Le Monde de L'Écriture – Forum d'entraide littéraire

26 Avril 2025 à 15:54:02
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Le Monde de L'Écriture » Coin écriture » Textes mi-longs » Tous les pleurs d’Hanoï

Auteur Sujet: Tous les pleurs d’Hanoï  (Lu 1148 fois)

Hors ligne BarthelemyL

  • Plumelette
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Tous les pleurs d’Hanoï
« le: 26 Mai 2024 à 23:36:32 »

  Ma Suzanne appartenait magnifiquement au monde comme si elle en avait toujours fait partie, pourtant n’avait-elle rien d’une mondaine dans sa jungle, lorsque ses cheveux sentaient la poussière des écuries et l’humidité d’Asie.

  Après son arrivée à Paris, votre mère tut pour toujours l’histoire qui fut la sienne, celle de sa famille et donc indirectement la votre. Ses souvenirs, elle les étouffa dans un coffre, et elle jeta définitivement les clés de celui-ci lorsqu’elle fut enceinte de toi, ma douce Aurore. Tu vins au monde par une chaude matinée d'août. Les sages-femmes avaient ouvert toutes les fenêtres de la chambre, et ma belle Suzanne n’émit aucun cri malgré toute l’évidente douleur qui accablait son corps entier. On lui remit notre premier enfant dans les bras, je me tournai vers elle, le visage blême comme si j’avais enduré moi les milles supplices de l'accouchement, et elle dit, le visage comblée d’amour : “On l’appellera Aurore car ainsi s’appelait ma mère. Tu lui apprendras à jouer du piano et nous l’aimerons à en mourir.” Puis plus jamais elle n’évoqua le nom de sa mère ni ne fit allusion à celle-ci. Pas plus pour son père, pas plus pour son frère.

  Le père de ma Suzanne, Jean-Pierre, était professeur d’histoire dans une école française d’Hanoï. Sous le contrôle strict des Japonais, beaucoup de Français quittèrent l’Indochine et, ainsi, il dispensa aussi des cours de français et même de mathématiques. Un homme petit, mince et froid. Ses yeux gris si fins, pourtant si méchants, étaient entourés de profondes cernes noires. Il portait le costume, même à la maison, même à l’église, et jamais il n’apparut en public sans avoir préalablement taillé les bords de sa moustache brune avec une lame coupante. Il aimait sa femme et ses deux enfants à sa façon, silencieusement. Puis sa femme fut tuée par un soldat japonais, alors il n’aima plus rien et n’en devînt pas plus bavard. Suzanne n’avait pas deux ans quand le drame se produisit. Elle ne reçut aucune explication sur la disparition soudaine de sa mère. Un jour, avant que nous nous installâmes à Paris, votre mère me confia avoir oublié jusqu’au visage de sa mère, elle ne se rappelait ni d’elle ni des jours qui suivirent sa mort, mais sans qu’elle parvint à l’expliquer, ce drame méconnu avait conditionné le reste de sa vie. Des dix années suivantes qu’elle passa encore à Hanoï, jamais elle n’entendit le mot maman résonner dans la maison. Jamais, même à voix basse, le prénom Aurore ne fut prononcé. Une mère eût-elle réellement déjà foulé le sol de ce foyer déchu? De semaines en semaines, le souvenir de celle qui lui donna la vie s’estompait à une vitesse effrayante, à une vitesse abominable. Un fantôme. Suzanne ne retînt de cette femme que les quelques mots et les deux dates, gravés dans la roche du cimetière où elle se rendait tous les dimanches : ici repose Aurore Fauchereau ; née le 11 février 1919 ; décédée le 22 septembre 1944 ; Innocente victime de la guerre ; Repose en paix. Ces mots, simples mais létaux. Elle les apprit par coeur, ces mots.

  Il n’avait rien d’un père aimant, Jean-Pierre. A la mort de sa femme il n’avait plus qu’une obsession : parfaire l’éducation de son premier né, Martial. Le salon, gai et fleuri du temps d’Aurore, devînt une salle de classe dépourvue de toutes décorations, les murs blancs et tristes comme ceux d’une chambre d’hôpital. Il n’y avait que le strict nécessaire dans cette pièce austère, une table, trois chaises, et de grandes encyclopédies un peu partout. Jean-Pierre faisait asseoir Martial sur un petit tabouret de bois, près de la fenêtre qui donnait sur les écuries, et, des heures durant, le rigide professeur dictait des dates d'événements historiques que le petit bambin peinait, sinon à répéter, du moins à retenir. A huit ans, Martial savait qu’un monarque qui se faisait appelé le Roi-Soleil mourût en 1715, qu’en 487, Clovis roi des Francs tua un soldat malpoli qui, d’énervement, avait brisé un vase apparement important, et Martial savait aussi que des Turcs rusés comme des renards s’étaient emparés d’une ville très importante en 1453, il savait les batailles d’Hastings, d’Austerlitz et de Waterloo, mais jamais il ne retînt la date de Bouvines. Et ça, son père ne pouvait l’accepter. Il essaya tout. Tout. Les coups de cahiers, de règles, mais même après lui avoir fait écrire cinquante fois “Bataille de Bouvines : 1214”, Martial oublia l’année dans l’heure.
  Pour Jean-Pierre, Bouvines était bien plus qu’une bataille. “C’est notre nation qui naquit à Bouvines!” hurlait-il devant les yeux de Martial, ronds et ramollis, pareils à ceux d’une truite. Après chacun des échecs de son fils, il partait traîner le pied dans le jardin de la maison, une cigarette mal tenue dans ses doigts tremblant de colère. Le pas lourd, la tête ailleurs, il errait au beau milieu des fleurs sans les voir. Il ne fumait pas avant d’avoir appesanti son dos contre le tronc inhospitalier du sol pleureur, lorsqu’il s’y appuyait enfin, il tirait à plein poumon sur sa cigarette et, tout en tirant doucement, il sentait son corps qui glissait le long du tronc, et il tirait encore, jusqu’à ce qu’il se trouva le cul par terre et le dos toujours contre le tronc. Là, il fermait les yeux, sentait le vent, il se revoyait gauchement habillé et louvoyant dans  les couloirs intimidants de l’université de la Sorbonne, à Paris. Il se rappelait avec quel caractère il défendit, face à trois jurés antipathiques, sa thèse sur la bataille de Bouvines. Quel jour, sûrement le plus beau de sa vie. Il tirait encore sur sa cigarette qu’il dégustait comme un cigare cubain, entre les lentes  inhalations de fumée, Jean-Pierre maudissait le ciel de lui avoir donné une fille inutile et un garçon stupide.

  Par-dessus tout, il méprisait les tâches domestiques qui, jusqu’à sa mort, incombaient  à Aurore. Sous sa gouvernance négligée, des pans entiers de la maison se laissèrent mourir, totalement ignorés par le maître des lieux. Quand Aurore vivait encore, leur jardin d’Hanoï était parfaitement ordonné selon une rigueur presque militaire. En rangées de cinq, les roses fleurissaient avec d’autres roses, et les hyacinthes avec d’autres hyacinthes. Les branches du saule pleureur, noblement prosternées, scintillaient d’un vert reposant qu’importe les saisons. Les petits oiseaux aux becs timides plaisaient, du temps d’Aurore, à s’y poser pour contempler le jardin, les deux chevaux plus loin et la maison, toute blanche, de l’autre côté. Ça sentait bon et chaque plante tenait son rang propre. L’harmonie qui émanait du jardin mourut avec Aurore. Il n’y avait plus d’ordre : les plantes organisaient leur mutinerie. Les fleurs, éparses, s'entremêlaient les unes aux autres. Les herbes montaient jusqu’en haut des genoux et des légions de sauterelles sautaient de tiges en tiges, ravies. Le saule se couvrit d’une robe grisée, habit de deuil. L’anarchie régnait, en dehors de la maison vide et triste. Seules les écuries étaient entretenues, car monter à cheval était bien le seul plaisir terrestre que s'accordait le professeur d’histoire. De lui, les deux étalons à poils bruns reçurent plus d’amour que jamais ses deux enfants ne purent s’en vanter.
  Jamais il n’eût voulu employer les services d’une domestique asiatique, et autres bas-luxes que d’autres fonctionnaires coloniaux s’offraient avec une vanité presque vulgaire. De sa fille, qui ne savait pas encore marcher, il attendait qu’elle soit en mesure de faire tout ce qu’Aurore faisait, de son vivant.
  Lorsqu’il travaillait à l’école française, Jean-Pierre confiait Suzanne à la femme d’un collègue, une certaine Églantine. C’était une dame très en chair, et fort chagrinée de n’avoir pu offrir le moindre enfant à son mari. Pour elle, ces quelques heures par-ci par-là avec Suzanne était une bénédiction. Elle se sentait l’âme d’une mère, et Suzanne se rappelle qu’il arrivait à cette dame très grosse de verser de chaudes larmes pendant qu’elle lui couvrait le front de bisous humides. Pour Jean-Pierre, ce n’était pas tant une nounou aimante qu’il espérait, mais un modèle féminin pour inspirer sa fille et la faire grandir prestement. Puis peu avant ses cinq ans, lorsqu’elle fut en âge de comprendre assurément les ordres, il la laissa à la maison avec toutes sortes d’obligations.
  Et votre mère prit, à l’âge où d’ordinaire les petites filles ne se soucient que de la toilette de leurs poupées, le rôle d’une femme qui n’était pas le sien.

Hors ligne Basic

  • Modo
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Re : Tous les pleurs d’Hanoï
« Réponse #1 le: 28 Mai 2024 à 17:32:09 »
Bonjour

peut-être préciser un peu plus ton projet et ne pas hésiter à passer voir les autres textes

Dans le cadre de l'entraide et du travail du texte, un commentaire qui n'engage que moi

Désolé, vous n'êtes pas autorisé à afficher le contenu du spoiler.


B
Tout a déjà été raconté, alors recommençons.

Page perso ( sommaire des textes sur le forum) : https://monde-ecriture.com/forum/index.php?topic=42205.0

Hors ligne artemium

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Re : Tous les pleurs d’Hanoï
« Réponse #2 le: 03 Juin 2024 à 14:17:19 »
Bonjour,

Humpf. Pour l'instant, ce n'est à mon sens pas convainquant. Je me suis complètement noyé dans ce texte, n'ayant pas du tout compris où tu veux nous entraîner. L'écriture est un peu étrange ; elle entremêle des descriptions que tu entrecoupes avec de l'action qui parait plus racontée que vécue. L'ensemble m'a donné une impression de récit statique qui se complaît à décrire une situation de déchéance.
Si je donne une image, c'est un peu comme si j'entre dans un appartement vieillot pour voir quelqu'un ruminer son passé avec nostalgie! Ca créé un malaise plus qu'autre chose.
Il y a aussi à mon sens trop de personnages pour un récit aussi court. En ce qui me concerne, ça m'a beaucoup perdu aussi. On se lamente d'abord sur un personnage, on se lamente on se lamente, on n'a pas trop compris pourquoi mais on se lamente et zou! un autre personnage arrive, et on va se lamenter aussi !

Tout cela est très subjectif et n'engage que moi, bien sûr. Mais à mon sens, il faut que tu donnes à ton histoire un fil conducteur net et plutôt que de plonger ton personnage principal dans des descriptions et dans une action racontée, peut-être le mettre en scène dans sa vie et se servir des épisodes d'action pour ajouter ses descriptions.
Par exemple, tu pourrais mettre en scène la lente décrépitude de quelqu'un qui a connu la richesse et l'amour en Indochine, va mal se remettre d'avoir dû quitter l'ancienne colonie et va petit à petit sombrer dans une dépression. Et donc ce récit serait une succession d'actions qui le mèneront à sa perte. Cela étant, le sujet pourrait aussi être l'exact inverse. On commence par exemple l'histoire avec un homme sombre que personne aime, on le rencontre et il va s'illuminer pour raconter avec nostalgie son passé extraordinaire en Indochine.

Voilà, j'espère que ces remarques te seront utiles. Il y a quelque chose, franchement ça mérite de travailler. Le sujet est porteur d'imaginaire; tu as une qualité de plume. Il y a quelque chose à faire.
Un habitant de la planète se lance dans un incroyable périple pour retrouver la Déesse du Temps ! Survivra-t-il à chaque obstacle qui le confronte à un rapport au temps?

Je suis ravi du succès de cette nouvelle! J'attends vos commentaires!
https://monde-ecriture.com/forum/index.php?topic=44208.new#

Hors ligne Robert-Henri D

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Re : Tous les pleurs d’Hanoï
« Réponse #3 le: 01 Juillet 2024 à 12:07:16 »
Bonjour BarthelemyL,

Mêmes sentiments que ci dessus... quoique. Je trouve que ce texte témoigne d'une belle écriture et ne demande qu'à être peaufiné. Cela émis, je suis étonné de constater qu'à ce jour aucune correction n'y a été apportée. Serait-ce par déception ? Mais non, je préfère ne pas y songer et formule l'espoir d'un revirement car, je l'avoue, il génère en moi l'idée d'une possible introduction de roman prometteur de belle qualité (lequel serait alors bienvenu en section textes longs où nous pourrions voir ma pensée se concrétiser).

Hors ligne Esmée

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Re : Tous les pleurs d’Hanoï
« Réponse #4 le: 01 Juillet 2024 à 16:39:15 »
Bonjour,

Je partage les deux avis ci-dessous sur un texte un peu plombant, bien qu'on perçoive l'installation de quelque chose de plus captivant. Sorti de tout contexte, il est effectivement difficile de s'y retrouver mais si cela doit être une mise en bouche, alors on a très envie de découvrir la suite.

Et l'écriture pointue et précise nous plonge facilement dans cet univers.

Dans l'attente de la suite.

Hors ligne BarthelemyL

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Re : Tous les pleurs d’Hanoï
« Réponse #5 le: 04 Novembre 2024 à 16:44:36 »
J'ai pris connaissance de tous vos commentaires pour lesquels je vous remercie vivement. J'ai pris une très longue pause avec la lecture et l'écriture, ce qui explique le délais de ma réponse. Vos commentaires sont très pertinents et en relisant ce texte (que je n'avais pas relu depuis sa publication) j'éprouve le même sentiment étrange et confus que vous exprimiez tous. Peut-être le retravaillerai-je, un jour. Il était censé être l’introduction d'un roman que j'avais imaginé, et abandonné depuis.
Encore merci !

Hors ligne Robert-Henri D

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Re : Re : Tous les pleurs d’Hanoï
« Réponse #6 le: 05 Novembre 2024 à 19:05:01 »
Peut-être le retravaillerai-je, un jour. Il était censé être l’introduction d'un roman que j'avais imaginé, et abandonné depuis.
Encore merci !

Hello,

 c'est souvent en partant de ce type de texte court que se concrétisent, avec le temps, des œuvres de belle qualité. Alors oui, je crois que cela peut s'envisager, car il y a là tout ce qu'il faut pour bâtir tout un roman !

Hors ligne Vaelia6724

  • Buvard
  • Messages: 4
Re : Tous les pleurs d’Hanoï
« Réponse #7 le: 28 Novembre 2024 à 00:11:07 »
hello ! je me permets un court feedback :

Je trouve ce début très intriguant, j'aime bien l'atmosphère.
Mets des guillemets ou un tiret pour indiquer dès le début que c'est qqun qui parle.
l1 : il n'y a pas lieu de faire une inversion puisque c'est dans un dialogue (cf n'avait-elle).
l3 : la vôtre (il manque l'accent).

Mon humble avis : l'écriture est très lourde pour qqun qui s'adresse directement à qqun d'autre. Il faudrait songer à alléger.
Il me semble que le choix de la narration n'est pas clair : le début est un point de vue interne, mais le reste est omniscient, c'est très perturbant.

Bon courage !

Hors ligne BarthelemyL

  • Plumelette
  • Messages: 18
Re : Tous les pleurs d’Hanoï
« Réponse #8 le: 21 Décembre 2024 à 00:16:39 »
Merci beaucoup pour ton retour !
Oui, je suis d'accord, ce n'est pas clair et on s'embrouille très rapidement en lisant (même moi, c'est dire!)

 


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