Decken étonné.

-Pas vraiment non, faut dire qu'après la frontière vous trouvez de la neige tout le tour du ventre, donc y'a pas grand monde qui s'aventure jusqu'à chez nous. Puis ... Faut dire qu'avec toutes ces histoires de couvre feu, à part quelques poivrots qui le bravent, les soirées sont pas trop animées. Bah ! j'ai quelques marchands de passage de temps en temps, ils dinent et dorment, mais ça crée pas une grosse agitation le soir ...

-Il y a un couvre feu ? réagit le chevalier surpris. J'ai pas mal parcouru les Terres de l'Ouest je n'ai rien vu de semblable cet hiver.

-J'sais bien, sauf que dans les autres cités -il baissa soudainement la voix et regarda en direction de la porte-, ils ont pas un dégénéré comme Gouverneur de la place. Nous on doit se fader Merrycrag depuis que Lord Khuan est parti faire des courbettes à Mont Aral, il a laissé son petit frère, Merth aux commandes de l'Etat. Le gamin il a huit ans. Alors qu'est ce qu'il se passe ? Les Gouverneurs des cités font ce qu'ils veulent.

-J'ignorais que Volper Merrycrag gouvernait aussi Palladia, s'etonna Decken.

-Vous le connaissez ? demanda l'aubergiste qui se mit soudainement à paniquer.

-On s'est croisés plusieurs fois, mais ne vous inquiétez pas. Nous ne sommes pas proches -l'aubergiste reprit soudainement consistance-, je pensais qu'il avait été nommé Chef des Armées ici.

-Oh il l'est aussi, et Lord Khuan lui a donné Palladia parce que c'est stratégique. Il a une brigade qui surveille les frontières Nord, il est persuadé que des bandits vont débarquer pour piller les mines, alors : couvre feu et surveillance maximale ! Et tout ce qui traîne dans les rues au coucher du soleil, ça finit au trou. Mais le plus drôle dans tout ça c'est que c'est que de la poudre aux yeux. J'connais bien les mines moi, bah dans le coin, elles sont toutes vides, ça fait vingt ans qu'on Creuse mais qu'on sort que du caillou, pas une seule pépite.

-Vraiment ? s'étonna Decken. Je pensais que c'etait bien la seule chose qui poussait ici, l'or.

-Au sud et à l'ouest, je connais pas assez donc j'sais pas. Ici, les filons sont essoufflés depuis vingt ans. Avant ça des gars debaroulaient de partout avec leur pan et ils ramassaient de l'or à pleine poignées dans les rivières. Dans les montagnes ça creusait et ça ressortait des pépites grosses comme le poing. Mais ça fait vingt ans qu'y a plus rien. Vous voulez que je vous dise moi ce que j'en pense de de ce couvre feu ? C'est du bluff. Les marchands qui se pointent d'Orcarine ou d'Asperia, ils voient la ville défendue comme un coffre fort alors ils se disent : "Wouah ça doit cracher de l'or de partout." Alors ils vont répéter ca a leur petit Seigneur et on continue a dire que de l'or on en a tout le tour du ventre. Mais en vrai, je suis sur que de l'or y'en a plus. Surtout maintenant que Merrycrag passe toutes nos réserves en or, justement, pour armer ses foutues brigades.

Decken et l'aubergiste, rendus guillerets par leur deuxième verre d'alcool de prune furent interrompus dans leur discussion par Roy Narthe qui rentrait d'un pas pressé dans l'auberge.

-Wilmot ! s'exclama le marchand en serrant de ses deux mains celle décharnée de l'aubergiste.

-Ce bon vieux Roy ! Comment qu'il va ? Je pensais que tu passais l'hiver dans les cuisses de maman, je ne t'avais pas encore vu rappliquer.

-J'ai eu surtout des livraisons vers le Sud, expliqua Narthe. Et puis la Guilde de Mercuria m'a piqué tous mes clients de Tordaine et a Palladia à part la Compagnie des Condiments, j'ai plus grand chose ...

-Les affaires, toujours les affaires ! tempêta l'aubergiste. Tu viendras jamais pour prendre du bon temps avec ton vieux pote, maudite canaille va. Tiens je te présente ... d'ailleurs on papote mais je sais même pas son nom a celui-ci.

-Decken du Baranon, répondit le chevalier. Mais je connais déjà Roy, j'étais chargé d'escorter son convoi.

-Alors là, Roy ! Tu te paies des chevaliers errants pour t'escorter maintenant ?

-Figures toi qu'avec l'hiver, les bandits d'Orcarine et d'Asperia sévissent dans le coin. Ils viennent la ou le temps est plus doux. Ce p'tit gars que tu vois, il a sauvé tout un convoi de vins entre Iridia et Rhodane y'a deux semaines. Il était avec Sandar. Tu sais celui avec le pied-bot qui arrive à attraper du vin blanc de la Raspe à des prix pas dégueulasses. Il m'a raconté que ce chevalier du Baranon, c'est une trentaine de bandits qu'il a pourfendu de son épée à lui tout seul.

-Ne nous enflammons pas, Roy, ils étaient environ une douzaine, expliqua Decken, et ils se sont enfuis quand j'ai eu la première vague ...

-Sandar en tremblait encore quand il est arrivé à Rhodane. Il a jamais vu un épéiste pareil. Et pourtant des mercenaires il en a vu defiler. Alors moi qui venais vers ce trou à rat, je l'ai recruté.

-Et du coup vous en avez croisé des brigands sur la route ?

-Une petite brigade de six maigrichons, répondit Narthe. D'ailleurs quand c'est comme ça on paye que la moitié ? demanda-t-il avec un sourire narquois au Paladin.

-Vous pouvez, répondit calmement Decken, mais vous seriez bien le premier marchand des Terres de l'Ouest à manquer à sa parole.

-Les affaires sont les affaires, répondit bravement Narthe, on a passé de bons moments, le convoi est arrivé intact et les six margoulins qu'on a croisé ont pris leurs jambes à leur cou en vous voyant approcher. Qui sait ce qu'il se serait passé si vous n'étiez pas là ?

-Pas grand chose, ils n'étaient pas bien virulents.

-Vous avez laissé partir des bandits ? Pourquoi vous ne les avez pas laissé cuire attachés au milieu du désert ? demanda l'aubergiste quelque peu étonné.

-Parce qu'ils étaient inoffensifs, répéta machinalement le chevalier devenu épée-louée.

-Si Merrycrag sait que vous avez épargné des bandits, il vous mettra au trou. Il ne supporte pas ça.

-Ce n'était même pas des bandits, annonça Decken en sortant un objet métallique -probablement une broche de ceinture, ou de cape- de sa besace, celui-ci avait été tombé par un des fuyards.

-Deux salamandres entrechoquées ? Je ne connais pas ce blason, observait Narthe, tandis que l'aubergiste hochait lui aussi la tête en signe de dénégation.

-Ce n'est pas vraiment un blason. C'est celui d'un corps d'armée, expliqua Decken lentement. J'ai moi-même beaucoup fouillé dans ma mémoire, mais j'en suis désormais certain. C'est le symbole de la Brigade des éclaireurs Finbar. Une des cohortes du Front Est.

Les deux ouestriens tremblèrent à cette évocation.

-Comment serait-ce possible ? Ils se sont tous fait charcuter la bas, sur le Front Est dans cette fichue guerre du Norfendre ! murmura l'aubergiste. Mon gamin y était. Bon, pas à l'Est, mais il s'est fait avoir aussi ...

-Des spectres ? demanda Roy apeuré.

-Le guet apens du Passage du Col de Sandresang., murmura le Paladin. L'Ultime tentative de Mogren, une boucherie qui decima le reste des troupes du Front Est. On raconte que certains, devant l'ampleur du massacre ont pu fuir, mais les nordiens racontaient que le froid la faim ou les maraudes des guerriers nordiens les avaient tous pris. Certains ont pu en réchapper visiblement. Et ils survivent comme ils peuvent ...

-Merrycrag n'a d'ailleurs pas servi pendant cette foutue guerre ? demanda Narthe

-Si, comme tous les hommes valides de sa génération, répondit Decken, il était sur le Front Est d'ailleurs.

-Vous, vous ne deviez pas y être, vous êtes trop jeune, remarqua l'aubergiste, mon aîné est parti mais mon cadet doit avoir votre âge maintenant et ils me l'avaient laissé, il avait tout au plus treize ans quand le Prince Yoren, il n'était pas encore Roi, était venu chercher du monde.

-Votre aîné était donc dans le corps des Volontaires de Yoren ? demanda Decken parce qu'il était intéressé et surtout qu'il ne voulait pas s'étendre outre mesure sur ses souvenirs de guerre.

-Volontaires ? L'aubergiste ricana dédaigneusement. A la mort de Layla, il m'aidait à faire tourner la boutique. Il voulait pas y aller mais quand les lanciers sont venus le tirer du lit, forcément qu'il était devenu volontaire ... Le plus drôle dans tout ça, c'est qu'un gougnafier de la capitale s'est pointé un beau jour, il a ramené une poignée de gamins tout abîmés, des manchots, des borgnes, des unijambistes, les plus chanceux c'étaient les défigurés au final. Moi quand j ai vu ça j'ai traversé la place pour aller a leur rencontre. J'espérais voir Willam, même borgne ou sans jambes, et le gougnafier a pris mon nom, il a hoché la tête et il m'a filé ça -il désigna du doigt un cadre au centre duquel avait été placé une médaille écarlate-, "Services rendus a l'Altaria", y'a même pas son nom. Il en distribuait des poignées à tous ceux qui avaient perdu quelqu'un.
L'aubergiste s'interrompit, des larmes commençant à couler le long de ses cernes.

-Je suis désolé, murmura Decken en lui servant un quatrième verre d'alcool de prune.

-Moi c'est mon frère qu'est parti la-bas, expliqua Narthe. Un sacré casse cou, il a perdu la jambe au Debarquement à l'Ouest. Enfin, il s'est pris un coup de masse et ses os étaient broyés. Ils lui ont coupé la jambe et l'ont fait repartir aussitôt débarqué. Sauf que le boulot a été salopé et ça s'est gangréné sur le trajet pour rentrer chez nous. Il est mort au Port d'Iridia, juste avant de se faire descendre du bateau. Et toi p'tit gars ? T'as pas répondu à Wilmot, c'est pas la bas que t'a appris à te battre ?

-Je savais me battre avant, et vous avez raison, j'étais jeune au moment du conflit. Je venais d'avoir quatorze ans ...

Decken se figea un instant. Il n'aimait pas trop en dire sur lui, encore moins sur ses souvenirs de la Guerre du Nord, mais les deux hommes étaient d'agréable compagnie, de plus, il n'était pas obligé de s'étendre, et il fallait reconnaître que la gnôle de Wilmot semblait être particulièrement efficace pour délier les langues.

-... Pourtant, reprit Decken, j'avais été mobilisé. J'étais déjà écuyer, en formation à l'école militaire. J'ai donc servi sur le Front Ouest. Et ma jeunesse m'a quand même permis de rester à l'écart des combats. Surtout après la prise de la Base Knox. J'ai eu plus de chances que votre fils ... ou que votre frère.

Les deux compagnons de Decken restèrent silencieux, perdus dans leurs pensées et les souvenirs de leurs proches disparus que celles-ci leur évoquaient. Ce fut finalement Roy Narthe qui brisa le silence qui s'était installé dans la salle aux bas plafonds.

- Vous êtes sur que vous repartez pas avec moi, alors, Sire Decken ?

-Non pas que je doute que ce pourrait être agréable, mais j'ai pour plan de continuer au Nord maintenant que l'hiver est fini, répondit Decken avec sincérité.

-C'est bien dommage ! Mais sait-on jamais ? Si je me retrouve à aller marchander dans le Baranon, je passerai vous saluer cher ami.

-Ce serait sympathique de votre part, mais je doute que vous me trouviez un jour dans le Baranon, rétorqua Decken toujours de sa voix blanche.

-C'est pourtant sympa le Baranon a ce qu'il se dit, remarqua l'aubergiste, le climat chaud sans être caniculaire comme ici, les femmes qui se promènent en toge seins nus. Et apparemment leurs cités avec les colonnes c'est pas dégueulasse à ce qu'on raconte.

-Pour les seins nus, je ne sais pas si vos sources sont justes, pouffa Decken. C'est très joli et agréable comme région, mais pour un chevalier errant, il n'y a pas beaucoup de travail. Le Baranon n'élève que des vignerons, de fromagers ou des dresseurs de chevaux, rien qui n'attise vraiment les convoitises des brigands ... Puis, il faut dire que le Lord est du genre à punir tout manquement à la loi avec sévérité.

-Jamais mis les pieds, j'écoute ce que me disent les collègues, bougonna l'aubergiste en se renfrognant. Et du coup vous allez trainer où ?

-Maintenant que l'hiver est fini, je vais me mettre en route vers l'Orcarine, j'aimerais arriver à Rebec avant la prochaine lune.

-L'Orcarine ? Mais qu'est ce que vous allez faire la bas ? Il y a encore moins de travail, rien à part des Landes gelées ou de la Toundra. Et ils aiment pas les étrangers ! s'étonna Narthe.

-J'ai des amis que je souhaiterai revoir à Rebec. Si je ne trouve pas de travail en Orcarine, je redescendrai vers l'Asperia. Ils ont toujours de quoi faire et n'ont pas peur de confier ces tâches a des étrangers il y a toujours des bûcherons à escorter, des bandits a capturer ou des ours à abattre en forêt.

-Un épéiste pareil pour estourbir des ours ! s'indigna Narthe. Ah ! Messire Decken, si vous étiez moins buté je vous paierai pour suivre mes convois dans toute l'Altaria maintenant que la neige va fondre !

-Je croyais que j'étais trop cher et que vous comptiez me payer moitié prix ! rétorqua Decken, narquois.

-Trop cher non, au contraire, vous êtes même sacrément bon marché, les autres épées à louer demandent des salaires de Ministre, c'est pour ça que je préférais risquer de ne pas en prendre. En plus, comme je vous expliquais sur la route, ce sac a merde de Gaebor nous met des taxes a tout va. Quand il a nommé le Seigneur Khuan Premier Ministre je me suis dit qu'il ferait un geste pour les Terres de l'Ouest ...

-Que nenni ! vocifera l'aubergiste, on est incapables de produire un foutu bon vin rouge dans la région, est-ce que c'est mon problème a moi ? Les clients m'en demandent alors qu'est ce que je fais ? Je le fais venir du Baranon ou de l'Est ! Bah ce salopard de Khuan me fait maintenant payer le double de la valeur du vin en taxe, vas expliquer aux quelques poivrot qu'il me reste qu'ils doivent soit tourner à l'hydromel soit payer leur coupe de vinasse un écu d'or.

Et les deux ouestriens passèrent le reste de la soirée à pester contre leur gouvernement et les taxes qui pullulaient depuis que Paul Khuan avait accepté la charge de Premier Ministre. Decken, des échos qu'il avait de la capitale avait appris que le Roi Gaebor IV Arany ne participait plus à aucune réunion du Conseil du Roi, ni meme des doléances, laissant son Premier Ministre gouverner en son nom pendant qu'il restait enfermé dans son donjon Carmin. Decken avait connu les deux hommes, le Roi, parce qu'il était un cousin éloigné de sa famille, était venu plusieurs fois en villégiature à Bras le Sac. A cette époque il arrivait derrière ses frères Maerbor et Yoren dans l'ordre de succession royal. Il était moins charismatique que son frère aîné Yoren, mais il était un adolescent plutôt calme, instruit et poli. Decken n'avait que cinq ou six ans et Gaebor onze, quand celui-ci lui expliqua avec minutie l'art de la stratégie militaire. C'était ce qui passionnait Gaebor. A cette époque, il ne devait pas hériter du trône et voulait devenir General militaire. Decken avait recroisé Gaebor à la guerre du nord. Il fut un héros des Prises de Knox et Twylainia. Et il avait noué une relation fraternelle avec un autre nobliau de son âge, servant dans la même compagnie que lui : Paul Khuan. Le jeune Lord Khuan était, dans les souvenirs de Decken, plutôt taciturne et désagréable, il arborait toujours une moue nonchalante sur son visage et, dans son jeune âge, il avait un affreux penchant pour donner leçons et conseils à tout va. Paul Khuan était, comme Gaebor, fasciné par les idées de de Sandreville, mais Gaebor, lorsqu'il prit le pouvoir se résigna à ne rien révolutionner car peuple et nobles n'étaient pas prêts à un tel chamboulement. Il semble que la nomination de Paul soit un revirement vers ses premiers idéaux. Mais effectivement, Paul Khuan souhaitant que le Royaume reprenne la main sur beaucoup de sujets, a besoin de liquidités et pour cela, il taxe à tour de bras.

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Cela faisait maintenant deux jours que Decken avait quitté Palladia par la Porte Nord. Il avait traversé le Plateau Pallade, au moyen de la Voie Artheria, qui longeait le fleuve du même nom. Cette partie des Terres de l'Ouest était très différente des étendues désertiques du reste du territoire. La plaine s'étendait à perte de vue, aucun canyon, aucune montagne ne venait gâcher la vue de ce beau paysage. L'Artheria n'était pas asséchée contrairement aux autres fleuves du pays, peut-être était ce du a l'altitude qui rendait le Plateau moins exposé au soleil qui frappait fort sur le reste des Terres de l'Ouest. La nature était verdoyante, ce qui expliquait que les immenses champs qui s'étendaient à perte de vue étaient envahis par des bergers et leurs troupeaux en transhumance.
C'est d'ailleurs un de ces troupeaux itinérants qui empecha Decken de progresser plus, alors qu'il n'était qu'à quelques lieux du Massif de Tordaine, sa destination. Le troupeau, entouré par quatre molosses qui les empêchaient de quitter la route et rabattu à l'arrière par le berger, occupait toute la largeur de la voie pavée.

-Bien le bonjour mon bon Seigneur, si vous voulez contourner vous pouvez y aller. Les chiens sont pas bien méchants ils vous laisseront passer. Et si vous voulez casser la croûte avec nous, vous avez qu'à continuer avec nous jusqu'au bosquet, on va s'installer la bas.

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-Y'a pas beaucoup de paysans dans l'Ouest, expliquait le berger en croquant dans une miche de pain. Hormis aux abords des rivières, c'est du feu qui tombe. Surtout l'été, y'a bien que ce Plateau et le Massif de Tordaine qui sont viables. Alors, nous, les éleveurs, on vient en transhumance, ici, pour l'été. Ça nous permet de nous sortir des cuisses de Maman. C'est pas plus mal pour la santé du casque, croyez moi.

Decken sourit de bon cœur à la boutade de l'éleveur.

-Dorkan, votre fromage est excellent ! Complimenta Decken en croquant allègrement dans sa tartine de fromage de chevre.

-Merci mon bon seigneur, j'en suis pas peu fier de celui-là. Figurez-vous que même le Lord Khuan envoyait ses chevaliers pour m'en commander des chariots entiers.

-Alors le Lord semble avoir bon goût, contrairement aux racontars qui circulent ici.

-Les racontars ? Vous savez il y'a autant de potentiels Lords que d'habitants ici. Des qu'il se passe quelque chose, ils critiquent. Et si vous avez fréquenté les tavernes dans vos voyages, vous avez du en entendre des plaintes sur le Lord. Moi ce que j'en dis, c'est que c'est pas plus mal. A une époque tous les aubergistes avaient compris la combine, ils faisaient venir leur vin du Baranon, sur ça faut reconnaître qu'ils sont meilleurs que nos pisse d'âne locales. Puis ils en profitaient pour completer la livraison en achetant du fromage et tout un tas de produits qu'on était quelques uns à savoir faire ici. Résultat, déjà qu'il y avait pas trop de paysans dans l'Ouest, y'en avait encore moins y'a deux ans quand il est parti siéger à Mont Aral. Maintenant c'est different, ils paient des taxes sur tout ce qu'ils achètent ailleurs. Y'a bien qu'en Asperia que ça gueule puisque c'est pareil pour eux, ils peuvent plus vendre sans taxe hors d'Asperia. Et vu que tout le monde fout le camp de ce trou à rat, ça restreint la clientèle. Mais moi au moins, j'arrive a écouler ma production. Et cette année je vais même pouvoir vendre un peu plus cher.

-En effet, les aubergistes semblent mal vivre les taxes ...

-Comme moi je vivais mal quand mon fromage moisissait dans mes caves pendant qu'ils faisaient venir du fromage merdique d'Orcarine ou du Baranon. Enfin, c'est pas tout, conclut Dorkan l'éleveur, je resterais bien là à palabrer toute l'apres-midi, mais j'aimerais bien traverser ces bois avant la nuit. J'ai pas envie de devoir dormir ici et me faire becqueter par les loups.

Decken et le berger continuèrent donc leur route ensemble. Ils traversèrent les côtes rocheuses de Tordaine indiquant qu'ils rentraient dans le défilé du même nom, et au beau milieu d'un vallon ombragé et verdoyant se dressait le Relais de Tordaine. Il était constitué d'un bâtiment central où était indiqué sur l'écriteau : Auberge de la Becasse Moqueuse, autour de laquelle s'articulaient plusieurs baraquements de fortune.

-Autour de l'auberge, c'est les appartements de la Brigade, expliqua le berger, vous les avez en permanence pour surveiller les frontières, faites gaffe au contrôle, si vous la ramenez un peu trop, ils sont pas commodes. Bien ! Jeune Chevalier, moi je vais continuer un peu plus loin, ma cabane est en contrebas dans le vallon. Si vous repassez à l'occasion, n'hésitez pas.

Decken serra la main tendue du berger, promettant qu'effectivement s'il venait à retourner dans la région, il s'arrêterait avec plaisir chez le berger de bonne compagnie. Le soleil avait totalement disparu quand Decken franchit la porte de l'auberge.

Au centre de celle-ci, un grand comptoir circulaire permettait à la taverniere d'avoir vue sur tous les clients installés sur les tables aux nappes de soie écarlates. Element rare pour une taverne située dans un village aussi exigu.
Neuf statuettes de bronzes étaient disposées autour de la salle. Elles représentaient les effigies des Neuf magiciens mythiques ayant fondé l'Altaria. Un cierge brûlait devant chacune d'elles. La lueur de celui-ci améliorait l'éclat des statues qui paraissaient très bien entretenues. C'était d'ailleurs l'autre élément de surprise dans cette auberge : la propreté impeccable des lieux, que ce soit au sol, sur les tables, ou sur le comptoir circulaire et autour de la cheminée, à l'intérieur de laquelle un chaudron crépitant et embaumant la pièce d'une bonne odeur de ragoût de mouton, mijotait.
La tenancière, une jolie femme, de l'age de Decken environ, vêtue et coiffée à la garçonne, s'affairait a reremplir les coupes des trois seuls hommes présents dans l'établissement. Des habitués visiblement, à en juger par la façon dont ils hèlaient l'aubergiste en l'appelant par son prénom : Lorina.

Une fois son affaire terminée, la charmante jeune femme posa ses yeux verts sur le Paladin et lui proposa de s'installer à une table, éloignée des trois hommes, et non loin de la cheminée.

-Excusez ces messieurs, mon bon seigneur, lui dit-elle en lui dressant le couvert. Ils sont un peu chahuteurs. Mais il faut comprendre. Ils passent leur journée de repos à boire, demain, ce sera leurs collègues en repos qui prendront le relais.
-Leurs collègues ? demanda Decken.
-Oui, ils sont soldats. Vous savez, les baraquements autour de l'établissement, ils sont un peu bruts, mais ils n'ont guère meilleure activité que de se saouler dans le coin. D'ailleurs, dois-je vous préparer une chambre aussi ?
Decken accepta avec entrain, il aurait voulu discuter avec la tavernière, mais celle-ci dut retourner servir le groupe de soldats qui lui demandait de nouvelles pintes.

Il était encore tôt pour dîner, et Decken indiqua à Lorina qu'il allait se promener au calme, las des grands éclats de voix des soldats.

Le Relais de Tordaine était donc un relais pour voyageur, un poste frontière où une garnison était établie en permanence. Plus loin sur le vallon, on pouvait distinguer des pâturages et des chalets appartenant vraisemblablement aux bergers qui venaient passer l'été dans ce vallon au climat propice avec leur bétail en transhumance.
Au beau milieu des baraquements de fortune des soldats, on pouvait voir deux bâtisses en pierre, d'aspect misérable, dont une arborant un marteau et une enclume en devanture.
Le forgeron était un vieil homme à l'air revêche. Il s'affairait sur une hache lorsque Decken s'approcha.

-Ma parole ça c'est de l'armure ! siffla le vieil artisan en laissant découvrir ses dents jaunâtres. De la plate finement ouvragée -il prit Decken par les deux épaules pour le faire pivoter- même le cuir des attaches est bien fini. Ah ! Et les améthystes, c'est une armure du Baranon, ou je ne m'appelle pas Blavek !

-En effet, c'est bien vu, cette armure a été fabriquée dans le Baranon. Ravi qu'elle vous plaise.

-Ah c'est pas tous les jours qu'on peut en contempler une comme ça. Merci mon bon Seigneur, que puis-je faire pour vous aider ?

-Oh pas grand chose, je suis de passage et je souhaitais me balader avant le repas.

-Vous ballader dans ce trou ? demanda le dénommé Blavek. Mon pauvre ami, il vous faut avancer de plusieurs lieues pour voir la vallée sous un meilleur jour. Ici on est simplement un poste frontière. On a quelques voyageurs de passage, la brigade et quelques paysans. Mais c'est pas le meilleur endroit pour séjourner. D'autant plus qu'il est désormais formellement interdit de sortir le soir.

-Oui, je suis au courant, la région est soumise à un couvre ...

-Oh c'est pas question du couvre feu -le forgeron jeta un regard autour d'eux pour être sûr de ne pas être entendu, et il reprit-, ça quand le Connétable Merrycrag n'est pas là, la Brigade est plutôt conciliante et nous laisse aller à la taverne et faire nos affaires. Il est question de la Bête.

-La Bête ? Demanda Decken interloqué.

-Oui, il y a une quinzaine de jour, l'aubergiste était parti en forêt, ce soir-là il avait un peu forcé sur la bouteille et Dame Lorina lui a demandé d'aller prendre l'air pour avoir des idées plus claires. La pauvre s'en veut mortellement. Ils ont retrouvé son pauvre mari tout déchiqueté à l'aube. Ils ont pas dit tous les détails, mais j'ai un collègue à la Garde, soit disant qu'il ne restait plus qu'une moitié du corps. Le reste ... Emporté par la bête. Alors depuis on nous intime d'éviter la forêt et de sortir le soir.

-C'est étrange, murmura Decken. Et les soldats n'ont pas retrouvé de trace de la Bête ?

-Vous savez chevalier, les soldats sont pas les plus hardis du pays. Puis ils ont pas votre équipement. Je suis sûr que l'échevin qui habite la masure d'à côté serait prêt à vous verser une jolie récompense si vous acceptiez de vous en occuper.

#################################

-Eh bien voilà notre chance ! Un Chevalier errant qui passe par Tordaine pile quand nous en avons besoin.

Le petit homme souriait aimablement à Decken. Celui-ci s'était présenté dans la masure en pierre, voisine de celle du forgeron. La modeste demeure, faiblement éclairée servait vraisemblablement d'hôtel de ville ainsi que de logis au maître du relais frontière. Le Sire Borska, un petit homme dégarni, et au sourire aimable.

-Je n'ai pas dit que j'acceptais, reprit Decken. J'aimerais d'abord en savoir plus sur la Bête avant de me faire mon avis. Les Chevaliers errants ou Paladins peuvent tenir tête à certains animaux ou bêtes sauvages, mais certaines comme les loup-garou nécessitent l'intervention d'un Traqueur. Je n'ai pas la pretention d'avoir les méthodes et la capacité de pister et affronter une telle bête.

-Alors, il y a quinze jours de ça, Boleslav, notre aubergiste est allé se changer les idées en forêt. A l'aube, la garnison a été alertée par un afflux de corbeaux, ils se sont rendus sur place pensant trouver un sanglier mort. Ce qu'ils ont vu était un bien macabre spectacle. Il ne restait plus qu'une moitié de Boleslav, toute l'épaule et le flanc droits avaient été arrachés. Les charognards se disputaient ses tripes. J'en ai eu le cœur tout retourné quand j'ai dû venir constater avec la veuve.

-Qu'est-il advenu du corps ?

-Lorina a souhaité l'incinerer au plus vite. Elle conserve les cendres dans leur établissement.

-Et je suppose qu'aucun soldat n'est préposé aux croquis ?

-Notre garnison est plutôt composée de jeunes recrues. Et ce genre de méthodes n'a pas encore été mise en place.

-Bien, aucun pisteur n'a essayé de trouver la trace de la moitié de torse arrachée ?

-Les traces de sang s'arrêtaient tout près du lieu du meurtre. La Bête a sûrement dévoré le malheureux.

-C'est étrange, un cocatrix aurait emporté tout le corps. Un ours pourrait avoir assez de force pour arracher le torse, mais on n'en trouve pas à moins de cent lieues, ...

-Oh mais nous avons des témoins ! Lorina, l'épouse du défunt à entendu des hurlements cette nuit-là. Des soldats de la garnison aussi. Ils sont formels. C'est un loup-garou !

-Et vous êtes sur de ça ?

-Lorina en est certaine. Les jeunes soldats aussi. Leur campement est le plus proche de la forêt.

-Un loup-garou particulièrement affamé peut en venir à attaquer jusqu'aux sous bois et à dévorer ses victimes. Ce sont néanmoins des créatures rares, encore empreintes de magie et je dois valider certains détails avec la veuve. Pensez-vous que cela soit possible ?

-La malheureuse est dévastée. Son époux est sorti en forêt à sa demande, suite à une dispute. Elle se sent tellement coupable. De grâce, essayez de la ménager

-Je vous le promets.

#################################

L'auberge commençait à se remplir, tandis que Decken achevait son bol de ragoût de mouton qui s'avérait être excellent. Les soldats et bergers résidant sur Tordaine défilaient dans un flot continu pour boire un dernier verre à l'auberge. Parmi ce flot de nouveaux arrivants, Decken aperçut Dorkan, le berger qui avait fait route avec lui sur le plateau Pallade. Il fit un signe de la main au berger qui vint s'installer à sa table.

-Cher ami, quel plaisir de vous revoir !

-Vous êtes bien installés, cher Dorkan ?

-Ma foi oui, et les bêtes également. Vu que j'ai bien avancé je me suis dit : "Pourquoi ne pas aller m'en jeter un ?".

Decken fit signe à Lorina qui leur emmena deux pintes de bière. Elle adressa un sourire radieux à Decken qui ne manqua pas de rougir.

-Elle est charmante, pas vrai ? ricana le paysan.

-Tout à fait, j'ai entendu ce qui est arrivé à son époux.

-Mon voisin de bergerie m'a raconté, oui ... Il faut se dire que c'est pas plus mal, reconnut Dorkan.

-Vous le connaissiez ?

-Un drôle de type. Un sacré penchant pour la picole. Il était pas très agréable avec les clients. Encore moins avec son épouse. Parfois, elle avait des marques sur les bras, et les yeux aussi gonflés que des couilles de taureau. Ça ne faisait aucun doute qu'il la battait.

-J'ai cru comprendre qu'il était sorti en forêt suite à une dispute, expliqua Decken.

-Ça, elle a du répondant la petite Lorina. Elle le tient de son père. C'est d'ailleurs lui qui a fondé l'établissement. Ce Boleslav, c'était qu'une pièce rapportée.

-L'echevin et les soldats sont persuadés qu'il s'agit d'une attaque de loup-garou, mais ce serait possible que ce soit l'œuvre d'une meute de loups. Tout simplement.

-Des loups à la lune de printemps ? s'étonna le berger. N'y pensez pas ! Ces saletés de bestioles étaient en train de nous les courir dans les terres. Ils s'adaptent à tout, même au désert et ils ne vont que là où vont les troupeaux. Comptez une dizaine de jours, et ils seront bientôt parmi nous. Comme chaque année ...

Les deux comparses furent bientôt interrompus par des cris en provenance du centre de la taverne.
L'un des soûlards au comptoir semblait s'être montré trop entreprenant avec l'aubergiste qui venait de lui asséner une claque très bruyante.

-Espèce de traînée ! mugit le poivrot. Comment oses-tu ?

-On risque nos vies pour vous et voilà comment vous accueillez nos marques d'affection ? beugla un autre ivrogne.

-Assez ... murmura l'aubergiste d'une voix menaçante. Vous risquez votre vie en vous comportant comme des porcs à longueur de journée ? Ne vous avisez pas de me toucher.

-Sinon quoi ? demanda le premier poivrot d'une voix goguenarde. Tu crois que ces manants vont tenter quoi que ce soit contre nous ?

Il s'approcha de l'aubergiste dont les yeux verts semblaient lancer des éclairs de fureur. Il essaya de lui passer une main dans le bas du dos. Tandis que la jeune femme fit disparaître sa main gauche en dessous de son tablier. En un éclair, sa main gauche ressortit armée d'une dague en argent, finement ouvragée, qu'elle positionna sur la gorge du soûlard. Elle appuya fermement, si bien que Decken pouvait apercevoir le sang de l'ivrogne perler sur la lame.
Les autres soldats accoudés au comptoir se levèrent d'un bond furieux.

Dans le même temps, Decken, qui n'avait toujours pas dévêtu son armure se leva aussi et degaina d'un geste sec sa lame.

Les autres soldats le toisèrent du regard. Aucun n'avait un équipement adéquat pour tenir tête à un Paladin en armure. Et même s'ils avaient eu leur paquetage, Decken eut douté qu'un seul n'ait eu le cran de mener un combat en homme honorable.

-Messieurs, je pense que Lord Merrycrag considérerait que votre parenthèse de détente est terminée. Aussi, j'aurais besoin de Dame Lorina pour choisir une bonne bouteille de vin en cave.

Il montra l'entrée de la cave à l'aubergiste qui hocha de la tête et s'y dirigea, Decken sur ses talons.

La remise était en aussi bon ordre que la salle principale de l'auberge. Chaque ingrédient était à sa place. Pâle comme un linceul, Lorina toisa le Paladin d'un œil inquiet.

-Vous pensez devoir être récompensé pour votre bon geste "monseigneur" ? demanda-t-elle en accentuant dédaigneusement le dernier mot. Je peux vous trancher la gorge à vous aussi.

-Vous m'avez l'air de maîtriser cet art de façon admirable. Et, non, je ne recherche aucune récompense. Je souhaite simplement vous prévenir qu'à votre place, je resterais calme. Tenir tête à une garnison de porcs en rute, je n'y vois aucune objection. Mais montrer que vous êtes armée et que vous savez manier de la lame, pourrait vous attirer des ennuis et des questions indiscrètes. Surtout depuis la perte de votre époux ...

-Qu'insinuez-vous ? Murmura-t-elle indignée. Depuis la disparition de mon époux, personne n'est là pour me défendre. Je dois bien le faire moi même.

-Je n'ai pas l'impression que feu votre époux ait été bien protecteur avec vous.

-Vous n'avez pas le droit de salir sa mémoire !

-Je constate simplement. Je n'ai pas vu l'urne contenant ses cendres trôner au centre de votre auberge. Vous ne portez pas de noir en signe de deuil non plus. Néanmoins, vous semblez pourtant suivre les préceptes des Neuf puisque leurs représentations sont bien visibles dans votre salle principale. Et vous continuez de les dépoussiérer même après la mort de votre époux. Je n'ai jamais vu non plus de loup-garou limiter son attaque à la lisière d'une forêt. Surtout lorsque de la "chair fraîche" est présente en masse à quelques pieds. Pas plus que je n'avais vu un meme loup-garou dévorer une victime à moitié. En principe, il ne reste que les bottes de la victime -ils digèrent mal les semelles-. Et enfin, je n'ai jamais vu non plus de loup garou se transformer les nuits de printemps. Les lunes de printemps sont un répit accordé aux individus touchés par cette malédiction. C'est ainsi que Durmtag le Vil put approcher la Princesse Valanyce toutes les nuits de printemps et la dévorer la nuit du solstice d'été.

-Vous allez en parler à l'échevin ? Demanda l'aubergiste affolée, tout en tenant fermement la dague cachée sous son tablier.

-J'ignore ce que vous a fait subir votre époux, continua le Paladin. J'ai tendance à penser que nulle ne mérite la mort. Mais peut être n'aviez vous guère d'autre choix ? Je ne dirai rien à Sire Borska. J'irais passer le reste de la nuit dans les bois. Je lui dirai simplement que le loup est parti vers l'Asperia et que je partirai dès l'aube le traquer. Quant à vous, méfiez-vous de ne pas trop attirer l'attention sur vous ...

-Ses cendres, je m'en sers pour conserver les jarrets de porcs que ces gorets de la Garde dévorent goulûment. Du porc, conservé par un porc, pour des porcs. Je trouvais la boucle assez drôle... Il me cognait, me trompait, une fois dans le lit, il me forçait, et le jour, il dilapidait nos maigres économies. Un soir, il a essayé de m'étrangler. C'est avec cette dague que je lui ai tranché la gorge. Mais ... -elle avait désormais un ton implorant- c'était pour me défendre ... Je ne veux pas être condamnée pour ça ... J'ai vécu ... Un enfer ...

Decken posa la main sur l'épaule de l'aubergiste. Ses yeux verts n'étaient plus menaçants. Ils ressemblaient plutôt à ceux d'une biche apeurée par l'apparition d'un loup en forêt. Elle plaça sa tête sur l'épaule du Paladin et se mit à sangloter. Ce n'est qu'au bout de quelques minutes que Decken desserra son étreinte. Troublé par le parfum de jasmin de la jeune femme. Il n'était pas prêt d'oublier cette auberge de Tordaine. Cet environnement hostile pour une jeune femme, si jolie, si douce, si souriante en apparence. Mais il n'était pas non plus prêt d'oublier la force de caractère de cette femme, son courage, sa volonté de résister coûte que coûte à ces porcs décérébrés qui polluaient son environnement.

A l'aube, l'échevin Borska offrit à Decken une bourse de cent pièces d'or pour services rendus. Considérant que la magie du Paladin avait fait fuir la Bête.

En quittant le relais de Tordaine, Decken fit de nouveau une halte à l'auberge. Lorina était assise au coin du feu. En surveillant la cuisson de son ragoût, elle s'était assoupie sur son fauteuil. Decken posa la récompense qu'il avait obtenue, trés délicatement sur les genoux de la jeune femme. Il fut tenté de lui embrasser le front. Mais trop gêné à l'idée de la réveiller, il préféra s'en aller, non sans jeter un dernier regard au doux visage de la résiliente aubergiste. Il ignorait à ce moment là qu'il la reverrait, et qu'une fois de plus, elle lui démontrerait qu'elle n'a besoin de personne pour survivre en milieu si hostile. Mais ceci est une autre histoire ...


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Bonjour,

n'hésite pas à parcourir le forum, il y a un guide pour s'y retrouver ici.
J'ai vu que tu avais commencé à commenter des textes,  c'est effectivement la meilleure façon pour recevoir des propositions, tisser des liens, échanger...
Pour ton texte, il me manque un peu tes intentions : est-ce une écriture perso sans plus d'ambition que de rester dans ton cercle ? Aimerais tu publier ? Et dans quels types de publication ( du divertissement pur et dur, de la fantasy un poil novatrice...)
Pas facile de faire du neuf en fantasy, ni dans la forme ni dans le fond. Ici, ce que j'ai lu de ton texte est "classique", dans le sens où les lecteurs de fantasy sont assez habitués à ce type d'ambiance, de narration... mais c'est peut-être ce que tu cherches.
J'ai commentè sous le spoiler, une partie de ton texte. Bien entendu, il ne s'agit que de propositions dans le cadre de l'entraide.

Désolé, vous n'êtes pas autorisé à afficher le contenu du spoiler.
Tout a déjà été raconté, alors recommençons.

Page perso ( sommaire des textes sur le forum) : https://monde-ecriture.com/forum/index.php?topic=42205.0

blog d'écriture : https://terredegorve.blogspot.com/

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Merci Basic d'avoir pris le temps de commenter c'est trop cool !  ;D


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Pour ton texte, il me manque un peu tes intentions : est-ce une écriture perso sans plus d'ambition que de rester dans ton cercle ? Aimerais tu publier ? Et dans quels types de publication ( du divertissement pur et dur, de la fantasy un poil novatrice...)

Le texte en lui même est une ébauche. Je me vois bien démarrer une œuvre sur l'Altaria avec ce genre de prologues qui servent juste à poser un contexte.

Mes ambitions sont pour l'instant assez modestes. On aimerait sans doute tous être publié et connaître le succès, mais je n'ai ni le temps, ni l'argent pour me poser et uniquement écrire.
A l'origine, j'ai commencé à rédiger à la main sur des carnets, des histoires que joffrais à mes neveux. Les premières histoires altariennes étaient assez enfantines avant d'évoluer avec mes neveux.

Pour l'instant, l'Altaria ne sort pas de mon cercle et d'internet, mais je veux quand même quelque chose de propre.

Prenant souvent le train ou l'avion, j'écris sur mon téléphone d'où les quelques coquilles.

Je prends note de tes commentaires et en attend d'autres utilisateurs pour refaire une proposition.

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Pas facile de faire du neuf en fantasy, ni dans la forme ni dans le fond. Ici, ce que j'ai lu de ton texte est "classique", dans le sens où les lecteurs de fantasy sont assez habitués à ce type d'ambiance, de narration... mais c'est peut-être ce que tu cherches.

C'est clair que le genre a été vu et revu maintes fois, et j'ai pas envie de tout révolutionner non. Je suis assez classique dans mon approche. Par contre, je tiens à éviter les clichés habituels des personnages de fantasy. Par exemple, dans l'ordre des Paladins, le doyen qui interviendra ne sera pas la figure du vieux sage, mais un vieillard complètement réac et borné, utilisant son épée pour sanctionner violemment tout écart de conduite

Merci beaucoup à toi en tout cas
« Modifié: 21 août 2024 à 10:12:16 par Altarien »

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Bonjour Altarien !  :mrgreen:

J'ai commencé à lire ton texte et je l'ai trouvé intéressant.  :)

Je n'ai pas le temps de le commenter pour l'instant mais j'y reviendrai quand j'aurai un moment.  ;)

A plus tard !

Mel
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Bonjour

la suite de ma lecture sur ce texte.

Désolé, vous n'êtes pas autorisé à afficher le contenu du spoiler.


B
Tout a déjà été raconté, alors recommençons.

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Re : Prologue au Cycle de l'Altaria : Un loup-garou au printemps (7368 mots)
« Réponse #5 le: 11 septembre 2024 à 16:55:56 »
Salut Altarien !  :mrgreen:

J'ai un peu de temps alors je viens commenter le début de ton texte qui m'avait bien plu à la première lecture !  ^^

J'aime bien la façon que tu as de mener ton dialogue et de nous donner par ce biais des informations sur ce qu'il se passe.

Ton texte a un bon rythme, si on ne se laisse pas perturber par les nombreuses erreurs orthographiques et les phrases à rallonge.

Je t'ai d'ailleurs relevé les phrases qu'il serait nécessaire, selon moi, de modifier. En effet, si les phrases sont trop longues, cela nuit à la fluidité du texte et à sa compréhension.
Ce n'est que mon avis, tu en fais ce que tu veux.  :-¬?


Quelques propositions de corrections orthographiques et autres

Désolé, vous n'êtes pas autorisé à afficher le contenu du spoiler.


A un des ces jours pour la suite.
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