En gestes rapide, elle esquissa un pentacle. Une mèche brune touchait le sol en même temps que sa main, se mêlant à l'étoile à cinq branches et son pourtour. Quelques gouttes de sueur gagnaient le sol meuble du cimetière, luisant dans la nuit. Dans les ténèbres affleurait une lune étain, parfaite pour le genre de cérémonie qu'elle tramait entre les tombes.
Lorsque la figure géométrique fut terminée, la visiteuse s'écarta pour observer sa production. Les imperfections qu'elle y décela ne firent que la conforter dans son élan. Une magie ne pouvait se prétendre noire sans aspérités. D'un coup de pied, elle fit voleter un peu de sable sur le pentacle et cracha en son centre. Ses doigts se refermèrent sur la pelle qu'elle avait jusque là abandonnée contre une stelle et elle entreprit de creuser. Les tombes paradaient en cercle autour du pentacle, assurées de baigner dans son influence méphistophélique.
La première arborait une croix finement taillée dans un bloc de granit, garnie de volutes grenelées. Malgré l'obscurité, on pouvait distinctement lire :
Ci-gît Peter Borough, Maire
1803 - 1867
Elle avait peu d'espoir de parvenir à ses fins dans cette bière, c'est pourquoi elle commença par là. Elle préférait prévenir la déception, plutôt que de subir la déconvenue de fouiller toutes les tombes et de finir par toucher au but au bout d'une piste méprisée. Une fois la terre suffisamment éventrée pour laisser apparaître le bois du cercueil, elle frappa à grands coups le couvercle, qui explosa bientôt. Aux tessons de bois se mêlait l'âcre de la mort. Délicate fragrance qu'elle n'eut pas le temps de savourer. Des ongles noirs et avides fouillèrent la dernière demeure du maire, mais nul trace du Livre. La profanatrice se fendit d'un satisfaisant soupir de déception. Le maire, qui avait été l'un des plus virulents instigateurs de la traque n'avait à priori aucune raison d'emporter sa proie maléfique avec lui.
La deuxième tombe, elle, revêtait un habit brodé de promesses.
Francis et Louise Tuestore
Morts en 1868
Sa main glissa contre la tombe de marbre dur, caressée par toute la froideur spectrale accumulée par la pierre. Quelques cliquements d'ongles sur la surface blanche suffirent à la déchausser, accompagnés d'une légère poussée qui acheva de révéler le cercueil enfoui dans le caveau. C'est sur les terres de ces aristocrates que s'étaient manifestés les premiers
évènements, et il était tout à fait possible que le Livre ait pu glisser entre les mains manucurées d'un des deux Tuestore. Une fois la bière ouverte, il fallut cependant se rendre à l'évidence : parmi les bijoux, les étoffes et les amulettes qui garnissaient les squelettes, nulle trace de la moindre feuille de papier. Le soupir de déception qui s'en suivit sonnait plus véridique que le précédent.
Les trois dernières tombes étaient presque accolées les unes aux autres, à l'écart du Maire et des Tuestore.
Emily V. Elisabeth B. Viviane T.
18. - 1862 18. - 1862 18. - 1862
La fatigue aidant, la visiteuse nocturne se mit en tête de les ouvrir de concert. Renforçant trois branches du pentacle de brindilles gorgées d'effluves d'Asmodée, elle marcha à grands pas autour des tombeaux, comptant ses enjambées et marmonnant tout à la fois. Plusieurs minutes passèrent avant que les bras des défuntes ne finalement dardent le sol et ne lui présentent leurs paumes décharnées, luisantes d'éclats de lune. Et désespéramment vides. Si le Livre était dans une de ces tombes, elle l'aurait déjà arraché aux phalanges d'outre-tombe. Une pointe d'excitation affleurait parmi son dépit. Sa traque à elle se pimentait un peu. Contrairement au Maire, elle piègerai sa proie. Les trois innocentes enfants qui gisaient devant elle n'avaient rien de noir, et surtout rien de magique. Elles étaient exceptionnelles par la malchance qu'elles avaient eues de rencontrer la route du Maire lors des
évènements.
La sorcière scruta le reste du cimetière autour d'elle. On enterrait beaucoup ses morts, pour une petite ville. Et avec quel soin ! Les tombes du Maire ou des Tuestore n'avaient rien d'extraordinaire, ici. Une sépulture attira son regard, pourtant. Loin à l'Est de la nécropole, un petit panneau de bois surplombait un coin de verdure. Lorsque la sorcière s'approcha, elle ne rencontra ni catafalque ni pierre tombale sculptée. Le panneau vermoulu était illisible pour un œil simple, mais l'influence du pentacle remuait jusqu'ici et elle put déchiffrer :
Mary Dublin
1784 - 1847
1847 ? Le cœur de la profanatrice bondit. Il était impossible que le Livre se trouve parmi les restes de cette Mary, si longtemps avant les
évènements. Pourtant, l'intuition mystique du pentacle la poussa à fouiller la sépulture. La terre était meuble, et ayant laissé sa pelle à côté de la tombe du Maire, la sorcière dépouilla le sol de ses doigts nus. Le cercueil était à moitié décomposé parmi la terre, défoncé par les années et la mauvaise fabrication. Pourtant, entre les doigts enlacés autour de la poitrine de Mary, on pouvait distinctement lire en lettres d'or
Le Manifeste des Sorcières, Sarah Sligo sur une couverture de cuir brune.
La sorcière arracha au squelette l'opus et l'ouvrit avec avidité. La première page ne tenait pas et glissa au sol. En la rattrapant, la visiteuse remarqua l'écriture serrée et appliquée qui recouvrait encore le papier. Quelques mots qui lui restèrent en travers de la gorge entouraient la lettre.
Chère Mary,
(...)
Glissons nos mots dans ce livre, puissent-ils nous offrir le réconfort
pour ne jamais pouvoir être vraiment réunies. Je t'aime,
Sarah
Bientôt, de nombreuses pages de l'ouvrage se défirent et se répandirent au sol, bardées d'exclamations d'amour et de liberté, mais certainement pas de sorcellerie.