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Le Monde de L'Écriture » Coin écriture » Textes courts (Modérateur: Claudius) » Le paradoxe de fourmi.

Auteur Sujet: Le paradoxe de fourmi.  (Lu 1074 fois)

Hors ligne Docal

  • Aède
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Le paradoxe de fourmi.
« le: 31 mai 2021 à 18:07:05 »
Sitôt Michelle eu passé le portillon qu'elle trébucha sur Slip. Son rattrapage, in extremis, au cerisier lui fit lâcher son sac kraft dans lequel elle ramenait quelques denrées nourricières. Slip se désintéressa immédiatement de sa maîtresse pour se jeter sur les œufs qui venaient d'éclater au sol. Elle lui avait manqué pour sûr, mais Slip n'était pas chat à laisser passer une telle occasion. Michelle s’accroupit pour venir lui gratter le bas du dos, juste à côté de la tâche noire en forme de culotte qui avait valu au chat son nom si particulier. Elle se perdit un instant dans ses pensées en se demandant quel nom lui aurait valu les marques de bronzage qu'elle venait de se faire pendant ces deux semaines dans les îles. Si un géant l'adoptait demain peut-être se retrouverait elle renommée "Bikini" pour le restant de ses jours. A condition bien entendu que les géants aussi aient une idée de ce qu'est un bikini. Ce qui impliquerait qu'ils partagent avec les humains leur goût des plages, des armes nucléaires et du marketing.


Un papier était scotché à la porte. Un instant, Michelle s’imagina le pire : dégât des eaux, cambriolage, père Noël coincé dans la cheminée, avis d'huissier... Mais elle se rassura en voyant la signature. Thomas avait son numéro, il l'aurait appelé pour quelque chose d'aussi grave. Le mot était écrit dans le style tout particulier de ceux qui connaissent l'illisibilité habituelle de leur écriture et s'appliquent du mieux de leurs capacités.


"Slip à renversé le terrarium. J'ai mis les bouts dans un carton mais les fourmis se sont fait la malle. Il a été privé de pâté samedi pour la peine. J'espère que tes vacances se sont bien passées.

Thomas"

Elle tenta un regard noir au chat mais ce dernier était déjà passé par la trappe. Michelle le suivit donc à l'intérieur et se mit à ranger les commissions. Il lui faudrait y retourner d'ici peu. Se disait-elle. Elle avait laissé les placards presque vides à son départ. Les deux boites de haricots y trouvèrent une place et elle en sortit machinalement du chocolat en poudre. L'eau finit de bouillir à l'instant où elle finit de mélanger la poudre au lait concentré. Elle résista à l'envie de sucer le tube comme elle faisait petite. Petite, elle n'avait pas à maintenir un beach body pour l'été. Elle sirota une première gorgée qu'elle recracha immédiatement sur les céramiques. Le liquide était infect. Michelle compris pourquoi alors qu'elle allait passer l'éponge la mort dans l'âme : elle avait retrouvé une partie des anciennes occupantes du terrarium.


Les placards n'étaient, de fait, pas si vides que ça. Les fourmis avaient su croître et se multiplier d'elles même mieux que jamais dans le terrarium au grand dam de l'égo de Michelle. Tous les petits soins, sirops, lampes à chaleur et autres cajoleries leur avaient moins plu qu'une vie à la dure entre l'évier et... à peu près tout le reste de la maison. Une véritable infestation. Elles avaient passé la vitre et s'étaient lancé dans l'inconnu dans un monde rempli de dangers, de challenge et de nourriture. Le chat les avait propulsés dans l'ère des grandes explorations et elles pouvaient dès à présent coloniser les fourmis du jardin et combattre les cafards de la cave. Tout comme les humains, le scorbut en moins.



Peut-être leur est-il venu l'idée qu'elles ont cherché trop profond, appris trop de choses ou profané le mauvais lieu. Peut-être cherchent elles encore pourquoi. Car la vengeance de leur ancienne bienfaitrice fut terrible. L'amère Michelle déploya tout un arsenal. Javel dans les placards, insecticide dans tout les coins, jet d'eau dans la salle de bain... La colonie sous l'évier ? Rasée ! L'avant-poste du pot de confiture ? Atomisé ! Le camp de derrière la chaudière ? Gazé ! Les rescapés du tapis ? Aspirés ! L'exploitation minière du paquet de farine ? Tamisée !
Ce soir-là le sentiment du travail bien fait, de la fureur assouvie et le doux parfum de la victoire vinrent se joindre aux courbatures et coups de soleil pour faire sombrer Michelle dans le sommeil alors qu'un Slip aux anges retrouvait sa place entre ses jambes.



Son réveil fut difficile. Premièrement elle n'avait pas à se lever aujourd'hui. Cependant Slip était catégorique. C'était, comme toutes les heures, l'heure du repas. Et secondement car un des voisins avait poussé trop fort le volume de quelque radio ou télé. Cela produisait un grésillement de mots juste assez audible pour capter l'attention de Michelle mais ne faisant pas assez de sens pour se laisser guider dans un nouveau sommeil en les suivants. La jeune femme se leva donc avec maints grognements. Les croquettes de chat n'avaient pas connu le même sort que la farine. La boite hermétique qui les maintenait à l’abri du morfale à poil court avait aussi su décourager les fourmis. Le café quant à lui fut dans le doute tamisé. A raison d'ailleurs, car une occupante n'avait pas entendu l'avis d'éviction de la veille. C'est alors qu'elle remplissait le bac d'eau de la cafetière que Michelle vit quelque chose qui acheva de lui sortir la tête du fondement.


Elle crut d'abord à une coïncidence. Peut-être avait-elle la veille laissé là une assiette un peu sale, laissant une salissure circulaire. Mais non, elle avait pris son repas de la veille au soir sur le pouce, à même la casserole. Qu'est-ce qui pouvait bien pousser des fourmis à se réunir en cercle comme ça sur le plan de travail. Quoi qu'il en soit, Michelle appuya sur le bouton pour se faire couler un café bien mérité et la machine vrombit comme à son habitude. Au moins les vibrations du monstre (que le chat détestait) avaient su faire fuir les fourmis. Fuir ? Non, elles bougeaient pour sûr mais ne fuyaient pas. Elles suivaient le cercle. Leurs petits corps crapahutaient dans un drôle d'unisson en suivant ce tracé imaginaire dont elles ne semblaient pas pouvoir sortir. Un peu comme des planètes qui filent tout droit dans un espace courbé par la gravité et finissent par tourner en rond sans le savoir. Le plus étrange, c'était leur démarche. Bien sur les fourmis suivent les traces de leurs congénères, mais Michelle n'avait jamais entendu qu'elles suivent aussi leurs mouvements. Mouvements saccadés par ailleurs. Un peu comme... En rythme ? En rythme avec cet insupportable bruit de fond ? Abasourdie la jeune femme les regarda en tendant l'oreille. Un voisin aurait il inventé une machine de contrôle des fourmis par ondes radios ? Il y avait bien monsieur Raymond, toute la rue disait qu'il avait été espion et scientifique pendant la guerre froide ou quelque chose comme ça. Lui maintenait qu'il avait juste tenu une radio pirate et participé à la création du glam rock dans sa cave avec quelques copains de beuverie. La vérité devait sans doute se trouver à mi-chemin entre les deux comme toute personne raisonnable le sait. Elle tendit plus en avant l'oreille, se demandant ce que ce vieux pouvait bien faire écouter aux fourmis pour les faire danser en cadence.

"Mi-mi-mich-mi-mi-mich-Michelle!"

C'était son nom. Scandé sur le rythme du générique de Télé-matin ! Elle s'arrêta net, le cœur en chamade, la cervelle battant la compote, et tenta un "Oui ?". Soudain les fourmis s'arrêtèrent et le chant avec elle. L'une d'elle quitta le cercle. Dans une marche aussi lente que dramatique (autant qu'il soit possible de l'être pour une fourmi), elle entreprit de rejoindre un saladier métallique posé sur la tranche. Alors une voix aiguë au possible demanda dans un français déplorable avec un fort accent :

"Comment. Faire. Stop. Colère. Michelle ?"
« Modifié: 02 juin 2021 à 08:23:02 par Docal »

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Re : Le paradoxe de fourmi.
« Réponse #1 le: 11 juin 2021 à 00:22:42 »
Merci Docal pour ce petit texte, chroniques d’une guerre (et d’une paix ?) annoncée.

Déjà je salue des passages très drôles, la fin du premier paragraphe en premier chef, qui donnent tout de suite le ton du texte. Slip, le chat, la raison de toute chose, est très attachant et bien nommé (surtout quand tu sors qu’il retrouve sa place entre ses jambes…). L’âge des explorations pour les fourmis (qui gagnerait peut-être une ligne). Monsieur Raymond, dont je rêve de voir les photos prises pendant les seventies.

Deux trois petits bémols :
- le rôle de Thomas, voisin ? cat-sitter ?
- des choix de mots un peu too much : "denrées nourricières", "camp/chaudière/gazé", "la cervelle battant la compote", "sortir la tête du fondement", "secondement"
- des conjugaisons : "eut passé", d’autres que j’ai relevés, mais que je ne retrouve pas.

Est-ce que les fourmis vont accepter le rétablissement du statu quo antebellum ?

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Re : Le paradoxe de fourmi.
« Réponse #2 le: 11 juin 2021 à 00:53:31 »
- le rôle de Thomas, voisin ? cat-sitter ?

Pensé comme cat sitter en tout cas.

"camp/chaudière/gazé" oh mer... flute ! C'est involontaire pour le coup. Sinon j'aime bien mettre des mots plus soutenus dans des contextes qui ne leur conviennent pas, le décalage que ça crée me fait rire (oui bon il faut pas grand chose).

Sinon l'idée principale c'était moins un récit de guerre que de voir une forme de rencontre avec un genre de dieu abrahamique ou grand ancien du point de vue de ladite entité pour laquelle c'est juste un mercredi normal en pantoufle. Un premier contact avec les E.T. (extra terrarium) du point de vue de l'autre en somme.

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Re : Le paradoxe de fourmi.
« Réponse #3 le: 11 juin 2021 à 01:31:44 »

- des choix de mots un peu too much : "denrées nourricières", "camp/chaudière/gazé", "la cervelle battant la compote", "sortir la tête du fondement", "secondement"


Pourquoi too much? Je demande ça parce que je suis un peu dans la même optique,  je trouve que son de mot apporte de la personnalité au texte (qui manque a mon très humble avis à beaucoup d'auteur, mais ça n'engage que moi), une "patte, quelque chose de plus original, moins "déjà lu". On en comprend le sens et en plus, c'est très drôle. Mais je suis peut être à côté de la plaque, ou ce n'est finalement qu'une question de goût. En tout cas, c'est une vraie question.
 
 Sinon, j'ai franchement adoré l'idée. J'ai toujours pensé que si dieu il y avait, ça serait surement une sorte de Jeffrey Lebowski en peignoir qui ne capterais rien à la situation si un jour on parvenais à lui faire savoir qu'on existe, et qu'il en serait au moins aussi étonné que nous. Les métaphore guerrière m'ont bien fait rire ( L'avant-poste du pot de confiture  :D), le petit pique des essaies atomiques sur l'atoll de Bikini et pas mal d'autres trucs... Franchement bien joué  :). Il y a des défauts bien sûr, mais j'ai pas envie de leur courir après ce soir.
 Ah oui et je ne sais pas pourquoi, mais j'ai pensé après lecture que ça aurait très bien pu être le scénario d'un épisode de Love,Death+Robots  ;D

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Re : Le paradoxe de fourmi.
« Réponse #4 le: 11 juin 2021 à 01:40:15 »
Désolé du flood, mais je n'arrive pas à modifier mon message précédent  :(. Je voulais juste dire que j'ai zappé le mot "choix", et que je viens de comprendre le jeu de mot avec le titre  :D. Pour ne pas spoiler et montrer fièrement à  tout le monde que j'ai la réf', je dirais juste "Enrico" ;D. (Très bien vu au passage)

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Re : Le paradoxe de fourmi.
« Réponse #5 le: 11 juin 2021 à 07:35:40 »
Bonjour Docal,

Je passe juste en coup de vent car j’ai lu ton texte en diagonale (bien amusant au demeurant) mais j’ai un doute sur cette phrase

Citer
C'était, comme toutes les heures, l'heure du repas.
Toutes les heures ou tous les jours ?
Parce que manger toutes les heures, ça me paraît beaucoup  :)

A bientôt
« Modifié: 11 juin 2021 à 07:37:27 par Earth son »
Ce que tu penses, tu le de­viens. Ce que tu res­sens, tu l’at­tires. Ce que tu ima­gines, tu le crées

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Re : Le paradoxe de fourmi.
« Réponse #6 le: 11 juin 2021 à 08:31:40 »
bonjour Docal, j'ai beaucoup aimé ce texte, facile à lire et rafraichissant par son humour bien dosé.
Bonne journée.
Michèle

Hors ligne Docal

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Re : Le paradoxe de fourmi.
« Réponse #7 le: 11 juin 2021 à 09:59:42 »
Merci pour vos retours, ça fait plaisir.

Earth Son, le chat a effectivement faim en permanence et réclame de la nourriture toutes les heures comme le goinfre qu'il est (personnage pas du tout inspiré de faits réels).

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Re : Re : Le paradoxe de fourmi.
« Réponse #8 le: 11 juin 2021 à 11:41:05 »
Sinon l'idée principale c'était moins un récit de guerre que de voir une forme de rencontre avec un genre de dieu abrahamique ou grand ancien du point de vue de ladite entité pour laquelle c'est juste un mercredi normal en pantoufle. Un premier contact avec les E.T. (extra terrarium) du point de vue de l'autre en somme.

C’est drôle, je n’ai pas vraiment vu ça (enfin si, y avait le passage "la colère sourde du Dieu qui s’abat") mais les "tentatives de communication" n’existent pas, enfin ça n’arrive qu’à la fin. C’est pour ça que je voyais ça comme invasion -> annihilation. En cette lumière, la fin somme comme une reddition plutôt qu’un "premier contact".

Moi j’ai peut-être pas la ref pour comprendre la blague avec le titre '-'

Hors ligne Docal

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Re : Le paradoxe de fourmi.
« Réponse #9 le: 11 juin 2021 à 12:42:10 »
Le titre est un jeu de mots sur le paradoxe de Fermi. Un questionnement sur "Si la vie (et par extension la vie intelligente) a pas mal de chances d'apparaitre dans l'univers, comment ça se fait qu'on n'en ai pas encore rencontré d'autres représentants ?"

Hors ligne Cendres

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Re : Le paradoxe de fourmi.
« Réponse #10 le: 11 juin 2021 à 19:00:17 »
Merci pour ton texte

J'ai bien aimé le découvrir et voir que les fourmis, malheureuse de leur extermination, parlent a leur ancienne "maitresse".

Tout cela est provoqué par les dégâts du chat, comme quoi un chat ca fait plein de bêtises , et de sa faute, provoque des morts :P

Ton texte est réaliste, mais la fin non, et elle surprend.

Hors ligne Malhom

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Re : Le paradoxe de fourmi.
« Réponse #11 le: 12 juin 2021 à 00:46:30 »
J'avais totalement oublié le chat dans ma critique éco+... C'est important, la présence d'un chat vaut 10 points d'office.

Hors ligne Aponiwa

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Re : Le paradoxe de fourmi.
« Réponse #12 le: 18 juin 2021 à 19:32:14 »
J'adore!  :D
Une situation complètement normale qui devient fantastique, sans qu'on ne s'y attende.
J'avoue, j'adore les fourmis, alors imaginer les insectes qui dansent en rond en appelant "Michelle", ça m'a bien fait marrer.

J'ai relevé deux petites fautes d'orthographe, si jamais... "Soudain les fourmis s'arrêtèrent et le chant avec elles. L'une d'elles quitta le cercle.
« Noone will know my name until it's on a stone » Eels, Lucky day in hell

 


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