Bonjour. Polar rural. Idée originale Delnatja. Rédacteur Jonathan. Relecture et corrections Delnatja. Bonne lecture et merci pour vos commentaires.Chapitre 01
Un coin perdu du centre de la France. Le soleil de mars peine à se lever, ses rayons blafards occultés par les lambeaux de brume qui montent de la rivière toute proche. La silhouette, noire, fantomatique, d’une grange se devine dans les lueurs bleutées, stroboscopiques, des gyrophares de deux véhicules de gendarmerie.
Un Toyota 4X4, rougeâtre, cabossé, se gare dans un crissement de freins, projetant poussière et cailloux alentours. Une jeune femme, en parka et jean, mal peignée, visiblement sortie du lit en urgence, descend et apostrophe bruyamment le capitaine François Pichard qui tape dans ses mains pour se réchauffer.
— Je me doutais bien que c’était toi ! Tu es le seul flic que je connaisse capable de trouver un cadavre, à l’aube, au fin fond de la cambrousse…
— Salut Jeannette. Moi aussi, ça me fait plaisir de te voir.
— Qui vous a prévenus ?
— Un pêcheur matinal a remarqué une voiture qui s’éloignait par l’ancien chemin de halage. Mais bon, la marque… l’immat’, avec le brouillard, c’était mission impossible. Une des portes de la bâtisse était entrouverte. Il a jeté un œil. Entre, tu ne seras pas déçue.
Les épais battants en bois ont été repoussés au maximum. Deux puissants projecteurs halogènes, montés sur trépied, dessinent, dans le clair-obscur, un cercle de lumière blanche. Sur le sol en terre battue, jonchée de brins de paille, le corps d’un homme, allongé, un trou au niveau de la poitrine.
— Effectivement. La journée démarre bien ! Je m’équipe et personne n’entre sans gants ni chaussons. T’as prévenu la PTS ?
— Affirmatif. Même avec une sirène, entre Moulins et Jaligny, ça prend un certain temps.
La légiste tourne plusieurs fois autour de l’homme entièrement nu, examine la blessure, hoche la tête.
— C’est du gros. Carabine ou revolver ?
— Je te dirais ça après l’autopsie. Pareil pour l’heure de la mort. Ce qui est sûr, c’est que la grange n’est pas la scène primaire, je ne relève aucune trace de sang. Espérons que la scientifique sera plus efficace. Je situe l’âge tissulaire entre 40 et 50 ans. Je relève ses empreintes, j’attends la PTS et d’ici une petite heure, j’emballe tout. Tu auras mon rapport en fin de journée.
— Relève aussi les empreintes sur la porte, au cas où. Gilles et Tony vont faire le tour du voisinage. Vu le coin paumé, ça sera rapide. Et moi, je rentre à la Gendarmerie.
La légiste et le Capitaine travaillent ensemble depuis presque dix ans. Au fil de ces années passées à élucider des affaires, tantôt simples, tantôt complexes, ils ont appris à bien se connaître et à se comprendre à demi-mots, sans se perdre dans des analyses inutiles.
De temps en temps, cette belle harmonie connaît quelques turbulences, chacun entendant délimiter son territoire. Ça ne va jamais très loin et tout se termine dans des éclats de rire. La légiste apprécie le faux côté désinvolte du gendarme et le Capitaine le vrai côté rigoureux de la légiste. Il en résulte une authentique complicité.
Chapitre 02
— Alors ?
— Une voiture s’en va et deux restent. Des types prennent le chemin qui mène à la ferme Delétang.
— Après, y z’iront chez Maillard. Notre départ précipité ne semble pas avoir eu de conséquences. Le vieux n’a pas pu dire grand-chose.
— Tous feux éteints, t’as pris des risques. C’est quoi ça encore ? On peut dire que ce matin, on a mis de l’ambiance. Alors, dans l’ordre, l’ambulance des pompiers et une camionnette blanche. Je lis pas l’inscription sur le côté.
— Bon, allez, on dégage. Ton patron ne te paye pas à rien faire et moi, j’ai des bêtes qui m’attendent.
— En tout cas, l’autre y sont pas prêts de l’identifier.
Le couple, embusqué sur la rive opposée, regagne un break Peugeot abrité sous les branches tombantes d’un saule.
Chapitre 03
François Pichard prend rapidement connaissance de la main-courante relatant les événements de la nuit : une querelle entre poivrots et un trouble du voisinage occasionné par un adepte un peu trop zélé du saxophone. Rien qui n’ait de rapport avec une bagarre sanglante. Son portable grelotte.
— Oui Gilles… Super ! Je vérifie. Sinon, rien d’autre ? Comme d’hab’, personne n’a rien vu, ni entendu. OK, ça marche.
Le capitaine Pichard se connecte au Fichier National des Immatriculations. Après une rapide recherche, il identifie le propriétaire du SUV Volvo, dissimulé derrière une haie et retrouvé par les gendarmes à plusieurs centaines de mètres de la grange.
— Pierre Eymard, antiquaire, demeurant 15 rue Vigouroux à Varennes sur Allier. Parfait. Serait-il connu sur le TAJ, par hasard ?
Effectivement, l’homme a été interpellé à trois reprises, surpris en fâcheuse posture, dans sa voiture, en compagnie de professionnelles du sexe tarifé.
« Tiens, tiens ! Son absence de vêtements aurait-elle un rapport avec ses turpitudes ? »
— Allô, monsieur le Procureur ! J’ai besoin d’une commission rogatoire. Je vous donne les coordonnées.
Accompagné de Jocelyne, brigadière stagiaire, le capitaine Pichard se gare dans la rue Vigouroux. Proche d’une pizzeria et d’un magasin de fleuriste, la boutique un tantinet désuète de l’antiquaire, vitrine et porte vitrée protégées par un rideau à mailles de fer, occupe le rez-de-chaussée d’une maison de deux étages.
Un trousseau de clé a été trouvé à l’intérieur du SUV ramené sur le parking de la Gendarmerie mais nuls vêtements ni papiers d’identité. Le Capitaine Pichard ouvre la porte qui jouxte le côté droit de la boutique.
Au bout d’un couloir, un escalier donne accès à l’étage. Les deux gendarmes ouvrent la porte palière et pénètrent dans un appartement meublé d’un style rococo, genre années 30.
— Ça sent le renfermé. On cherche quoi, Capitaine ?
— Un indice qui pourrait nous éclairer sur le mobile. Ce type fréquentait des prostituées, c'est peut être une piste. L’endroit où il a été retrouvé ne colle pas avec un règlement de comptes de julots casse-croûte. Ces mecs flinguent à vue en pleine rue et basta, l’affaire est réglée. Y’a autre chose, mais quoi ?
Malgré les armoires ouvertes, les tiroirs vidés, les tapis examinés, les deux enquêteurs, dépités, redescendent et s’intéressent à une porte, dissimulée dans un renfoncement. Elle s’ouvre sur une arrière boutique encombrée d’objets plus hétéroclites les uns que les autres.
— On se croirait dans un vide-grenier paroissial. Comment a-t-il pu s’offrir une voiture de ce prix en vendant ces horreurs. Y’a les mêmes dans la boutique. Ah si… regardez Capitaine, sur les étagères, là, derrière le comptoir.
— Ça tranche effectivement avec le reste du bric-à-brac ambiant.
— Je prends des photos ?
— Oui. Et moi j’en emporte un. Je ne sais pas pourquoi, ce genre d’objet ici me semble plus que bizarre. Je pose les scellés et on rentre.
Chapitre 04
— Tu t’es trompé, Maurice, je suis passé devant la Gendarmerie en revenant, la bagnole d’Eymard est sur leur parking. Ils l’ont donc identifié avec la plaque et à cette heure, ils sont chez lui. C’est pas bon. Je savais que brûler les papiers et ses vêtements ne suffisait pas. Nous aurions du le découper et le donner à bouffer aux cochons.
— Effectivement, il disparaissait sans laisser de traces. Mais je le pense pas assez con pour garder la camelote à son domicile. Escroc, oui, mais pas idiot.
— Ça nous avance pas à grand-chose. Entre le fric qu’il nous doit et la dernière livraison qu’il n’a pas payée, je sais pas si c’était une bonne idée de le zigouiller. Un mort règle rarement ses dettes !
— Je sais, on peut dire adieu à nos quelques milliers d’euros. De toute façon, c’était mal barré, on n’en aurait jamais vu la couleur. Donc, j’ai bien fait ! Ce mec se foutait de notre gueule. Et toi qui a baisé avec lui, ça a servi à quoi ?
— À prendre mon pied avec un autre que toi, c’est déjà pas mal…
— Salope !
Chapitre 05
Le Capitaine Pichard, le visage posé entre ses mains, les coudes sur le bureau, les yeux mi-clos, semble somnoler.
Le claquement sec d’un dossier posé sur son sous-main le sort de sa torpeur.
— Eh ben, tu dors pendant les heures de service ? Bravo ! Je t’apporte le rapport d’autopsie. Rien d’affolant. Il a été tué à environ quinze mètres par un calibre 12. Courant par ici pour le sanglier. Je situe l’heure de la mort entre 22 heures et 4 heures ce matin.
— Tu peux être plus précise ?
— Désolée, j’suis pas l’Horloge Parlante. Avec le froid et l’humidité, difficile d’affiner. Sinon, il a été dévêtu puis déposé post-mortem. Voilà. C’est quoi ce coffret ? Tu donnes dans la déco de luxe ?
— Justement. Trouvé chez Eymard. Il y en a six identiques. Objet luxueux anachronique au milieu du bordel entassé dans la boutique.
— Tu permets ?
La légiste, déclipse l’agrafe dorée fixée sur le couvercle et soulève doucement celui-ci.
— C’est du bois recouvert de peau, c’est ça qui t’intrigue ?
— Oui. Tu t’y connais en bois ?
— Seulement en macchabées. Le bois semble quelconque mais l’extérieur, c’est du superbe travail de pelleterie avec un cuir beige rosé, fin et souple.
— Quel animal ?
— Je pense à du porc ou à de l’agneau. Si je peux l’emporter dans mon antre et en découper un morceau, nous serons vite fixés.
— OK. Je retourne à la grange. Nous avons pu laisser passer quelque chose, un début de piste, un indice, qui sait. Tiens-moi au jus.
Chapitre 06
— Tenez madame. Voila le Capitaine Pichard.
La femme d’une soixantaine d’années, cheveux gris noués en chignon, qui attendait sur une chaise, face au comptoir de l’Accueil, se dresse d’un bond et se précipite presque dans les bras de Pichard.
— Madame ! Pourquoi un tel empressement ? Que puis-je faire pour vous ?
— C’est la Mairie qui m’a dit que ça ne les concernait pas et que je devais voir ça avec les gendarmes.
— Ils sont bien bons… Et voir quoi ?
Pichard soupçonne qu’un matou boulimique a trucidé un canari déplumé ou qu’une voisine indélicate laisse régulièrement les signatures de son fox à poils durs devant la porte de la dame…
— Voir, c’est beaucoup dire. Sentir plutôt.
« Ah ! Le fox… »
— Sentir le gaz ? Sentir une odeur particulière ? Sentir QUOI ?
— Au rez de chaussée, il y a un studio inhabité depuis plusieurs mois. Depuis deux ou trois jours, lorsque je passe devant pour déposer mes sacs dans le local à poubelles, eh ben, je sens comme une odeur de ménagerie, de viande en décomposition.
— C’est le local à poubelles ?
— Non, le local empeste l’eau de javel. Ça vient du studio.
— Vous êtes la seule à être incommodée ?
— Il n’y a qu’un autre locataire à l’étage. Un vieux garçon à moitié sourd.
— Il souffre d’anosmie ?
— Je ne sais pas, mais il se déplace souvent avec une canne.
— Vouais. Nous nous rendrons sur place dès que possible. Donnez-moi l’adresse s’il vous plaît.
— C’est au 3 impasse de la Besbre, entre un boulanger et un coiffeur.
— Merci. Vous pouvez rentrer chez vous, madame… madame ?
— Ginette Grougnard.
La femme se dirige lentement vers la sortie. Puis, elle se retourne, comme prise d’un doute sur la véracité de la visite promise. Trop tard, le gendarme s’est éclipsé par une porte battante déjà refermée.
— Gilles, Tony, venez avec moi. Un tour dans le centre vous changera les idées et vous évitera un torticolis.
— Un torticolis ? Je vois pas…
— C’est ce qui vous attend si vous continuez à mater les fesses de Jocelyne…
— OH ! Nous n’y pensons même pas !
— Serait-ce une nouvelle affaire ?
— C’est ça, change de sujet. Trop tôt pour le dire. Prenez vos précautions, il semble que nous allons nous trouver en face d’un problème très odorant. En route.
Chapitre 07
— C’est là.
Une ruelle étroite, fermée par deux barrières disposées en chicane, prend naissance entre “Aux Belles Miches de Gisèle” et “Les Frisettes de Lucette”. La Peugeot s’arrête devant le second. Des têtes blondes, brunes, frisées, bouclées, se tournent simultanément et instantanément vers les trois hommes en uniforme qui s’empressent de s’engouffrer dans l’impasse.
— Le 3 c’est là. Il n’y a qu’un seul numéro. Difficile de se tromper.
Le Capitaine tourne l’antique poignée ronde qui branlotte. La porte émet un couinement de gonds mal huilés et l’odeur leur saute instantanément aux narines.
— Effectivement, ça empeste. Porte du fond, c’est ici. Y’a quoi là-dedans ? Tony, à toi de jouer.
— En douceur ou façon brutale ?
— Sers-toi du petit outil que tu as piqué à un mec qui, de toute façon, n’en n’aura plus besoin pendant au moins cinq piges.
Tony officie, maniant le jeu de clés Allen avec dextérité. Il pousse lentement la porte. L’odeur devient insoutenable. La pièce baigne dans la pénombre.
— Camphre et masques. C’est… BORDEL DE MERDE !
Gilles ressort, le cœur au bord des lèvres. Pichard se précipite, ouvre la fenêtre et repousse violemment les volets. Des pas se font entendre dans l’escalier.
— Oh non ! Pas elle ! Tony, dis-lui de remonter dans son appart’ et tire la porte en sortant.
Gilles réapparaît, très pâle.
— J’avais encore jamais vu ça. Et vous ?
— Moi non plus. Comme quoi, la carrière de gendarme réserve bien des surprises. Alors ?
— Elle est repartie, furieuse. D’ici à ce qu’elle téléphone à la rédaction de La Montagne pour monnayer une info croustillante.
— Justement. Y faut faire vite avant le débarquement de charognards pisse-copies. Appelle Jeannette et les SP. Qu’ils amènent du matos adapté pour tout évacuer sans rien montrer.
— Capitaine. À votre avis, on a affaire à un sérial killer ?
— Dès que l’on aura coincé l’auteur de cette scène à la Jérôme Bosch, je te le dirai. D’ici là….
Chapitre 08
— Alors madame Ravat, vous avez eu une panne de réveil ?
— Désolée, monsieur Guiraud. Mon mari rencontrait des difficultés pour remplir sa déclaration à la mutuelle agricole. Ils changent tout le temps les formulaires. Sur Internet, ça prend un temps pas possible pour comprendre.
— À qui le dites-vous. Je rencontre les mêmes problèmes. Enfin, je ne vous paye pas non plus pour jouer les conseillères auprès de votre mari. Ce n’est pas la première fois.
— Je sais. Un élevage, ce n’est pas de tout repos. Il est seul pour tout gérer.
— Oui, passons. Je sais qu’actuellement les clients ne se bousculent pas. C’est la faute, parait-il, à la désertification rurale. Mais nous devons garder le moral en attendant des jours meilleurs. Comme on dit, le malheur des uns fait le bonheur des autres. Alors attendons.
— Ce qu’il faudrait, c’est une bonne épidémie.
Chapitre 09
Le Capitaine Pichard, revêtu des pieds à la tête d’une tenue stérile, contemple, en compagnie de Jeannette, les quatre corps allongés sur les tables métalliques du local réfrigéré qui jouxte le cabinet de la légiste.
— Tu t’en sors ?
— Bof. État de décomposition très avancé. J’avais encore jamais vu ça par chez nous. Encore quelques jours et on aurait ramassé les morceaux à la petite cuillère.
— Tu dis quoi après ce premier examen ?
— Ces quatre jeunes femmes, toutes entre 20 et 25 ans, venaient d’un pays de l’Est. Lequel, ça, mystère.
— Parce qu’elles sont toutes blondes ?
— Oui, mais pas que. Les amalgames dentaires au plomb ne sont encore utilisés que dans ces pays. Et j’en ai trouvé dans deux mâchoires. Autre particularité, un implant spermicide, l’ancêtre de notre stérilet, idem pour la provenance. Dernière remarque, l’entrée vaginale dilatée et très irritée, signe d’une intense activité sexuelle.
— Des prostituées ?
— Ça y ressemble.
— Ce qui expliquerait qu’aucune disparition n’ait été signalée. Mortes depuis quand ?
— J’estime le décès entre 6 et 8 jours. Les petits copains nécrophages sont en culture, ils permettront d’affiner le jour de la mort. Tu penses arriver à les identifier ?
— J’ai un copain à Nevers, un flic qui bosse sur les réseaux mafieux des Pays de l’Est. Je l’appelle pour le prévenir que je lui envoie un trombinoscope.
— À tenter. Elles viennent d’une grande ville, voire de Moulins. A Jaligny, c’est certain qu’elles auraient été repérées depuis belle lurette. Encore qu’ici, les dindes, c’est habituel.
— Tu y passes la nuit ?
— Non. Elles ne s’envoleront pas. À demain matin, j’apporte le café et toi les croissants.
— Ben voyons ! Salut.
Chapitre 10
— François ! Quelle mine réjouie de si bon matin. T’as pas dormi seul ?
— Et toi, comment va ton chat ? Tiens, voila les croissants et les réponses que nous attendions.
Le Capitaine Pichard agite quelques feuillets d’imprimante, texte et portraits émanation IJ.
— Déjà !
— Mon pote appartient à la catégorie des rapaces nocturnes, il était de permanence. J’ai trouvé tout ça dans ma messagerie. Les prénoms d’abord.
— Étiquettes et ficelle, je suis prête.
— Dans l’ordre d’apparition : Ivana… Karolina… Ouais, celle-là. Ensuite Ludmila… et pour terminer Tamara. Heureusement que les orteils ont résisté !
— Nom de famille ? Nationalité ?
— Y faut pas trop en demander non plus ! Leurs passeports, lorsque elles en ont, sont bidons, la nationalité s’avère donc plus qu’incertaine.
— Elles n’ont pas été expulsées ?
— Celles-là sont connues. Elles refilent à l’occasion quelques tuyaux sur leurs clients, dont Eymard faisait partie. Avec un faible pour Tamara.
— On l’a trouvé aussi déshabillé que sa copine mais en meilleur état. Y’aurait pas comme un lien ?
— Pour l’instant, j’en sais rien. Tu as avancé sur la ou les causes de leur mort ?
— J’espère que tu t’y connais en travaux d’aiguille. Accroche-toi !
Jeannette retourne une par une les quatre femmes allongées sur les tables en inox. Chacune d’elles présentent sur l’ensemble du dos, de gauche à droite et des épaules à la raie des fesses, un rectangle de peau rosée, recousu bord à bord de la découpe, par du fil chirurgical en points très serrés. Sans la différence de coloration, le rapiéçage passerait quasiment inaperçu.
— Travail de haute précision réalisé par une ou un spécialiste. Par contre, le matériel utilisé n’a pas été stérilisé ou désinfecté entre chaque opération. Résultat, transmission de bactéries et contamination du circuit sanguin. Elles sont toutes décédées de septicémie foudroyante.
— Quelle est la nature de la peau ?
— Du porc. C’est ce qui se rapproche le plus de la texture humaine.
— La signification de cette macabre mutilation m’échappe totalement.
— Désolée François d’empiéter sur tes prérogatives mais un détail me revient. Suis-moi.
Chapitre 11
— Salut la fille !
— Salut les mecs !
— Il est où le Capitaine ?
— Chez sa grande copine la morticole.
— Garde ces allusions pour toi. Cette jeune femme ne serait pas attirée par les hommes, selon Radio Moquette… CHUT ! Capitaine ! […] Rien. Les corps ont vraisemblablement été apportés de nuit […] Non ! La tuyauterie hors service à un tel point qu’il ferait un malheur chez Audica […] La renifleuse, elle s’enfile tisane et cachetons avant de se pieuter […] Le voisinage immédiat non plus. Aucun insomniaque promeneur de toutou pisseur […] Effectivement rien ! Où alors y’en a qui ont vu mais qui veulent pas d’emmerdes […] Oui, en principe, le Français est prompt à composer le 17 pour un chat qui visite les poubelles mais pas là. Et vous du neuf ? […] OK. Je les préviens.
— Tu nous préviens de quoi ?
— Débrief d’ici une demi-heure.
Chapitre 12
— C’est pour me montrer ça ? Je le connais, je l’ai apporté de chez Eymard.
— Additionne deux et deux et tu trouveras quoi ?
— Merde ! Tu en es certaine ?
— C’est logique. Démonstration.
Jeannette incise doucement la peau qui recouvre le couvercle du coffret. Le scalpel découpe un carré d’environ deux cm de côté. La légiste le place dans une boîte de Petri en plastique, ajoute quelques gouttes d’un liquide huileux et incolore. Elle fixe le couvercle et place le tout dans un cube métallique qui ressemble à un four à micro-ondes avec sa porte vitrée, les cadrans digitaux en plus. Ça ronronne une minute.
Jeannette sort la boîte circulaire transparente. Le liquide a viré au bleu clair.
— Alors ?
— Alors ? Le coffret est entièrement gainé de peau humaine, prélevée sans aucun doute sur le dos de ces malheureuses. Et l’agrafe qui ferme le couvercle, c’est de l’or. Vérification.
Un réactif violet déposé par une pipette confirme les dires de la légiste.
— Tu mets tout ça dans un compte-rendu détaillé. Là, c’est du lourd. J’avertis le Commandant.
— Y va refiler le bébé à la SR de Nevers. À ses yeux, une Brigade Territoriale Autonome ne dispose pas de cerveaux suffisamment perspicaces pour résoudre une affaire de cette importance.
— Si je ne dis rien et que je me plante, ça me retombera dessus.
— Pars du principe que tu trouveras le coupable et que tu le mettras en cage. Tu as une bonne équipe, non ?
— Justement, l’équipe je dois les informer des derniers éléments.
Chapitre 13
— Voilà. Vous en savez désormais autant que moi. Des questions ?
— L’antiquaire était mêlé à ce trafic et on l’aurait tué pour ça ?
— Divergence d’opinion avec son ou ses complices. Il se chargeait d’écouler la marchandise qui lui était livrée. Point. Rien n’a été trouvé à son domicile qui permettait de réaliser les prélèvements et le gainage.
— Qui peut acheter un truc comme ça ? Un malade ? Un pervers ?
— Ceux-là et bien d’autres. Surtout des friqués parce que pour se payer ce genre de déco et savoir où se la procurer, y faut fréquenter le milieu fermé des décalqués du bulbe.
— Sur le Dark Web, on trouve de tout. Alors pourquoi pas des coffrets recouverts de peau humaine.
— Capitaine, j’ai examiné la liste des exploitations fermières sur le canton. J’ai trouvé un seul élevage porcin. Il se situe à environ quatre kilomètres de la grange. Le proprio se nomme Maurice Ravat.
— Excellent Jocelyne. Comme tu es bien partie, jette un œil sur les données financières de ce monsieur : ses impôts, sa banque. Interroge le Centre de Gestion Comptable Départemental, il doit être adhérent.
— Et vous ?
— Avec Gilles et Tony, nous partons investiguer dans la verte campagne bourbonnaise.
— Toujours les mêmes qui se baladent !
— C’est bien connu : les hommes au bistrot, les femmes aux fourneaux !
Chapitre 14
— On débarque comme ça ? Sans CR ? Façon « Coucou, c’est nous ! Vous n’auriez pas confondu, par hasard ou par erreur, de la peau de femme avec de la peau de porc ? »
— Tony ! De la psychologie ! On t’apprend quoi à l’École de la Gendarmerie ? Vous êtes allés dans les deux fermes les plus proches. Celle-là n’a pas encore reçu notre visite. Normal que nous élargissions le périmètre.
— Questions de routine et nous, nous furetons, l’air de rien. C’est ça ?
— C’est tout à fait ça.
De loin, le corps de ferme crée l’illusion. De près, c’est autre chose. Une immense cour boueuse, des étables en pierre de pays, aux murs rongés par l’humidité, aux toitures en tuiles rondes moussues, fêlées, de travers suite à un affaissement de la charpente. Une construction préfabriquée grise, à l’écart, tranche singulièrement sur la vétusté immobilière des autres bâtiments.
— Ça pue ! Et quel vacarme ! Y’a combien de bêtes entassées là-dedans ?
— Demande au proprio, le voilà. Monsieur Ravat ?
Un bel exemple de non-gentleman rural. Pantalon de treillis informe, d’un vert pisseux qui remonte au jour du Débarquement, enfilé dans des bottes crottées du talon à la lisière haute, une paire de bretelles grises qui se distinguent à peine d’une chemise grise, couleur ou saleté ? Voire les deux.
— Vous voulez quoi ? J’ai des bêtes à soigner.
— Juste quelques questions. Nous avons déjà posé les mêmes à vos voisins. Êtes-vous au courant de la découverte d’un cadavre dans une grange proche de la rivière ?
— Non et je m’en fous. Moins j’ai de contact avec mes voisins, mieux je me porte. Y va où, lui ?
— Il est né dans une ferme avicole. Je sais, il aurait dû choisir la Police. Être ici, ça lui rappelle sa jeunesse.
— Vous avez un papier qui vous autorise à foutre votre nez partout ?
— Vu l’odeur, nous ne risquons pas d’aller très loin. Nous sommes là pour une simple enquête de voisinage. Notre présence vous inquiète ?
— Moi ? J’en ai rien à foutre et je n’ai rien à vous dire de plus.
L’homme pivote en direction des étables. Une camionnette Peugeot Partner blanche entre sur la partie dure de la cour. Il se retourne et blêmit sous sa barbe poivre et sel en broussaille. Une femme descend, joue à la marelle entre les flaques boueuses et vient rejoindre le trio. Tony a disparu derrière le préfabriqué.
— Bonjour. Je suis Annie Ravat. Je passe rapidement pour prendre un dossier que j’ai oublié. Vous faites quoi ici ?
— Déjà dit à votre mari. Puisque vous êtes là, je peux vous poser également quelques questions ?
— Si ça vous amuse !
— Vous travaillez ici ?
— La fange et le lisier, non merci. C’est tout ?
Le couple semble de moins en moins à l’aise. La belle assurance de la dame semble s’effriter sous le regard incisif de Pichard. Il ne saurait l’expliquer mais ces deux là cachent quelque chose. Quoi ? Quel rapport entre les filles et les cochons ? La peau ? C’est ça, la peau.
— Vous travaillez où ?
— Chez Guiraud.
La femme n’a pas envie de développer. Elle sort sa clé de contact, se dirige vers le véhicule d’un pas qui se veut assuré mais qui ne l’est pas.
— Madame, vous oubliez le dossier que vous veniez chercher. Guiraud, il fait quoi ?
— Pompes Funèbres Guiraud. PFG, rue de la Fontaine à Jaligny. C’est tout ? Vous voulez mes fiches de salaire ?
— Capitaine ! Venez voir !
Le couple, après un instant de flottement, se précipite vers la Peugeot. Gilles suit le mouvement et dégaine.
— HALTE !
L’homme tente une diversion, s’avance vers le gendarme. La femme s’installe au volant, démarre, se trompe dans les vitesses, patine, cale. Pichard braque son Sig-Sauer.
— Ça suffit ! Arrêtez votre cirque.
Gilles extrait la conductrice, la pousse à côté de son mari. Les menottes, reliées par une chaîne, claquent. Tony, très agité, les invite à le suivre.
— La porte est fermée mais regardez par la baie vitrée.
— Ah oui. Ce que l’on voit d’ici semble correspondre à certains aspects de l’enquête…
— … et que, si vous remarquez bien, la porte ne parait pas être verrouillée…
— … donc nous ne risquons pas le vice de procédure. Ouvre. J’appelle Jeannette et le proc’. Vous, vous collez les deux oiseaux en cage mais séparément pour qu’ils ne nous jouent pas les duettistes au cours de leur interrogatoire.
PROCÈS-VERBAL D’AUDITION ENREGISTRÉ
DANS LE CABINET DU JUGE FÉLIX BRUNET
Ont comparu ce jour, les époux Ravat, monsieur Maurice Ravat accompagnée de son épouse Annie Ravat, née Fournier. Assistés de Maître Claude Gilet, avocat commis d’office.
Comparution diligentée au titre des chefs d’accusation suivants :
• Meurtre avec préméditation, de monsieur Pierre Eymard, antiquaire, retrouvé tué par balles ;
• Meurtres avec préméditation et mutilation de quatre jeunes femmes originaires d’un Pays de l’Est ;
• Dissimulation de cadavres ;
• Tentative de se soustraire aux forces de Gendarmerie.
— Je vous écoute. Madame ?
— Je travaille depuis 10 ans aux Pompes Funèbres Guiraud après avoir été thanatopractrice en Charente. J’ai rencontré Pierre Eymard il y a environ deux ans. Charmeur, élégant, je suis devenue rapidement sa maîtresse. Sachant où je travaillais, il m’a proposé de gagner de l’argent facilement grâce à certaines de ses relations aux goûts morbides tels que…
— Faites-nous grâce des détails et venez-en aux faits : les coffrets.
— Certaines de ses… ses relations souhaitaient acquérir des objets recouverts de peau humaine. Le choix s’est porté sur des coffrets. Eymard se chargeaient de les faire fabriquer dans une association d’insertion, ce qui ne lui coûtait rien. Il me les remettait et moi je les recouvrais avec la peau que j’avais prélevée sur les cadavres qui attendaient pour être inhumés ou incinérés. J’effectuais la découpe dans la chambre funéraire où je me trouvais seule. Ensuite j’habillais le corps et le tour était joué. Je roulais la peau dans un récipient qui contenait une solution de pénicilline, de formol et de sérum physiologique pour qu’elle se conserve. Dans le labo, je la séchais brièvement pour qu’elle reste souple et épouse bien les contours en bois. Je donnais le coffret terminé à Eymard qui fixait l’agrafe en or.
— Combien d’exemplaires ont été vendus et à quel prix ?
— Une douzaine pour un prix, selon Eymard, de 30 000 à 50 000 euros pièce.
— Quelle part vous revenait ?
— Entre 5 000 et 10 000 euros.
— L’argent, vous en faisiez quoi ?
— Une partie injectée dans l’exploitation et l’autre, la plus grosse, sur un compte au Luxembourg.
— Dont vous nous communiquerez les coordonnées. Passons aux femmes retrouvées en partie dépecées. Monsieur ? Souhaitez-vous relayer votre épouse ?
L’homme semble se désintéresser du lieu où il se trouve, des gens qui l’entourent, des paroles qu’il entend.
— Non, non, elle fait ça très bien et elle connait tout mieux que moi.
— D’accord. Madame ?
— Eymard recevait de nouvelles commandes alors que je n’avais plus de matière première. Quelques décès de personnes âgées, à la peau trop fripée et desséchée pour être transformée. Aucun accident de jeunes en sortie de boîte de nuit ni de personnes autour de 30 ans. Eymard a eu l’idée d’utiliser une prostituée. Il ne voulait pas la tuer, simplement que j’effectue une substitution de peau. Je prélevais la peau sur la jeune femme endormie et je la remplaçais par du derme de porc. La fille en situation irrégulière n’allait certainement pas porter plainte. J’ai renouvelé l’opération trois fois. Seulement, la première, une régulière d’Eymard, est venue le trouver et l’a menacé d’aller à la police parce qu’elle ressentait de violentes douleurs dans tout le corps, vomissait du sang et ses trois amies étaient dans le même état qu’elle. Eymard l’a rassurée, l’a emmenée au studio abandonné de l’impasse de la Besbre, lui a donné un somnifère et s’est dépêché d’aller chercher les autres. Voilà. Il m’a dit qu’elles étaient mortes très rapidement. Il les a dévêtues. Nous avons brûlé leurs vêtements, leurs papiers. Plus aucune trace.
— Madame, voulez-vous faire une pose ?
— Non. J’arrive au bout de ma déclaration.
— Effectivement. Pourquoi tuer la poule aux œufs d’or ?
— Le lendemain, Eymard avait complètement changé d’attitude. Il a débarqué à la nuit tombée dans un état de fureur démente. Il hurlait qu’en assassinant les filles, je l’avais foutu dans la merde et qu’il ne nous donnerait pas l’argent qu’il nous devait. Mon mari était présent. Ils se sont empoignés. Je suis allé chercher le fusil et comme Eymard s’emparait d’une barre de fer qui traînait au sol, j’ai tiré. Ensuite, nous avons brûlé ses vêtements, ses papiers, transporté le corps nu dans la grange et nous avons dissimulé sa voiture.
— Les enquêteurs ont retrouvé six coffrets chez l’antiquaire. Donc les quatre derniers fabriqués et deux qu’il avait encore en stock.
— Oui. Ça représentait la somme qu’il refusait de nous donner.
— Bien. Madame, monsieur, je vous attends demain ici-même pour signer ce présent procès-verbal en attendant votre incarcération au Centre Pénitentiaire de Moulins-Yzeure. Gardes, emmenez-les.