Confins du solipsisme
Le ciel, blanc.
La ville.
Le lit, blanc.
Les murs, psychiatriques.
La fenêtre.
Je vois le mur.
Je sais tout.
Derrière le mur, une autre chambre.
Mourir, vieux rêve.
Toucher le fond pour y rester.
Remonter. S’accrocher au décor.
Fuir. Quand ?
Les secondes, identiques aux siècles.
Les objets, identiques entre eux.
Il est tard.
Je creuse.
Je regarde.
Ne suis-je pas un faux accord dans la divine symphonie ?
Les médicaments, disposés en ordre sur la tablette.
Pourquoi pas cent fois la dose ? Pourquoi pas sortir la nuit, chercher des médicaments dans le local, dans un placard, dans le couloir, partout, sous le néon de la sortie de secours ? Pourquoi pas cesser de respirer ? Inhiber le réflexe. Arrêter les poumons. Attendre.
Le suicide, élégance du cafard.
Je sais bien que le local est fermé à clef.
La vie est un acharnement thérapeutique.
La sueur coule. Je ne l’essuie pas.
Je n’ai que ça à faire. Me demander si je vais l’essuyer.
Essuyer ou ne pas essuyer, telle est la question.
Essuyer ou ne pas essuyer, dilemme du prisonnier.
Attendre que la sueur s’évapore. Pour que le temps passe.
Il passerait quand même.
Boire ? Parler seul ? Recompter les voitures sur le parking.
Je ne doute pas de la souffrance.
Je ne peux pas penser.
Ma pensée est identique à la souffrance.
Comment est-ce possible ?
Souffrir davantage pour distraire la souffrance. Non. Les souffrances se comportent comme les erreurs dans une démonstration scientifique. Les erreurs ne s’annulent pas. Les erreurs s’accumulent. La souffrance s’accumule.
Retour dans ma chambre.
Je ne trouve pas la sonnette.
Hier, je l’ai trouvée.
La lumière baisse.
Ça me fait peur.
Est-ce que j’ai encore régressé ? Est-ce que je suis en train de chercher l’interrupteur ? Est-ce que j’en ai l’intention ? Est-ce que je suis schizophrène ?
Par terre, je regarde par terre. Si je levais les yeux, je verrais le mur blanc. Je pourrais imaginer des choses. J’ai déjà essayé tout à l’heure mais je n’ai rien imaginé. Est-ce que je vais le regarder à nouveau ? Est-ce que je vais regarder le mur ?
Le soleil brillerait. Je lui soutiendrais le regard jusqu’à me rendre clairvoyant. J’embarquerais à bord des caravelles. J’attraperais la scarlatine. Je tomberais dans les abîmes qui sont après les limites de l’océan Atlantique. Je coucherais avec les monstres médiévaux, je mettrais bas des portées de porcelets, que je mangerais au déjeuner, dans un poisson énorme. Je longerais ataraxique les confins du solipsisme. Je me donnerais en spectacle, en secret, en sacrifice. J’abolirais l’amour et la violence.
Je ne serais ni pour ni contre. Je serais sans.
Sans la présence absente de ce qui fait de moi son repoussoir. Je serais un être vivant. Je montrerais la foule à la foule. Je montrerais que mon supplice ne me fait pas souffrir pour décevoir les éclairs de désir que lancent leurs yeux. Je donnerais le pardon pour que cesse l’importation de l’ego et son massacre subtil destiné à sacrifier l’être. Je déclencherais les sanglots, les excuses, les promesses, les contrats, les félicitations, les remerciements, les confidences et les révélations. La vérité vaincrait l’interminable bêtise. Le sommet serait placé au-dessus des abysses. Le rouleau compresseur de la foule serait pulvérisé par mon analyse comme le vampire disparut dans la lumière divine. Que je résiste ou que je signe, plus je me livre, plus je me livre aux foules. Que je me soumette, que je me révolte, que j’accepte, j’en suis trop conscient. Je suis trop conscient pour dominer. Tel est le drame du bouc émissaire. Tout sera retenu contre lui. Qu’il fasse le bien, qu’il fasse le mal, qu’il fasse le neutre, qu’il ne fasse rien. Que je passe aux aveux, que je dise ce que je pense, que je dise ce qu’on veut entendre, que je dise le contraire, que je refuse de répondre aux questions, jamais. Jamais ! Jamais ! Jamais ! Jamais ! Jamais ! Jamais ! Jamais ! Jamais !
Jamais mes agresseurs ne me céderont un millimètre, un milligramme, une once de tolérance. Toujours ils opposeront à la candeur de la vérité le sarcasme, le reproche, l’indifférence ostentatoire, le mythe du développement personnel, la mythologie de la responsabilité. Jusqu’à ce que je baisse la tête en leur laissant croire que je réfléchis et que j’ai décidé de prendre conscience que c’est à moi à me remettre en question, jusqu’à ce que j’aille chez le psychanalyste pour qu’il achève le lynchage et que je me considère comme un névrosé, jusqu’à ce que j’admette que j’ai un problème avec les autres et que ce ne sont pas les autres qui ont un problème avec moi, jusqu’à ce que je tombe dans le piège de me charger de régler les problèmes d’ego de mes persécuteurs à leur place, jusqu’à ce que j’avoue être coupable des violences dont je suis l’objet, jusqu’à ce que je démontre que je suis masochiste et que mon désir malade cherche le plaisir dans la souffrance, jusqu’à ce que j’avoue que je manipule les autres pour qu’ils me fassent du mal, jusqu’à ce que je dise que l’homme est bon conformément à la philosophie humaniste, jusqu’à ce que je remercie mes bourreaux de m’aider à comprendre à quel point je suis un pervers et que j’en suis la seule victime, jusqu’à ce que je reconnaisse que j’ai du mal à lâcher prise et que j’ai besoin d’aide, jusqu’à ce soit à moi de prouver que cette aide n’est pas une nouvelle humiliation et une continuation du sacrifice collectif par d’autres moyens, des moyens professionnalisés, jusqu’à ce que j’admette que mes constructions mentales sont la cause d’une si délirante interprétation, jusqu’à ce que je parvienne à expliquer la différence entre l’utilisation de la notion de construction mentale quand elle est utilisée pour magnifier l’esprit humain constructeur des civilisations modernes et quand elle est utilisée pour disqualifier ceux qui sont déjà disqualifiés, jusqu’à ce que je démontre que je suis immature et que je suis entouré d’adultes normaux, jusqu’à ce que je démontre que je suis une fausse victime qui se plaint dans l’espoir d’en tirer des bénéfices et de gagner le concours de malheur qui caractérise la modernité, jusqu’à ce que je décide qu’il ne tient qu’à moi de devenir normal, jusqu’à ce que personne ne soit coupable, sauf moi. Car plus je désire être, plus je souffre. Moins je désire être, moins j’existe. J’ai le choix entre la souffrance et la dépression, soin à la souffrance, retraite.
La foule me divise car elle refuse de se diviser. Si je signe le contrat de sacrifice, je suis sacrifié. Si je résiste, je suis harcelé. Si je pardonne, c’est un scandale. Si je révèle, je délire et j’ai besoin de médicaments. Provocation et rejet ne font qu’un afin que je fasse deux, la victime et le bourreau. La foule rejette ses contradictions sur moi et me rejette pour rejeter son rejet. La révolte du bouc émissaire est étouffée dans les hôpitaux psychiatriques au nom de la paix sociale et de l’ordre public.
Autrefois, pardonner, c’était mettre un terme à la violence. Aujourd’hui pardonner, c’est apporter sa tête sur un plateau. Autrefois, la pitié était un sentiment élevé. Aujourd’hui, la pitié est une arme d’humiliation. Autrefois, la foi était la quête de toute une vie, le seul trésor possible. Aujourd’hui, la foi est une bêtise ou une perversité. Les valeurs sont perverties. La rédemption est pervertie. Le secours est perverti. Le secours est devenu identique à l’humiliation.
J’analyse. Je m’élève. Je me heurte au plafond de l’hôpital. J’analyse. J’entre en moi-même. Je fais le mort. Je meurs par terre. J’analyse. J’analyse.
Gavé de Rivotril®, je me traîne jusqu’à mon lit. Le trajet jusqu’au lit. Effort qui souligne mon impuissance.
Je vais vers le lit. Je ne vais pas me voir dans la glace. Ce n’est pas moi. Où suis-je ?
Accepter et se soumettre ne font plus qu’un, à cause des murs de la chambre.
Demain peut-être, j’aurai la force de me traîner jusqu’à mon lit. Demain, je déciderai quelque chose et on me le reprochera. Je serai découragé et je retournerai dans le lit pour rêver au surlendemain.
Lundi matin, c’est le jour des visites. C’était il y a deux jours, ou trois. Ou quatre. Ou cinq, qui sait ?
Lundi dernier, j’ai dit à l’équipe de psychiatrie que j’étais une loque. J’avais besoin d’être pris en considération. Je voulais qu’ils reconnaissent ma conscience d’être dans l’état dans lequel je suis et donc l’écart entre mon état et ma personne. Je voulais que cesse la mécanique où en retour de mes confessions, je reçois des médicaments. Plus je dis que je ne suis pas une loque, plus ma révolte dérisoire se retourne contre moi. Plus je dis que je suis une loque, plus on se désole de ma lucidité.
Le professeur est très connu dans la région. Il a une excellente réputation. Maman dit qu’on a de la chance que ce soit lui.
Le professeur donne des conférences sur le cerveau. Tous les lundis, il parle de mon cerveau. Il ne parle jamais de moi. Je n’ai aucun pouvoir sur mon cerveau, que le professeur connaît mieux que sa poche. Sauf quand je lui pose des questions d’ordre neurologique. Quand je lui demande de m’expliquer l’effet du Rivotril® sur les structures neuronales, il sourit et il répond : oh, c’est un peu compliqué... Alors je lui demande de me répondre comme si j’étais capable de comprendre la réponse, mais il répond que j’ai besoin de me reposer. C’est du harcèlement. J’ai besoin de travailler. J’ai besoin d’être pris en considération. Tout n’est qu’une réaction en chaîne, de l’humiliation parentale à l’humiliation du lundi matin, en passant par l’échec professionnel. Car à ceux qui ont tout, on donnera, et à ceux qui n’ont rien, même cela leur sera enlevé. L’œuvre du docteur Freud est une entreprise destinée à nier cette évidence.
Qu’est-ce qu’une catégorie psychanalytique, sinon une insulte destinée à disqualifier le bouc émissaire ? Une insulte dans laquelle insuffler le prestige de l’université ? Tel cadavre brandira le poing hors du sol qu’une infirmière viendra l’anesthésier.
Une fois, pour atténuer l’humiliation du lundi matin, j’ai fait de l’humour. Ce fut le trait d’humour le plus drôle de toute ma vie. J’ai demandé ce que c’était que ce cerveau et pourquoi il n’avait pas son propre corps.
Le professeur a tourné la tête et il a demandé à une interne si je délirais. J’ai répondu que c’était peut-être mon cerveau qui délirait, pas moi. Mais l’interne a répondu que oui, je délirais. Le professeur s’est alors demandé tout haut s’il ne fallait pas augmenter la dose de Risperdal®. Il était alors trop tard pour rattraper le coup. J’avais contesté le pouvoir, donc la violence collective s’abattait sur moi. Le pouvoir psychiatrique était un despote implacable. Le peu de force dont un bouc émissaire peut faire montre lui est plus fatal que sa soumission absolue, qui lui est reprochée par l’idéologie psychanalytique de la prise de ses responsabilités. La psychanalyse fait aux névrosés ce qu’elle reproche aux névrosés de faire : rejeter la faute sur les autres. La psychanalyse masque l’origine de la folie : la structure sociale des dominants et des dominés. Les dominants humilient les dominés, puis leur viennent en aide. Le cynisme se mue alors en hypocrisie. Mais ils ne le font pas exprès. Il n’est de pire pervers que celui qui s’ignore. La bonté est le trophée ultime du dominant, le signe écrasant du bien contre le mal, de la vie contre la mort. La victime ne l’est jamais autant que lorsqu’elle assure par les plaintes adressées à son persécuteur qu’il en a fait une victime. Le persécuteur ne l’est jamais autant que lorsqu’il est assuré de pouvoir passer à une stratégie d’affichage de son indifférence, pour introduire la persécution dans l’ego même de la victime, qui continue alors le travail de persécution elle-même tandis que le persécuteur, débarrassée de la persécution, se tourne vers les activités socialement valorisées comme le travail. Tandis que la victime se vautre dans le mal, le persécuteur fait le bien. Tel est le secret de la réussite sociale. Pour réussir socialement, il faut avoir persécuté et rejeté la persécution au cœur de la victime. Le développement personnel n’est pas autre chose qu’un déploiement sophistique destiné à refouler cette évidence et à transférer la culpabilité des forts aux faibles, à expliquer que les faibles sont responsables de leur faiblesse et qu’une telle prise de conscience est de nature à les fortifier. Le pervers achève sa victime en lui enseignant les moyens de sortir de la perversion. Si la victime proteste, le pervers n’aura qu’à la renvoyer à l’objectivité des solutions qu’il lui a données. Si la victime obéit, le pervers passera pour son sauveur et le mal absolu deviendra le bien absolu. Si la victime ne répond pas à cette provocation ultime, les sarcasmes se déchaîneront pour faire du bruit et recouvrir la vérité.
La force de ne pas réagir aux provocations de mon entourage. La force de refuser d’être aidé par mes persécuteurs. Où est la force ? Je suis à terre.
Ce qui est taxé de délire par les persécuteurs, c’est la révélation de leurs persécutions. Plus je désire me protéger, plus je montre que je délire. Et si je consens, je suis persécuté. Si je dis la vérité, on m’explique que je délire et que je dois changer de grille de lecture. On m’explique que la rivalité est dans ma tête et que le monde me veut du bien. Les persécuteurs veulent me faire signer le pacte et m’obliger à dire qu’ils sont généreux, que j’ai besoin de leur aide. Je pourrais finasser. Je pourrais dire ce qu’ils veulent entendre. Mais alors ils m’aideraient à leur façon. En me faisant gober que tout est dans ma tête. Comment me relever si le sol sur quoi je tiens est un mensonge ? Je ne suis pas paranoïaque. Je suis seulement persécuté. Je ne délire pas. Je dis la vérité. La schizophrénie est une mythologie inventée par les psychiatres pour achever les victimes des pervers, les boucs émissaires de la société. Le problème, c’est qu’il n’y a pas de problème. Alors, quelle est la solution ? Sinon de poser qu’il n’y a pas de problème. Le meilleur moyen de s’en sortir, c’était de ne pas y entrer.
Je suis né dedans et ça s’est dégradé tout seul. Des qualifications, des disqualifications. Nicolas est comme ci, comme ça. Nicolas veut ci, veut ça. Je t’avais bien dit que tu n’arriverais jamais à rien mais tu ne m’as pas écouté. Quand des parents prennent la responsabilité de faire des enfants, il y a des limites et ça fait un moment que tu les as dépassées. Mange ton biscuit, au moins, et arrête de faire le pauvre malheureux. Sais-tu qu’il y a des familles où on maltraite les enfants ? Il y a des pays où les enfants seraient plus que contents de pouvoir manger ce biscuit.
Les normaux tirent les âmes trop pures par la manche pour les faire tomber dans leur verre d’eau afin qu’elles s’y noient et qu’ils puissent leur reprocher de se noyer dans un verre d’eau afin qu’ils puissent sortir de leur verre d’eau. Point de répit pour les boucs émissaires : après avoir souffert et espéré, il leur faut accepter d’être ce que les autres veulent qu’ils soient. Il leur faut accepter la sagesse des dominants qui enseignent que philosopher, c’est apprendre à mourir. Pour que finalement, les dominants, las de ne voir plus aucune résistance, las de voir qu’on est mort, se mettent à persécuter un autre bouc émissaire. Il n’y a que deux voies : persécuter ou être persécuté. Celui qui refuse de persécuter sera persécuté. Celui qui refuse de persécuter le bouc émissaire sera le bouc émissaire.
Quand on accepte la guerre des egos, il faut la gagner. Quand on la perd, on la déclare à plus faible que soi. Quand on la refuse, on est jeté au ban d’une société qui ne connaît que la guerre et fait du conflit métaphysique la barrière d’entrée à toute intégration sociale. Aimer, travailler, construire, avoir des amis, pratiquer le respect, voir les choses du bon côté, vivre n’est possible qu’une fois qu’on a persécuté un bouc émissaire. Seuls les pervers peuvent cesser d’être pervers en fourguant la perversité quelque part. Les victimes, une fois sacrifiées, sont vouées à la perversité, cette déesse terrible. Le manque de perversité fait plonger dans la perversité. Qu’est-ce que la violence métaphysique, sinon un surcroît de réalité ? Alexandre m’avait terrassé. Ce qui est appelé maladie, attribué à la génétique, était identique au terrassement éternel.
J’étais si humilié lundi matin, si humilié par les expressions faciales des membres de l’équipe, si humilié par mon impuissance à me donner une bonne contenance, si humilié de voir que toute protestation était considérée comme une violence qui appelait un juste châtiment sous forme de médicaments et que j’étais le seul à voir que mon attitude légitime de défense de mon être et ma psychopathologie n’étaient que les deux versants d’une même réalité, que j’ai décidé d’aller sur le boulevard pour prendre le bus. Mais je ne l’ai pas fait, car j’avais peur qu’une ambulance ne vienne me chercher et n’aggrave mon cas. Alors j’ai soupiré.
Ce fut le soupir de la loque.
Je me fais du mal. Il ne faut pas penser aux humiliations. Je fais revivre ce qui appartient à la mémoire. Le passé doit être accepté. Accepter ou refuser le présent encourage les persécuteurs à persécuter mais accepter le passé, cela fait du bien.
Je suis tellement fatigué que je ne sais même pas quoi faire. Je plie mon genou pour ne pas laisser ma jambe dépliée trop longtemps, pour ne pas l’engourdir. Je suis trop fatigué pour faire un autre effort. Il faut attendre pour récupérer. C’est le Rivotril® qui fait ça. Je suis rivotrilisé. C’est ainsi que je m’exprime le lundi matin.
J’imagine que je sors du lit. Que je me trouve comme tout à l’heure, par terre. Que je me prépare à tracer un cercle par terre avec le doigt. J’imagine que je le trace. Il y a peut-être un courant d’air qui passe au-dessus de ma tête. Peut-être que je vais me relever pour le sentir sur mon visage.
Inutile de pleurer. Plus de larmes.
Inutile de dormir. Plus de rêves.
Inutile de courir. Nulle part.
Inutile de se taire. Que le vide.
Inutile de hurler. Déshumanisation.
Inutile de respirer. Le cerveau s’en charge. Le cerveau reptilien.
Je pourrais mourir, personne ne s’en apercevrait.
Si j’étais enterré vivant, ce serait pire.
Si j’étais enterré vivant, je ne pourrais pas bouger. Je serais enfermé, dans le noir. Je hurlerais dans le silence. J’aurais la conscience aiguë de vivre mes dernières heures, à me demander s’il vaut mieux économiser l’oxygène ou au contraire le dépenser le plus vite possible et finalement respirer de la façon le plus normale que le permet la situation, de la même façon qu’on renonce au suicide en se disant qu’on va mourir de toute façon.
Ne suis-je pas mieux sur le lit de l’hôpital psychiatrique, à pouvoir aller dans le couloir dès que mon énergie me permet d’accomplir un tel exploit ? Ne suis-je pas mieux à pouvoir me suicider si j’en ai envie, dans des conditions agréables ?
J’entends déjà mon père après l’enterrement, avec sa voix jamais étonnée de rien qui a toujours déjà tout prévu depuis le début.
On n’a rien à se reprocher. C’est important d’accepter qu’on n’a rien à se reprocher. C’était un garçon tourmenté, qui voyait tout en noir. On a fait tout ce qu’il fallait. On l’a soutenu et on l’a mis à l’hôpital psychiatrique pour qu’il aille mieux. Il aurait pu se tuer dans dix ans comme il aurait pu le faire l’année dernière. C’est le genre de choses qui est imprévisible quand on a un fils qui est comme ça. C’est un coup dur pour tout le monde. Mais il est mieux là où il est, c’est ce qu’il faut se dire. Il n’a jamais été aussi présent.
Je bonifiais le bon. Je fortifiais le fort. Je consolais le faible. Je déresponsabilisais les responsables. Je rassurais les psychiatres sur la santé de la psychiatrie. J’avais toujours tort. Je faisais des histoires. Je contestais les diagnostics. Le premier psychiatre avait dit que j’étais monopolaire. Le deuxième, bipolaire. Le troisième, schizophrène. Le quatrième, paranoïaque. Pour faire bonne mesure, le cinquième avait dit que j’étais schizophrène paranoïde, une espèce menacée.
Plus personne ne vient me voir. Il n’y a plus rien à en tirer. Qu’un regard de vapeur sonné de mirageux glas sourds.
J’avais écrit cette phrase sur mon Réservoir, autrefois. C’était en 1999. Je passais l’épreuve de philosophie du bac à Toulouse, au lycée Fermat. En sortant, j’ai acheté le tome un du Réservoir, un cahier A4 192 Clairefontaine orange 192 pages. Un regard de vapeur sonné de mirageux glas sourds. Ce fut ma première phrase. Mille huit cents pages suivirent, jusqu’à ce que je jette tout lors d’une crise psychotique.
Mon regard est normal. J’ai juste l’air endormi. Le miroir ne me comprend pas. Seule ma littérature me comprend. La littérature est avec moi. L’art me comprend. La musique sait qui je suis. Les symphonies de Mahler en savent plus long sur moi que la psychiatrie française, issue du milieu carcéral. Ils ont osé mettre Maupassant dans une camisole de force. L’infirmière me parle comme à un débile. Elle fait celle qui est extrêmement gentille afin que le méchant paranoïaque imprévisible ne prenne pas la mouche. Le professeur fait semblant de m’écouter puis prescrit une ordonnance, pour que ma parole débouche sur un médicament. Les autres malades ne disent rien. Ils disent n’importe quoi. Une fois, j’ai dit que j’avais une oppression et une fille a dit : moi aussi. Ensuite, une autre fille a dit : moi aussi. Jamais sans mon oppression.
Il y a un Indien qui regarde la fenêtre toute la journée. Je lui ai demandé s’il allait bien. Il n’a pas répondu. J’ai demandé à l’infirmière si c’était normal. Elle a dit que ce n’était pas la question. Je lui ai dit de me répondre comme si j’étais capable de comprendre. Au lieu de s’apercevoir que cette réplique suggérait une intelligence suffisante pour comprendre la réponse, elle n’a pas répondu. Comment une personne payée pour me respecter me respecterait-elle ? Du moment qu’on est payé pour respecter, le respect ne peut pas exister.
La violence métaphysique fonctionne comme le capitalisme. Les écrasés seront écrasés, les faibles affaiblis, les rejetés rejetés. Les riches s’enrichiront et les admirés seront admirés. Qui dégouline de vanité sera roi du pétrole. Ils seront fiers d’exister, ils auront encore plus envie de vivre. On les regardera et ils agiront pour le plaisir d’être regardés. Ils réussiront ce qu’ils auront entrepris. On leur donnera toujours une raison de vivre. On dira : c’est parce qu’il est brillant, c’est parce qu’il a travaillé. Tel est le secret transparent de la réussite. Les dominants expliquent doctement ce secret dans les ouvrages de développement personnel. Bel exemple de domination où les losers en savent plus long que les winners. Les losers achètent les livres des winners et sont déçus. S’ils sont losers, c’est justement parce qu’ils en savent plus long sur la réussite que les winners. La réussite est due à l’ignorance, non à la connaissance. Le développement personnel n’est jamais si pervers que lorsqu’il finit par livrer la clef objective du système : la confiance en soi. Une fois que les dominants ont assumés l’aspect illusoire de la confiance en soi, les dominés ne peuvent plus leur reprocher de bâtir leur réussite sur une illusion. La charge de la preuve est renversée. Les dominés n’ont plus qu’à se reprocher à eux-mêmes leur incapacité à vivre dans l’illusion métaphysique de la confiance en soi. Le respect fonctionne comme la confiance en soi : elle se refuse à qui lui court après. Quand j’étais à l’école de commerce, on me reprochait de ne pas avoir confiance en moi. Aussi, je perdais d’autant plus confiance en moi. Autrefois, l’hypocrisie régnait. On pouvait faire honte aux dominants et leur prouver que leur succès reposait sur l’illusion d’être des gens bien. Aujourd’hui, c’est le cynisme qui règne. On assume la confiance en soi en tant que telle. Les victimes n’ont qu’à se taire.
La maladie mentale est le supplice moderne de la victime. Est-il possible d’expliquer autrement qu’en supposant que les psychiatres sont dans le coup qu’aucun d’entre eux n’ait jamais vu que les productions positives et négatives de la schizophrénie sont la conséquence d’un harcèlement notamment psychiatrique ?
Ce monde s’autodétruit en commençant par les faibles. Un jour, la destruction atteindra les forts et ce sera terrible. L’illusion métaphysique s’effondrera dans l’effondrement des marchés financiers, du système économique et des constructions sociétales. Il n’y aura plus d’argent pour assister les loques. Ainsi fonctionne le désir d’être important, par crises, guerres et fausses prospérités.
Je l’ai déjà dit, tout ça. Je l’ai déjà dit.
Il eût suffi d’un rien. Il eût suffi qu’on m’accepte. Une fois. Une fois. Une manifestation de l’indulgence humaine, une fois. Il eût suffi que je tombasse un jour sur un être humain suffisamment intelligent pour me comprendre. Il ne se serait pas fâché de voir que je fusse plus intelligent que lui. Il n’aurait pas cherché à se venger en convoquant le rouleau compresseur de la médiocrité qui sert à désespérer les âmes trop pures. Il ne m’aurait pas jeté un peu plus dans la folie baudelairienne de vouloir transmuter la souffrance en œuvre d’art : « Tu m’as donné ta boue et j’en ai fait de l’or. » Il m’aurait sauvé. Mais ce jour-là n’est pas venu. Aujourd’hui, il est trop tard. Qui osera croire les délires apocalyptiques d’une loque à l’heure où les recruteurs enseignent que les candidats seront jugés sur leur apparence et que les trente premières secondes d’un entretien d’embauche sont déterminantes pour leur avenir professionnel ? Qui prendra un risque quand tout le monde ne fait confiance qu’en ceux qui ont confiance en eux, tout en poussant le cynisme jusqu’à dire que cette confiance est le résultat d’une bonne image donnée à l’environnement et que cette bonne image est due à la confiance en soi ? Qui sauvera la psychiatrie de cette logique implacable ?
Moins on me fréquente, plus je deviens infréquentable. Plus on me croit fou, plus je deviens fou. Plus je perds la raison, plus je donne raison à la race humaine.
Je diffère l’apocalypse d’une minute. Telle est ma fonction sur cette planète. Mon sacrifice a une utilité sociale. Le jour où il n’y aura plus de bouc émissaire, l’humanité s’autodétruira. Ce sont les baleines qui seront contentes. Je suis la plaie et le couteau afin que l’humanité ne soit plus ni le couteau ni la plaie. Je suis le poison et le remède. Le paranoïaque est la victime, la psychiatrie est le sacrificateur, la société, les participants au rite païen. La victime est le bois, l’idéologie est le feu, l’acquiescement, l’oxygène.
Je vois tout. Je sais tout.
Je suis extra-lucide. Je vois de l’extérieur.
On m’a expulsé au centre. Je suis en haut, en bas. Je vois tout.
La lucidité n’est qu’un chemin de croix. Mon sort est scellé.
L’accusation de paranoïa est le verrou du harcèlement collectif. Pour survivre, la victime devient monopolaire, bipolaire, masochiste, paranoïaque puis schizophrène. Je remonte à la nuit des temps. J’entends mes parents se moquer de moi. L’écho retentit. La scène primitive dérobe le sol sous mes pieds et fait tomber dans le cercle vicieux de la honte d’exister et du désir éperdu de me racheter. Le meurtre fondateur refoulé par homo sapiens. Ensuite, mon père a délégué la persécution à la psychiatrie.
Si tu réagis comme à l’école comme tu réagis avec moi, ça ne m’étonne pas que tu aies des problèmes avec tes copains... Oh, il a raison le Chonchon, dis donc, il a raison et il croit qu’il l’a fait exprès !... Vous savez, Nicolas est un artiste, il n’a pas besoin d’avoir des amis... Il est très content d’être tout seul... Il est très intelligent, il fera Polytechnique... Nicolas est trop intelligent, c’est son grand problème... Regarde : c’est toi, l’avorton dans le bocal exposé au Musée de l’homme, à Paris, c’est toi ! Ha ! Ha ! Ha ! Il croit qu’il est dans le bocal ! Mais non, enfin, Nicolas, tu n’es pas dans le bocal, tu vois bien, qu’est-ce que tu racontes ?... Tu refuses toute discussion... Tu t’es mis dans la tête que le monde entier t’en voulait et tu n’en démords pas... J’aimerais tellement pouvoir t’aider... Tu sais à quel point Papa et moi nous t’aimons... Il faut que tu nous dises tout pour que nous puissions t’aider, il faut que ça sorte… Tu as fait ça et tu estimes que tu as un comportement normal ?...Tout ça, c’est de la faute de ton psychanalyste... Il t’a fait du mal... Bouhouhouhouhou, les psychanalystes ont fait du mal à mon fils !... On ne peut pas faire leur faire confiance… On a bien été obligés de te mettre à l’hôpital, tu nous as fait peur, tu disais n’importe quoi… Mais tu comprends, Nicolas, j’avais peur, peur pour toi, tu ne parlais plus à personne, même pas à moi, ta propre mère, j’ai été obligée d’appeler une ambulance… Tu n’as plus besoin de travailler maintenant, je me suis arrangé avec le psychiatre, tu recevras une pension à vie... Tu ne peux pas savoir comme je suis soulagée de savoir que tu sois à l’abri du besoin, j’avais tellement peur, Papa s’est occupé de tout, tu n’as plus de souci à te faire, tu n’as plus besoin de travailler, quel soulagement... Le professeur a dit que tu avais besoin de médicaments… Je ne pensais pas que tu finirais comme ça... Je savais que tu finirais comme ça... Heureusement qu’il y a Alexandre, le frère de Nicolas, il est formidable… J’ai coutume de dire que c’est le jour et la nuit, tous les deux… Je suis désolée, Nicolas, je ne peux pas te répondre au téléphone, je ne sais pas quoi te répondre, mais ce n’est pas grave, ça ne veut pas dire qu’on ne restera pas mère et fils… Tu as de la chance de ne pas être obligé de travailler, moi aussi j’aimerais bien me la couler douce… Il faut dire les choses : si Nicolas est invalide, c’est sûrement que nous avons fait des erreurs. Mais quoi ? J’ai beau chercher, chercher, chercher... Mon mari et moi sommes perplexes. Il y a pourtant bien une explication... Non, Madame, vous n’y êtes pour rien, Nicolas n’y est pour rien, c’est le cerveau qui est malade… Les progrès de la neurologie ont fait des pas de géant ces dernières années… Nous avons maintenant à notre disposition des antipsychotiques atypiques…
L’atelier poterie, le mercredi de 15 heures à 16 heures.
Enivré de Rivotril®, je m’assois à la table.
J’ai mis de la terre au milieu de la table, vous pouvez vous servir. Prenez de la terre, Nicolas, vous serez content de faire un peu de poterie. C’est comme la pâte à modeler, sauf que c’est un peu plus dur. Vous avez fait de la pâte à modeler quand vous étiez enfant ? Si vous ne savez pas sculpter, vous n’avez qu’à faire une boule.
Oui, une boule. Je fais une boule en vingt secondes et pendant 59 minutes et 40 secondes, je l’arrondis. C’est symptomatique.
Je me demande comment ma voisine arrive à sculpter une sirène. Elle n’est pas aussi déprimée qu’on le dit. Elle n’est pas mal, sa petite sculpture. Tout le monde lui dit que c’est une artiste mais elle répond que ce n’est rien. Je lui demande : comment vous faites ? Elle répond : comme ça ! Et elle continue à sculpter. De toute façon, je n’ai pas l’intention de faire une sirène. La boule, c’est le chaos, le cosmos, l’être et le néant. Sous le rapport de la signification, c’est plus fort qu’une sirène. C’est le mandala de Jung en 3D.
Julien fait une boule lui aussi puis la place à côté de la mienne. Il me sourit mais voyant mon air désolé, il s’attriste. Puis voyant la sirène de notre voisine, il essaie d’en faire une également.
Ensuite, l’animatrice dit : maintenant, nous allons exposer les œuvres dans le couloir !
Exposer la pâte à modeler dans le couloir de l’hôpital psychiatrique après avoir fait une école de commerce. Laïos a tué Œdipe.
Je me lève. Je tombe. Comment est-ce possible ?
Je ne veux pas qu’on m’aide. Je peux marcher tout seul. Je n’y arrive pas.
Misère des effets secondaires.
Je tombe encore. Faites attention, Nicolas.
C’est le Rivotril®. Ça ôte la force. Mais si je ne prends pas de Rivotril®, je souffre encore plus.
Je suis reptilien. Je ne régule plus ma température interne. J’ai besoin de me chauffer au soleil, sur le lit.
Le sol n’existe pas.
Je suis par terre.
Ou contre le mur. Qui sait ?
Rien ne bouge. Je suis paralysé. Mes yeux s’agitent. La crise d’agitation des yeux. Il ne manquait plus que ça. Rien n’est plus terrible que la crise d’agitation des yeux. Les yeux s’agitent et on voit tout le monde extérieur qui va dans tous les sens. J’appelle. Rien ne sort. Est-ce que j’ai appelé ?
Je cherche la sonnette.
Je ferme les yeux. Ils s’agitent quand même. Cela fait extrêmement peur. Ne vous inquiétez pas, c’est passager. Est-ce qu’il est trop tard pour que l’infirmière arrive ? De toute façon, elle n’y peut rien. Elle va me tendre un verre d’eau. Rien ne sert de crier, sinon à confirmer aux visiteurs qu’ils sont bien chez les fous. Elle arrive. Elle me donne un calmant. C’est radical. Je m’étale sur le lit. Je n’entends plus rien.
Je voulais un chat quand j’étais enfant. Mais ce n’était pas possible, car il serait monté dans l’évier et aurait tout sali.
J’ai connu un chat, dans la résidence où j’habitais. Ce fut le seul être qui m’aima. Il ne pouvait pas savoir qui j’étais. Il ne savait pas que j’étais rejeté, donc il ne me rejetait pas. Il ne connaissait que ma main. Je le caressais. Minou-Chat, tel était son nom. C’est mon compagnon de voyage. Par la force de la musique, nous avancerons joyeux à travers la sombre nuit de la mort. C’est ce que dit Tamino dans la Flûte enchantée, de Mozart. Je n’avais pas de flûte mais j’avais un chat. J’espère qu’il est encore vivant, là-bas. Il est peut-être en train de somnoler sur le toit d’une voiture, dans l’allée.
Je ne sens plus rien. Le calmant est très fort.
La vie est un rite dont je suis le cafard sacré. Le décor est moderne. Un or agonise selon peut-être le décor. C’est Mallarmé qui l’a dit. Ses purs ongles très haut dédiant leur onyx, l’Angoisse soutient maint rêve. Je ne vois plus rien. Je perds la mémoire. Tout suffocant et blême, quand sonne l’heure, je sens mes yeux s’agiter encore dans tous les sens, comme s’ils appartenaient à quelqu’un d’autre. Au cerveau du professeur. Mais je ne peux plus bouger. Le calmant n’agit pas sur les yeux. Il agit sur le cerveau. Au moins, je dormirai pendant la crise.
Je ne reçois plus d’information sensorielle. L’activité électrique des neurones est en baisse. Je suis dans le cercueil. Je ne sais pas. Je vais cesser de respirer. On pleurera. La cérémonie de l’enterrement, couronnement de la mascarade. Ma mère m’a dit que j’avais une grande force morale de pouvoir supporter ça. Elle m’admire parce que je suis une victime.
Souffrir, héroïsme de la loque.
Les chimères sont des animaux qui n’existent pas. Elles sont composées de parties d’animaux qui existent, cependant. Par exemple, un corps de lion, des ailes d’éperviers, des serres de coq, une queue de serpent et une tête de chèvre. Ce ne sont pas des métis. Le métis est intégré. Moi, je ne suis pas intégré. Je suis cloué au lit.
Je suis cloué au lit. Je parle seul, si je peux. Je voudrais me suicider pour ne pas souffrir dix minutes de plus. Mon cycle de nouvelles, Confins et Carrefours, je l’écris par terre, au doigt, sur le lino désinfecté chaque matin. Mon Grand Œuvre, Psychotique Apocalypse, comme disait Alexandre Modène. À ceux qui le liront et qui poseront la même question que ce général franquiste stupéfait par Guernica, je donnerai la réponse que Picasso lui a faite : — C’est vous qui avez fait ça ? — Non, c’est vous.
Je parle.
Je n’entends rien mais je sais ce que je dis.
Les paroles disparaissent. Le papier sera froissé, recyclé.
J’ai surgi de la Terre, médiatisé par la chaîne de l’évolution. Ne suis-je pas l’arbre de la connaissance du mal et du bien ?
Trouble bipolaire. Abysses et sommets accelerando. Je veux être un martyr, disait Mahler. Classicisme, romantisme, modernisme, art contemporain. Après la musique de la perfection vient la musique de la souffrance absolue, puis la musique de l’apocalypse, puis la musique post-apocalyptique. Après la Passion selon Saint Jean de Bach vient la symphonie Jupiter de Mozart, puis la Sixième symphonie de Mahler puis le Sacre du printemps de Stravinsky, puis Klavierstück XI de Stockhausen. Après ma mort, la mort de l’humanité. L’explosion du Soleil. La fin de la vie sur Terre. L’augmentation de l’entropie. La structure de la matière qui ne se maintient plus à ces niveaux trop bas d’énergie. La matière qui se désagrège dans le néant. La mort de l’Univers.
Ai-je peur de mourir ?
Deviens ce que tu es.
Mon cadavre dérive dans l’espace à vitesse constante pendant treize virgule six milliards d’années.
Rien n’aura eu lieu que le lieu.
Pas même une constellation.
Da capo senza fine poi attaca.
L’être est le néant.
C’est fini. Fini.
C’est fini.
Je le sens.
Fini.
Fini.
Fini.
Fini.
Fini.
Fini.
Fini.
Fini.
Fini.