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18 avril 2024 à 21:52:16
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Le Monde de L'Écriture » Coin écriture » Textes courts (Modérateur: Claudius) » Cauchemars de couleur

Auteur Sujet: Cauchemars de couleur  (Lu 1565 fois)

Hors ligne Rémi

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Cauchemars de couleur
« le: 15 septembre 2021 à 22:27:59 »
La version initiale de ce texte a été produite lors d'une soirée Tic-Tac.

Le texte a évolué grâce aux retours pertinents des premiers commentateurs, merci !
Si vous avez un avis, n'hésitez pas !


Cauchemars de couleur



   Une longue trace sur le parquet pistache, une trace noire de souliers vernis, résidus caoutchouteux filant vers l’insondable. La trainée sinueuse offre au regard le dernier signe d’une présence disparue. Les lames visent un point de fuite dissimulé dans le vert. Je m’agite, serre les poings, frappe en tout sens. Rien ne bouge. Je hurle et aucun son ne sort de ma bouche. À côté de moi, tout à coup, apparaît la silhouette gigantesque d’un inconnu. Je suis minuscule et son corps s’élève jusqu’au-delà du ciel. Aucun plafond ne saurait l’arrêter. À nouveau je m’époumone, sans succès. Les rideaux émeraude claquent dans le vent, une odeur de soufre agresse mes narines. L’homme lève un pied immense et fracasse le sol. Les lattes de bois volent en éclats, je décolle avant de tomber dans le gouffre béant. Je chute vers l’abyme, je tournoie, bras écartés et, tout autour, des falaises de souvenirs miroitent et clignotent. Au milieu de reflets opalescents, un kaléidoscope de couleurs : je vois ma mère, un ami d’enfance, ma première amoureuse, une chute de cheval et mon bras cassé… Vais-je m’écraser au fond du ravin ? Autour de moi, les larges brosses d’un peintre invisible crachent des boules de feu orangées et des blocs de glace qui éclatent en une myriade de variations de bleus. Les cristaux et les flammes se mélangent, prennent des teintes violettes, rampent vers moi sur le parquet vert qu’elles avalent en formant un magma gris. Il s’étale, s’approche et m’engloutit. Je pousse un long cri aigu, qui résonne cette fois fort et clair. Une onde de couleur se déploie comme sur une palette dont je serais le centre et puis tout disparait. J’ouvre les yeux et me redresse. Mes draps sont trempés.

   Je n’ai pas toujours broyé des cauchemars de couleur. Il fût un temps où je chérissais les aquarelles, les pastels et l’huile, bien sûr. Je rêvais d’en faire mon métier depuis mon plus jeune âge, lorsque les Impressionnistes avaient commencé à libérer la peinture. Pour tout dire, après des années de labeur solitaire, j’y étais presque parvenu : j’avais vendu mes premières toiles et déjà quelques élèves avaient rejoint mon atelier. Deux jeunes hommes se chamaillaient pour obtenir mes compliments. Et Lucie, cette chère Lucie… elle restait silencieuse, ne réclamait jamais de conseils ou de gratifications. Toujours, elle patientait respectueusement jusqu’à ce que j’examine son travail. Du reste, son don ne faisait aucun doute. Ses compositions abstraites s’appuyaient sur des équilibres singuliers, des variations de formes et de couleurs jamais vues. J’avais exprimé mon enthousiasme dès l’achèvement de ses premières toiles. Ensuite, j’étais resté réservé, ne voulant pas, par des compliments trop prononcés, brûler les ailes de son art en plein envol. Sans doute souhaitait-elle me séduire à nouveau ; pour cela, elle peignait sans ménager ses efforts. Dans chacun de ses tableaux, je ressentais à la fois l’énergie d’un premier jet et le soin le plus attentif. Sa virtuosité était telle que les deux garçons abandonnèrent bien vite mon atelier. Ils prétextèrent une divergence de point de vue, une envie de trouver d’autres influences ; mais en vérité, ils ne pouvaient s’épanouir à l’ombre des œuvres magnifiques que Lucie enchaînait. La dernière fois que je vis ces deux apprentis, ils comparaient leurs productions respectives : sur la base d’une étude de fleurs, ils avaient composé chacun une nature morte abstraite. Leurs tableaux n’étaient pas mauvais, ils avaient même de la qualité, même si les lignes de force étaient trop voyantes, l’utilisation des couleurs complémentaires un peu trop forcée, les points et contre-points eux aussi légèrement caricaturaux. Bref, ils se querellaient en regardant leurs toiles et puis ils firent le tour du chevalet de Lucie. Et là, pendant un très court laps de temps, ils restèrent subjugués. Cela ne dura que quelques secondes. Bouche bée, abasourdis, ils contemplaient. Une courbe ondulante surgissait dans le tableau à partir d’un coin, en bas à gauche. Épaisse, elle s’affinait en se tordant, escaladant la toile et se ramifiant jusqu’au bord supérieur droit où quelques radicelles disparaissaient hors du cadre. À chacun de ses virages, la ligne puissante faisait naître des explosions de couleur circulaires qui se déployaient, se chevauchaient en harmoniques de bleus, de verts, de jaune et de rouge. Dans les profondeurs des aplats vibrants, des formes arrondies et sourdes équilibraient la composition par leurs masses floues parfaitement placées là où l’œil les attendait. Nous n’avions jamais vu les œuvres de Klee, Kandinsky ou Sonia Delaunay, le talent de Lucie était leur contemporain. Les deux jeunes hommes restèrent face à la composition, bouche entrouverte, et puis la fierté leur fit secouer la tête, reprendre leurs esprits : ils embarquèrent toiles et matériel avant de disparaître. Jamais plus ils ne revinrent.

   Lucie partagea l’atelier, seule avec moi. Seule avec moi… une façon nette et tranchée de dire la vérité : je la voulais pour moi seul. Pas tant sa personne, non ; mais son art. Son art était chatoyant, toujours renouvelé. Elle, je ne la regardais que rarement, ébloui par son travail. À vrai dire, je ne saurais la décrire et encore moins la peindre. D’abord, je suis mauvais portraitiste et ensuite, ce sont ses tableaux qui importaient. Pendant tout l’été, nous peignîmes sans relâche.  Nous ne posions nos brosses que pour broyer les pigments. Même lorsqu’elle maniait le pilon, versait l’huile de lin, la flamme de la création ne la quittait pas. Lucie avait toujours en tête de futurs tableaux, la volonté de faire parler la couleur sans répit. Sa palette aussi était un objet d’expérimentation et souvent devenait une source d’inspiration pour une nouvelle esquisse. Je me souviens d’un jour où, se lavant les mains dans la cuvette émaillée, elle s’émerveilla des spirales de couleur qui naissaient autour de ses doigts. Sa façon évoluait et la mienne aussi à son contact. Il ne nous fallait que quelques jours pour achever des toiles qui auraient demandé à d’autres un mois de travail acharné. Nous inventions un nouveau monde, défrichions de nouveaux continents. Lucie ne s’arrêtait que pour me regarder et moi de même je ne cessais de peindre que pour admirer ses compositions merveilleuses ou nous préparer de quoi manger. Nous discutions alors durant chaque repas parfumé à l’essence de térébenthine. Lucie dormait à l’atelier, évidemment. Elle s’était installée sur le sofa, sous la fenêtre. Quant à moi, j’occupais la mezzanine. Quelques mois s’écoulèrent ainsi, où je crus que nous étions heureux tous les deux.

   Quand vint le mois de novembre, elle commença à se plaindre du froid. La grande verrière qui offrait une lumière zénithale laissait passer le souffle hivernal par ses interstices. Je tentai sans grand succès de boucher les fissures avec du papier journal et offris à Lucie une de mes couvertures. Dans notre frénésie créatrice, nous n’avions guère le temps d’essayer de vendre nos toiles et l’argent manquait cruellement. Si nous trouvions encore de quoi nous nourrir, je n’avais plus d’argent pour acheter du charbon, ni même du bois. Nous brûlions dans le poêle quelques boules de papier inutilisables, de vieux torchons irrécupérables. De quoi nous réchauffer les mains un instant. Les jours se firent plus courts et plus glaciaux. La peinture de Lucie s’assombrit et sa palette devint plus froide. J’y voyais toujours la même lumière, où dominaient maintenant des bleus et des outremers profonds. Un soir, je crus voir un navire vermeil s’enfoncer dans le gris de Payne. Je m’enthousiasmai comme aux premiers jours, elle ne répondit pas, fixant de ses yeux cernés un point invisible sur le parquet. Je lui répétai que sa toile était magnifique, qu’elle me donnait la chair de poule, l’envie de pleurer… Une larme coula sur sa joue. Attristé de la voir ainsi, je voulus la réconforter et lui touchai l’épaule, pour la première fois. Ses sanglots redoublèrent et elle vint se blottir entre mes bras. Ne sachant que faire de son corps tremblant, je lui tapotai la tête, lui promettant des jours meilleurs. Ce fut l’unique occasion que j’eus de tenir Lucie contre moi. Le soir, je la couchai sur le sofa et la bordai de près pour tenter de la réchauffer. Demain, nous peindrions à nouveau.

   Dès l’aube, Lucie commença à tousser. Une toux rugueuse, âpre. Je lui préparai un bouillon et sacrifiai mes derniers sous pour faire venir un médecin. Il préconisa un séjour dans un lieu mieux chauffé, mais elle refusa : elle voulait rester auprès de moi, ne pas tarir le flot de ses créations. Elle se remit au travail en grelotant. Une semaine plus tard, la fièvre la rongeait malgré le traitement ordonné. Elle n’avait cessé de peindre et si tout son corps tremblait, sa main restait ferme chaque fois qu’elle traçait une courbe, une ligne, une esquisse. À la fin, lorsque nous n’eûmes plus rien à brûler et que le givre dessinait des arabesques sur les vitres, je lui ordonnai de quitter l’atelier, de retourner chez ses parents afin de soigner son rhume. Elle refusa. J’insistai et elle me frappa au visage lorsque je la forçai à sortir de chez moi. Elle s’enfuit en me criant « ne comprends-tu pas que je t’aime ? » Non, je ne l’avais pas compris, je ne pouvais le comprendre, je ne pouvais ressentir de l’amour pour elle, ses toiles prenaient toute la place. Terrorisé, incapable de lui courir après, je la regardai disparaître, sous les rafales de neige.

   Deux semaines plus tard, n’ayant toujours pas reçu de ses nouvelles, mes lettres étant restées sans suite, je me rendis chez ses parents. Une étoffe de soie noire barrait la porte. Je restai là, longtemps, sous le grésil, n’osant faire un pas de plus. La soie dansait dans le vent, les larmes mouillaient mes joues. Je m’écroulai à genoux au seuil de sa maison. La pneumonie l’avait emportée. Sa mère ne voulut pas me recevoir. Son père me gifla et m’insulta avant de m’avouer qu’il ne lui avait pas donné mes courriers, qu’elle m’avait réclamé jusqu’à la fin. Pendant tout l’hiver, je restai prostré dans mon atelier, au milieu des tableaux merveilleux de Lucie. Au printemps, ses parents vinrent me rendre visite. Ils pleurèrent silencieusement en regardant ses toiles puis décidèrent que jamais ils ne pourraient les voir à nouveau. Alors, elles sont restées là, tout autour de moi.

   Depuis, mes cauchemars en couleur me dévorent toutes les nuits.


« Modifié: 29 septembre 2021 à 09:03:15 par Rémi »
Le paysage de mes jours semble se composer, comme les régions de montagne, de matériaux divers entassés pêle-mêle. J'y rencontre ma nature, déjà composite, formée en parties égales d'instinct et de culture. Çà et là, affleurent les granits de l'inévitable ; partout les éboulements du hasard. M.Your.

Hors ligne Aponiwa

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Re : Cauchemars de couleur
« Réponse #1 le: 15 septembre 2021 à 23:23:45 »
Hello!
J adore ton histoire. C est bien écrit, ça se lit bien, c est poétique et tu rends très bien l atmosphère de cet atelier, avec le vocabulaire adapté à la peinture.
Je n ai pas grand chose à relever, à part une petite coquille de conjugaison sur "nous peignames" : il me semble que c est "peignîmes".

Merci pour ce beau moment de lecture! 🙂
« Noone will know my name until it's on a stone » Eels, Lucky day in hell

Hors ligne Delnatja

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Re : Cauchemars de couleur
« Réponse #2 le: 16 septembre 2021 à 11:25:55 »
Bonjour Rémi, je suis du même avis que Aponiwa.
Je me suis régalée à lire ton texte.
Bonne journée.
Michèle

Hors ligne Basic

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Re : Cauchemars de couleur
« Réponse #3 le: 16 septembre 2021 à 18:35:30 »
Bonjour Remi,
c'est évident que j'allais m'inviter sur ton texte.
Beau texte d'ailleurs.

Quelques commentaires au fil du texte même si il va déjà très bien sans moi. (en dehors des coquilles déjà relevées par nos camarades)

B

[spoiler][Cauchemars de couleur

fond
orthographe ou temps
forme
Une longue trace sur le parquet pistache, une trace noire de souliers vernis, résidus caoutchouteux filant vers l’insondable. La trainée sinueuse offre au regard le dernier signe d’une présence disparue. Les lames visent un point de fuite dissimulé dans le vert. Je m’agite, serre les poings, frappe en tout sens. Rien ne bouge. Je hurle et aucun son ne sort de ma bouche. À côté de moi, tout à coup, apparaît la silhouette gigantesque d’un inconnu. Je suis minuscule et son corps s’élève jusqu’au-delà du ciel. Aucun plafond ne saurait l’arrêter. À nouveau je m’époumone, sans succès. Les rideaux émeraude claquent dans le vent, une odeur de soufre agresse mes narines. L’homme lève un pied immense et fracasse le sol. Les lattes de bois volent en éclat, je décolle avant de tomber dans le gouffre béant. Je chute vers l’abyme, je tournoie, bras écartés et, tout autour, des falaises de souvenirs miroitent et clignotent. Au milieu de reflets opalescents, un kaléidoscope de couleurs : je vois ma mère, un ami d’enfance, ma première amoureuse, mon vélo plié et mon bras cassé… Vais-je m’écraser au fond du ravin ? Je pousse un long cri aigu, qui résonne cette fois fort et clair. Tout ce vert, ce jaune, ce rouge disparaissent. J’ouvre les yeux et me redresse. Mes draps sont trempés.

Le cauchemar de couleur : Ce qui pourrait être très fort c'est le cauchemar de couleur pour un peintre : Qu'est ce que c'est ? Ici, c'est un cauchemar presque banal, on aimerait que tu te risques dans la couleur plus que dans un probléme de dimension.. 

   Je n’ai pas toujours broyé des cauchemars de couleur. Il fût un temps où je chérissais les aquarelles, les pastels et l’huile, bien sûr. Je rêvais d’en faire mon métier depuis mon plus jeune âge, lorsque les Impressionnistes avaient commencé à libérer la peinture. Pour tout dire, après des années de labeur solitaire, j’y étais presque parvenu : j’avais vendu mes premières toiles et déjà quelques élèves avaient rejoint mon atelier. Deux jeunes hommes se chamaillaient pour obtenir mes compliments. Et Lucie, cette chère Lucie… elle restait silencieuse, ne réclamait jamais de conseils ou de gratifications. Toujours, elle patientait dans l’attente que j’examine son travail. Du reste, son don ne faisait aucun doute. Ses compositions abstraites s’appuyaient sur des équilibres singuliers, des variations de formes et de couleurs jamais vues. J’avais exprimé mon enthousiasme dès l’achèvement de ses premières toiles. Ensuite, j’étais resté réservé, ne voulant pas, par des compliments trop prononcés, brûler les ailes de son art qui s’envolait. Sans doute souhaitait-elle me séduire à nouveau ; pour cela, elle peignait sans ménager ses efforts. Dans chacun de ses tableaux, je ressentais à la fois l’énergie d’un premier jet et le soin le plus attentif. Sa virtuosité était telle que les deux garçons abandonnèrent bien vite mon atelier. Ils prétextèrent une divergence de point de vue, une envie de trouver d’autres influences ; mais en vérité, ils ne pouvaient s’épanouir à l’ombre des œuvres magnifiques que Lucie enchaînait. La dernière fois que je vis ces deux apprentis, ils comparaient leurs productions respectives : sur la base d’une étude de fleurs, ils avaient composé chacun une nature morte abstraite. Leurs tableaux n’étaient pas mauvais, ils avaient même de la qualité, même si les lignes de force étaient trop voyantes, l’utilisation des couleurs complémentaires un peu trop forcée, les points et contre-points eux aussi légèrement caricaturaux. Bref, ils se querellaient en regardant leurs toiles et puis ils firent le tour du chevalet de Lucie. Et là, pendant un très court laps de temps, ils restèrent subjugués. Cela ne dura que quelques secondes. Bouche ouverte, éblouis, ils contemplaient. Et puis la fierté leur fit secouer la tête, reprendre leurs esprits : ils embarquèrent toiles et matériel avant de disparaître. Jamais plus ils ne revinrent.

   Lucie partagea l’atelier, seule avec moi. Seule avec moi… une façon nette et tranchée de dire la vérité : je la voulais pour moi seul. Pas tant sa personne, non ; mais son art. Son art était chatoyant, toujours renouvelé. Elle, je ne la regardais que rarement, ébloui par son travail. À vrai dire, je ne saurais la décrire et encore moins la peindre. D’abord, je suis mauvais portraitiste et ensuite, ce sont ses tableaux qui importaient. Pendant tout l’été, nous peignâmes sans relâche. Sa façon évoluait et la mienne aussi à son contact. Il ne nous fallait que quelques jours pour achever des toiles qui auraient demandé à d’autres un mois de travail acharné. Nous inventions un nouveau monde, défrichions de nouveaux continents. Lucie ne s’arrêtait que pour me regarder et moi de même je ne cessais de peindre que pour admirer ses compositions merveilleuses ou nous préparer à manger.  Nous discutions alors durant chaque repas parfumé à l’essence de térébenthine. Lucie dormait à l’atelier, évidemment. Elle s’était installée sur le sofa, sous la fenêtre. Quant à moi, j’occupais la mezzanine. Quelques mois s’écoulèrent ainsi, où je crus que nous étions heureux tous les deux.

   Quand vint le mois de novembre, elle commença à se plaindre du froid. La grande verrière qui offrait une lumière zénithale laissait passer le souffle hivernal par ses interstices. Je tentai sans grand succès de boucher les fissures avec du papier journal et offris à Lucie une de mes couvertures. Dans notre frénésie créatrice, nous n’avions guère le temps d’essayer de vendre nos toiles et l’argent manquait cruellement. Si nous trouvions encore de quoi nous nourrir, je n’avais plus d’argent pour acheter du charbon, ni même du bois. Nous brûlions dans le poêle quelques boules de papier inutilisables, de vieux torchons irrécupérables. De quoi nous réchauffer les mains un instant. Les jours se firent plus courts et plus glaciaux. La peinture de Lucie s’assombrit et sa palette se fit plus froide. J’y voyais toujours la même lumière, où dominaient maintenant des bleus et des outremers profonds. Un soir, je crus voir un navire vermeil s’enfoncer dans le gris de Payne. Je m’enthousiasmais ( je m'enthousiasmai)comme aux premiers jours, elle ne répondit pas et me regarda de ses yeux cernés (elle me regarda de ses yeux cernés, bof, non ? ). Je lui répétais (répétai) que sa toile était magnifique, qu’elle me donnait la chair de poule, l’envie de pleurer… Une larme coula sur sa joue. Attristé de la voir ainsi, je voulus la réconforter et lui touchais (touchai) l’épaule, pour la première fois. Ses sanglots redoublèrent et elle vint se blottir entre mes bras. Ne sachant que faire de son corps tremblant, je lui tapotais (tapotai) la tête, lui promettant des jours meilleurs. Ce fut l’unique occasion que j’eus de tenir Lucie contre moi. Le soir, je la couchais (couchai)sur le sofa et la bordait (bordai) de près pour tenter de la réchauffer. Demain, nous peindrions à nouveau.

   Dès l’aube, elle commença à tousser. Une toux rugueuse, âpre. Je lui préparai un bouillon et sacrifiai mes derniers sous pour faire venir un médecin. Il préconisa un séjour dans un lieu mieux chauffé, mais elle refusa : elle voulait rester auprès de moi, ne pas tarir le flot de ses créations. Lucie se remit au travail en grelotant. Une semaine plus tard, la fièvre la rongeait malgré le traitement ordonné. Elle n’avait cessé de peindre et si tout son corps tremblait, sa main restait ferme chaque fois qu’elle traçait une courbe, une ligne, une esquisse. À la fin, lorsque nous n’eûmes plus rien à brûler et que le givre dessinait des arabesques sur les vitres, je lui ordonnai de quitter l’atelier, de retourner chez ses parents afin de soigner son rhume. Elle refusa. J’insistai et elle me frappa au visage lorsque je la forçai à sortir de chez moi. Elle s’enfuit en me criant « ne comprends-tu pas que je t’aime ? » Non, je ne l’avais pas compris, je ne pouvais le comprendre, je ne pouvais ressentir de l’amour pour elle, ses toiles prenaient toute la place. Terrorisé, incapable de lui courir après, je la regardai grimper dans un fiacre, sous les rafales de neige.

   Deux semaines plus tard, n’ayant toujours pas reçu de ses nouvelles, mes lettres étant restées sans suite, je me rendis chez ses parents. Une étoffe de soie noire barrait la porte. Je restai là, longtemps, sous la grésille, n’osant faire un pas de plus. La soie dansait dans le vent, les larmes coulaient sur mes joues. Je m’écroulai à genoux au seuil de sa maison. La pneumonie l’avait emportée. Sa mère ne voulut pas me recevoir. Son père me gifla et m’insulta avant de m’avouer qu’il ne lui avait pas donné mes courriers, qu’elle m’avait réclamé jusqu’à la fin. Pendant tout l’hiver, je restais (restai) prostré dans mon atelier, au milieu des tableaux merveilleux de Lucie. Au printemps, ses parents vinrent me rendre visite. Ils pleurèrent silencieusement en regardant ses toiles puis décidèrent que jamais ils ne pourraient les voir à nouveau. Alors, elles sont restées là, tout autour de moi.
( la phrase finale est un peu légère, disons une queue de poisson, )
   Depuis, mes cauchemars en couleur me dévorent toutes les nuits.


Donc ce qui me manquerait si je cherchais à être le gars qui pousse le Rémi, :
  • un vrai cauchemar de peintre
  • [/COLOR]
  • quelque chose de plus fort que des allusions pour nous plonger dans la peinture de Lucie. Où est cette force, cette magie... qu'est ce qui transcende justement la couleur et le trait ? Nous donner un tout petit peu de matière pour entrer dans ce mystère, sans le violenter bien entendu parce que personne ne sait comment elle peint, vu que ce n'est qu'une fiction.
  • [/COLOR]
  • Peut être aussi un peu de chair. Même si ton personnage de peintre est atteint d' hypoesthésie voire d'anaphrodisie, on manque d'empathie envers les protagonistes. Peut être un peu plus de contexte, un peu plus de suggestif...[/SIZE][/FONT]/spoiler]
Tout a déjà été raconté, alors recommençons.

Page perso ( sommaire des textes sur le forum) : https://monde-ecriture.com/forum/index.php?topic=42205.0

blog d'écriture : https://terredegorve.blogspot.com/

Hors ligne Gaylord Surblé

  • Buvard
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Re : Cauchemars de couleur
« Réponse #4 le: 16 septembre 2021 à 19:36:11 »
Beau texte retranscrivant de façon troublante l'ambiance si particulière des mauvais rêves ! Merci

Hors ligne Cendres

  • Comète Versifiante
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Re : Cauchemars de couleur
« Réponse #5 le: 17 septembre 2021 à 19:01:22 »
Merci pour ton texte.

Au début, je ne comprenais pas trop de quoi ça parlait. Le premier paragraphe me faisait penser que le héros était un insecte vu sa taille(enfin, qu'il se voyait comme tel, j'avais compris que c'était un humain.)
En fait, c'était un cauchemar. Tu nous apprends ensuite l'amour du narrateur pour sa jeune compagne, qui va tomber malade du a leur condition de vie et mourir loin de lui chez ses parents. Son cœur sera brisé et une partie de lui sera comme perdue.

Leur relation, c'est l'amour de l'art avant tout. Mais bon, vaut mieux manger que de s'acheter de la peinture. De mon point de vue personnel, je les trouve pas très malin. Préféraient continuer à peindre au lieu de se chauffer et de manger (Surtout que son état affecte ses peintures).
Aimer quelqu'un, c'est le voir heureux et en bonne santé. La, c'est comme une drogue, ça les détruit et à la fin la femme meurt.

Hors ligne Rémi

  • ex RémiDeLille
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Re : Cauchemars de couleur
« Réponse #6 le: 18 septembre 2021 à 16:23:19 »
Salut chers commentateurs :)

@Aponiwa
Merci, je suis content que cela t'aies plus.
Citer
petite coquille de conjugaison sur "nous peignames" : il me semble que c est "peignîmes".
:D oui ! (ou alors, il se peignent les cheveux  :mrgreen:)

@Delnatja
Merci !

@Basic

Merci pour le relevé de toutes ces conjugaisons imparfaites alors qu'il suffisait de rester simple...
Citer
elle me regarda de ses yeux cernés, bof, non ?
ouaip, j'ai changé ça

Citer
Donc ce qui me manquerait si je cherchais à être le gars qui pousse le Rémi,
merci en tout cas de pousser le Rémi ! C'est bien cool.

Citer
un vrai cauchemar de peintre
y a déjà beaucoup de couleur dans le cauchemar... mais je ne botte pas en touche, j'ai essayé de le retoucher tout de même pour appuyer encore là dessus (sont apparus brosse et palette)

Citer
quelque chose de plus fort que des allusions pour nous plonger dans la peinture de Lucie. Où est cette force, cette magie... qu'est ce qui transcende justement la couleur et le trait ? Nous donner un tout petit peu de matière pour entrer dans ce mystère, sans le violenter bien entendu parce que personne ne sait comment elle peint, vu que ce n'est qu'une fiction.
belle idée aussi, c'est fait, tu as un tableau à admirer maintenant dans le deuxième paragraphe.

Citer
Peut être aussi un peu de chair. Même si ton personnage de peintre est atteint d' hypoesthésie voire d'anaphrodisie, on manque d'empathie envers les protagonistes. Peut être un peu plus de contexte, un peu plus de suggestif.
Mouais, là je suis pas trop d'accord. Vu qu'on est à la première personne, mon narrateur ne la voit pas vraiment, la chair. Où alors il faudrait que Lucie le provoque (un peu), mais c'est pas trop son genre, à Lucie. Elle aussi est paumée dans sa peinture.
J'y réfléchis...

Un grand merci pour ton retour, j'espère que les modifs sont réussies :)

@Gaylord Surblé
merci !

@Cendres
C'est exactement ça, oui.
Citer
La, c'est comme une drogue, ça les détruit
et oui  :(



Merci à tout.e.s pour votre retour, j'espère que les remaniements du texte vont dans le bon sens.
A++
Rémi
Le paysage de mes jours semble se composer, comme les régions de montagne, de matériaux divers entassés pêle-mêle. J'y rencontre ma nature, déjà composite, formée en parties égales d'instinct et de culture. Çà et là, affleurent les granits de l'inévitable ; partout les éboulements du hasard. M.Your.

Hors ligne frenchwine

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  • Les Muses n'existent pas.
Re : Cauchemars de couleur
« Réponse #7 le: 18 septembre 2021 à 16:58:22 »
Je reviendrai le lire, je fais toujours plusieurs lecture.
Je n'y connais pas grand chose, pas de verbe au début, beaucoup de phrases saccadées, des coupures en virgules ^^, ... qui ne devraient pas débuter par une majuscule, ou alors etc ? il y a des fois je me suis demandé pourquoi, on doit sous-entendre quoi ?

Quand vint le mois de novembre, elle commença à se plaindre du froid.

 Dès l’aube, elle commença à tousser.

Qui ? je me doute ^^
je n'en ferais pas plus, je préfère regarder l'histoire

ça se lit bien.
« Modifié: 18 septembre 2021 à 17:04:01 par frenchwine »

Hors ligne Basic

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Re : Cauchemars de couleur
« Réponse #8 le: 18 septembre 2021 à 19:06:28 »
Bonsoir Remi,
j'ai lu ta deuxième version.
C'est bien, non ?
B
Tout a déjà été raconté, alors recommençons.

Page perso ( sommaire des textes sur le forum) : https://monde-ecriture.com/forum/index.php?topic=42205.0

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Hors ligne Rémi

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Re : Cauchemars de couleur
« Réponse #9 le: 18 septembre 2021 à 22:13:53 »
Salut,
@FW :
Je reviendrai le lire, je fais toujours plusieurs lecture.
repasse quand tu veux !

@Basic
Oui, le texte est pas mal. J'ai peaufiné encore deux ou trois trucs ; ça reste une histoire assez classique ; avec les ajouts suite à ton intervention on a un peu plus de relief et de personnalité. C'est cool ^^
Le paysage de mes jours semble se composer, comme les régions de montagne, de matériaux divers entassés pêle-mêle. J'y rencontre ma nature, déjà composite, formée en parties égales d'instinct et de culture. Çà et là, affleurent les granits de l'inévitable ; partout les éboulements du hasard. M.Your.

Hors ligne frenchwine

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  • Les Muses n'existent pas.
Re : Cauchemars de couleur
« Réponse #10 le: 18 septembre 2021 à 23:31:36 »
tricheur ^^ filant
je t'avoue que c'est mieux, mais là je n'ai pas le temps ^^
je dis je ferai ^^

Hors ligne Rémi

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Re : Re : Cauchemars de couleur
« Réponse #11 le: 19 septembre 2021 à 08:20:54 »
tricheur ^^ filant
je t'avoue que c'est mieux, mais là je n'ai pas le temps ^^
je dis je ferai ^^
tricheur ?
Je comprends pas ton message.
Le paysage de mes jours semble se composer, comme les régions de montagne, de matériaux divers entassés pêle-mêle. J'y rencontre ma nature, déjà composite, formée en parties égales d'instinct et de culture. Çà et là, affleurent les granits de l'inévitable ; partout les éboulements du hasard. M.Your.

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Re : Cauchemars de couleur
« Réponse #12 le: 19 septembre 2021 à 10:55:23 »
Hello Rémi,

Après relecture du texte, il y a des choses qui me titillent (mais c'est du pinaillage gratuit!  ;) )
- J'ai l'impression que ton texte se passe à l'époque des impressionnistes ("Je rêvais d’en faire mon métier depuis mon plus jeune âge, lorsque les Impressionnistes avaient commencé à libérer la peinture.")
Alors j'ai un souci chronologique avec l'accident de vélo du narrateur et le fait que tu cites plus tard des peintres plus récents : "Nous n’avions jamais vu les œuvres de Klee, Kandinsky ou Sonia Delaunay, le talent de Lucie était leur contemporain." Je comprends ce que tu veux dire, mais le narrateur peut-il les citer? (question purement naïve, je ne suis pas toujours au clair avec les notions de narrateur...)
- Je n'arriva pas à faire le rapport entre le cauchemar du début et la suite. C'est idiot, mais je pense que les rêves sont liés à notre vécu, surtout s'il s'agit d'un cauchemar récurrent.

Bon voilà! Sinon, toujours rien à dire, c'est toujours un plaisir de te lire! :)
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Re : Cauchemars de couleur
« Réponse #13 le: 19 septembre 2021 à 11:12:05 »
Coucou Rémi !

Une longue trace sur le parquet pistache, une trace noire de souliers vernis, résidus caoutchouteux filant vers l’insondable.
pas fan de "l"insondable", eh trouve que ça cache un peu trop les choses sous le tapis (mais j'aime bien cette première phrase).

et des blocs de glace qui éclatent en fragments de mille bleus.
"mille bleus" ça m'a un peu fait tiquer, je trouve que ça sonne pas parfaitement.

Toujours, elle patientait dans l’attente que j’examine son travail.
"patientait dans l'attente" je trouve pas ça super heureux (on est forcément dans l'attente, quand on patiente).

brûler les ailes de son art qui s’envolait.
J'aime pas trop cette formulation, le "qui s'envolait" me paraît un peu de trop. Mais je comprends que tu veuilles filer le truc. Quelque chose comme "brûler les ailes de son art en plein envol." ?

Globalement c'était une chouette lecture, les tableaux de Julie sont vachement bien retranscris, on comprend toute la fascination du narrateur !
Il manque peut-être un lien entre le cauchemar du début et toutes ces peintures. On pourrait facilement imaginer que les tableaux de Julie interviennent dans ses cauchemars, que le narrateur soit enfermé dedans, ou bien tordu par leurs arabesques, etc. Parce qu'il n'y a pas que leurs teintes qui l'émerveillait dans les tableaux, si je ne m'abuse !

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Re : Cauchemars de couleur
« Réponse #14 le: 19 septembre 2021 à 14:25:37 »
Bonjour Rémi,


Eh ! Bien, voici le genre de texte vers lequel tu t'orientes actuellement, c'est tout nouveau ?

Il me semble que ce n'est pas aussi expressif que lorsque tu t'attaques à des faits divers glaciaux, il y a plus de place pour la romance, l'intimité, l'implicite. À mes yeux, en restant dans ce format intimiste, tu pourrais te détacher de cette énumération de faits factuels et revenir vers plus de sentimentalité volatile, comme pour oublier le passage du temps un instant.

Puisque tes deux personnages sont décrits chacun dans son équilibre, j'ai beaucoup aimé découvrir ce récit ; mais j'aurais mieux aimé voir les transformations apportées par Lucie à ce peintre anonyme. J'aurais aimé voir son atelier se transformer d'une façon ou d'une autre, ses amis ou ses proches intervenir dans l'histoire pour essayer de rompre une certaine forme d'isolement. N'a-t-il pas envie de présenter cette femme à ses proches ou ses collaborateurs dans les galeries ?

Si tu ne prends l'histoire que depuis le point de vue des deux personnages (en ne présentant que leur perception personnelle sans laisser de point de vue extérieur s'exprimer pleinement), ces deux protagonistes peuvent beaucoup plus aisément laisser place au mensonge, à l'illusion, au désir irrationnel, au fantasme intime, tandis que n'importe quel intervenant aurait rompu cette image idyllique en lui apportant des nuances pleines de charmes ou de doutes.


C'est, je crois, ce qu'il m'a manqué à la lecture de ce texte, une intervention extérieure, un point de vue différent sur le drame, une rupture dans l'intimité la plus irrationnelle.

Merci à toi pour cette lecture dont j'ai apprécié la teneur inhabituelle qui m'a fait penser que tu avais envie de démultiplier les expérimentations créatives, ce qui est très prometteur. ^^
Mon carnet de bord avec un projet de fantasy.

 


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